Siritz.com : Série Séries, créé en 2012, est un Festival sans prix. C’est original.
Marie Barraco : En fait cette manifestation a été conçue avec les producteurs et les auteurs pour remplir un besoin, celui de disposer d’un lieu de rencontre et d’échanges autour de la création sérielle. Nous avons donc collectivement imaginé ce rendez-vous qui dure 3 jours et qui a lieu à Fontainebleau. https://www.serieseries.fr
Siritz.com : Elle vise le marché européen. Y-a-t-il eut dès le début tout le monde ?
MB : Dès le départ il y avait cette volonté de stimuler les créations et collaborations sur la zone Europe. Petit à petit il y a eu des pays que l’on avait peu identifiés qui nous ont rejoint. Notamment les pays de l’Est que l’on voit émerger de façon de plus en plus intéressante. Bien entendu, les britanniques ont toujours été très forts. Les nordiques n’ont cessé d’être actifs et créatifs.
Siritz.com : Dans les pays de l’Est lesquels sont en pointe ?
MB : La Croatie, la Bulgarie, la République Tchèque et récemment nous avons reçu plusieurs projets ukrainiens intéressants.
Siritz.com : La Russie fait partie de l’Europe ?
MB : Oui. On a eu quelques projets Russes.
Siritz.com : Et ils sont à quel niveau ?
MB : Plutôt ceux des pays de l’Est.
Siritz.com : Il y a un pays qui est à la frontière de l’Europe et qui est un grand producteur de cinéma : la Turquie. Est-ce la même chose pour les séries ?
MB : Dès la deuxième année on a fait un focus sur la Turquie. On avait déjà noté l’envol de la production en termes de quantité, de qualité, d’exportation et d’impact culturel dans toute la zone Moyen-Orient. Cela reste une production très dynamique, mais moins connectée à la création européenne que les autres. Néanmoins elle reste toujours très intéressante et on y jette un œil en permanence.
Siritz.com : Et Israël, qui n’est pas en Europe, mais qui a une production de très grande qualité, qui s’exporte partout et qui inspire la création dans tout l’occident ?
MB : Oui, on a fréquemment eu des projets israéliens et pas plus tard que l’année dernière. C’est un pays qui inspire beaucoup et qui a une manière de fonctionner passionnante. En Israël la création et le développement, l’attention portée à l’écriture sont fondamentaux et cela reste un exemple passionnant à mettre en avant et décrypter pour les européens.
Siritz.com : Quelles ont été les évolutions majeures de cette manifestation ?
Série séries est un évènement centré sur la création et consacré aux auteurs
MB : La manifestation en elle-même a peu évolué. Elle reste un endroit de rencontres et de réflexion qui reste à taille humaine et qui répond à une vraie demande du secteur. Donc son ADN est resté le même. Ce qui a évolué ce sont les événements autour. Il y a beaucoup plus de gros marchés, de festivals, de gros événements. Série séries s’en distingue parce que c’est un événement centré sur la création et consacré aux créateurs qui s’attache à représenter une source d’inspiration, de réflexion et de rencontres susceptibles de générer des collaborations créatives. Nous avons maintenu la taille de l’évènement pour préserver la qualité des échanges et de la convivialité, pour maintenir une facilité dans les interactions et les rencontres.
Siritz.com : Mais vous avez créé des manifestations autour.
MD : On a effectivement organisé des événement hors les murs. Notamment des événements bilatéraux en Europe, entre la France et un autre pays européen, qui ont un grand succès parce qu’ils sont très efficaces. Ça a marché très bien et tout de suite. On en a fait avec le Danemark, la Suède, la Grande-Bretagne, la Hollande, la Norvège. En 2018 par exemple on a vu la Norvège à Série Séries émerger nettement, se renouveler, se diversifier comme peu de pays de la zone, il était donc passionnant de s’y attarder. On a pu étudier comment ils avaient réussi à la faire évoluer à ce point et créer un point de rencontre privilégié entre les professionnels français et norvégiens. Série Séries à Fontainebleau représente toute la diversité de la création. Sur 3 jours il est complexe de vraiment creuser une tendance, les «Hors les murs » permettent de décrypter en profondeur et de renforcer les relations artistiques et commerciales entre les créateurs et les opérateurs de deux pays
Siritz.com : Combien de temps cela dure-t-il ?
MB : En général chacun dure 48 heures. Le principe est d’inviter les professionnels du pays choisi à venir présenter leurs œuvres à Paris, puis en retour de déplacer les français dans le pays en question, proposant une découverte mutuelle. L’année dernière on devait faire un événement en Bulgarie mais la Covid nous en a empêché. En tout cas cela évite de surcharger Série Séries, pour permettre aux professionnels d’avoir le temps de se rencontrer et d’approfondir certains sujets.
Siritz.com : Vous avez aussi créé Série Séries Kids.
MB : Oui, il y a 3 ans. C’est une émanation de Série Séries qui tourne autour des séries d’animation françaises. Mais l’ambition n’est pas d’être un point de contact entre professionnels, mais de proposer un temps d’échanges privilégié avec le public. Les équipes de création rencontrent le public dans des salles. Ça marche très bien. D’année en année on double la capacité d’accueil parce que nous jouons tous les ans à guichets fermés !
Siritz.com : Cela a lieu quand et où ?
On a créé un Série séries sur le marché africain
MB : Pendant Série Séries à Fontainebleau. Par ailleurs, on a créé Série Séries sur le continent africain. En 2018 on a organisé une première manifestation à Ouagadougou. Cela permet d’observer le succès de la production africaine, en partant de l’Afrique francophone. Ce sont des professionnels africains qui étaient venus à Fontainebleau qui ont décidé de décliner le modèle sur leur continent. La deuxième édition devait avoir lieu à Abidjan en 2020. On a été obligé de la reporter. Mais on annonce une édition de Série Séries Afrique en ligne dans 15 jours.
Siritz.com : Vous allez utiliser Zoom ?
MB : Non, on a un prestataire. On l’a déjà utilisé par Série Séries fin juin/début juillet 2020 On a développé une plateforme digitale, serieseries.tv. C’est une plateforme sur laquelle ont lieu les sessions. A date plus de 70h de contenus exclusifs produits par Série Séries y sont proposés et la mise en ligne de sessions tournées vers la création africaine va nous permettre de faire un pont Europe/Afrique et de créer du lien.
Siritz.com : Comment se fait le financement de la manifestation ?
MB : Les partenaires sont les mêmes depuis 10 ans. La région Ile de France en premier lieu, les collectivités locales, les sociétés d’auteur (SACD, Sacem, Procirep), France Télévisions. Des prestataires comme Transpalux. Des banques. Il y a en tout 35 partenaires. Et les professionnels eux-mêmes puisque les accréditations sont payantes.
Siritz.com : Pas le CNC ?
MB : Le CNC soutient Séries Stories, une initiative précise et identifiée en direction des auteurs au sein de Série Séries. Sur le budget global de l’événement cela représente moins de 5% du budget. Le CNC a fait le choix de concentrer son soutien sur la manifestation Séries Mania qui se tient dans les Hauts-de-France.
Siritz.com : Série Séries est un très bon point d’observation du marché. Quelles sont des grandes tendances de son évolution depuis 2012 ? D’abord, est-ce que le nombre de participants a augmenté ?
MB : On le limite volontairement. On a commencé avec 500 et aujourd’hui on est autour de 700. Il faut laisser une place centrale aux auteurs pour que la manifestation ne soit pas trop absorbée par la partie business. Il y a 35% de français et 65% d’européens.
Siritz.com : Et les évolutions des programmes ?
Valoriser les productions locales qui ont une ambition internationale
MB : La principale évolution, c’est le nombre des séries produites. En 10 ans, sur le continent européen, la croissance a été exponentielle. Et il y a des succès de plus en plus importants pour certaines. Par ailleurs, nous nous attachons à valoriser beaucoup les productions locales mais qui ont une ambition internationale. La diversité est de plus en plus grande, ce qui nous permet de faire un choix. Ainsi, on a présenté « Skam » au moment même de sa diffusion en Norvège, avant qu’elle ne devienne un phénomène. https://fr.wikipedia.org/wiki/Skam_(série_télévisée)

Cette série norvégienne visant les jeunes adultes a été adaptée en série franco-belge
On remarque aussi le développement de fiction en direction d’un public plus jeune, le développement de plus séries de genre. Et puis, avec la multiplication des productions, on note la volonté de cibler, c’est-à-dire de s’adresser à des publics différents.
