LES MÉFAITS DU RAPPORT CHEVALIER

En 1960, apparition des feuilletons télé, qui passent en couleur en 1967. Le premier gros succès est Janique Aimée en 1963. Des réalisateurs éminents de télévision profitent du flux Nouvelle Vague pour prendre le pouvoir comme au cinéma. Mais quoi qu’en disent certains, cela s’éteint dans les années 2000 avec l’invasion des séries et la chute des œuvres unitaires (hors collections) aujourd’hui tombées à 12%. Car, à l’inverse du territoire du showrunner qui s’élargit logiquement, celui du réalisateur se rétrécit en télé, où il est de plus en plus menotté, sauf s’il vient du cinéma avec sa notoriété. Pourquoi ? https://siritz.com/cinescoop/les-mousquetaires-de-laudiovisuel/

La première raison est commerciale : invasion des séries et collections 52’ et 90’ qui imposent aux réalisateurs télé ce dont les scénaristes non showrunners souffrent déjà, à savoir l’interventionnisme qui génère la dépendance, et parfois une autocensure qui satisfait diffuseurs et producteurs.

Le rapport Chevalier en 2011 : pas de réalisateur parmi les auteurs

La deuxième raison est technocratique. Le rapport Chevalier de 2011, titré “Le défi de l’écriture et du développement“, censé trouver des pistes pour relancer la fiction en crise, fut rédigé sans réalisateurs.  https://www.cnc.fr/documents/36995/145478/rapport+de+la+mission+Chevalier+sur+la+fiction+française.pdf/7a5e3269-8b84-cc43-b88b-c73272e219b7. Seul le scénario compterait et le développement d’une série n’aurait pas besoin du réalisateur ! Mais qui oserait faire un rapport sur la crise de l’Assistance Publique sans y associer les urgentistes ?! Le ministre 2011 Frédéric Mitterrand, ayant lui-même réalisé, s’en excusa. Mais le mal était fait. L’avis nécessaire du réalisateur de terrain en fin de l’écriture (version tournage), et son apport artistique évident dans les premiers épisodes d’une série, étaient officiellement ignorés. Tristesse…

La dignité et le talent des auteurs, scénaristes et réalisateurs

Marcel Achard aurait apprécié ce rapport qui oubliait la mise en scène avec son « tandem exclusif scénariste-producteur » (sic), rapport qui est déjà dépassé et ne défend pas plus les scénaristes. Il n’a pas su empêcher leur sous-estimation, leur sous-rémunération, ni anticiper l’importance du showrunner qui dérange des producteurs en mal d’autorité et qui négligent parfois sans élégance le “tandem“.

On l’a vu sur une série récente très médiatisée où la production a refusé aux deux scénaristes d’origine la direction artistique et une coproduction justifiée, c’est-à-dire le showrunning. Double peine pour les deux auteurs de base déjà injustement négligés dans la promotion médiatique et qui se retrouvent interdits d’un showrunning indispensable pour la suite de la série ! Comme dit l’un d’eux meurtri à juste titre : « La production nous l’a fait miroiter et n’a pas respecté ses promesses. Nous avons notre part de responsabilité. Après 25 ans de métier, croire encore en la parole d’un producteur, il faut être idiot ! ». Heureusement, ça n’est pas universel…

Retour au sujet. Il est évident que rien ne peut naître sans scénario. Lapalissade. Mais la réalisation n’est pas anodine, même en série industrielle. Témoignage d’un jeune réalisateur mélancolique : « Je suis content de tourner mais triste d’être ubérisé comme un coursier car même dans l’épisode lambda 225, que deviendrait le scénario sans mon travail avec les acteurs, mon découpage, le choix des optiques, des mouvements de caméra, le sens de l’image ? Un regard que je suggère au comédien peut changer une scène, même sur un feuilleton express à petit budget. C’est ça, ma réalisation. »

Il est soutenu par le grand Sidney Lumet : « Sur la base fondatrice du scénario, le réalisateur maîtrise la technique, la grammaire des caméras, le temps de tournage, mais surtout l’ensemble des facteurs de beauté et d‘émotion de chaque scène : l’harmonie des personnages avec les décors et les objets, la profondeur focale, l’ombre et la lumière, l’équilibre entre technique et artistique. Un silence, un geste, l’émotion d’un regard, peuvent ennoblir une scène banale. Seul le réalisateur a cette compétence ! »

Et pour ceux qui, malgré ces dignes citations, ne saisissent toujours pas la part d’auteur du réalisateur, ajoutons  Jean Aurenche, grand auteur avec qui j’ai eu la chance de débuter quand j’étais scénariste novice. Bien qu’injustement critiqué par la Nouvelle Vague, il n’a jamais basculé dans l’aigreur à la Marcel Achard et m’a dit un jour où nous parlions à l’apéro d’harmonie artistique : « Si je découvre en projection une scène que je n’ai pas écrite et dont je suis ému, j’en remercie le réalisateur »

Jean Aurenche nous ravit par son élégance, qui est loin d’être universelle dans la guerre des égos. La passion d’écrire, qu’elle soit au clavier, à la caméra, ou les deux, ne survivra que dans l’harmonie du noble trio formé avec des producteurs créatifs et éthiques, à l’inverse de la production évoquée plus haut, qui a confisqué le showrunning aux scénaristes adaptateurs d’origine pour ménager des réalisateurs cinéma de notoriété, et peut-être économiser des séances personnelles en thérapie…

DOMINIQUE BARON

(à suivre le 6 mars , épisode 3 : Mais où sont les 3 mousquetaires ?)

Siritz.com : Est-ce qu’en Europe il y a des pays où les salles n’ont pas fermé depuis un an ?

Eric Marti : Il y a des pays où les salles n’ont pas fermé. En Scandinavie, en Suède ou en Russie où elles ont fermé très peu de temps. En Russie elles n’ont fermé que quelques semaines au printemps dernier. Ensuite, il y a des situations très différentes entre la première et la deuxième vague. Aujourd’hui aux Pays-Bas, en Allemagne et en Autriche les salles sont fermées. Mais au Luxembourg elles ont fermé fin octobre et ré-ouvert depuis la mi-janvier alors qu’elles restent fermées en Belgique et en France. A partir du printemps dernier, l’Espagne à ré-ouvert dans certaines régions. Alors que le Portugal vient de refermer.

Siritz.com : Et le Royaume-Uni ?

EM : Ils sont complétement fermés depuis Noël et le sont restés. Ils annoncent leur réouverture pour le 17 mai.

Siritz.Com : Mais les majors américaines ont repoussé la date de sortie de la plupart de leurs films parce qu’ils font des sorties mondiales. Dans les pays qui sont restés ouverts, sans les films américains, quelle a été la fréquentation ?

Les succès sont venus des films locaux

EM : La fréquentation dépend de la capacité de la production locale à attirer le public. Il y a eu tout de même quelques blockbusters comme « Dr Dolittle » de Universal  en Russie. Et puis il y a eu « Tenet » de Warner , notamment en France, « Scooby ! » chez Warner et « Les Trolls 2 : Tournée Mondiale» chez Universal ou encore « Wonder Woman 84 », également de Warner, dans certains territoires en début d’année. Mais les succès sont venus des films locaux.

Siritz.com : Par exemple.

68% de part de marché

EM : Et bien, quand l’Espagne a ré-ouvert, est sorti « Padre No Hay Mas Que Uno –  2 », la suite d’un film qui avait eu beaucoup de succès l’année d’avant, et que les producteurs ont décidé de sortir l’été, malgré la réticence du distributeur, Sony. Il a eu un succès exceptionnel, réalisant 68% de part de marché la semaine de son démarrage. Les Pays-Bas ont ré-ouvert en même temps que la France, l’été dernier, mais ont beaucoup mieux marché que nous parce qu’ils ont eu trois films locaux qui ont immédiatement été de gros succès. Deux comédies et « Bigfoot Family », film d’animation Belgo-français, qui est sorti trois semaines avant la France et qui a très bien marché. Et en France on a eu « Les Blagues de Toto », « 30 Jours Max », « Tout Simplement Noir » et « Antoinette dans les Cévennes » qui ont relancé la fréquentation, même si on n’a pas retrouvé les niveaux d’avant.

Siritz.com : Mais il y a peu de succès locaux.

EM : Quand il n’y a pas ces succès on est à moins 88/90% ! A noter qu’en Russie ils sont à moins 33% sur les premières semaines de l’année 2021 parce qu’ils ont eu deux très beaux succès locaux en février : un film d’action et une comédie.

Siritz.com : Et en Chine. Ils ont fermé ?

EM : Ce qui est caractéristique en Chine, c’est le nouvel an chinois qui dure 10 jours début février, avec une gigantesque circulation de population puisque les familles se réunissent. En 2019, le pays a connu un record avec un box-office de 892 millions $ pendant ces fêtes En 2020, les cinémas étaient fermés, donc zéro. En 2021, les salles étaient ouvertes et le box-office de janvier a été seulement 1% inférieur à celui de 2019. Les professionnels se sont dit : on devrait pouvoir faire 75% à 90% de la période du nouvel an de 2019. Or le marché a fait un bond de +30%, pour atteindre 1,2 milliards $.

