Siritz.com : Est-ce qu’en Europe il y a des pays où les salles n’ont pas fermé depuis un an ?
Eric Marti : Il y a des pays où les salles n’ont pas fermé. En Scandinavie, en Suède ou en Russie où elles ont fermé très peu de temps. En Russie elles n’ont fermé que quelques semaines au printemps dernier. Ensuite, il y a des situations très différentes entre la première et la deuxième vague. Aujourd’hui aux Pays-Bas, en Allemagne et en Autriche les salles sont fermées. Mais au Luxembourg elles ont fermé fin octobre et ré-ouvert depuis la mi-janvier alors qu’elles restent fermées en Belgique et en France. A partir du printemps dernier, l’Espagne à ré-ouvert dans certaines régions. Alors que le Portugal vient de refermer.
Siritz.com : Et le Royaume-Uni ?
EM : Ils sont complétement fermés depuis Noël et le sont restés. Ils annoncent leur réouverture pour le 17 mai.
Siritz.Com : Mais les majors américaines ont repoussé la date de sortie de la plupart de leurs films parce qu’ils font des sorties mondiales. Dans les pays qui sont restés ouverts, sans les films américains, quelle a été la fréquentation ?
Les succès sont venus des films locaux
EM : La fréquentation dépend de la capacité de la production locale à attirer le public. Il y a eu tout de même quelques blockbusters comme « Dr Dolittle » de Universal en Russie. Et puis il y a eu « Tenet » de Warner , notamment en France, « Scooby ! » chez Warner et « Les Trolls 2 : Tournée Mondiale» chez Universal ou encore « Wonder Woman 84 », également de Warner, dans certains territoires en début d’année. Mais les succès sont venus des films locaux.
Siritz.com : Par exemple.

68% de part de marché
EM : Et bien, quand l’Espagne a ré-ouvert, est sorti « Padre No Hay Mas Que Uno – 2 », la suite d’un film qui avait eu beaucoup de succès l’année d’avant, et que les producteurs ont décidé de sortir l’été, malgré la réticence du distributeur, Sony. Il a eu un succès exceptionnel, réalisant 68% de part de marché la semaine de son démarrage. Les Pays-Bas ont ré-ouvert en même temps que la France, l’été dernier, mais ont beaucoup mieux marché que nous parce qu’ils ont eu trois films locaux qui ont immédiatement été de gros succès. Deux comédies et « Bigfoot Family », film d’animation Belgo-français, qui est sorti trois semaines avant la France et qui a très bien marché. Et en France on a eu « Les Blagues de Toto », « 30 Jours Max », « Tout Simplement Noir » et « Antoinette dans les Cévennes » qui ont relancé la fréquentation, même si on n’a pas retrouvé les niveaux d’avant.
Siritz.com : Mais il y a peu de succès locaux.
EM : Quand il n’y a pas ces succès on est à moins 88/90% ! A noter qu’en Russie ils sont à moins 33% sur les premières semaines de l’année 2021 parce qu’ils ont eu deux très beaux succès locaux en février : un film d’action et une comédie.
Siritz.com : Et en Chine. Ils ont fermé ?
EM : Ce qui est caractéristique en Chine, c’est le nouvel an chinois qui dure 10 jours début février, avec une gigantesque circulation de population puisque les familles se réunissent. En 2019, le pays a connu un record avec un box-office de 892 millions $ pendant ces fêtes En 2020, les cinémas étaient fermés, donc zéro. En 2021, les salles étaient ouvertes et le box-office de janvier a été seulement 1% inférieur à celui de 2019. Les professionnels se sont dit : on devrait pouvoir faire 75% à 90% de la période du nouvel an de 2019. Or le marché a fait un bond de +30%, pour atteindre 1,2 milliards $.
Siritz.com : Il y avait des limitations de jauge ?
EM : A 75% sur tout le pays et à 50% sur certaines provinces du nord, dont Pékin, du fait d’une résurgence de Covid. Mais il y avait une très forte limitation sur les voyages et les familles ne pouvaient se retrouver. Les gens ont dû rester chez eux et le premier loisir était le cinéma. En outre il y a eu une augmentation moyenne du prix du ticket de 12%.
Siritz.com : Et des pays comme la Corée, l’Australie et la Nouvelle-Zélande qui ont très bien contenu la Covid ?