Siritz.com : Auparavant on estimait qu’au-delà d’un certain budget il fallait monter des coproductions, pour partager ce budget entre plusieurs diffuseurs. Ce qui supposait de prendre des comédiens de ces différents pays, de multiplier les lieux de tournage. Est-ce que ce que vous venez de dire sur le fait que les fictions nationales de grande qualité, même chères, ont un véritable potentiel international change la donne ?
MB : Clairement, il y a une vraie prise de conscience de l’intérêt des productions locales pour toucher un public identifié, l’intérêt des plateformes internationales pour les productions locales est d’ailleurs très fort. Mais cela n’empêche pas les alliances et les coproductions. Les pays nordiques le font entre eux depuis longtemps et continuent. Même chose pour l’alliance entre France télévisions, ZDF et la RAI. Mais ce n’est pas parce qu’une production est typiquement locale qu’elle ne peut pas avoir un succès international.
Siritz.com : Un des phénomènes marquant de ces dernières années est le développement de Netflix. Quel effet cela a-t-il eu sur votre manifestation et sur le marché ?
Les services publics doivent se poser la question de leur responsabilité
MB : Il est évident que cela a élargi le marché. Cette concurrence est stimulante, elle ouvre de nouvelles opportunités aux créateurs. Cela force chaque diffuseur à se poser la question de sa vocation et de son positionnement dans l’écosystème. Il y a notamment une vraie question que doivent se poser les services publics. Dans leur raison d’être il y a une responsabilité particulière que nous aimons évoquer à Fontainebleau.
Siritz.com : En 2020 fin juin il y avait le confinement, les rassemblements étaient interdits Comment avez-vous fait ?
MB : On a pu organiser deux séances extérieures, dans la forêt de Fontainebleau. Et, entre mars et fin juin, on a pu mettre en place des outils qui nous ont permis de nous développer de manière virtuelle. Mais on a fait le choix de ne pas présenter de séries sur nos plateformes. Parce qu’on estime qu’un festival c’est le partage et la découverte des oeuvres en salle avec leurs équipes. On a laissé la possibilité aux équipes d’envoyer des liens si elles le souhaitaient. On s’est focalisés sur la parole donnée aux créateurs, et nous sommes consacrés à la présentation de sessions didactiques du même genre que celles que l’on fait en période normale : des études de cas, des masters class de talents, des interviews de décideurs, des modules autour des décideurs.
« Série séries émission » tous les 15 jours et le réseau de décideurs The link
Siritz.com : Mais désormais vous proposez des services tout au long de l’année.
MB : On a créé un une émission sur les séries, « Série Séries émission ». Il y a une émission tous les 15 jours qui donne la parole aux créateurs et aux interprètes. Et on a développé un réseau de décideurs européens, « The link ». Les professionnels y présentent leurs projets et discutent entre eux. Sur cette plateforme on fait des sessions en live. L’avantage de tout ça est que cela pérennise la parole des créateurs et permet de toucher un nombre plus grand de professionnels. Je suis heureuse que nous puissions proposer « à la demande » de belles interviews de créateurs emblématiques comme Russell T Davies.
Siritz.com : Cette année Série Séries se tiendra fin juin/début juillet comme les autres années. Vous pariez sur le déconfinement ?
MB : On a pris le parti de travailler toutes les hypothèses. Comme on sera l’été on va faire beaucoup de chose en extérieur. Mais notre infrastructure digitale existe. Personnellement je pense qu’il est illusoire de penser que l’on sera revenu à la normale, ne serait-ce que parce que les professionnels de tous les pays ne pourront voyager. Donc on se prépare à un événement hybride, avec des gens sur place, des gens à distance. Mais tous pourront dialoguer entre eux.
Nous mettons l’accent sur l’importance du trio scénariste, réalisateur, producteur
Siritz.com : En France il y a un débat un peu chaud dont Siritz.Com se fait l’écho, que l’on retrouve sur Facebook avec « paroles de scénaristes », sur les rapports entre scénariste, réalisateur et producteur. Est-ce que l’on trouve ce débat dans d’autres pays.
https://siritz.com/cinescoop/les-mousquetaires-de-laudiovisuel/
https://siritz.com/cinescoop/y-a-t-il-encore-un-realisateur-dans-lavion/
https://siritz.com/cinescoop/mais-ou-sont-les-3-mousquetaires/
https://siritz.com/le-carrefour/un-scenariste-met-les-pieds-dans-le-plat/
MB : Ce que je peux dire c’est que je n’ai pas vu d’initiative comme « Paroles de scénaristes » à l’étranger. Donc les rapports doivent être plus tendus en France, sans doute du fait de notre histoire. Évidemment, cela fait partie des sujets dont on a envie de s’emparer pour créer le dialogue. Le principe de Série Séries c’est de faire la preuve par l’exemple. Nous, nous mettons l’accent sur l’importance du trio scénariste, réalisateur, producteur. Si le trio ne fonctionne pas la qualité de la série s’en ressent. Quand il s’entend les résultats se voient.
Siritz.com : Ce sujet va être abordé par Série Séries de cette année ?
MB : C’est indispensable.
Siritz.com : Est-ce que ce débat en France ne vient pas de l’entrée des professionnels du cinéma dans le monde des séries. Car, dans le cinéma, l’auteur c’était le réalisateur. Dans le monde de la télévision c’était plus équilibré.
MB : C’est avant tout une guerre d’égos. La série est une œuvre collective et la place de chacun est essentielle. Mais en lisant les premières interventions dans « paroles de scénaristes », je me suis rendu compte à quel point cette question restait d’une grande actualité. J’avoue que j’ai été surprise que les choses aient finalement aussi peu évolué depuis la première édition de Scénaristes en Séries en 2005 où ces mêmes manques de dialogue avaient motivé la création du festival à Aix-les-bains. J’aurais espéré que les choses évoluent mieux et plus rapidement… De notre côté en tant que festival nous pouvons à minima continuer de proposer un espace de débat et mettre en avant les pratiques vertueuses. Les événements permettant l’échange et la discussion ont encore une bonne raison d’être.
LA RÉMUNÉRATION D’HERVÉ MIMRAM
CinéscoopPOUR LA RÉALISATION DE « UN HOMME PRESSÉ »
Dimanche 14 France 2 a diffusé « Un homme pressé ». https://siritz.com/?p=5471&preview=true C’est le troisième film réalisé par Hervé Mimram. Il en est également le scénariste. https://fr.wikipedia.org/wiki/Hervé_Mimran
Cinéfinances.info* a fourni les données financières de cet article.
Il a été produit par Matthieu Tarot (Albertine Productions) pour un budget de 8 millions € et distribué pour un minimum garanti de 2,4 millions € par Gaumont. C’est une adaptation du roman « J’étais un homme pressé » de Christiane Streiff.
Pour la préparation, 42 jours de tournage et la post-production la rémunération du réalisateur est de 180 000 €, répartie en part égale entre salaire de technicien et à valoir sur droits d’auteurs. C’est équivalent à la rémunération moyenne des réalisateurs de films français sortis en 2020. https://siritz.com/financine/le-barometre-des-realisateurs-fin-octobre/
Il a en outre reçu 150 000 € pour le scénario. Quant au livre, il a été acquis pour 70 000 €. Le film avait été acheté par Canal+ et coproduit par France 2. Il a rassemblé 704 000 spectateurs.
Le précédent film réalisé par Hervé Mimram était « Nous York », coréalisé avec Géraldine Nakache. Il était sorti en salle le 7 novembre 2012. Il était produit par Vertigo productions pour 10,9 millions € et distribué par Pathé.
Pour la préparation, 10 semaines de tournage et la post-production la rémunération des deux réalisateurs était de 234 000 € répartie en part égale entre salaire de technicien et à valoir sur droits d’auteurs. Le film avait rassemblé 617 000 spectateurs.
*www.Cinefinances.info est un site, accessible par abonnement, destiné aux professionnels du cinéma. Il publie le budget, le plan de financement et la répartition des recettes de tous les films français qui sortent (hors les films « sauvages » qui ne déposent pas leurs contrats au registre public et ne demandent donc pas l’agrément qui leur permettrait d’accéder à l’aide du CNC). Il dispose d’un puissant moteur de recherche multicritères et de 10 ans d’archives.
L’OFFRE DE FILM S’EST RÉTRÉCIE
CinéscoopSELON LA PRODUCTRICE DOMINIQUE CRÉVECOEUR PLUS DE FILM NE VEUT PAS DIRE UNE PLUS GRANDE VARIÉTÉ DE FILMS
En quelques années le fonctionnement du financement des films, de leur écriture, de leur fabrication et de leur promotion, s’est rationalisé et cadencé. Mettant sous cloche, mine de rien, sous prétexte de la protéger, la liberté d’entreprendre et de créer.