Siritz.com : Il y avait des limitations de jauge ?

EM :  A 75% sur tout le pays et à 50% sur certaines provinces du nord, dont Pékin, du fait d’une résurgence de Covid. Mais il y avait une très forte limitation sur les voyages et les familles ne pouvaient se retrouver. Les gens ont dû rester chez eux et le premier loisir était le cinéma. En outre il y a eu une augmentation moyenne du prix du ticket de 12%.

Siritz.com : Et des pays comme la Corée, l’Australie et la Nouvelle-Zélande qui ont très bien contenu la Covid ?

EM : La Corée a eu un confinement et des fermetures sur des périodes très courtes. Quelques semaines. Puis cette année, une semaine. Et l’Australie et la Nouvelle-Zélande n’ont fermé que quelques jours. Mais il y a une différence très forte entre les trois pays, c’est la dépendance au film américain. Sans film américain, les marchés d’Australie et de Nouvelle Zélande s’effondrent. La Corée programme des films coréens, japonais et chinois. C’est comme la France en Europe : ils sont très ouverts. Donc, sans films américains, ils s’en sont plutôt bien sortis. Mais, depuis le début de l’année, ils sont à moins 85% par rapport à l’année dernière alors que l’Australie et la Nouvelle-Zélande sont à – 55 et -50%.

Siritz.com : Comment ça s’explique ?

EM : « Wonder Woman 1984 », « The Croods : A new Age » et un film australien « The Dry », ont dynamisé le box-office en Australie comme en Nouvelle-Zélande, qui en outre n’ont pratiquement pas fermé, alors que la Corée a fermé une semaine et a imposé des limitations de jauge très strictes.

Siritz.com : L’Inde est, en quantité, le principal pays producteur. Comment ça s’est passé chez eux.

EM : Ils ont tout fermé. Et, début janvier ils ont tout ré-ouvert avec une jauge à 50%. Dans certaines villes la jauge a été levée immédiatement. Aujourd’hui la limitation de jauge est une exception.

En France ce sont les multiplexes de 10 écrans et plus qui ont le plus soufferts

Siritz.com : A partir de ces chiffres qu’est-ce qu’on peut dire sur la dépendance au film américain. Parce que, sauf exceptions, les studios ont décidé de retarder la sortie de leurs films, voire de les diffuser directement sur leurs plateformes de S-Vod. En France, en période normale de film américain c’est 50 à 55% de la fréquentation, le film français de 35 à 40%. Quelle a été la situation en Europe ?

EM : Il y a un pays où la production nationale a une part de marché de 55%, c’est la Turquie. Ils ré-ouvrent leurs salles le 1er avril. En France, le marché normal est à 200 millions d’entrées ou plus. Si les studios américains mettent une partie de leurs films directement sur leurs plateformes, on risque de tomber à 150/170 millions d’entrées. Quand les salles ont ré-ouvert en France on a vu que ce sont surtout les gros établissements, les multiplexes de 10 écrans et plus, qui ont le plus souffert.

Siritz.com : Parce qu’ils sont tirés par les blockbusters américains.

EM : Mais même la semaine de « Tenet », ils étaient en léger retrait. https://siritz.com/editorial/les-salles-de-cinema-en-grand-peril/

Siritz.com : Parce qu’il n’y avait pas la continuation d’autres blockbusters.

EM : Donc, première conséquence d’une diminution de films américains, le marché baisse un peu. Les professionnels allemands ont observé la même chose. Les exploitants qui faisaient de l’art et essai populaire en centre-ville ont bien marché.

Siritz.com : Mais la baisse des multiplexes de périphérie avait déjà commencé. Le cinéma est de plus en plus un loisir de proximité.

« Detective China town 3 » plus gros démarrage sur un seul pays, battant « Avengers-Endgame »

EM : En Europe oui. Moins dans les pays du Golfe et en Amérique Latine. En Europe cela risque de s’accélérer s’il y a moins de films américains. Mais le changement le plus marquant s’est produit en Chine : « Detective Chinatown 3 » a réalisé le plus gros démarrage pour un premier jour et un premier week-end sur un seul pays, battant le record de « Avengers – Endgame » aux États-Unis. Cela devrait amener les studios américains à réfléchir. D’abord parce que le premier marché mondial c’est la Chine. Et les producteurs chinois ont appris à faire des films qui marchent aussi bien, et même mieux que les films américains. https://www.ecranlarge.com/films/news/1366888-detective-chinatown-3-plus-fort-quavengers-endgame-au-box-office

Record historique d’un démarrage dans un territoire

Siritz.com : Quel était la part de marché des américains ?

EM : Elle était de 50%. Aujourd’hui les observateurs estiment que le maximum sur lequel ils pourront compter c’est 40%. Cela veut dire que, dans la négociation des trois fondamentaux que sont la date de sortie, la combinaison et le taux de location, le rapport de force ne va plus être le même. Si les studios américains perdent des parts de marché ils ne seront plus dans la même position vis-à-vis des exploitants et de leurs concurrents distributeurs.

Siritz.com : Quelle est votre analyse de ce que sera la politique des grands studios si et quand les salles seront revenues à une ouverture normale, disons l’année 2022 ?

EM : Mon impression c’est qu’il y a un choix qui a été fait par trois des principaux studios, Disney, Warner et Universal. Les trois ont changé de patron et ont décidé de mettre l’accent sur les plateformes. Universal appartient à Comcast. Bob Chapek, chez Disney, veut être le champion de l’ère digitale et mise sur Disney+. Warner appartient à ATT et l’objectif est de relancer HBO Max. https://siritz.com/editorial/s-vod-quelle-riposte-des-exploitants/ Le patron de Sony les a mis en garde : on ne sait pas rentabiliser un film de 200 millions € sur une plateforme. La MGM et Broccoli ont cherché par tous les moyens à vendre à 600 millions $ le nouveau James Bond. Ils n’ont pas trouvé d’acheteurs.

Siritz.com : Donc il y aura moins de films américains.

Les studios voudront privilégier leurs plateformes

EM : C’est probable, pendant quelques années les studios voudront privilégier leurs plateformes. Surtout si le day and date reste interdit dans certains pays comme la France.

Siritz.com : Mais sortir sur une plateforme en même temps que la salle c’est la mort des salles. C’est comme si on vendait le livre de poche en même temps que l’édition broché. Le chiffre d’affaire des éditeurs et des libraires s’effondrerait.

EM : Oui, mais sans l’édition brochée, il n’y a pas de livre de poche. De toute façon il faudrait savoir comment Disney sur « Soul » ou Warner sur « Wonder Woman 1984 » peuvent récupérer leur investissement avec les abonnés de leurs plateformes. Rapporté à un film, ce sont quelques centimes que l’on récupère sur chaque abonnement.

Siritz.com : Universal n’a pas choisi la S-VoD, mais la Vod Premium à 20 ou 30$. « Trolls : World Tour » aurait réalisé 100 millions $. Mais en France la P-VoD c’est tout à fait marginal.

EM : Les 100 millions $ ont été annoncés par l’actionnaire Comcast, sans mesure indépendante. Cela reste donc un résultat à valider. En outre, cela n’a concerné que l’exploitation aux États-Unis. En France, le film est sorti en salles, avec succès d’ailleurs.

Siritz.com : Mais Netflix va diffuser 71 films en 2021, dont certains à 150 millions € de budget.

Dans certains marchés les studios auront du mal à récupérer leur part de marché

EM : Certes, mais il faudra bien qu’à un moment ils s’assurent que cette politique dégage une réelle rentabilité. Et, entre temps, les industries locales fortes, comme la Chine, seront capables de rivaliser avec Hollywood en termes de « production value ». Et dans les territoires où ça sera le cas les américains auront du mal à récupérer leurs parts de marché. Si un jour ils considèrent qu’ils ont absolument besoin de la salle pour amortir leurs films, ils ne retrouveront pas nécessairement les mêmes capacités d’amortissement.

Siritz.com : Et en France ?

EM : Il y a deux marchés qui se côtoient. Le marché des blockbusters américains et des très gros films français, qui drainent un public important vers les multiplexes. Et le marché des films indépendants, qui sont exposés mais qui ne suffisent pas à remplir les multiplexes.

Siritz.com : Mais, à partir de cette analyse, que faut-il faire ?

EM : Il serait peut-être opportun de soutenir nos champions nationaux, Pathé, UGC, Gaumont, CGR, Studio Canal, Metropolitan, SND, etc… Il faut être capable de faire des « blockbusters » à la française et prendre la place des absents. On devra aussi certainement s’interroger sur la limitation pour un exploitant de rajouter des écrans pour un film qui marche très bien. Dans les multiplexes on limite à 2 écrans par film. En France il y a 10 000 films programmés chaque semaine sur 5 000 écrans. En proportion, en Chine c’est l’inverse. https://www.ecranlarge.com/films/news/1366888-detective-chinatown-3-plus-fort-quavengers-endgame-au-box-office

En tout cas pour les studios, priorité à leurs plateformes

EM : Au niveau des Studios on est effectivement dans une grande phase de recrutement d’abonnés pour les plateformes. Et il y a aussi Apple, Amazon Prime, Paramount en plus de Warner, Disney et Netflix. Ça fait beaucoup. Ils sont tous en train de recruter pour avoir la base la plus forte. Or, on sait que le coût de recrutement est forcément élevé. Quand il y en aura trois dominants et que le marché sera stabilisé, ils pourront proposer à leurs abonnés, de manière exceptionnelle, de la P-Vod.