EM : La Corée a eu un confinement et des fermetures sur des périodes très courtes. Quelques semaines. Puis cette année, une semaine. Et l’Australie et la Nouvelle-Zélande n’ont fermé que quelques jours. Mais il y a une différence très forte entre les trois pays, c’est la dépendance au film américain. Sans film américain, les marchés d’Australie et de Nouvelle Zélande s’effondrent. La Corée programme des films coréens, japonais et chinois. C’est comme la France en Europe : ils sont très ouverts. Donc, sans films américains, ils s’en sont plutôt bien sortis. Mais, depuis le début de l’année, ils sont à moins 85% par rapport à l’année dernière alors que l’Australie et la Nouvelle-Zélande sont à – 55 et -50%.
Siritz.com : Comment ça s’explique ?
EM : « Wonder Woman 1984 », « The Croods : A new Age » et un film australien « The Dry », ont dynamisé le box-office en Australie comme en Nouvelle-Zélande, qui en outre n’ont pratiquement pas fermé, alors que la Corée a fermé une semaine et a imposé des limitations de jauge très strictes.
Siritz.com : L’Inde est, en quantité, le principal pays producteur. Comment ça s’est passé chez eux.
EM : Ils ont tout fermé. Et, début janvier ils ont tout ré-ouvert avec une jauge à 50%. Dans certaines villes la jauge a été levée immédiatement. Aujourd’hui la limitation de jauge est une exception.
En France ce sont les multiplexes de 10 écrans et plus qui ont le plus soufferts
Siritz.com : A partir de ces chiffres qu’est-ce qu’on peut dire sur la dépendance au film américain. Parce que, sauf exceptions, les studios ont décidé de retarder la sortie de leurs films, voire de les diffuser directement sur leurs plateformes de S-Vod. En France, en période normale de film américain c’est 50 à 55% de la fréquentation, le film français de 35 à 40%. Quelle a été la situation en Europe ?
EM : Il y a un pays où la production nationale a une part de marché de 55%, c’est la Turquie. Ils ré-ouvrent leurs salles le 1er avril. En France, le marché normal est à 200 millions d’entrées ou plus. Si les studios américains mettent une partie de leurs films directement sur leurs plateformes, on risque de tomber à 150/170 millions d’entrées. Quand les salles ont ré-ouvert en France on a vu que ce sont surtout les gros établissements, les multiplexes de 10 écrans et plus, qui ont le plus souffert.
Siritz.com : Parce qu’ils sont tirés par les blockbusters américains.
EM : Mais même la semaine de « Tenet », ils étaient en léger retrait. https://siritz.com/editorial/les-salles-de-cinema-en-grand-peril/
Siritz.com : Parce qu’il n’y avait pas la continuation d’autres blockbusters.
EM : Donc, première conséquence d’une diminution de films américains, le marché baisse un peu. Les professionnels allemands ont observé la même chose. Les exploitants qui faisaient de l’art et essai populaire en centre-ville ont bien marché.
Siritz.com : Mais la baisse des multiplexes de périphérie avait déjà commencé. Le cinéma est de plus en plus un loisir de proximité.
« Detective China town 3 » plus gros démarrage sur un seul pays, battant « Avengers-Endgame »
EM : En Europe oui. Moins dans les pays du Golfe et en Amérique Latine. En Europe cela risque de s’accélérer s’il y a moins de films américains. Mais le changement le plus marquant s’est produit en Chine : « Detective Chinatown 3 » a réalisé le plus gros démarrage pour un premier jour et un premier week-end sur un seul pays, battant le record de « Avengers – Endgame » aux États-Unis. Cela devrait amener les studios américains à réfléchir. D’abord parce que le premier marché mondial c’est la Chine. Et les producteurs chinois ont appris à faire des films qui marchent aussi bien, et même mieux que les films américains. https://www.ecranlarge.com/films/news/1366888-detective-chinatown-3-plus-fort-quavengers-endgame-au-box-office

Record historique d’un démarrage dans un territoire
Siritz.com : Quel était la part de marché des américains ?
EM : Elle était de 50%. Aujourd’hui les observateurs estiment que le maximum sur lequel ils pourront compter c’est 40%. Cela veut dire que, dans la négociation des trois fondamentaux que sont la date de sortie, la combinaison et le taux de location, le rapport de force ne va plus être le même. Si les studios américains perdent des parts de marché ils ne seront plus dans la même position vis-à-vis des exploitants et de leurs concurrents distributeurs.
Siritz.com : Quelle est votre analyse de ce que sera la politique des grands studios si et quand les salles seront revenues à une ouverture normale, disons l’année 2022 ?