Difficile de ne pas constater aujourd’hui à quel point le cinéma est tenu, écrit, réalisé, soutenu, produit, distribué et sa commercialisation « pensée » par un microcosme. Un microcosme très parisien, dont les décisionnaires jouent aux chaises musicales entre secteur privé et public et se cautionnent les uns les autres dans leurs choix consensuels.
Leur « regard » pèse plus que celui de ceux qui écrivent et fabriquent des films. Ils ont le pouvoir. Les producteurs sont leurs courtisans, les créateurs sont leurs créatures et finissent par jouer les utilités.
Sur nos écrans, le cinéma est de façon répétitive le lieu des récits de la bourgeoisie et des faits de société.
Pour un film qui déploie un sujet original, une ambition internationale et du souffle, combien d’usinages laborieux voient le jour en deux temps, trois signatures. Et sont financés les doigts dans le nez dans une escalade de chiffres vertigineux par des gens qui n’ont même pas pris la peine de lire un scénario (si encore quelqu’un a pris la peine de l’écrire.)
A quelques exceptions près, que la mauvaise conscience de ceux qui orchestrent un tri implacable nous oppose régulièrement, c’est sur le même type de films que la quasi-totalité des financements se place désormais avec un bel ensemble. Car, dans cette course à l’échalote, ceux qui jusqu’ici méprisaient le système des subventions publiques, s’y sont mis et sont les grands gagnants de la cagnotte.
Et « le public » dans tout ça? Ben… il ne peut statuer que sur les films qu’on lui présente. L’offre s’est considérablement rétrécie, concentrée sur « les valeurs sûres », les méninges des passeurs sont fatiguées ou bloquées sur la touche replay.
Peut-on se satisfaire de réduire aujourd’hui le rôle du cinéma à un support de débat pour sujets de société « sensibles », à la cavalerie des grosses comédies bien de chez nous ou à un divertissement grand spectacle usiné par la puissante artillerie chewing-gum, même talentueux ?
Est-ce vraiment la quantité qui menace le devenir de la production française, son système de financement inégalable et de refinancement intelligent ? Ou, au delà de la qualité des films, l’absence de variété de l’offre ?
Pourquoi cette obsession à plier tout ce qui bouge à un seul mode narratif, dans un formatage excessif, à faire rentrer les récits dans des «dossiers » et dans des cases prédéterminées dont tout le monde se fout, sauf les esprits comptables ? Ou encore nous obliger à jongler avec les différentes tyrannies réglementaires et maniaques au lieu de libérer l’énergie créatrice et entrepreneuriale? Et faire exploser les frontières du genre et de la création cinématographique ?
Il y a des réalisateurs techniciens, parfois très bons artisans. Il y a des réalisateurs magiciens, plus rares, pour qui la mise en scène n’est pas seulement une captation et le montage l’exécution du programme scénaristique, mais un langage, un outil de valorisation du récit. Les magiciens ont aussi besoin d’accéder au public, à la diversité des spectateurs, et il est indispensable qu’ils s’y confrontent – mais pas dans un ghetto, pas dans une exposition bâclée, non valorisée, dans une commercialisation et une rentabilisation perdues d’avance.
On peut aussi sublimer ce travail, ce soin à amener vers un public supposé rétif des films qu’il n’attend pas. Qu’il n’attend plus.
La création ne se décrète pas. Son processus est inaccessible, obscur, incernable. Il faut l’accompagner sans certitude, c’est un pari complexe pour lequel nombre de producteurs indépendants ont pris des risques et se sont cassé la figure, parce que l’ensemble de la profession qui sait tout « mieux », semble préférer l’asphyxie et la répétition à la curiosité, le discours tout fait et la rentabilisation à court terme à la recherche de l’alchimie commerciale.
Chacun de nous a fait l’expérience d’un film inattendu (d’un livre, d’un tableau, d’une sculpture, d’une pensée…) audacieux, qui émerveille, porté par la grâce ou une exigence, et qui nous fait accéder à une autre dimension de notre humanité. C’est fragile, sensible, fugace et tenace en même temps, c’est aussi par cela que nous vivons et supportons l’adversité.
C’est pour cela que je me bats. Que nous nous battons. Que nous faisons ces métiers d’auteurs, de réalisateurs, de producteurs, de passeurs…Non ?
Dominique Crévecoeur https://www.unifrance.org/annuaires/personne/14414/dominique-crevecoeur
LE MONTEUR, LE SCÉNARISTE ET LE RÉALISATEUR
CinéscoopLE MONTAGE EST L’AFFIRMATION D’UN POINT DE VUE
« Un scénariste met les pieds dans le plat », https://siritz.com/le-carrefour/un-scenariste-met-les-pieds-dans-le-plat/ , puis la série des « Mousquetaires de l’audiovisuel » https://siritz.com/le-carrefour/un-scenariste-met-les-pieds-dans-le-plat/ ont suscité de nombreuses réactions, en général très favorables, de la profession. Soit dans les réseaux sociaux, soit directement à Siritz.com. Bien entendu, notre rôle est de les relayer pour leur donner la couverture qu’elles méritent. Aujourd’hui c’est un chef monteur, Thierry Rouden qui élargit le débat et suscite la réaction de deux scénaristes dont l’un est également réalisateur pour la télévision.
THIERRY ROUDEN, chef monteur, https://mubi.com/fr/cast/thierry-rouden
Le vivrensemblisme, au moins devant un film, est impossible. Le montage est le lieu où l’on fait des choix drastiques à chaque seconde : la durée d’un regard, d’un silence, d’une valeur de plan, d’une prise plutôt qu’une autre, d’une musique, etc… C’est bien à cette étape qu’on en prend conscience.
L ‘espèce de consensus qui consisterait à écouter tous les avis, à ce stade, est un leurre absolu. Un scénariste au montage, en plus d’un réalisateur et d’un monteur ? Je ne sais pas si vous avez eu ce genre d’expérience, mais j’en doute. Ne serait-ce que pour discuter d’une valeur de plan sur telle ou telle réplique ou le fait d’avoir choisi de couper tel ou tel dialogue ou telle ou telle séquence, de décider de telle couleur musicale. Tout cela est déjà bien assez compliqué à un ou à deux.
Monter un film est un acte politique comme disait l’autre. Une affaire de choix.
C’est une vue de l’esprit de croire qu’on peut atteindre une œuvre commune idéale en écoutant tous les avis.
Comme sur une toile, qui va décider de rajouter ou non un peu de vert ou de rouge ?
Le passage de la chose écrite à la chose filmée, puis à la chose montée et mise en musique nécessite des compétences différentes voire même d’oublier chaque fois la grammaire des étapes précédentes.
Et je parle en connaissance de cause. Dans ma pratique, je peux vous dire qu’un film, surtout au stade du montage, est l’affirmation d’un point de vue (quel qu’il soit). C’est ce qui fait les grands films et non le nivellement par le consensus et la satisfaction tiède de plusieurs ego à l’instant T.
On peut toujours prendre des avis sur une proposition de montage achevé, mais certainement pas sur un travail en cours. Après, on en tient compte ou pas. En général, tout le temps du montage on a réfléchi à beaucoup d’hypothèses et souvent on en a déjà éliminé pas mal. Donc, parfois, ce sont de vains retours en arrière. Il y a autant d’avis que de spectateurs et je crains le consensuel.
En revanche, effectivement, l’avis de certaines personnes peut être précieux.
MARIE-ANNE LE PEZENNEC (scénariste) https://fr.wikipedia.org/wiki/Marie-Anne_Le_Pezennec
Ne pas admettre le scénariste au montage est le priver d’une étape indispensable à son enrichissement personnel dans le processus de création. Le montage lui permet d’apprendre, de comprendre pourquoi telle scène, telle réplique, tel montage parallèle, ne fonctionnent pas. C’est une autre forme d’écriture à laquelle il doit être associé, pour devenir meilleur à l’avenir. N’est-ce pas le but recherché ? Et si d’aventure il a de bonnes idées au montage, pourquoi le réalisateur s’en priverait-il ?
Comme le dit Denis Goulette https://siritz.com/cinescoop/confusion-entre-vision-et-contribution-a/, si le réalisateur vient plus en amont pour arriver à partager la vision du scénariste, ce dernier doit participer, s’il le souhaite, à tout ce qui est en aval. A fortiori sur une série.