Siritz.Com : Ce que Disney+ a fait avec « Mulan » et ça a été un échec retentissant.

EM : Oui, parce qu’ils étaient en train de recruter des abonnés et leur demandait soudain un supplément. Pour « Soul », ils l’ont inclus directement dans l’offre Disney+ sans surcoût. Amazon pourrait parfaitement proposer un événement particulier, par exemple un match de boxe, en direct et en P-VOD, puis en replay quelques jours après pour les abonnés. Donc, les différents modèles peuvent se combiner sur une même plateforme. Mais l’enjeu est d’avoir la plus forte base d’abonnés possible.

Siritz.com : Aux États-Unis, Universal et l’exploitant AMC ont passé un accord novateur : 17 jours d’exclusivité pour les salles, puis en Vod sur laquelle AMC a un pourcentage.

EM : C’est très intéressant parce que cela permet beaucoup de souplesse. AMC dès le premier jour sait combien le film va faire et les 17 jours peuvent être rallongés. Ou bien ils peuvent décider de partager les revenus de la VoD sur un film. Ils se donnent la possibilité de voir au cas par cas. C’est une vraie innovation.

Siritz.com : Mais pourquoi est-ce que la VoD est tellement plus importante aux États-Unis ?

EM : Parce que la couverture du territoire par le réseau de salles n’est pas aussi dense qu’en France. Et ils ont travaillé surtout les jeunes adultes, les 15-30 ans et délaissé le très jeune public de 4 à 13 ans et le public plus mûr. Maintenant ils se rattrapent pour ce public, mais dans certaines villes moyennes il n’y a pas de salles.

Siritz.com : Peut-on tirer d’autres leçons de ces expériences ?

EM : Ce qui est frappant c’est que quand ils ont ré-ouvert, les pays où la fréquentation a le mieux repris sont ceux qui ont ouvert sur tout le territoire, comme la France ou les Pays-Bas. Pour les autres, comme l’Espagne, l’Allemagne ou le Royaume-Uni, cela a été beaucoup plus difficile.

Siritz.com : Oui, parce que les distributeurs veulent des sorties nationales. Aux États-Unis 60% des salles étaient fermés.

EM : Oui, surtout des marché directeurs comme New-York et Los Angeles.

Ceux qui ont les reins assez solides pour attendre tireront leur épingle du jeu

Siritz.com : Mon site Cinéfinances.info qui publie le budget, le plan de financement et la répartition de recettes de tous les films français parle chaque semaine de plusieurs nouveaux films dont la production est achevée. C’est incroyable l’embouteillage qu’il y aura quand les salles vont ré-ouvrir. Plusieurs centaines de films.

EM : Il faut avoir un banquier compréhensif.

Siritz.Com : Mais il va falloir que les distributeurs optimisent les sorties pour que des films se ressemblant ne sortent pas la même semaine.

EM : Malheureusement, je crains que cela soit difficile. Seuls les distributeurs ayant un film très fort pourront attendre pour sortir sur une date à fort potentiel. « Detective Chinatown 3 » devait sortir au nouvel an 2020 et ses distributeurs ont pu attendre le nouvel an 2021. Donc, la capacité à ne pas se précipiter va être essentielle. Ceux qui ont les reins assez solides pour attendre tireront leur épingle du jeu. N’oublions pas qu’en France, ce sont les plus gros succès qui payent en partie, par les aides sélectives, les frais d’édition de plus petits films.

Siritz.com : C’est ce que remarquait un scénariste anonyme dans ce blog. https://siritz.com/le-carrefour/un-scenariste-met-les-pieds-dans-le-plat/

EM : Mais beaucoup de ces distributeurs indépendants font un travail remarquable. Seulement la diversité vit mieux à l’abri d’un marché fort. S’il y a moins de films américains, il sera moins fort et le soutien à la diversité risque de diminuer. Et puis, le cinéma français a une aura au niveau international. Avec le retrait potentiel du film américain il va y avoir une place à prendre, avec des films et des talents porteurs.

Siritz.com : Aujourd’hui les professionnels de notre cinéma se battent pour que les plateformes de S-VoD  respectent nos règles du jeu et participent au financement de l’audiovisuel et du cinéma français, ce qui est tout à fait normal.

EM : Mais cela risque de transférer en partie le pouvoir de décision à Hollywood.

Le groupe Viacom-CBS se développe dans l’univers digital en innovant

Le marché des plateformes internationales ne cesse de se développer. Il y avait Netflix, Amazon prime, Apple TV. Il il a eu Disney+. On sait qu’il va y avoir HBO Max. Et maintenant c’est le groupe Viacom-CBS qui en lance deux. https://siritz.com/editorial/s-vod-quelle-riposte-des-exploitants/

Viacom-CBS c’est un groupe entièrement audiovisuel : il comprend entre autres l’une des trois grandes chaînes nationales américaines, CBS, le studio Paramount, la chaîne à péage Showtine (films et séries) et des chaînes thématiques comme MTV (musique) ou Nickelodéon (enfants).

Le 8 février il a annoncé le lancement en France de Pluto TV, qui est déjà diffusé dans 25 pays, dont les États-Unis, plusieurs pays européens et 17 pays d’Amérique Latine. C’est un concept original. Tout d’abord il s’agit d’un bouquet de 40 chaînes thématiques linéaires,  gratuites et financées par la publicité. Ces chaînes sont alimentées par l’énorme catalogue du groupe Viacom. Elles comprennent aussi des séries françaises comme « Plus belle la vie » ou « Les Cordiers ». En second lieu, ce bouquet est OTT (Over The Top), c’est-à-dire accessible directement par internet : pas d’opérateur diffuseur, pas d’autorisation du CSA. Elles font partie de l’univers digital FAST (Free Ad-Supported Streaming Television), sans doute regardé principalement sur i-phone. Elles auraient déjà 36 millions d’utilisateurs actifs dans le monde.

Le groupe Comcast Universal a un bouquet similaire, basé sur le même principe, Peackok. Mais, pour l’instant il n’est diffusé qu’aux États-Unis.

Le 4 mars le groupe va lancer aux États-Unis, au Canada et en Amérique Latine, puis le 25 mars dans les pays nordiques d’Europe, une plateforme de S-Vod, Paramount+. Aucune date n’a encore été révélée pour la France et le reste du monde. https://www.igen.fr/services/2021/02/le-nouveau-service-de-streaming-paramount-veut-diffuser-en-europe-120859

Là encore, Paramount+ va démarrer avec l’énorme catalogue du groupe : 2 500 films, 30 000 épisodes de séries,     1 000 événement sportifs et une offre de news. Mais, là aussi, il y a une innovation, car l’offre est double : soit à  9,99 $ comme les autres plateformes ; soit à 4,99$, avec de la publicité. Cette dernière offre sera proposée à partir de juin. Elle est rendue possible parce que Viacom dispose, dans chaque territoire, des régies publicitaires de ses chaînes et, désormais, de Pluto TV.

La sortie en salle d’abord

Par ailleurs, Paramount+ a passé un accord avec la chaîne à péage EPIX pour mettre à la disposition de ses abonnés des milliers de titres provenant d’une grande variété de studios. A partir du printemps il y aura ainsi les « James Bond » et les « Hunger Games ». Ainsi, après une sortie en salle par MGM et une fenêtre de télévision payante exclusive sur EPIX, seront disponibles sur Paramount+ « House of Gucci, Creed III »  et le prochain James Bond,  « Mourir peut attendre « .

Le PDG de ViacomCBS prévoit d’investir 5 milliards $ dans les contenus exclusifs du streaming en 2024 et atteindre 65 à 75 millions d’abonnés en trois ans.

De ces annonces on peut tirer trois leçons. En premier lieu le groupe est conscient que l’offre de plateformes payantes de S-VoD, va être très encombré. D’où, une offre à moindre prix grâce à un financement par la publicité. En second lieu, il s’agit d’un groupe essentiellement audiovisuel qui va respecter la chronologie des médias sur chaque territoire : Paramount+ aura l’exclusivité des films Paramount, mais après la fenêtre salle. Même chose pour les films MGM. En troisième lieu, s’il semble que le groupe continuera à accorder aux exploitants une fenêtre d’exclusivité sur ses films, il risque de ne pas en être de même pour les chaînes étrangères, dont les françaises. Par exemple, Canal+ diffuse actuellement la série « Your honour » de Showtine. A l’avenir ce type de séries pourrait bien être réservé à Paramount+.