EM : Mon impression c’est qu’il y a un choix qui a été fait par trois des principaux studios, Disney, Warner et Universal. Les trois ont changé de patron et ont décidé de mettre l’accent sur les plateformes. Universal appartient à Comcast. Bob Chapek, chez Disney, veut être le champion de l’ère digitale et mise sur Disney+. Warner appartient à ATT et l’objectif est de relancer HBO Max. https://siritz.com/editorial/s-vod-quelle-riposte-des-exploitants/ Le patron de Sony les a mis en garde : on ne sait pas rentabiliser un film de 200 millions € sur une plateforme. La MGM et Broccoli ont cherché par tous les moyens à vendre à 600 millions $ le nouveau James Bond. Ils n’ont pas trouvé d’acheteurs.
Siritz.com : Donc il y aura moins de films américains.
Les studios voudront privilégier leurs plateformes
EM : C’est probable, pendant quelques années les studios voudront privilégier leurs plateformes. Surtout si le day and date reste interdit dans certains pays comme la France.
Siritz.com : Mais sortir sur une plateforme en même temps que la salle c’est la mort des salles. C’est comme si on vendait le livre de poche en même temps que l’édition broché. Le chiffre d’affaire des éditeurs et des libraires s’effondrerait.
EM : Oui, mais sans l’édition brochée, il n’y a pas de livre de poche. De toute façon il faudrait savoir comment Disney sur « Soul » ou Warner sur « Wonder Woman 1984 » peuvent récupérer leur investissement avec les abonnés de leurs plateformes. Rapporté à un film, ce sont quelques centimes que l’on récupère sur chaque abonnement.
Siritz.com : Universal n’a pas choisi la S-VoD, mais la Vod Premium à 20 ou 30$. « Trolls : World Tour » aurait réalisé 100 millions $. Mais en France la P-VoD c’est tout à fait marginal.
EM : Les 100 millions $ ont été annoncés par l’actionnaire Comcast, sans mesure indépendante. Cela reste donc un résultat à valider. En outre, cela n’a concerné que l’exploitation aux États-Unis. En France, le film est sorti en salles, avec succès d’ailleurs.
Siritz.com : Mais Netflix va diffuser 71 films en 2021, dont certains à 150 millions € de budget.
Dans certains marchés les studios auront du mal à récupérer leur part de marché
EM : Certes, mais il faudra bien qu’à un moment ils s’assurent que cette politique dégage une réelle rentabilité. Et, entre temps, les industries locales fortes, comme la Chine, seront capables de rivaliser avec Hollywood en termes de « production value ». Et dans les territoires où ça sera le cas les américains auront du mal à récupérer leurs parts de marché. Si un jour ils considèrent qu’ils ont absolument besoin de la salle pour amortir leurs films, ils ne retrouveront pas nécessairement les mêmes capacités d’amortissement.
Siritz.com : Et en France ?
EM : Il y a deux marchés qui se côtoient. Le marché des blockbusters américains et des très gros films français, qui drainent un public important vers les multiplexes. Et le marché des films indépendants, qui sont exposés mais qui ne suffisent pas à remplir les multiplexes.
Siritz.com : Mais, à partir de cette analyse, que faut-il faire ?
EM : Il serait peut-être opportun de soutenir nos champions nationaux, Pathé, UGC, Gaumont, CGR, Studio Canal, Metropolitan, SND, etc… Il faut être capable de faire des « blockbusters » à la française et prendre la place des absents. On devra aussi certainement s’interroger sur la limitation pour un exploitant de rajouter des écrans pour un film qui marche très bien. Dans les multiplexes on limite à 2 écrans par film. En France il y a 10 000 films programmés chaque semaine sur 5 000 écrans. En proportion, en Chine c’est l’inverse. https://www.ecranlarge.com/films/news/1366888-detective-chinatown-3-plus-fort-quavengers-endgame-au-box-office
En tout cas pour les studios, priorité à leurs plateformes
EM : Au niveau des Studios on est effectivement dans une grande phase de recrutement d’abonnés pour les plateformes. Et il y a aussi Apple, Amazon Prime, Paramount en plus de Warner, Disney et Netflix. Ça fait beaucoup. Ils sont tous en train de recruter pour avoir la base la plus forte. Or, on sait que le coût de recrutement est forcément élevé. Quand il y en aura trois dominants et que le marché sera stabilisé, ils pourront proposer à leurs abonnés, de manière exceptionnelle, de la P-Vod.