Le monteur est un chef de poste responsable de la bonne fin du film
THIERRY ROUDEN :
Si c’est à titre de formation pourquoi pas. Mais il faut bien savoir qu’il ne s’agit pas du tout de la même écriture. Image, son et temporalité ne sont pas une affaire de mots. Je n’ai jamais dit qu’un scénariste de pouvait pas avoir de bonnes idées sur une proposition de montage. Mais, de la même manière qu’un monteur peut avoir un avis éclairé sur un scénario par son expérience de la chose une fois filmée.
Pour ma part, je reste persuadé que plus on multiplie les intervenants dans le processus de montage, plus on perd le film. D’autant plus que le scénariste n’a pas un regard neutre (voire même bienveillant) puisque qu’à cette étape, il s’agit surtout de faire son deuil des intentions de départ et de composer avec ce qu’on a. Il m’est arrivé de monter un film sous le regard des comédiens. Il se trouve qu’ils ont trouvé l’expérience formidable, comprenant beaucoup de choses sur la manière de « jongler » avec les regards, les prises, les écoutes, les silences etc…
Le monteur est un chef de poste
En ce qui me concerne, j’étais heureux de les voir intéressés par ce que le montage pouvait améliorer dans leur travail ou même parfois inventer de toutes pièces. Mais, pour moi, c’était surtout bloquant et peu constructif. Comme si vous écriviez avec quelqu’un derrière votre épaule. Iriez-vous voir par-dessus l’épaule d’un chef opérateur si la lumière ou le cadre sont bien conformes à votre vision des choses et s’il conviendrait de rectifier tel ou tel détail. Si c’est le cas, il est temps de passer à la réalisation.
Le monteur est un chef de poste, responsable de la bonne fin d’un film. A ce titre, il est sensé avoir un regard pertinent sur un tas de choses. Au stade où il intervient, Il y a toute une cuisine, une « alchimie » qui ne peuvent s’accomplir qu’en tout petit comité et qui n’a rien d’une science exacte.
Je n’ai rien contre les scénaristes. Mais de la même manière, si je dois travailler avec un producteur, un comédien, un chef-opérateur ou un diffuseur dans mon dos, je préfère m’abstenir. Je veux garder la liberté de critique qu’impose mon travail sans devoir rendre de compte à chaque décision prise. Il y a un réalisateur et un film qui impose sa forme. C’est déjà bien assez compliqué.
ALAIN ROBILLARD, scénariste et réalisateur de tv
Oui et non… Cela dépend de quoi on parle, si c’est d’une série ou d’un film d’auteur…
MARIE-ANNE LE PEZENNEC
Je suis souvent allée au montage quand je dirigeais l’écriture d’une série. J’y ai beaucoup appris. Idem sur un tournage. Je vous trouve un peu réducteur, limite étriqué dans votre façon de voir le travail du scénariste. Un scénario, ce ne sont pas juste des mots. Quand on écrit on voit la scène. Le scénario c’est aussi des images, un rythme, des intentions, de jeu, des déplacements, des temps de silence, des enchaînements cut etc… Car oui, on se mêle aussi du montage à ce stade, car cela fait sens avec ce que l’on raconte. Un scénario ce n’est pas un bloc de pâte à modeler brut que reçoit le réalisateur.
Oui , il doit être possible de partager une vision commune sur l’œuvre entre scénariste/réalisateur et producteur. Surtout si ce trio est une seule et même personne…
ALAIN ROBILLARD
Pareil, je suis allé au montage, au mixage et à l’étalonnage… Sans prendre la place du réalisateur (je le suis également) mais en assumant la mienne.
THIERRY ROUDEN
Une vision commune, des avis visant à la cohérence d’un projet, qui a dit le contraire ? Et il y a sans doute autant de manières d’envisager l’écriture d’un scénario que de scénaristes.
Je disais simplement que monter un film à 4 et multiplier les points de vue (après tout un chef opérateur pourrait aussi apporter sa pierre) ne me semble pas la meilleure des choses. J’ai peut-être une vision étriquée. Mais depuis qu’on fait des films si cela marchait si bien, ça se saurait.
Qui a le final cut ?
ALAIN ROBILLARD
Mais il me semble que montrer un ours du montage et en discuter avec ses partenaires n’est pas une grosse affaire
THIERRY ROUDEN
Les nombreux visionnages en fin de montage sont déjà courants. En ce qui me concerne plutôt un montage abouti qu’un ours (je ne sais pas trop ce qu’est cette bête). Le plus compliqué c’est à quel point ensuite écouter les avis sans qu’interviennent les rapports de force ou la diplomatie. Définir également qui sont les partenaires. Rien qu’au niveau du choix d’une musique on voit bien qu’il y a autant de points de vue que d’intervenants. Affaire d’ego, de feeling, de mode, on est loin de la science exacte.
On peut travailler au montage avec un showrunner, un scénariste etc.. Je me méfie simplement du côté collégial à certaines étapes (en gros dès que ça coûte de l’argent). On a du mal à imaginer une mise en scène collégiale, une direction d’acteurs collégiale, etc… Ou il faudrait songer à rallonger sérieusement les temps de fabrication d’un film ! Au bout du compte, la seule vraie question est : qui a aujourd’hui le final cut, à part le spectateur avec sa télécommande ?
MAIS À QUOI SERT TOUT CET ARGENT ?
ÉditorialTOUS NOS SOUTIENS AU CINÉMA SONT-ILS EFFICACES ?
Il serait temps de se demander si tout l’argent qui va au soutien de notre cinéma est bien utilisé. Car il y a beaucoup d’argent. Au fil des années les soutiens se sont accumulés sans que jamais, au grand jamais, ne soit évaluée l’efficacité d’aucun d’entre eux. Cette évaluation a été réclamée par René Bonnell dans son rapport sur la production et la distribution de films de 2008. https://www.cnc.fr/professionnels/etudes-et-rapports/rapport/le-financement-de-la-production-et-de-la-distribution-cinematographiques-a-lheure-du-numerique_225411. Il l’a réitérée dans son interview à Siritz.com l’année dernière https://siritz.com/le-carrefour/rene-bonnell-sur-leconomie-du-cinema-francais/.
Mais tous les ministres de la culture se sont bien gardés de la mettre en œuvre. C’est un exemple de plus des raisons pour lesquelles notre pays est celui qui a les prélèvements publics les plus élevés au monde, en même temps qu’une balance commerciale déficitaire, un chômage structurel et une sous-administration de secteur régaliens essentiels comme la justice, les prisons, etc…
Je prends un exemple précis : l’obligation imposée aux grandes chaînes en clair d’investir 3,2% de leur chiffre d’affaires dans le préfinancement des films. Elle a été imaginée au milieu des années 80, au moment où la télévision était essentiellement reçue par voie hertzienne. A cette époque ont été lancés Canal +, puis M6 et La 5 tandis que TF1 a été privatisée. Toutes les chaînes en clair avaient peur de manquer de programmes et voulaient diffuser le plus en plus de films. France 3 voulait même diffuser un film tous les soirs.
Les professionnels du cinéma ont alors décidé de réguler cette fringale : ils ont imposé la chronologie des médias, les quota de films européens et francophones, les jours sans cinéma et l’obligation de consacrer un pourcentage du chiffre d’affaires au préfinancement des films.
Aujourd’hui, 35 ans plus tard, on est dans un autre monde. Le nombre des chaînes s’est multiplié. Elles sont reçues par fibre ou satellite, et même directement par internet. Et le film de cinéma n’est plus du tout un programme locomotive, sauf la première diffusion de quelques blockbusters américains ou de certaines comédies françaises. Les grandes chaînes en clair et Canal + cherchent plutôt à investir dans des séries qui sont moins cher et vont fidéliser le public.
A titre d’exemple, il y a quelques années déjà j’avais calculé que 50% des films préfinancés une année donnée par les grandes chaînes en clair n’avaient été diffusés qu’après 23 heures. Sans public, mais uniquement pour générer du soutien financier du CNC. Leur public en salle avait lui aussi été infinitésimal. Comme le disait un scénariste dans Siritz.com, c’étaient « des films pour être financés, pas pour être vus. » https://siritz.com/le-carrefour/un-scenariste-met-les-pieds-dans-le-plat/
Une évaluation de l’efficacité de tous ces mécanismes est donc indispensable. Bien entendu elle doit être précédée de l’élaboration du ou des objectifs de chaque mécanisme. Si possibles chiffrés. Ainsi, si 50% de ces films préfinancés par les grandes chaînes n’ont pratiquement pas de spectateurs ni en salle ni à la télévision, il est probable que le même argent aurait été mieux utilisé ailleurs.