MINI-SÉRIE DE DOMINIQUE BARON* (Scénariste-producteur-réalisateur présenté en fin d’article)

Aujourd’hui, la presse se focalise sur le mot US “showrunner“ qui s’impose logiquement dans le monde des séries et collections (88% de la fiction). Dans les succès sur plusieurs saisons, un vrai showrunner aguerri assure la continuité éditoriale et artistique. Il doit être un scénariste émérite qui sait guider les autres scénaristes, il doit connaitre assez la mise en scène artistique et technique pour partager avec les réalisateurs afin de passer les scénarios de la 2D à la 3D. Et il doit être un “producer“ qui sait gérer un budget et anticiper les nombreux aléas artistiques et techniques. Jusqu’ici, tout va bien… https://siritz.com/editorial/le-mythe-du-realisateur-auteur-revision/

Un métier qui peine à émerger en France

Mais cette fonction d’avenir, essentielle en séries, ne s’improvise pas. En France, les showrunners de ce niveau sont encore rares et retardés par une vague émergente de diplômés du marketing (“money-making“ ?) qui aiment tout contrôler. Par inexpérience ou souci de territoire, certains surfeurs de cette vague ne voient le scénariste que comme un scribe, et le réalisateur télé comme un simple technicien qui sait placer ses caméras et terminer à l’heure. Et le problème de nombreuses séries est aussi que, pour se rassurer, des commanditaires abondent trop d’avis, mettent trop de scénaristes en siège éjectable, et cela engendre trop de versions non coordonnées par un showrunner d’envergure.

Ce « nouveau monde des soft-killers de l’audiovisuel » (dixit Martin Scorcese) étouffe en coulisses les scénaristes, et en plateau les réalisateurs. Or il est essentiel que le scénariste soit le premier consulté si, par exemple, le producteur veut imposer au réalisateur l’économie de remplacer un autocar qui pulvérise une voiture par un vélo qui tape une poussette, ou de couper une scène en plateau pour éviter une heure supplémentaire. De même qu’il est injuste pour le scénariste qu’un acteur, pour s’approprier une série, réécrive seul les dialogues dans son dos, une tendance en expansion. https://www.lesinrocks.com/2021/02/26/series/series/en-therapie-pourquoi-les-scenaristes-renoncent-a-la-saison-2/

Autre tendance émergeante : le diffuseur et le producteur vont chercher un cinéaste connu pour se rassurer et renforcer la communication génératrice d’audience. C’est une bonne idée, ça cartonne dans la presse mais en télévision le cinéaste, aussi talentueux soit-il, ne doit pas débarquer comme un empereur. Car il y a une règle d’or : le partage. En fiction intelligente, il est vital que les choix créatifs se fassent dans l’alliance d’une brigade de mousquetaires garants de la cohérence d’une série, œuvre collective. D’où la nécessité d’un showrunning expérimenté et respectueux des terres de chacun.

D’où viennent les éternelles chamailleries de territoires ? Flash-back :

Le débat entre auteurs et metteurs en scène est né dans le théâtre des années 30. Louis Jouvet, Charles Dullin, Georges Pitoëff, ont mis en scène des pièces en initiant une vision d’auteurs associés, contournant ce qu’ils appelaient le « textocentrisme » des ardents défenseurs de la moindre virgule, comme Marcel Achard, qui doit pourtant sa notoriété à Louis Jouvet qui triompha en 1929 comme metteur en scène et acteur dans la création de Jean de la Lune, avec Michel Simon. Dans les années 30-40, puis 50-60, les metteurs en scène de théâtre se glissent donc avec talent dans la dramaturgie. Mais les auteurs de l’écrit n’aiment pas voir bouger des scènes ou des dialogues, même s’ils découvrent que la mise en scène ennoblit leur texte et peut lui offrir sa renommée.

En 1955, après un litige sur un projet, l’illustre Jean Vilar fait un croc-en-jambe à Marcel Achard : « Aujourd’hui, les vrais créateurs dramatiques ne sont pas les auteurs mais les metteurs en scène. » Marcel Achard, aussi scénariste au cinéma, se sert de sa présidence du jury de Cannes 1959 pour se venger en médiatisant ses batailles avec Jean Vilar et Marc Allégret (pourtant 9 films ensemble) et leurs tensions sur le statut d’auteur. Il  déclare froidement en conférence de presse sur la Croisette :


Les scénaristes sont les seuls auteurs des films ! Faisons-en sorte que cela se sache partout. »

Le Marcel acharné n’avait pas digéré la loi Guy Mollet de propriété intellectuelle, qui sanctuarisa en 1957 l’évidence que les metteurs en scène de théâtre, les réalisateurs de films et les compositeurs de musique sont aussi des auteurs incontestables. Mais la phrase cinglante de Marcel Achard à Cannes, encore présente aujourd’hui dans l’esprit de certains auteurs rebiffés, va se retourner contre lui…

Le roi du boulevard et les “textocentrés“ vont se prendre un uppercut avec la Nouvelle Vague.

Les critiques des Cahiers du Cinéma, enfants des “trente glorieuses“, secouent le 7ème art. Ils passent derrière la caméra et imposent l’idée, en écrivant eux-mêmes, que le réalisateur est le seul auteur.

François Truffaut dans les Cahiers du Cinéma « Ali Baba de Jacques Becker eut-il été raté que je l’eusse quand même défendu en vertu de la Politique des Auteurs que mes congénères en critique et moi-même pratiquons ».

La déferlante « Un film de… » séduit festivals et journalistes qui enterrent dès lors le “scénariste non réalisateur“ dans les dossiers de presse et les interviews, et l’oublient dans les projections « en présence de l’équipe du film », qui se font trop souvent sans lui…

Pourtant le scénario est essentiel, c’est lui qui permet d’obtenir les subventions du CNC et l’argent des diffuseurs et des plateformes mondiales à la Netflix, la 2ème nouvelle vague (déferlante ?). Et de plus, le scénario dialogué est primordial pour convaincre les acteurs célèbres, sans qui rien ne se fait.

Aujourd’hui encore, certains journalistes et critiques éminents restent myopes et convaincus que le réalisateur de cinéma, même s’il n’écrit pas un mot, est le seul auteur du film ! Ils devraient aller en thérapie pour sortir du 20ème siècle et respecter les scénaristes, tout en levant un œil sur de belles fictions de télévision réalisées sans “cinéastes“ par de talentueux réalisateurs ignorés, et absents comme les scénaristes, des interviews sur tapis rouge…

(à suivre le 4 mars l’épisode 2 : Y-a-t-il encore un réalisateur dans l’avions ?)

 

DOMINIQUE BARON*

 

 

 

 

 

 

 

Diplômé de sociologie et de marketing, DB a démarré loin de tout ça comme caméraman sur le Pen-Duick 6 de Tabarly. Après quelques films sportifs, il se met à écrire puis s’engage par passion des acteurs dans une décennie de 1er Assistant terminée auprès de Jacques Doillon. Le destin le nomme conseiller de programmes sur FTV, puis producteur artistique chez Hamster Productions, avant d’accéder enfin à la réalisation. Une trentaine de téléfilms et séries suivront, les derniers 90’ étant “Tempêtes » (un équipage de sauvetage en mer avec Philippe Torreton), et “Colombine“ (une religieuse africaine, un peu Calamity Jane avec Corinne Masiero)…

Il enseigne aussi l’écriture et la réalisation à l’ISIS de Ouagadougou et aide des écoles du Burkina dans une association.

SON DERNIER FILM, « SEULES LES BÊTES » SUR CANAL+

Lundi 22 février Canal+ a diffusé le film « Seules les bêtes », sorti en salle le 4 décembre 2019.

https://fr.wikipedia.org/wiki/Seules_les_bêtes_(film)

Ce thriller franco-allemand a été réalisé par Dominik Moll dont c’est le 6ème long métrage. Ce dernier a d’ailleurs la double nationalité. C’est son 6ème long métrage. Il alterne longs métrages pour le cinéma et séries. https://fr.wikipedia.org/wiki/Dominik_Moll

Cinéfinances.info* a fourni les données financières de cet article.

Le film est une coproduction entre la France (80%) et l’Allemagne(20%). Le producteur français est Carole Scotta (Haut et court) qui est également distributeur. En Allemagne c’est Roman Paul et Geirhard Meixner (Rasor Films).

Pour la préparation, 40 jours de tournage et la post-production la rémunération de Dominik Moll est 100 000 €, répartie à part égale entre à valoir sur droits d’auteur et salaire de technicien. C’est légèrement plus que la rémunération médiane des réalisateurs de films français sortis en 2020. https://siritz.com/financine/le-barometre-des-realisateurs-fin-octobre/

Le scénario a été coécrit par Frédérik Moll et Gilles Marchand. Il est tiré d’un roman de Colin Niel et ils se sont partagés 200 000 €.

Le film a rassemblé que 110 000 spectateurs en France.

Le précédent long métrage de Frérérik Moll est « Des nouvelles de la planète mars », sorti le 9 février 2016. Il était produit et distribué par Miche Saint-Jean (Diaphana). Son budget était de 5,8 millions €.

Pour la préparation, 36 jours de tournage et la post-production, la rémunération du réalisateur a été de 150 000 €, répartie en part égale entre à valoir sur droits d’auteur et salaire de technicien. Il a coécrit le scénario avec Gilles Marchand et ils se sont partagés 200 000 €.