Siritz.Com : Ce que Disney+ a fait avec « Mulan » et ça a été un échec retentissant.
EM : Oui, parce qu’ils étaient en train de recruter des abonnés et leur demandait soudain un supplément. Pour « Soul », ils l’ont inclus directement dans l’offre Disney+ sans surcoût. Amazon pourrait parfaitement proposer un événement particulier, par exemple un match de boxe, en direct et en P-VOD, puis en replay quelques jours après pour les abonnés. Donc, les différents modèles peuvent se combiner sur une même plateforme. Mais l’enjeu est d’avoir la plus forte base d’abonnés possible.
Siritz.com : Aux États-Unis, Universal et l’exploitant AMC ont passé un accord novateur : 17 jours d’exclusivité pour les salles, puis en Vod sur laquelle AMC a un pourcentage.
EM : C’est très intéressant parce que cela permet beaucoup de souplesse. AMC dès le premier jour sait combien le film va faire et les 17 jours peuvent être rallongés. Ou bien ils peuvent décider de partager les revenus de la VoD sur un film. Ils se donnent la possibilité de voir au cas par cas. C’est une vraie innovation.
Siritz.com : Mais pourquoi est-ce que la VoD est tellement plus importante aux États-Unis ?
EM : Parce que la couverture du territoire par le réseau de salles n’est pas aussi dense qu’en France. Et ils ont travaillé surtout les jeunes adultes, les 15-30 ans et délaissé le très jeune public de 4 à 13 ans et le public plus mûr. Maintenant ils se rattrapent pour ce public, mais dans certaines villes moyennes il n’y a pas de salles.
Siritz.com : Peut-on tirer d’autres leçons de ces expériences ?
EM : Ce qui est frappant c’est que quand ils ont ré-ouvert, les pays où la fréquentation a le mieux repris sont ceux qui ont ouvert sur tout le territoire, comme la France ou les Pays-Bas. Pour les autres, comme l’Espagne, l’Allemagne ou le Royaume-Uni, cela a été beaucoup plus difficile.
Siritz.com : Oui, parce que les distributeurs veulent des sorties nationales. Aux États-Unis 60% des salles étaient fermés.
EM : Oui, surtout des marché directeurs comme New-York et Los Angeles.
Ceux qui ont les reins assez solides pour attendre tireront leur épingle du jeu
Siritz.com : Mon site Cinéfinances.info qui publie le budget, le plan de financement et la répartition de recettes de tous les films français parle chaque semaine de plusieurs nouveaux films dont la production est achevée. C’est incroyable l’embouteillage qu’il y aura quand les salles vont ré-ouvrir. Plusieurs centaines de films.
EM : Il faut avoir un banquier compréhensif.
Siritz.Com : Mais il va falloir que les distributeurs optimisent les sorties pour que des films se ressemblant ne sortent pas la même semaine.
EM : Malheureusement, je crains que cela soit difficile. Seuls les distributeurs ayant un film très fort pourront attendre pour sortir sur une date à fort potentiel. « Detective Chinatown 3 » devait sortir au nouvel an 2020 et ses distributeurs ont pu attendre le nouvel an 2021. Donc, la capacité à ne pas se précipiter va être essentielle. Ceux qui ont les reins assez solides pour attendre tireront leur épingle du jeu. N’oublions pas qu’en France, ce sont les plus gros succès qui payent en partie, par les aides sélectives, les frais d’édition de plus petits films.
Siritz.com : C’est ce que remarquait un scénariste anonyme dans ce blog. https://siritz.com/le-carrefour/un-scenariste-met-les-pieds-dans-le-plat/
EM : Mais beaucoup de ces distributeurs indépendants font un travail remarquable. Seulement la diversité vit mieux à l’abri d’un marché fort. S’il y a moins de films américains, il sera moins fort et le soutien à la diversité risque de diminuer. Et puis, le cinéma français a une aura au niveau international. Avec le retrait potentiel du film américain il va y avoir une place à prendre, avec des films et des talents porteurs.
Siritz.com : Aujourd’hui les professionnels de notre cinéma se battent pour que les plateformes de S-VoD respectent nos règles du jeu et participent au financement de l’audiovisuel et du cinéma français, ce qui est tout à fait normal.
EM : Mais cela risque de transférer en partie le pouvoir de décision à Hollywood.
LES SÉRIE EN SÉRIES DE MARIE BARRACO
Le CarrefourSiritz.com : Série Séries, créé en 2012, est un Festival sans prix. C’est original.