D’où la proposition de René Bonnell de fusionner les obligations d’investissement dans les films et les oeuvres audiovisuelles, avec un plancher pour les films. L’argent que les chaînes sont obligées d’investir dans des films sans public serait investi dans des oeuvres audiovisuelles qui ont un public en Franc et à l’étranger et qui emploieraient les même producteurs, créateurs, comédiens, techniciens et prestataires. Mais, la encore cette proposition n’a pas été retenue.
Les aides sélectives attribuées par des commissions devraient faire l’objet d’une attention particulière parce qu’elles donnent ã des individus le pouvoir d’attribuer de l’argent public à qui bon leur semble. Et à ceux qui les nomment le pouvoir de leur donner ce pouvoir.
On pourrait commencer par faire cette évaluation rétrospectivement sur les films produits depuis 20 ans. Le ministère de la culture et le CNC, avec l’avis des représentant de la profession, devraient au préalable fixer les objectifs qu’est sensé viser chaque soutien, ce qui serait déjà une révolution. Et la Cour des comptes pourrait ensuite vérifier dans quelle mesure ils ont été atteints. Les leçons à en tirer seraient sans doute spectaculaires.
Et que les choses soient bien claires : ces évaluations régulières sont la plus sûre garantie d’assurer la pérennité d’un écosystème dont nous pouvons être fiers.
LE ROLE DU RÉALISATEUR ET DU SCÉNARISTE (SUITE)
CinéscoopLE SCÉNARISTE LUDO DU CLARY ET LE RÉALISATEUR/SCÉNARISTE ARNAUD MALHERBE APPROFONDISSENT LE DÉBAT
«Un scénariste met les pieds dans le plat» https://siritz.com/le-carrefour/un-scenariste-met-les-pieds-dans-le-plat/et le réalisateur Dominique Baron avec ses trois articles sur « Les mousquetaires de l’audiovisuel » https://siritz.com/cinescoop/les-mousquetaires-de-laudiovisuel/ont soulevé un enjeu essentiel du cinéma et de l’audiovisuel français. https://siritz.com/cinescoop/confusion-entre-vision-et-contribution-a/ et https://siritz.com/cinescoop/repenser-la-loi-de-1957/.
Aujourd’hui, un scénariste et un réalisateur enrichissent l’analyse.
LUDO DU CLARY : Il faut réinjecter de la valeur dans l’acte de réalisation pure. Ce n’est pas du tout le même travail que l’écriture de scénario. Il suffit de lire le journal de prépa de tournage de Sebastien Marnier https://fr.wikipedia.org/wiki/Sébastien_Marnier pour le voir. Ce n’est PAS le même travail.
Ludo du Clary : https://www.lecollectifcinq.com/ludovic-du-clary
Aussi, les réalisateurs de cinéma ne devraient plus se sentir contraint d’écrire le scénario, s’ils ne le souhaitent pas, pour obtenir la légitimité d’artiste. Ceux qui souhaitent tout créer, les génies, un Xavier Dolan par exemple, c’est très bien, il faut que ça perdure.
Mais il faut arrêter de dire que le scénariste de ciné est nécessairement au service de la vision d’un autre. J’ai encore entendu ça hier : « En tant que scénariste, je suis au service d’un autre. Je deviens réal car je veux raconter une histoire personnelle. » C’est faux. C’est idiot ! Un bon scénariste écrit des histoires ultra-personnelles. Il peut être le créateur d’une vision et ça donne des chefs d’oeuvre. À plusieurs cerveaux qui interviennent à des moments spécifiques de la création, au service d’un film commun, on est meilleur. On croule sous les exemples dans le monde anglo-saxon… Tout le monde – tous les gens de bonne foi – est à peu près d’accord là-dessus aujourd’hui.
Qu’est-ce qu’on fait maintenant du coup ? C’est aux institutions- CNC et Ministère de la Culture- d’acter ça. Qu’on passe de 5% de scénario de cinéma créés par des scénaristes à 50%. Sinon, tous les scénaristes qui ne croient pas à l’idéologie de l’auteur unique vont continuer à fuir vers la série…
ARNAUD MALHERBE : D’accord a 100%. Même si perso je veux réaliser les films que j’écris ou je co-écris et que j’initie toujours, sans être vaguement considéré comme pas totalement scénariste puisque réal. Il y a cette réalité, ce ressenti là aussi dont on ne parle jamais. On peut être 100 % scénariste et 100% réalisateur. Je ne sais pas si je suis clair, mais j y crois.
Arnaud Malherbe https://fr.wikipedia.org/wiki/Arnaud_Malherbe_(réalisateur)
LUDO DU CLARY: Tout à fait d’accord. Maintenant, il faut regarder ce qui se passe au niveau institutionnel et dans la communication grand public en général. Les réalisateurs de série sont complètement sous-estimés. C’est con, car en les valorisant on aura de meilleures séries. C’est certain. Au cinéma, c’est l’inverse, les scénaristes sont complètement sous-estimés. C’est con parce qu’il y a un déficit de bons scénarios pour les réalisateurs qui en cherchent. Il faut rééquilibrer tout ça. Sans jeter le bébé avec l’eau du bain…
ARNAUD MALHERBE: Ludo du Clary total raccord. Je discutais hier avec un producteur du cas « En Thérapie ». Il est très pote avec Les films du poisson. T’as beau expliquer et ré-expliquer, tu sens que ça rentre pas…
LUDO DU CLARY : Il faut un changement culturel, un truc global. C’est long…
ARNAUD MALHERBE : Tout à fait. Ça passe par tous ces échanges. Je sais que Marie du festival de Fontainebleau, entre autres, veut multiplier les débats sur ce sujet. Il ne faut pas que ça tombe dans un trou…
REPENSER LA LOI DE 1957
CinéscoopBENGANA KARIM D’ACCORD AVEC DENIS GOULETTE
« Les 3 Mousquetaires de l’audiovisuel » sont l’occasion pour ces mousquetaires de s’exprimer et de dialoguer sur Siritz.com.
BENGANA KARIM (réalisateur, scénariste et producteur).
https://www.unifrance.org/annuaires/personne/304318/karim-bengana
Tout à fait d’accord avec Denis Goulette. https://siritz.com/cinescoop/confusion-entre-vision-et-contribution-a/ Pour ma part, je pense qu’il faut repenser la loi de 1957 (modifié en 85 si je me souviens bien) pour les œuvres audiovisuelles.Dans les faits, l’existence d’un droit moral inaliénable et incessible reconnu aux auteurs, ne marche pas. Ils ont des droits patrimoniaux et les décisions artistiques sur les œuvres relèvent du rapport de force. Au vu des sommes engagées pour la création d’une œuvre audiovisuelle, l’auteur est-il en mesure de toujours faire valoir ses droits ? En effet, le danger est de mettre les œuvres au service de l’égo et non l’inverse.
Distinguer auteur de premier rang et auteur de second rang
J’ai toujours pensé que le principal auteur de l’œuvre audiovisuelle c’est l’œuvre audiovisuelle en elle-même qui dès lors qu’elle est en état de mise en production est soumise à des limitations induites par de multiples variables qui dépassent les exigences des personnes qui, dans le droit, sont désignés comme auteurs. Comment dès lors trancher entre les divers auteurs ?
Peut-être faudrait-il distinguer l’auteur de premier rang qui a une vision globale de l’œuvre et ceux qui l’accompagnent en vue de finaliser la conceptualisation globale du projet – auteur de second rang – mais qui deviendrait auteur de premier rang – si une unanimité de voix des auteurs de premier rang se faisait pour admettre les suggestions émises par ces personnes et ainsi permettre à l’oeuvre de prendre une nouvelle direction.
DENIS GOULETTE : L’ERREUR DE LA LOI DE 1957
Peu d’auteurs le savent, mais leur droit moral est paralysé de par la loi de 1957 tout le long de la production de l’œuvre. Seul le contrat peut protéger l’intégrité de leurs apports. Pas le droit moral. Le droit moral ne naît qu’une fois l’œuvre achevée. C’est d’ailleurs très intéressant de voir que, depuis 1957, il existe cette disposition, et pourtant la résistance qu’elle suscite. D’où la piste anthropologique de l’auteur unique pour tenter d’expliquer cette problématique. L’erreur de la loi de 57 a en revanche été de ne donner le final cut qu’au réalisateur et au producteur. En ce sens, elle n’est pas allée au bout de l’intention du législateur de paralyser le droit moral, et a contribué à entretenir le mythe de l’auteur unique.