Le film n’a rassemblé que 58 000 spectateurs

Entre ses deux derniers films, il a réalisé la série chorale franco-allemande  sur l’accueil des émigrants « Eden » de  6 x 52’, diffusée par Arte. Le producteur français était Atlantique Productions.

Et avant, il avait réalisé certains des 35 épisodes de 45 minutes de la série franco-britannique « Le Tunnel « , adaptée du roman « Bron » de Hans Rosenfeld et diffusée en France par Canal+. En France elle était produite par Canal+ et Shine France Films.

*www.Cinefinances.info est un site, accessible par abonnement, destiné aux professionnels du cinéma.  Il publie le budget, le plan de financement et la répartition des recettes de tous les films français qui sortent (hors les films « sauvages » qui ne déposent pas leurs contrats au registre public et ne demandent donc pas l’agrément qui leur permettrait d’accéder à l’aide du CNC). Il dispose d’un puissant moteur de recherche multicritères et de 10 ans d’archives.

 

POUR DES FILMS OU DES SÉRIES LA FICTION EST ÉVIDEMMENT UN ART COLLECTIF

L’éditorial intitulé « Le mythe du réalisateur auteur » a suscité de nombreuses réactions. Sans doute le titre est-il mal choisi  car il existe bien des réalisateurs auteurs. Mais pour traiter de cette question  faut la replacer replacer dans son contexte, notamment historique.

Ainsi le réalisateur Dominique Baron rappelle :

« Je fais partie de ceux qui, au Groupe 25 image (qui se renforce), ont toujours travaillé en harmonie avec les scénaristes et se battent pour notre travail collectif. Je m’inquiétais, peut-être à tort, de l’impact du titre dans un monde où le sujet de la suprématie du texte est apparu dans les années 1930, dans les bagarres entre l’auteur Marcel Achard et ses metteurs en scènes- Louis Jouvet, Charles Dullin et Georges Pitoëff- qui ont imposé une vision moderne plus collaborative, plus audacieuse, plus “auteur associé“, osant défier ce qu’ils appelaient le « textocentrisme » de Marcel, défenseur acharné de la moindre virgule.

Bientôt un siècle que dure ce débat, réveillé plus tard par Jean Vilar, puis par la Nouvelle Vague toute puissante. À la fois scénariste, réalisateur, ex-producteur et conseiller de programmes, j’ai bien producteur étudié le sujet et écrit un long article. Débat récemment revenu « En thérapie » avec le début, logique, d’invasion des réalisateurs cinéma dans certaines chaines de l’audiovisuel… ».

Ce rappel est évidemment essentiel. Il n’est pas question de nier l’importance de la réalisation. Personnellement, je me souviens effectivement des mises en scènes de Jean Vilar. Ainsi, celle de « La résistible ascension d’Arturo Ui », présentée au TNP, donnait au texte de Brecht une dimension qui m’a marqué pour la vie. De même, le scénario de « Citizen Kane », écrit par Herman Mankiewicz, est puissant. Mais c’est la réalisation d’Orson Welles qui lui a donné une dimension qui en fait l’un des plus grands films de l’histoire du cinéma. https://fr.wikipedia.org/wiki/Citizen_Kane

Welles a fait passer le scénario de Manckiewicz de la 2ème à la troisième dimension

Vilar comme Wells ont pu déployer leur talent et leur créativité parce qu’ils sont partis d’un bon texte qu’ils ont fait passer de deux dimensions à trois dimensions.

Néanmoins, dans son Carrefour, Emmanuel Daucé, qui dirige Tetra Média Studio, reconnait que le sujet évoqué par l’éditorial n’est pas purement théorique quand il affirme : « L’idée du réalisateur roi ne m’allait pas». https://siritz.com/le-carrefour/emmanuel-dauce-producteur-de-series/ En fait, pour les séries, le scénariste showrunner est forcément le roi. Mais, pour des films, le débat existe.

Autre remarque, sur cet article, celle de Max Azoulay, le fondateur de l’ESRA, la principale école privée de cinéma et d’audiovisuel, qui est par ailleurs l’un des sponsors de ce blog. Il rappelle que « l’ESRA à inclus depuis des années l’enseignement du scénario, et que le DHEC a introduit voilà 8 ans un département  SCÉNARIO (bac+3 à Bac +5) ».

Il existe évidemment aujourd’hui d’autres écoles qui enseignent le scénario.

Mais le fait que la FEMIS, l’école publique qui a succédé à l’IDHEC, ait introduit en deuxième année un cursus Scénario, à côté de celui de la réalisation et de la production, marque un tournant idéologique important. Clairement, il  a fallu que nos chaînes de télévision développent fortement les séries longues, et qui ne soient pas que policières, mais abordent les sujets de société et politiques,  pour qu’il commence à y avoir un brassage entre cinéma et fiction tv, mais aussi entre scénaristes et réalisateurs.

D’une manière générale, qu’elle soit pour des séries ou des films, la fiction est un art collectif.

ANTOINE DU BARY RÉALISE « MES JOURS DE GLOIRE »

Canal+ a diffusé lundi 21 février le film « Mes jours de gloire » qui était sortie en salle le 26 février 2020.

https://fr.wikipedia.org/wiki/Mes_jours_de_gloire

Cinéfinances.info* a fourni les données financières de cet article.

C’est le premier long métrage réalisé par Antoine du Bary qui était jusque-là assistant réalisateur et avait réalisé un court-métrage « L’enfance du chef » qui avait reçu le Prix Canal+ lors de la Semaine de la critique en 2016. Il a été produit par Jean Duhamel (Iconoclast films) pour un budget initial de 2,6 millions € et distribué par Bac Films.

Pour la préparation, 31 jours de tournage et la post-production, la rémunération du réalisateur est de 60 000 €, répartie à part égale entre à valoir sur droits d’auteur et salaire de réalisateur. C’est sensiblement moins que la rémunération médiane des réalisateurs de films français sortis en 2020. https://siritz.com/financine/le-barometre-des-realisateurs-fin-octobre/

Le scénario a été coécrit avec Elias Belkedar et ils se sont partagés 60 000 €.

Sorti sur 23 copies le film a rassemblé 45 000 spectateurs en 3 semaines

Il a bénéficié de l’avance sur recettes à hauteur de 550 000 €. Canal+ l’a préacheté 678 000  €  et Multithématiques 100 000 €. Bac Films, pour les mandats salle, vidéo, vod, S-vod et international a accordé un minimum garanti de 200 000 €. Le producteur a mis son salaire et ses frais généraux en participation. Il a investi 800 000 €, mais n’inclut pas le crédit d’impôt dans son plan de financement.

A noter que sont comédien principal  est Vincent Lacoste le comédien principal des films de Thomas Lilti. https://siritz.com/cinescoop/entre-medecine-cinema-et-series/

*www.Cinefinances.info est un site, accessible par abonnement, destiné aux professionnels du cinéma.  Il publie le budget, le plan de financement et la répartition des recettes de tous les films français qui sortent (hors les films « sauvages » qui ne déposent pas leurs contrats au registre public et ne demandent donc pas l’agrément qui leur permettrait d’accéder à l’aide du CNC). Il dispose d’un puissant moteur de recherche multicritères et de 10 ans d’archives.

Siritz.com : Actuellement Canal+ diffuse la série « Paris police 1900 » qui est une série de grande qualité qui marche très bien. Qui en a eu l’idée ?

Emmanuel Daucé : C’est Canal+. Ils voulaient faire une nouvelle série policière : « Braquo » s’était arrêté et « Engrenages » allait s’arrêter. Arielle Saracco, Fabrice de la Patellière, Vera Peltekian et Pierre Saint-André avaient envie de faire une série autour de la police scientifique en 1900. https://fr.wikipedia.org/wiki/Emmanuel_Daucé

Siritz.com : Qu’est-ce qui leur avait donné cette envie ?

ED : Une exposition photo sur le début de la police scientifique autour de Bertillon. Les photos de scènes de crime étaient à fois horribles et très esthétiques. Donc à la base c’était plus une intention visuelle qu’un véritable concept.

Siritz.com : Ils vous ont demandé à vous directement ?

ED : Non. Ils avaient interrogé plusieurs producteurs avant moi. Mais ils n’avaient pas trouvé la bonne clef. Moi, mon reflexe c’est de penser avant tout à un auteur, j’ai pensé à Fabien Nury avec lequel je n’avais jamais travaillé mais dont je connaissais bien l’univers. Et Canal+ était ravi de le retrouver puisqu’il avait fait la saison 1 de « Guyane » avec eux.

Canal+ voulait une série policière qui se passe en 1900

Siritz.com : C’est avant tout un grand scénariste de bandes dessinées. Mais il avait donc aussi écrit et même réalisé, une série télévisée.

ED : Oui. Fabien c’est d’abord un scénariste très expérimenté mais aussi un auteur avec un univers très personnel. Et, du coup, cette série qui était à la base une commande est devenue une série d’auteur. J’ai rencontré Fabien quand on était étudiant et je savais qu’il était fan de polars. Puis je l’avais recroisé quelques années plus tard à Tetra Media quand il travaillait à l’adaptation pour le cinéma de la série « Les brigades du tigre ». Il avait déjà à cette époque le projet de faire en série « Il était une fois en France » alors que ça n’était pas encore paru en bande-dessinée. Cela devait être en 2005.

