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Le carrefour

LES FACETTES DE NETFLIX SELON REYNAERT

Philippe Reynaert, le directeur général de Wallimage décrit les  expériences belges de commandes de film par Netflix. Les réactions de la plate-forme sont parfois surprenantes. Il analyse les bouleversements que les plates-formes vont entrainer dans le secteur et la nécessité d’y adapter les politiques publiques.

Siritz.com : Quelle est votre analyse de l’impact des plates-formes de S-Vod sur l’économie du cinéma, à  partir de l’expérience de la Wallonie ? Pour les producteurs, à priori, c’est tout positif puisque c’est de l’argent qui va arriver en plus, plus de clients,  et  donc une plus grande concurrence pour s’attacher les talents et les prestataires. 

-Philippe Reynaert : https://siritz.com/le-carrefour/le-bilan-de-wallimage-par-philippe-reynaert/ Mon expérience est encore fragmentaire. A ce jour Wallimage n’a financé que 2 films destinés à Netflix et labellisés « Netflix Originals » : « La femme la plus assassinée du monde » et « La terre et le sang ». Et, dans les deux cas l’expérience était plutôt positive.

https://fr.wikipedia.org/wiki/La_Femme_la_plus_assassinée_du_monde  https://fr.wikipedia.org/wiki/La_Terre_et_le_Sang

Siritz.Com : Ce sont ce que l’on peut appeler des films de genre.

Choquant d’un point de vue artistique

PhR : Effectivement, un segment sur lequel Wallimage s’est spécialisé ces dernières années. Ce qui est assez particulier, c’est la démarche d’un point de vue artistique. Dans les deux cas un producteur associé à Netflix a contacté un producteur belge. Par exemple, pour « La femme la plus assassinée du monde », c’est XYZ qui a contacté la société de production Fontana : « Est-ce que ça vous intéresserait de produire le scénario que voici ? Netflix a avalisé ce scénario et on n’y touche plus.  Ils ont aussi choisi le réalisateur, un Français qui vit en Angleterre. Le coût de production est évalué à 4 millions €. Netflix est prêt à l’acheter 2 millions €. Est-ce que vous pouvez trouver les 2 autres millions. » Donc, d’un point de vue artistique c’est un peu choquant puisqu’on ne peut toucher à rien. 

Siritz.com : Le producteur est un simple exécutant.

PhR: C’est ça.  En plus, le casting est déjà fait aussi. Par contre l’affaire s’est menée très vite. Parce que Fontana est allé chercher 1,5 millions € de Tax Shelter. Et il est venu nous solliciter pour 390.000 €. Donc on a bouclé avec lui le plan de financement le plus court de toute notre histoire. Il tient en trois lignes. Et les dépenses faites en Wallonie s’élevaient à 1,9 millions €. Donc, pour nous c’est une très bonne affaire. C’est du 487 % de retombées.

Siritz.com : Quelle est la nationalité du film ?

PhR: Paradoxalement c’est un film belge car il appartient à 100% au producteur belge.

Siritz.com : Mais le film est diffusé par Netflix et ne sort pas en salle. 

PhR: Effectivement. Donc le producteur n’a accès à aucune recette. Naturellement ça m’embêtait d’aller vers mon conseil d’administration et de lui dire que, sur ce film, on n’avait pas accès aux recettes. J’ai donc dit à  Jean-Jacques Neira, le patron de Fontana, de  tenter le coup en disant à Netflix qu’on n’était pas contents. « Tu leur dis que c’est nous les méchants. Toi tu trouves que c’est une bonne affaire, mais pas nous. »

A notre grande surprise ils ont cédé

Siritz.com : Mais ils savaient que vous n’alliez pas renoncer à ce qui était tout de même une bonne affaire.

PhR: Et bien, à notre grande surprise, ils ont cédé. Ils ont décidé que le film sortirait en salle en Angleterre et que, nous, on aurait accès à ces recettes. Pourquoi l’Angleterre ? Je n’en sais rien. Et, en plus, ils autorisaient une revente à Arte qui était intéressé, 3 ans après la sortie sur Netflix en 2018. Et là encore, les recettes de cette vente iraient au producteur belge et à nous. Donc, l’espoir de recettes sur ce film n’était pas inférieur à ce que l’on peut attendre d’autres films. 

Siritz.com : Et « La terre et le sang » ?

PhR: Quelques mois plus tard on a eu le même schéma.  Cette fois-ci le producteur belge était Umédia. Et là, Netflix a accepté quelques chose qui était, à notre avis encore plus intéressant : 2 ans après la sortie sur Netflix, ils ont autorisé une vente aux télévisions francophones. Donc une française, une canadienne, une suisse et une belge. Et, sur ces ventes nous nous partageons l’ensemble des recettes puisqu’elles nous sont réservées et que Netflix ne touche rien.

On a découvert des points négatifs

Siritz.com : Donc tout est positif.