BENGANA KARIM : LE FINAL CUT LAISSE DE CÔTÉ LE SCÉNARISTE DE L’OEUVRE
J’en ai conscience, car j’ai rédigé – il y a longtemps – un mémoire de DEA sur le droit moral des auteurs d’oeuvres audiovisuelles. Et j’ai effectivement constaté que ce fameux final cut – ou accord sur la version finale de l’oeuvre – laissait de côté le scénariste pourtant auteur de l’oeuvre. Sans doute est-ce dû à l’opiniâtreté d’un scénariste débutant, mais pourtant héros de la résistance – le père Bruckberger – qui s’opposa au premier film du grand cinéaste Robert Bresson. Dès lors, ce mythe de l’auteur unique – entretenu par la Nouvelle vague – ne serait-elle pas affaire de circonstance ?
DENIS GOULETTE : LA DIATRIBE DE BESSON
Distinguer auteur de premier rang et auteur de second rang
Pour aller plus loin et préciser l’origine (peu mise en valeur) de l’ostracisation du scénariste dans le processus de création, cette diatribe de Bresson devant les étudiants de l’Idhec en 55 – » Qu’est-ce que vous voulez faire ? Est-ce que vous voulez prendre la suite de vos aînés et faire des films avec des vedettes, des acteurs, des histoires écrites par les scénaristes ? » Il proclame dans ses Notes : « Il faut être beaucoup pour faire un film, mais un seul qui fait, défait, refait ses images et ses sons en revenant à chaque seconde à l’impression ou à la sensation initiale, incompréhensible aux autres, qui les a faits naître… » Le mal est fait !
BEGANA KARIM
Denis Goulette – l’acte fondateur d’un courant de pensée réduisant l’auteur à une personne… Et sans doute celle de la loi de 1957
DENIS GOULETTE
La réflexion doit se faire à la fois sur un terrain très pratique (paroles de scénaristes), mais aussi sur un terrain plus théorique. Car je vois très bien comment le droit d’auteur est enseigné en France. Et c’est aussi une des raisons à l’arrivée de juristes en boîtes de production qui n’ont absolument pas compris le processus en jeu lors de l’élaboration des contrats…
LA RÉMUNÉRATION D’ÉRIC BESNARD
CinéscoopPOUR LA RÉALISATION DE « L’ÉSPRIT DE FAMILLE »
Canal+ cinéma a diffusé dimanche 7 mars le 6ème film de Éric Besnard. Il avait déjà été diffusé par Canal+. https://fr.wikipedia.org/wiki/Éric_Besnard_(réalisateur)
C’est une comédie sortie en salle le 29 janvier 2020. https://fr.wikipedia.org/wiki/L%27Esprit_de_famille_(film,_2020)
Cinéfinances.info* a fourni les données financières de cet article.
Elle était produite par Pierre Forette et Thierry Wong (Ciné Nomine) et Vincent Roger (Same Player) pour un budget de 5,2 millions € et distribuée par Apollo Films.
Pour la préparation, 34 jours de tournage et la post-production la rémunération du réalisateur a été de 150 000 €, répartie en part égale entre salaire de technicien et à valoir sur droits d’auteur. C’est sensiblement plus que la moyenne des rémunérations de réalisateurs pour les films français sortis en 2020. https://siritz.com/financine/le-barometre-des-realisateurs-fin-octobre/
Il a, en outre, reçu 150 000 € pour le scénario. Le film a rassemblé 240 000 spectateurs.
Son précédent film était la comédie romantique « Le goût des merveilles », sorti en salle le 16 décembre 2015. https://fr.wikipedia.org/wiki/Le_Goût_des_merveilles
Le film avait été produit par Patrice Ledoux (Pulsar Productions) pour 4,2 millions € et distribué par TF1DA/UGC.
Pour la préparation, 35 jours de tournage e et la post-production la rémunération du réalisateur a été de 242 000 €, dont 100 000 € de salaire de technicien et 142 000 € d’à valoir sur droits d’auteur et pour le scénario.
Le film avait rassemblé 258 000 spectateurs.
*www.Cinefinances.info est un site, accessible par abonnement, destiné aux professionnels du cinéma. Il publie le budget, le plan de financement et la répartition des recettes de tous les films français qui sortent (hors les films « sauvages » qui ne déposent pas leurs contrats au registre public et ne demandent donc pas l’agrément qui leur permettrait d’accéder à l’aide du CNC). Il dispose d’un puissant moteur de recherche multicritères et de 10 ans d’archives.
RÉMUNÉRATION DES RÉALISATEURS EN % DU BUDGET
FinanCinéBAROMÈTRE DES FILMS FRANÇAIS DE 2021
Hier a été publié le baromètre de des rémunérations fixes (salaire+ à valoir sur droits d’auteur) des réalisateurs de films français de fiction qui étaient datés pour sortir en janvier et février 2021.https://siritz.com/financine/les-remunerations-des-realisateurs-en-2021/
Le présent article concerne les rémunérations en pourcentage du budget initial du film.
Cinéfinances.info* a fourni les données financières de cet article.
Ces pourcentages vont de 0,9% à 5,3% de ce budget initial.
Les 0,9% sont ceuxde la comédie dramatique « Villa caprice », réalisée par Bernard Stora. https://fr.wikipedia.org/wiki/Villa_Caprice. Il correspondent à la préparation, 32 jours de tournage et la post-production. Le film est produit par Jean-Pierre Guérin (JPG) pour un budget de 3,2 millions € et distribué par (Bac Films).
Le pourcentage le plus élevé est de 5,3%. C’est la rémunération de Michèle Laroque pour la comédie « Chacun chez soi ».
Elle correspond à la préparation, 32 jours de tournage et la post-production. La réalisatrice en est aussi l’’interprète principale. Le film est produit par Alain Terzian (Alter Films) pour un budget de 6,7 millions € et distribué par Studio Canal. https://fr.wikipedia.org/wiki/Chacun_chez_soi_(film).
La rémunération moyenne est de 2,7% du budget initial. Il se trouve que c’est celle de la comédie « L’origine du monde » réalisée par Laurent Lafitte, adaptation de la pièce de théâtre du même titre de Sébastien Thierry. Elle correspond à la préparation, 40 jours de tournage et la post-production. Le film est produit par Alain Attal (Les Films du Trésor) pour un budget de 6,8 millions €. Il est distribué par StudioCanal.
La rémunération médiane est de 2%. C’est notamment celle de Baptise Drapeau pour « Messe basse ».https://www.unifrance.org/film/49306/messe-basse . Elle correspond à la préparation, 29 jours de tournage et la post-production. Le film est produit par Fabrice Lounas (Capricci films) pour 522 000 et distribué par Playtime Distribution.
*www.Cinefinances.info est un site, accessible par abonnement, destiné aux professionnels du cinéma. Il publie le budget, le plan de financement et la répartition des recettes de tous les films français qui sortent (hors les films « sauvages » qui ne déposent pas leurs contrats au registre public et ne demandent donc pas l’agrément qui leur permettrait d’accéder à l’aide du CNC). Il dispose d’un puissant moteur de recherche multicritères et de 10 ans d’archives.
CONFUSION ENTRE « VISION » ET « CONTRIBUTION À »
CinéscoopL’HYPOTHÈSE DE DENIS GOULETTE
Pour poursuivre l’analyse de Dominique Baron sur les rapports entre « Les mousquetaires de l’audiovisuel » Denis Goulette apporte la contribution d’un autre professionnel expérimenté. https://siritz.com/cinescoop/les-mousquetaires-de-laudiovisuel/
Il a en effet obtenu son master de propriété intellectuelle, puis travaillé 15 ans pour deux grands groupes audiovisuels en France (Telfrance et Tetra Media studio) https://siritz.com/le-carrefour/emmanuel-dauce-producteur-de-series/, les aidant à devenir des acteurs majeurs du secteur dans tous les genres (fiction, animation, documentaire, magazine, performance live). Pendant la même période et pendant 10 ans, il a été impliqué dans les questions syndicales en tant que secrétaire général de l’Association pour la promotion de l’audiovisuel.
Denis Goulette a été directeur général de la Writers Guild of France de janvier 2017 à octobre 2020. https://fr.wikipedia.org/wiki/Guilde_française_des_scénaristes
A propos de la notion de showrunner j’en profite pour émettre une hypothèse :
Et si les problématiques de coopération entre les différents intervenants à la production d’une œuvre audiovisuelle ou cinématographique venaient du référentiel et du mythe de l’auteur unique ?