Siritz.com : Quand vous acceptez de faire la série vous savez que cela va être forcément une série chère. Est-ce que vous pensez tout de suite à comment vous allez la financer, parce que la chaîne Canal+ ne va sans doute pas tout financer ?

Moins cher de régler les problèmes budgétaires au niveau du scénario

ED : Vous savez, j’ai produit « Un village français » et, au tout début, en 2005 je savais qu’elle coûterait forcément plus cher que les séries habituelles de France télévisions. Ce qu’il faut faire c’est travailler avec un auteur scénariste. C’est moins cher de régler les problèmes budgétaires au niveau du scénario que quand on en est à la réalisation.  Fabien Nury, dans sa carrière d’auteur de bandes dessinées était un scénariste aguerri. Et il avait écrit la série «Guyane» et réalisé un épisode. Il avait donc toutes les compétences pour être un showrunner.

Siritz.com : Et quand il a commencé qu’est-ce qu’il a mis en avant.

ED : Il a tout de suite centré son récit autour de la préfecture de police de Paris et du préfet de police Lépine. La préfecture est une ville dans la ville.  Faire de ce lieu un décor récurrent, c’est déjà une manière de résoudre une partie des problèmes financiers. Par ailleurs j’ai tout de suite proposé à Fabien Nury d’être producteur associé. C’est le meilleur moyen de traiter toutes les questions économiques et artistiques ensemble et non pas séparément. On les résout ensemble et progressivement.

Siritz.com : Quelles ont été les phases de l’écriture ?

ED : Fabien avait déjà une bonne connaissance de cette époque. Suite à l’adaptation des « Brigades du tigres » et à un projet de série pour Canal+, qui ne s’est pas fait pour des problèmes de budget, sur la bande à Bonnot. Puis avec l’aide d’une documentaliste, mais aussi tout seul, Fabien est reparti dans la doc durant près d’un an, c’est la base de son travail. Beaucoup de personnages et d’événements sont tirés de cette documentation, une documentation qui se fait aussi beaucoup à travers des images, photographies, peintures de l’époque. Partant des personnages Fabien écrit des notes, sortes de traduction de la documentation en matière fictionnelle, et partant de ces notes il écrit des synopsis. Comme il vient de la bande dessinée il réfléchit beaucoup en scène et a une pensée très visuelle. Donc, il écrit très tôt des scènes avec, dès les premières étapes, une grande attention apportée à leur dimension visuelle.

Siritz.com : Il a écrit avec une équipe de scénariste ?

Deux ans pour écrire la première saison

ED : Oui. Il a créé un atelier de scénaristes avec Alain Ayrole, un auteur de bandes dessinées, ainsi que Benjamin Adam et Thibault Valetoux qui sont diplômés de la FEMIS section séries. Ils ont discuté avec Fabien pendant des semaines pour nourrir les arches et les personnages. Mais les versions dialoguées ont été écrites par Fabien, sauf les épisodes 3 et 4 qu’il a coécrit avec eux. La manière d’écrire de Fabien est très particulière et on n’a pas trouvé quelqu’un qui pourrait écrire « à la manière de ». C’était déjà le cas pour « Un village français ». C’est une marche que nous n’avons pas réussi à franchir.

Siritz.com : Combien de temps a pris l’écriture de tout le scénario de la première saison ?

ED : Cela a été relativement rapide. Environ 2 ans.

Siritz.com : Et Canal intervenait à chaque étape pour donner son accord ?

ED : Ils nous faisaient globalement confiance. C’était plutôt un échange régulier avec eux.  Dès le début ils étaient très enthousiastes. Néanmoins ce qui les gênait c’est qu’on leur proposait une série historique et politique dans un cadre policier alors qu’ils voulaient vraiment une série policière. Vera Peltékian disait qu’il fallait dans cette série un « Dahlia noir ». Il a alors fallu ajouter l’affaire de la valise sanglante, inspirée, elle aussi, de faits réels. Cela permettait vraiment à Canal+ de dire qu’on était dans une série policière.

Siritz.com : C’est une série où la mise en image est très importante. Qui a choisi les techniciens artistiques ?

ED : Fabien Nury, mais aussi Fabien Despaux qui a réalisé les 4 premiers épisodes. Ils ont fait le casting ensemble avec Canal+ et Okinawa Guérard, la directrice de casting avec laquelle j’ai la chance de travailler depuis « Un village français ». Julien Despaux a amené le chef opérateur flamand, Brecht Goyvaerts, qui a un immense talent.  C’est Fabien qui a amené Pierre Quefféléan, qui est un chef décorateur du cinéma. Et la chef costumière Anaïs Romand, c’est une suggestion de Canal+.

Siritz.com : Et pour la musique qui est toujours très importante pour donner son identité à une série, comme à un film ?

ED : On avait plusieurs idées et on a fait quelque chose qui n’est pas très sympathique. On a fait un blind-test entre le projet de trois compositeurs. Et on a choisi Grégoire Hetzel. Mais on a rémunéré les deux autres.

Siritz.com : En fin de course la série coûtait combien.

Un budget de série française, pas un budget de série internationale

ED : Un peu au-dessus de 2 millions € l’épisode. Cela ne comprend pas les frais généraux. C’est le coût réel.

Siritz.com : C’est quasiment le double de ce que coûte une série habituelle française. Comment la financez-vous ?

ED : Il y a Canal+ la chaîne qui est fortement impliqué et Studio Canal a donné un minimum garanti pour le mandat de ventes internationales.

Siritz.com : Cette série a un incontestable potentiel à l’international. Mais est-ce que vous êtes couvert dès le départ ?

ED : On reste dans un budget de fiction française, mais pas de série internationale. Mais pour pouvoir trouver son équilibre économique Paris Police vise le marché international. C’est ce que je cherche à faire depuis « Un village français » et « Les hommes de l’ombre » : faire des séries longues d’auteur, qui portent un regard singulier sur le monde, avec l’ambition de créer une valeur de catalogue, que ce soit à travers le deuxième marché français ou les ventes à l’international.

Siritz.com : Mais, avant de créer de la valeur, il faut aussi faire de la marge ?

ED : Oui, mais il faut accepter de baisser les taux de marge dans un premier temps, pertes que l’on espère combler par les futures ventes. Puis, dès la deuxième saison on peut aussi limiter certaines dépenses si la production a été pensée sur le long cours, en amortissant par exemple le coût de certains décors. Un mini-série ne pourra jamais atteindre cet objectif. Cela suppose de choisir des séries dont les concepts sont susceptibles de durer. Il faut aussi s’entourer de talents et de techniciens qui sont prêts à s’engager sur plusieurs saisons.

Siritz.com : Donc vous réfléchissez avec l’auteur, dès le départ, aux saisons suivantes ?

ED : Bien entendu. C’est ce que l’on a fait tout de suite pour « Un village français ». C’est une manière de penser l’équilibre économico artistique de la série.

Siritz.com : Vous avez déjà commencé à écrire la deuxième saison de Paris Police ?

La saison 2 sera « Paris Police 1905 »

MD : Bien sûr.

Siritz.com : Sur la deuxième saison ce sont les mêmes scénaristes ?

ED : « Paris Police 1905 » sera écrite par Fabien Nury et Xavier Dorison, avec qui Fabien avait écrit « Les brigades du tigre ».

Siritz.com : A ce stade vous savez déjà qui seront les réalisateurs ?

ED : En principe la même équipe que la saison 1. On a constitué une famille artistique autour de la saison 1 alors que l’on ne se connaissait pas les uns les autres. Comme pour « Un village français ».

Siritz.com : Combien de temps a duré le tournage des 8 épisodes ?

ED : Plus d’une centaine de jours de tournage. Des journées de 9 heures. On était entre 14 et 15 jours par épisode, ce qui est énorme.

Siritz.com : L’audience sur Canal doit être élevée.

ED : Les retours des abonnés sont à un très haut niveau.

Siritz.com : Maintenant parlons de votre carrière. Vous avez fait l’ESSEC, puis la FEMIS. C’est une bifurcation étonnante.

J’ai découvert que producteur était un métier

ED : Quand j’étais à l’ESSEC je me suis très vite rendu compte qu’il était hors de question que je travaille dans le consulting, l’audit ou la finance qui étaient les débouchés naturels. J’étais attiré par les métiers culturels et je cherchais ma voie. En fait je me demandais comment je pourrais être utile ! Au départ, je voulais plutôt travailler dans l’édition. A l’école j’étais copain avec Jérôme Barthélémy qui était dans la promo au-dessus de moi et qui, alors qu’il était à l’ESSEC a présenté la FEMIS, dans la section production. J’ai alors découvert que producteur était un métier qui s’apprenait et pas seulement un truc d’héritier. https://fr.wikipedia.org/wiki/Emmanuel_Daucé

Siritz.com : Vous étiez cinéphile ?