Marie Barraco : En fait cette manifestation a été conçue avec les producteurs et les auteurs pour remplir un besoin, celui de disposer d’un lieu de rencontre et d’échanges autour de la création sérielle. Nous avons donc collectivement imaginé ce rendez-vous qui dure 3 jours et qui a lieu à Fontainebleau. https://www.serieseries.fr
Siritz.com : Elle vise le marché européen. Y-a-t-il eut dès le début tout le monde ?
MB : Dès le départ il y avait cette volonté de stimuler les créations et collaborations sur la zone Europe. Petit à petit il y a eu des pays que l’on avait peu identifiés qui nous ont rejoint. Notamment les pays de l’Est que l’on voit émerger de façon de plus en plus intéressante. Bien entendu, les britanniques ont toujours été très forts. Les nordiques n’ont cessé d’être actifs et créatifs.
Siritz.com : Dans les pays de l’Est lesquels sont en pointe ?
MB : La Croatie, la Bulgarie, la République Tchèque et récemment nous avons reçu plusieurs projets ukrainiens intéressants.
Siritz.com : La Russie fait partie de l’Europe ?
MB : Oui. On a eu quelques projets Russes.
Siritz.com : Et ils sont à quel niveau ?
MB : Plutôt ceux des pays de l’Est.
Siritz.com : Il y a un pays qui est à la frontière de l’Europe et qui est un grand producteur de cinéma : la Turquie. Est-ce la même chose pour les séries ?
MB : Dès la deuxième année on a fait un focus sur la Turquie. On avait déjà noté l’envol de la production en termes de quantité, de qualité, d’exportation et d’impact culturel dans toute la zone Moyen-Orient. Cela reste une production très dynamique, mais moins connectée à la création européenne que les autres. Néanmoins elle reste toujours très intéressante et on y jette un œil en permanence.
Siritz.com : Et Israël, qui n’est pas en Europe, mais qui a une production de très grande qualité, qui s’exporte partout et qui inspire la création dans tout l’occident ?
MB : Oui, on a fréquemment eu des projets israéliens et pas plus tard que l’année dernière. C’est un pays qui inspire beaucoup et qui a une manière de fonctionner passionnante. En Israël la création et le développement, l’attention portée à l’écriture sont fondamentaux et cela reste un exemple passionnant à mettre en avant et décrypter pour les européens.
Siritz.com : Quelles ont été les évolutions majeures de cette manifestation ?
Série séries est un évènement centré sur la création et consacré aux auteurs
MB : La manifestation en elle-même a peu évolué. Elle reste un endroit de rencontres et de réflexion qui reste à taille humaine et qui répond à une vraie demande du secteur. Donc son ADN est resté le même. Ce qui a évolué ce sont les événements autour. Il y a beaucoup plus de gros marchés, de festivals, de gros événements. Série séries s’en distingue parce que c’est un événement centré sur la création et consacré aux créateurs qui s’attache à représenter une source d’inspiration, de réflexion et de rencontres susceptibles de générer des collaborations créatives. Nous avons maintenu la taille de l’évènement pour préserver la qualité des échanges et de la convivialité, pour maintenir une facilité dans les interactions et les rencontres.
Siritz.com : Mais vous avez créé des manifestations autour.
MD : On a effectivement organisé des événement hors les murs. Notamment des événements bilatéraux en Europe, entre la France et un autre pays européen, qui ont un grand succès parce qu’ils sont très efficaces. Ça a marché très bien et tout de suite. On en a fait avec le Danemark, la Suède, la Grande-Bretagne, la Hollande, la Norvège. En 2018 par exemple on a vu la Norvège à Série Séries émerger nettement, se renouveler, se diversifier comme peu de pays de la zone, il était donc passionnant de s’y attarder. On a pu étudier comment ils avaient réussi à la faire évoluer à ce point et créer un point de rencontre privilégié entre les professionnels français et norvégiens. Série Séries à Fontainebleau représente toute la diversité de la création. Sur 3 jours il est complexe de vraiment creuser une tendance, les «Hors les murs » permettent de décrypter en profondeur et de renforcer les relations artistiques et commerciales entre les créateurs et les opérateurs de deux pays
Siritz.com : Combien de temps cela dure-t-il ?
MB : En général chacun dure 48 heures. Le principe est d’inviter les professionnels du pays choisi à venir présenter leurs œuvres à Paris, puis en retour de déplacer les français dans le pays en question, proposant une découverte mutuelle. L’année dernière on devait faire un événement en Bulgarie mais la Covid nous en a empêché. En tout cas cela évite de surcharger Série Séries, pour permettre aux professionnels d’avoir le temps de se rencontrer et d’approfondir certains sujets.