Pourrait-on dire que l’arrivée du cinéma a conduit à une rupture anthropologique majeure dans l’art de raconter des histoires, rupture anthropologique qui comme telle doit mettre un certain temps pour pouvoir être surmontée ?
De la manière de raconter des histoires via la vision d’un auteur unique, faire un film est devenu l’art de raconter une histoire via la contribution singulière de nombreux intervenants à une vision commune, qui elle devrait être unique.
Et si, plutôt que des querelles de territoires, ce n’était pas plutôt l’absence de cadre à une concertation destinée à permettre de faire émerger et/ou partager une vision commune qui était à incriminer.
Mon sentiment est qu’il y a une confusion entre les notions de « vision » et celle de « contributions » à cette vision.
Je pense qu’il n’y a aucun souci pour que la « vision » puisse être portée à l’origine par l’un ou l’autre des intervenants, qu’il soit scénariste ou réalisateur ou même, pourquoi pas, producteur.
En revanche, toute la question est d’arriver à créer un consensus initial autour de cette vision, qui va ensuite permettre aux contributions individuelles des scénaristes, du réalisateur et même des comédiens via leur interprétation, de donner à cette vision une consistance unique.
Repenser le cadre de la collaboration de chacun des intervenants
Pour surmonter cette équation, il faut repenser le cadre de la collaboration de chacun des intervenants. Il n’est plus possible de faire intervenir le réalisateur aussi tard dans le processus d’écriture en télévision, tout comme il n’est pas possible d’exclure le scénariste du processus de production une fois le financement réuni. Le premier doit intervenir bien en amont, et le second doit pouvoir intervenir et être consulté jusqu’au montage. Les comédiens doivent pouvoir bénéficier de lectures réunissant scénaristes et réalisateur, permettant d’ajuster au mieux les scènes et dialogues à venir en fonction de leur jeu/je, sans que cela ne donne lieu par la suite à des querelles de paternité.
Le CNC a un rôle fondamental à jouer. Car si les producteurs ne sont pas incités financièrement à repenser le cadre de la collaboration de chacun, ces questions resteront de belles spéculations intellectuelles, d’intervenants martyrisés par le système.
Un film est une grossesse collective, et il serait temps de supprimer de notre loi le terme de « droit de paternité », pour lui préférer celle de « droit d’attribution » déjà adoptée par certains pays.
Enfin, il serait opportun de choisir un autre porte étendard que Beaumarchais, qui a certes fait des merveilles en son temps, mais conduit malheureusement aujourd’hui à perpétuer ce mythe de l’auteur unique et les querelles autour de l’attribution et du partage des droits.
DENIS GOULETTE
LES SÉRIE EN SÉRIES DE MARIE BARRACO
Le CarrefourSiritz.com : Série Séries, créé en 2012, est un Festival sans prix. C’est original.
Marie Barraco : En fait cette manifestation a été conçue avec les producteurs et les auteurs pour remplir un besoin, celui de disposer d’un lieu de rencontre et d’échanges autour de la création sérielle. Nous avons donc collectivement imaginé ce rendez-vous qui dure 3 jours et qui a lieu à Fontainebleau. https://www.serieseries.fr
Siritz.com : Elle vise le marché européen. Y-a-t-il eut dès le début tout le monde ?
MB : Dès le départ il y avait cette volonté de stimuler les créations et collaborations sur la zone Europe. Petit à petit il y a eu des pays que l’on avait peu identifiés qui nous ont rejoint. Notamment les pays de l’Est que l’on voit émerger de façon de plus en plus intéressante. Bien entendu, les britanniques ont toujours été très forts. Les nordiques n’ont cessé d’être actifs et créatifs.
Siritz.com : Dans les pays de l’Est lesquels sont en pointe ?
MB : La Croatie, la Bulgarie, la République Tchèque et récemment nous avons reçu plusieurs projets ukrainiens intéressants.
Siritz.com : La Russie fait partie de l’Europe ?
MB : Oui. On a eu quelques projets Russes.
Siritz.com : Et ils sont à quel niveau ?
MB : Plutôt ceux des pays de l’Est.
Siritz.com : Il y a un pays qui est à la frontière de l’Europe et qui est un grand producteur de cinéma : la Turquie. Est-ce la même chose pour les séries ?
MB : Dès la deuxième année on a fait un focus sur la Turquie. On avait déjà noté l’envol de la production en termes de quantité, de qualité, d’exportation et d’impact culturel dans toute la zone Moyen-Orient. Cela reste une production très dynamique, mais moins connectée à la création européenne que les autres. Néanmoins elle reste toujours très intéressante et on y jette un œil en permanence.
Siritz.com : Et Israël, qui n’est pas en Europe, mais qui a une production de très grande qualité, qui s’exporte partout et qui inspire la création dans tout l’occident ?
MB : Oui, on a fréquemment eu des projets israéliens et pas plus tard que l’année dernière. C’est un pays qui inspire beaucoup et qui a une manière de fonctionner passionnante. En Israël la création et le développement, l’attention portée à l’écriture sont fondamentaux et cela reste un exemple passionnant à mettre en avant et décrypter pour les européens.
Siritz.com : Quelles ont été les évolutions majeures de cette manifestation ?
Série séries est un évènement centré sur la création et consacré aux auteurs
MB : La manifestation en elle-même a peu évolué. Elle reste un endroit de rencontres et de réflexion qui reste à taille humaine et qui répond à une vraie demande du secteur. Donc son ADN est resté le même. Ce qui a évolué ce sont les événements autour. Il y a beaucoup plus de gros marchés, de festivals, de gros événements. Série séries s’en distingue parce que c’est un événement centré sur la création et consacré aux créateurs qui s’attache à représenter une source d’inspiration, de réflexion et de rencontres susceptibles de générer des collaborations créatives. Nous avons maintenu la taille de l’évènement pour préserver la qualité des échanges et de la convivialité, pour maintenir une facilité dans les interactions et les rencontres.
Siritz.com : Mais vous avez créé des manifestations autour.
MD : On a effectivement organisé des événement hors les murs. Notamment des événements bilatéraux en Europe, entre la France et un autre pays européen, qui ont un grand succès parce qu’ils sont très efficaces. Ça a marché très bien et tout de suite. On en a fait avec le Danemark, la Suède, la Grande-Bretagne, la Hollande, la Norvège. En 2018 par exemple on a vu la Norvège à Série Séries émerger nettement, se renouveler, se diversifier comme peu de pays de la zone, il était donc passionnant de s’y attarder. On a pu étudier comment ils avaient réussi à la faire évoluer à ce point et créer un point de rencontre privilégié entre les professionnels français et norvégiens. Série Séries à Fontainebleau représente toute la diversité de la création. Sur 3 jours il est complexe de vraiment creuser une tendance, les «Hors les murs » permettent de décrypter en profondeur et de renforcer les relations artistiques et commerciales entre les créateurs et les opérateurs de deux pays
Siritz.com : Combien de temps cela dure-t-il ?
MB : En général chacun dure 48 heures. Le principe est d’inviter les professionnels du pays choisi à venir présenter leurs œuvres à Paris, puis en retour de déplacer les français dans le pays en question, proposant une découverte mutuelle. L’année dernière on devait faire un événement en Bulgarie mais la Covid nous en a empêché. En tout cas cela évite de surcharger Série Séries, pour permettre aux professionnels d’avoir le temps de se rencontrer et d’approfondir certains sujets.
Siritz.com : Vous avez aussi créé Série Séries Kids.
MB : Oui, il y a 3 ans. C’est une émanation de Série Séries qui tourne autour des séries d’animation françaises. Mais l’ambition n’est pas d’être un point de contact entre professionnels, mais de proposer un temps d’échanges privilégié avec le public. Les équipes de création rencontrent le public dans des salles. Ça marche très bien. D’année en année on double la capacité d’accueil parce que nous jouons tous les ans à guichets fermés !
Siritz.com : Cela a lieu quand et où ?
On a créé un Série séries sur le marché africain
MB : Pendant Série Séries à Fontainebleau. Par ailleurs, on a créé Série Séries sur le continent africain. En 2018 on a organisé une première manifestation à Ouagadougou. Cela permet d’observer le succès de la production africaine, en partant de l’Afrique francophone. Ce sont des professionnels africains qui étaient venus à Fontainebleau qui ont décidé de décliner le modèle sur leur continent. La deuxième édition devait avoir lieu à Abidjan en 2020. On a été obligé de la reporter. Mais on annonce une édition de Série Séries Afrique en ligne dans 15 jours.
Siritz.com : Vous allez utiliser Zoom ?