ED : Venant de province je connaissais le cinéma par Arte et le vidéoclub de mon village. Mais vers la fin de l’ESSEC, quand j’ai préparé la FEMIS (j’avais quand même pas mal de temps !), je suis devenu un rat de cinémathèque. Et j’ai trouvé des stages à la régie sur des tournages pour voir de l’intérieur comment ça fonctionnait. Et dès que j’ai mis les pieds sur un plateau de cinéma cela m’a plu, j’avais juste peur de me faire éjecter.

L’idée du réalisateur roi ne m’allait pas

Siritz.Com : Comment vous êtes passé de diplômé de la FEMIS à responsable de la fiction de Tetra Media ? C’est un bâton de maréchal.

ED : Quand j’étais à la FEMIS je travaillais aux Films Pélléas. Comme stagiaire.  Mais je me suis rendu compte que le monde du cinéma et, notamment du cinéma d’auteur, n’étais pas mon monde. L’idée du réalisateur roi ne m’allait pas. Je voyais bien que leur rapport au texte était secondaire par rapport au rapport avec l’image. Or moi, j’avais un rapport au texte très fort et l’envie de marier succès public avec fiction politique. Et je voyais ça dans les séries HBO de l’époque comme « Les Sopranos ».

Siritz.com : Vous avez découvert ça pendant que vous étiez à la FEMIS ?

ED : Oui. Je me suis dit que je voulais être producteur de séries. J’ai fait mon mémoire de sortie de la FEMIS sur la production de séries en France dans lequel j’expliquais comment donner de la valeur aux séries. Marc Nicolas qui dirigeait l’école à l’époque m’avait dit que ce n’était pas un mémoire mais une déclaration d’intention. Il fallait faire des séries longues. Il fallait faire des séries d’auteur. Mais au lieu de les centrer sur un réalisateur, il fallait les centrer sur un scénariste. Au fond, depuis tout ce temps je radote. En tout cas c’est toujours ma politique aujourd’hui. Mais on voit dans le compte facebook « Paroles de scénaristes » que cette idée a beaucoup de mal à faire son chemin.

Siritz.com : Et comment avez-vous fait ?

ED : j’ai pris les droits d’un roman « Peau de lapin » et avec un camarade de la FEMIS, Sébastien Mounier (devenu depuis un scénariste à succès de séries) nous avons écrit une adaptation en série, le pilote dialogué et les arches.

Siritz.com : Donc vous vouliez devenir scénariste.

Cela a beaucoup surpris Philippe Martin que je choisisse les séries plutôt que le cinéma

ED : Non. Mais c’était comme être stagiaire régie sur des productions. C’était le meilleur moyen pour comprendre ce que c’était qu’écrire un scénario de série. On l’a présenté à la Fondation Hachette. Et on a gagné le prix du meilleur scénariste. A cette époque j’ai rencontré Jean-François Boyer qui dirigeait Telfrance. Je lui ai dit que j’aimerais le rejoindre. Cela a beaucoup surpris Philippe Martin, le producteur des Films Pélléas, qui produisait (et produit encore) d’excellents films d’auteurs – dont ceux de Pierre Salvadori par exemple.

Siritz.com : Et Jean-François vous a engagé.

ED : Oui. Et j’ai bien fait de le suivre. A cette époque, toutes les séries françaises étaient faites pour un public de plus de 40 ans. J’avais 27 ans et elles n’étaient pas faites pour moi. J’ai commencé à travailler sur le feuilleton « Plus belle la vie ». Il y avait eu un appel d’offres. J’avais travaillé sur les premiers textes de réponse à l’appel d’offre, avant d’être éjecté du projet une fois qu’il a été mis en production. L’audience s’est effondrée. Olivier Sulzynger a été engagé pour rebâtir « Plus belle la vie » et il m’a repris. Et là je me suis rendu compte que, même pour la fiction la plus industrielle qui soit, c’est parce qu’un auteur s’était emparé du feuilleton que les audiences avaient décollé. Le travail de production à Marseille était très impressionnant, mais jusqu’à l’arrivée de cet auteur cela ne marchait pas. Et c’est pendant un des ateliers d’écriture de « Plus Belle La Vie » que j’ai commencé à penser à un « Un village français ».

Siritz.com : Et comment ce projet est devenu une réalité ?

J’ai parlé à Jean-François Boyer de mon projet  de « Un village français »

Jean-François Boyer est un entrepreneur

ED : Jean-François Boyer a quitté Telfrance pour reprendre Tetra Media. On a déjeuné ensemble parce qu’il cherchait à constituer son équipe de fiction. Je lui ai parlé de mon projet. Et je lui ai suggéré d’en confier l’écriture Frédéric Krivine que je ne connaissais pas personnellement, mais j’avais eu la chance de lire les scénarios d’une mini-série (Nom de code DP) que j’avais trouvé remarquables. Et il fallait lui proposer d’être producteur associé. Une sorte de showrunner en fait. La série pouvait s’étendre sur plusieurs saisons et s’exporter. C’était en décembre 2004 et en janvier 2005 j’arrivais à Tetra Media comme producteur. Il n’y avait que 4 personnes.

Siritz.com : Jean François vous a confié une grosse responsabilité.

ED : Dans les grosses sociétés comme Telfrance il y a beaucoup de monde. Les jeunes producteurs travaillent sous la coupe de producteurs établis. Jean François est un entrepreneur. Il démarrait. On était 4. Il m’a donné les clefs du camion. Je n’avais pas un salaire très élevé, mais cela ne me posait pas de problème parce que je n’avais pas d’enfants : je voulais d’abord produire des séries ! Aujourd’hui je travaille avec de jeunes producteurs (Antoine Szymalka, Alexandre Boyer et Léa Gabrié qui va nous rejoindre bientôt) et, en aucun cas je leur dis qu’ils sont à mon service. Ils doivent mener à bien leurs projets.

Siritz.com : La première série diffusée a été « La commune », écrite par Abdel Raouf Dafri. C’est une excellente série qui se passe dans un quartier où s’affrontent deux clans de maghrébins, les religieux et les gangsters, dirigés par deux anciens amis d’enfance. Vous êtes le premier à avoir fait confiance à ce scénariste mais ce projet n’a été accepté par Canal+ que quand Jacques Audiard a décidé de tourner pour le cinéma son scénario « Un Prophète ». Cela prouve à quel point à cette époque le scénariste, même pour les séries, n’était pas reconnu. Abdel a expliqué pourquoi sa série s’est retrouvée à l’antenne si vite. https://siritz.com/le-carrefour/ard-prophete-du-scenario/. Après il y a eu « Un village français ».

En 2005 les chaînes ont pris conscience de leur retard dans le 52’

ED : En 2005 les chaînes ont commencé à prendre conscience de leur retard dans les séries de 52’. Il y avait eu « PJ », « Avocats et Associés », et leurs petites sœurs, les séries policières du vendredi sur France 2, « Clara Sheller » sur la case du mercredi et « Police district » sur M6. France 3 avait lancé un appel d’offre sur des 52’, qu’ils voulaient « identitaires de France 3 ». Je me disais qu’il ne fallait pas proposer de série policière et que ce ne soit pas parisien. Et l’Occupation était un genre qui marchait toujours en France. « La grande vadrouille » est un des plus grands succès de l’histoire du cinéma français. Et c’était un genre spécifiquement français qui pouvait favoriser l’exportation.

L’Occupation c’est un genre qui marche toujours en France

Siritz.com : Quelle a été la réaction de France 3 ?

ED : Anne Holmès a été la première à lire le projet et elle était enthousiaste. Et je me disais que France 3 pourrait élargir son public au-delà de son public âgé, parce que, comme dans les séries de HBO, les personnages ne seraient pas manichéens.

Siritz.com : Mais c’était une série chère.

ED : Non. Pas beaucoup plus chère que leurs fictions unitaires. Le décor, la campagne française n’a pas changée entre 40 et aujourd’hui. La première saison on a fait zéro marge. C’était vraiment un investissement, un pari sur l’avenir de Jean-François Boyer. On était des outsiders, personne ne nous attendait et il fallait penser différemment.

Siritz.com : A partir de « Un village français » vous êtes devenu un producteur reconnu et établi.

Il n’y en a pas beaucoup en France qui ont la capacité dêtre showrunner

ED : Oui. Maintenant il y a la holding Tetra media studio, qui a des filiales, dont Tetra Media fiction. Chaque filiale est dirigée par un producteur associé. La notion de coproduction est dans notre ADN. Depuis 3 ans maintenant, ITV est entré dans le capital de Tetra media Studio, ce qui nous permet de nous appuyer sur le réseau des producteurs d’ITV (dont ITV Studio America qui produit la série « Snowpiercer » pour Netflix aux Etats Unis ou Cattleya en Italie, le producteur de « Gomorra ») pour des coproductions internationales.

Siritz.com : Aujourd’hui les chaînes cherchent toutes à commander des séries. Mais une série doit avoir un showrunner qui écrit et réalise. Il y en a beaucoup en France qui ont cette capacité ?