PhR: Oui. Mais on a découvert des points négatifs. Par exemple que Netflix ne paye le producteur qu’en 4 ans. C’est donc assez dangereux pour le producteur qui doit financer son film tout de suite. Dans le cas d’Umédia on n’a pas eu besoin d’intervenir, mais dans le cas de Fontana, Wallimage Entreprise a fait l’avance de 3 années, avec un intérêt.

Siritz.com : Heureusement les taux d’intérêt sont bas.

Licence agreement et service provider agreement

PhR: Oui. Mais il faut bien comprendre que cela ne représente que l’un des types de négociation avec Netflix. Eux ils appellent ça un « licence agreement ». Ils ont un autre type d’accord qui s’appelle « service provider agreement ». Et là, c’est très différent pour Wallimage. On a le cas avec le prochain film de Dany Boon, qui va s’appeler « 8 rue de l’humanité ». C’est Patrick Quinet, d’Artémis qui va le coproduire en Belgique. Là, Netflix est complètement aux commandes. Et là, ils financent lourdement, mais ne veulent aucun partenaire qui demanderait accès aux recettes.

Siritz.com : Vous avez financé tous les Dany Boon.

PhR: Depuis « Rien à déclarer », oui, sauf la « Ch’tite Family ». J’ai donc demandé à Patrick pourquoi il ne venait pas nous voir. Il m’a répondu qu’il n’en avait pas besoin. C’est très bien financé par Netflix (qui porte 2/3 du plan de financement) et il ne fait appel qu’au Tax Shelter, car ce mécanisme ne demande aucun accès aux recettes.  Je n’ai pas les chiffres exacts, mais c’est de l’ordre de 10 millions € en provenance de Netflix et 6 millions € de Tax Shelter. Je me désolais donc. Mais Patrick m’a dit : « Je ne te comprends pas. On va sans doute dépenser 5 ou 6 millions € en Wallonie, tu ne prends aucun risque et tu as tout de même les retombées. » Mais j’ai répondu que c’était un coup. Comment intéresser Netflix à tourner en Wallonie ? Patrick m’a répondu : « il faut être attractif au niveau des paysages, des talents et surtout des équipements ». A méditer. Car c’est un grand changement de paradigme pour nous. Dans les années qui viennent, l’attractivité d’une région ne reposera plus seulement sur l’argent qu’elle peut investir…

Siritz.com : Le film de Dany Boon va sortir en salle ?

Plus d’argent à investir que de capacité mondiale à produire

PhR: Normalement pas. Uniquement sur Netflix. En plus, il faut bien voir que Netflix est la première plate-forme. Mais les autres arrivent et elles vont se tirer dans les pattes pour accéder aux programmes. Selon Linda Beath, une analyste australienne qui connaît bien ce secteur ils ne vont pas se manger les uns les autres avant 4 ou 5 ans, bien que Netflix soit très endetté. Apple TV a encore très peu de programmes, mais ils ont des moyens financiers colossaux. Ils ont de quoi racheter en capitalisation 4 ou 5 Netflix. Pour l’instant les gens de Netflix ne sont pas vendeurs. Ils essayent de faire monter les prix. Cette analyste avait additionné ce qu’elle estimait être la capacité de financement des différentes plates-formes. Et elle arrivait à la conclusion qu’à partir de 2022 il y aurait plus d’argent à investir que de capacité mondiale à produire. Et elle concluait en interpellant les fonds régionaux : « Avec toutes vos conditions de territorialisation quelle va être encore votre attractivité ? »

Siritz.com : Le système français est assez sophistiqué. Les plates-formes seront obligées d’investir un certain pourcentage de leur chiffre d’affaires en respectant certaines conditions, les règles du jeu françaises.

PhR: On y arrivera aussi en Belgique puisque cela repose sur une directive européenne. Mais on risque d’arriver à un système à deux vitesses. Les films d’auteurs selon notre système traditionnel et les blockbusters de la manière que je décris.

Siritz.com : En France ce risque existe déjà avec les chaînes. On a cherché à l’éviter en obligeant  certaines chaînes à répartir leurs investissements entre des films à budget élevé, moyen et bas.

Oblige à un changement copernicien des politiques publiques

PhR: Cela va être l’objet majeur. Là-dessus s’ajoute la crise de la Covid. Cela va nous obliger à un changement copernicien des politiques publiques. C’est pourquoi le changement de direction à Wallimage arrive à un bon moment. Moi j’ai travaillé sur des schémas qui ne fonctionneront plus dans 3 ou 4 ans. Et la personne qui a été choisie pour me remplacer, Virginie Nouvelle, est avant tout une financière. Moi je suis un littéraire qui a dû apprendre à compter. Elle c’est une financière qui est tombée amoureuse du cinéma. Elle a donc toutes les qualités pour trouver les nouvelles façons de fonctionner..

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