MB : Non, on a un prestataire. On l’a déjà utilisé par Série Séries fin juin/début juillet 2020 On a développé une plateforme digitale, serieseries.tv. C’est une plateforme sur laquelle ont lieu les sessions. A date plus de 70h de contenus exclusifs produits par Série Séries y sont proposés et la mise en ligne de sessions tournées vers la création africaine va nous permettre de faire un pont Europe/Afrique et de créer du lien.
Siritz.com : Comment se fait le financement de la manifestation ?
MB : Les partenaires sont les mêmes depuis 10 ans. La région Ile de France en premier lieu, les collectivités locales, les sociétés d’auteur (SACD, Sacem, Procirep), France Télévisions. Des prestataires comme Transpalux. Des banques. Il y a en tout 35 partenaires. Et les professionnels eux-mêmes puisque les accréditations sont payantes.
Siritz.com : Pas le CNC ?
MB : Le CNC soutient Séries Stories, une initiative précise et identifiée en direction des auteurs au sein de Série Séries. Sur le budget global de l’événement cela représente moins de 5% du budget. Le CNC a fait le choix de concentrer son soutien sur la manifestation Séries Mania qui se tient dans les Hauts-de-France.
Siritz.com : Série Séries est un très bon point d’observation du marché. Quelles sont des grandes tendances de son évolution depuis 2012 ? D’abord, est-ce que le nombre de participants a augmenté ?
MB : On le limite volontairement. On a commencé avec 500 et aujourd’hui on est autour de 700. Il faut laisser une place centrale aux auteurs pour que la manifestation ne soit pas trop absorbée par la partie business. Il y a 35% de français et 65% d’européens.
Siritz.com : Et les évolutions des programmes ?
Valoriser les productions locales qui ont une ambition internationale
MB : La principale évolution, c’est le nombre des séries produites. En 10 ans, sur le continent européen, la croissance a été exponentielle. Et il y a des succès de plus en plus importants pour certaines. Par ailleurs, nous nous attachons à valoriser beaucoup les productions locales mais qui ont une ambition internationale. La diversité est de plus en plus grande, ce qui nous permet de faire un choix. Ainsi, on a présenté « Skam » au moment même de sa diffusion en Norvège, avant qu’elle ne devienne un phénomène. https://fr.wikipedia.org/wiki/Skam_(série_télévisée)
Cette série norvégienne visant les jeunes adultes a été adaptée en série franco-belge
On remarque aussi le développement de fiction en direction d’un public plus jeune, le développement de plus séries de genre. Et puis, avec la multiplication des productions, on note la volonté de cibler, c’est-à-dire de s’adresser à des publics différents.
Siritz.com : Auparavant on estimait qu’au-delà d’un certain budget il fallait monter des coproductions, pour partager ce budget entre plusieurs diffuseurs. Ce qui supposait de prendre des comédiens de ces différents pays, de multiplier les lieux de tournage. Est-ce que ce que vous venez de dire sur le fait que les fictions nationales de grande qualité, même chères, ont un véritable potentiel international change la donne ?
MB : Clairement, il y a une vraie prise de conscience de l’intérêt des productions locales pour toucher un public identifié, l’intérêt des plateformes internationales pour les productions locales est d’ailleurs très fort. Mais cela n’empêche pas les alliances et les coproductions. Les pays nordiques le font entre eux depuis longtemps et continuent. Même chose pour l’alliance entre France télévisions, ZDF et la RAI. Mais ce n’est pas parce qu’une production est typiquement locale qu’elle ne peut pas avoir un succès international.
Siritz.com : Un des phénomènes marquant de ces dernières années est le développement de Netflix. Quel effet cela a-t-il eu sur votre manifestation et sur le marché ?
Les services publics doivent se poser la question de leur responsabilité
MB : Il est évident que cela a élargi le marché. Cette concurrence est stimulante, elle ouvre de nouvelles opportunités aux créateurs. Cela force chaque diffuseur à se poser la question de sa vocation et de son positionnement dans l’écosystème. Il y a notamment une vraie question que doivent se poser les services publics. Dans leur raison d’être il y a une responsabilité particulière que nous aimons évoquer à Fontainebleau.
Siritz.com : En 2020 fin juin il y avait le confinement, les rassemblements étaient interdits Comment avez-vous fait ?
MB : On a pu organiser deux séances extérieures, dans la forêt de Fontainebleau. Et, entre mars et fin juin, on a pu mettre en place des outils qui nous ont permis de nous développer de manière virtuelle. Mais on a fait le choix de ne pas présenter de séries sur nos plateformes. Parce qu’on estime qu’un festival c’est le partage et la découverte des oeuvres en salle avec leurs équipes. On a laissé la possibilité aux équipes d’envoyer des liens si elles le souhaitaient. On s’est focalisés sur la parole donnée aux créateurs, et nous sommes consacrés à la présentation de sessions didactiques du même genre que celles que l’on fait en période normale : des études de cas, des masters class de talents, des interviews de décideurs, des modules autour des décideurs.
« Série séries émission » tous les 15 jours et le réseau de décideurs The link
Siritz.com : Mais désormais vous proposez des services tout au long de l’année.
MB : On a créé un une émission sur les séries, « Série Séries émission ». Il y a une émission tous les 15 jours qui donne la parole aux créateurs et aux interprètes. Et on a développé un réseau de décideurs européens, « The link ». Les professionnels y présentent leurs projets et discutent entre eux. Sur cette plateforme on fait des sessions en live. L’avantage de tout ça est que cela pérennise la parole des créateurs et permet de toucher un nombre plus grand de professionnels. Je suis heureuse que nous puissions proposer « à la demande » de belles interviews de créateurs emblématiques comme Russell T Davies.
Siritz.com : Cette année Série Séries se tiendra fin juin/début juillet comme les autres années. Vous pariez sur le déconfinement ?
MB : On a pris le parti de travailler toutes les hypothèses. Comme on sera l’été on va faire beaucoup de chose en extérieur. Mais notre infrastructure digitale existe. Personnellement je pense qu’il est illusoire de penser que l’on sera revenu à la normale, ne serait-ce que parce que les professionnels de tous les pays ne pourront voyager. Donc on se prépare à un événement hybride, avec des gens sur place, des gens à distance. Mais tous pourront dialoguer entre eux.
Nous mettons l’accent sur l’importance du trio scénariste, réalisateur, producteur
Siritz.com : En France il y a un débat un peu chaud dont Siritz.Com se fait l’écho, que l’on retrouve sur Facebook avec « paroles de scénaristes », sur les rapports entre scénariste, réalisateur et producteur. Est-ce que l’on trouve ce débat dans d’autres pays.
https://siritz.com/cinescoop/les-mousquetaires-de-laudiovisuel/
https://siritz.com/cinescoop/y-a-t-il-encore-un-realisateur-dans-lavion/
https://siritz.com/cinescoop/mais-ou-sont-les-3-mousquetaires/
https://siritz.com/le-carrefour/un-scenariste-met-les-pieds-dans-le-plat/
MB : Ce que je peux dire c’est que je n’ai pas vu d’initiative comme « Paroles de scénaristes » à l’étranger. Donc les rapports doivent être plus tendus en France, sans doute du fait de notre histoire. Évidemment, cela fait partie des sujets dont on a envie de s’emparer pour créer le dialogue. Le principe de Série Séries c’est de faire la preuve par l’exemple. Nous, nous mettons l’accent sur l’importance du trio scénariste, réalisateur, producteur. Si le trio ne fonctionne pas la qualité de la série s’en ressent. Quand il s’entend les résultats se voient.
Siritz.com : Ce sujet va être abordé par Série Séries de cette année ?
MB : C’est indispensable.
Siritz.com : Est-ce que ce débat en France ne vient pas de l’entrée des professionnels du cinéma dans le monde des séries. Car, dans le cinéma, l’auteur c’était le réalisateur. Dans le monde de la télévision c’était plus équilibré.
MB : C’est avant tout une guerre d’égos. La série est une œuvre collective et la place de chacun est essentielle. Mais en lisant les premières interventions dans « paroles de scénaristes », je me suis rendu compte à quel point cette question restait d’une grande actualité. J’avoue que j’ai été surprise que les choses aient finalement aussi peu évolué depuis la première édition de Scénaristes en Séries en 2005 où ces mêmes manques de dialogue avaient motivé la création du festival à Aix-les-bains. J’aurais espéré que les choses évoluent mieux et plus rapidement… De notre côté en tant que festival nous pouvons à minima continuer de proposer un espace de débat et mettre en avant les pratiques vertueuses. Les événements permettant l’échange et la discussion ont encore une bonne raison d’être.