ED : Non. C’est un des problèmes que l’on rencontre aujourd’hui pour faire plus de séries de meilleure qualité. Cette fonction demande beaucoup d’’expérience et de compétence, il ne peut pas y avoir une génération spontanée de showrunner. Aujourd’hui, beaucoup de scénaristes français, dont plusieurs anciens du département Séries de la Fémis que j’ai eu la chance d’accompagner durant plusieurs années avec Franck Philippon, sont en train d’apprendre ce métier…

Siritz.com :  Vous avez déjà fait une série pour Netflix.

ED : Oui, « Vampires ». C’est une série qui a été produite par Antoine Szymalka. Elle a malheureusement été diffusée dans un grand anonymat. C’était la première semaine du confinement en mars et toute la communication de Netflix est tombée à l’eau. Il n’y aura pas des saison 2. On est en discussion avec eux sur d’autres projets.

Siritz.com : Travailler avec Netflix c’est différent par rapport aux chaînes françaises.

Lorsqu’il commence à douter de l’auteur, le premier responsable c’est le producteur

ED : Les différences tiennent avant tout aux personnes. Chez Netflix en un an elles dont déjà changé. Au début il fallait produire très très vite. Maintenant ils prennent plus leur temps. Quand un projet correspond à la ligne éditoriale d’une chaîne, en général ça se passe bien. Quand elle intervient beaucoup c’est que le projet a été choisi pour de mauvaises raisons, quand on découvre que la vision que nous avons du projet n’est en fait pas partagée. Même chose quand un producteur intervient trop sur un texte. Lorsqu’il commence à douter de l’auteur, le premier responsable c’est le producteur. Cela veut dire qu’il s’est trompé en décidant de travailler avec cet auteur sur ce projet. Une difficulté de beaucoup de séries, c’est qu’elles reposent sur un empilement de talents et de visions et non pas sur la vision d’un scénariste-auteur accompagné par le producteur et le diffuseur.

Siritz.com : C’est aussi le problème sur le  cinéma. Les chaînes qui sont un financier déterminant, consciemment ou inconsciemment, visent le Une des magazines de télé ou de grands articles. Il faut des stars. Le scénario passe après.

 

 

THOMAS LILTI SCÉNARISTE ET RÉALISATEUR À SUCCÈS

Canal+ a diffusé dimanche 21 « Première année » sorti en salle le 12 septembre 2018. https://fr.wikipedia.org/wiki/Première_Année

 

C’est une comédie dramatique écrite et réalisée par Thomas Lilti dont c’est le 4ème film . https://fr.wikipedia.org/wiki/Thomas_Lilti

Thomas Lilti a fait des études de médecine pendant lesquelles il a réalisé trois courts métrages. Il a ensuite écrit des scénarios pour le cinéma et des séries (comme «Cœur océan » diffusée par France 2).

Cinéfinances.info* a fourni les données financières de cet article.

« Première année » a été produit par Emmanuel Barraux (Les films du Parc et 31 juin Films) pour un budget initial de 6,15 millions €. C’est Le Pacte qui l’a distribué.

Pour la préparation 39 jours de tournage et la post-production la rémunération du réalisateur a été de 125 000 €, répartie à part égale entre à valoir sur droits d’auteur et salaire de technicien. C’est la rémunération moyenne des réalisateurs de films français sortis en 2020.https://siritz.com/financine/le-barometre-des-realisateurs-fin-octobre/.

Mais il a reçu en plus 225 000 € pour le sujet et le scénario.

Le film a rassemblé plus d’un million de spectateurs.

Son précédent film était « Médecin de campagne », sorti en salle le 23 mars 2016. Il avait le même producteur et le même distributeur. Son budget initial était de 5,3 millions €.

Pour la préparation, 43 jours de tournage et la post-production sa rémunération était de 120 000 €, répartie à part égale entre à valoir sur droits d’auteur et salaire de technicien. Il avait coécrit le scénario avec Baya Kasmi et ils s’étaient partagés 100 000 €.

Ce film avait rassemblé 1 5120 000 spectateurs.

le comédien Vincent Lacoste est l’interprèterez principal de ses films.

Son film « Hippocrate », sorti en salle en 2014 avait rassemblé 914 000 spectateurs. Il en a créé une série du même nom, qu’il a réalisée et dont il a co-écrit le scénario avec trois autres scénaristes. Elle était produite par Emmanuel Barraux et diffusée par Canal+

Le film

La série

*www.Cinefinances.info est un site, accessible par abonnement,  destiné aux professionnels du cinéma.  Il publie le budget, le plan de financement et la répartition des recettes de tous les films français qui sortent (hors les films « sauvages » qui ne déposent pas leurs contrats au registre public et ne demandent donc pas l’agrément qui leur permettrait d’accéder à l’aide du CNC). Il dispose d’un puissant moteur de recherche multicritères et de 10 ans d’archives.

 

 

 

 

LES SÉRIES,  Y ONT ÉCHAPPÉ COMME LE THÉÂTRE ET L’OPÉRA

Ainsi que  l’ont brillamment démontré dans Siritz.com aussi bien Abdel Rafrou Dafri (https://siritz.com/le-carrefour/ard-prophete-du-scenario/ ) qu’un scénariste anonyme (https://siritz.com/le-carrefour/un-scenariste-met-les-pieds-dans-le-plat/), le cinéma français est victime du mythe de l’auteur-réalisateur. Un mythe sur lequel est fondé tout notre système de soutien..

Car, un film de fiction, comme une série, c’est d’abord une bonne histoire. Le réalisateur l’enrichit à l’occasion de sa mise en image, ce qui suppose qu’il sache choisir ses collaborateurs techniques de création : notamment le directeur de la photo (https://siritz.com/le-carrefour/remy-chevrin-notre-cinema-manque-dambition-visuelle/ le chef décorateur (https://siritz.com/le-carrefour/alice-bonetto-decoratrice-de-film/), le créateur des costumes

(https://siritz.com/le-carrefour/lapparence-revele-beaucoup-sur-les-personnages/ ). Il l’est aussi par son casting et sa direction d’acteurs. Il l’est enfin par son montage. Et la bande musicale est souvent aussi importante que la mise en image.

Mais, sans bon scénario il n’y a pas de bon film. Or, en France, les réalisateurs qui sont aussi de bons scénaristes se comptent sur les doigts d’une main. Ce mythe du réalisateur-auteur, inventé par la Nouvelle vague, ne se retrouve d’ailleurs que dans le cinéma. Personne n’oserait affirmer qu’un bon opéra commence par un bon metteur en scène et que le compositeur-Mozart, Wagner ou Verdi-est secondaire. Bien entendu, certaines mises en scène enrichissent considérablement des opéras. https://www.opera-online.com/fr/columns/manu34000/jean-liermier-met-en-scene-un-cosi-fan-tutte-ingenieux-mais-amer-a-lopera-de-lausanne . Il en est de même en ce qui concerne les pièces de théâtre. Mais, dans le cinéma, les réalisateurs sont, par nature, des Léonard de Vinci dotés de tous les talents.

Il est significatif que le scénario de «Un prophète», écrit par Abdel Raouf Dafri, et qui est un chef d’œuvre, n’a attiré l’attention de la profession sur le talent de celui-ci qu’à partir du moment où un grand réalisateur, Jacques Audiard, a décidé de le tourner. Ce n’est qu’alors que son projet de série, qu’il avait écrit avant, a soudain été pris en considération par un diffuseur.

Les producteurs de cinéma, et il y en a évidemment de talents, sont incités par tout notre système de soutien â produire beaucoup de films, mais pas forcément des films pour être vus. D’où 200 à 250 films par an, mais seulement de 35 à 40% de part de marché national et 10% de chiffre d’affaires à l’exportation. Et, pour parvenir à produire plus de 200 films par an, le mythe du réalisateur-auteur est commode parce que ce serait beaucoup plus difficile s’il fallait 200 bons scénarios.

Le pire c’est que ce mythe est un véritable boulet pour les réalisateurs. Un réalisateur de talent enrichit considérablement un scénario et deux réalisateurs de talents peuvent faire des films très différents à partir du même scénario. Mais, en France, on demande au réalisateur de courir à la fois le sprint et le marathon. Il a peu de chance d’être bon dans les deux disciplines.

Pour la série, l’approche est heureusement différente et le ou les scénaristes sont à l’origine de tout. Certes, notre système de soutien des séries est beaucoup moins généreux que pour le cinéma et ne permet que de financer des budgets de 800 000 à un million d’euros l’heure. Mais les diffuseurs ont besoin de programmes qui plaisent au public pour générer de la publicité ou des abonnements. Et, de plus en plus souvent, pour sortir de ce carcan et financer des budgets de 2 millions € l’heure, ils doivent viser l’exportation.

Mais la situation évolue. Jusqu’à présent les jeunes qui voulaient faire du cinéma voulaient surtout être réalisateurs. C’était le graal. Aujourd’hui ils découvrent des séries de grande qualité, américaines mais aussi françaises. Et un nombre croissant d’entre eux comprend qu’être scénariste est peut-être plus épanouissant. Et la FEMIS, à la différence de l’IDHEC, assure la formation de scénaristes et de producteurs, pas uniquement de réalisateurs.