Siritz.com : Vous avez aussi créé Série Séries Kids.
MB : Oui, il y a 3 ans. C’est une émanation de Série Séries qui tourne autour des séries d’animation françaises. Mais l’ambition n’est pas d’être un point de contact entre professionnels, mais de proposer un temps d’échanges privilégié avec le public. Les équipes de création rencontrent le public dans des salles. Ça marche très bien. D’année en année on double la capacité d’accueil parce que nous jouons tous les ans à guichets fermés !
Siritz.com : Cela a lieu quand et où ?
On a créé un Série séries sur le marché africain
MB : Pendant Série Séries à Fontainebleau. Par ailleurs, on a créé Série Séries sur le continent africain. En 2018 on a organisé une première manifestation à Ouagadougou. Cela permet d’observer le succès de la production africaine, en partant de l’Afrique francophone. Ce sont des professionnels africains qui étaient venus à Fontainebleau qui ont décidé de décliner le modèle sur leur continent. La deuxième édition devait avoir lieu à Abidjan en 2020. On a été obligé de la reporter. Mais on annonce une édition de Série Séries Afrique en ligne dans 15 jours.
Siritz.com : Vous allez utiliser Zoom ?
MB : Non, on a un prestataire. On l’a déjà utilisé par Série Séries fin juin/début juillet 2020 On a développé une plateforme digitale, serieseries.tv. C’est une plateforme sur laquelle ont lieu les sessions. A date plus de 70h de contenus exclusifs produits par Série Séries y sont proposés et la mise en ligne de sessions tournées vers la création africaine va nous permettre de faire un pont Europe/Afrique et de créer du lien.
Siritz.com : Comment se fait le financement de la manifestation ?
MB : Les partenaires sont les mêmes depuis 10 ans. La région Ile de France en premier lieu, les collectivités locales, les sociétés d’auteur (SACD, Sacem, Procirep), France Télévisions. Des prestataires comme Transpalux. Des banques. Il y a en tout 35 partenaires. Et les professionnels eux-mêmes puisque les accréditations sont payantes.
Siritz.com : Pas le CNC ?
MB : Le CNC soutient Séries Stories, une initiative précise et identifiée en direction des auteurs au sein de Série Séries. Sur le budget global de l’événement cela représente moins de 5% du budget. Le CNC a fait le choix de concentrer son soutien sur la manifestation Séries Mania qui se tient dans les Hauts-de-France.
Siritz.com : Série Séries est un très bon point d’observation du marché. Quelles sont des grandes tendances de son évolution depuis 2012 ? D’abord, est-ce que le nombre de participants a augmenté ?
MB : On le limite volontairement. On a commencé avec 500 et aujourd’hui on est autour de 700. Il faut laisser une place centrale aux auteurs pour que la manifestation ne soit pas trop absorbée par la partie business. Il y a 35% de français et 65% d’européens.
Siritz.com : Et les évolutions des programmes ?
Valoriser les productions locales qui ont une ambition internationale
MB : La principale évolution, c’est le nombre des séries produites. En 10 ans, sur le continent européen, la croissance a été exponentielle. Et il y a des succès de plus en plus importants pour certaines. Par ailleurs, nous nous attachons à valoriser beaucoup les productions locales mais qui ont une ambition internationale. La diversité est de plus en plus grande, ce qui nous permet de faire un choix. Ainsi, on a présenté « Skam » au moment même de sa diffusion en Norvège, avant qu’elle ne devienne un phénomène. https://fr.wikipedia.org/wiki/Skam_(série_télévisée)
Cette série norvégienne visant les jeunes adultes a été adaptée en série franco-belge
On remarque aussi le développement de fiction en direction d’un public plus jeune, le développement de plus séries de genre. Et puis, avec la multiplication des productions, on note la volonté de cibler, c’est-à-dire de s’adresser à des publics différents.
Siritz.com : Auparavant on estimait qu’au-delà d’un certain budget il fallait monter des coproductions, pour partager ce budget entre plusieurs diffuseurs. Ce qui supposait de prendre des comédiens de ces différents pays, de multiplier les lieux de tournage. Est-ce que ce que vous venez de dire sur le fait que les fictions nationales de grande qualité, même chères, ont un véritable potentiel international change la donne ?
MB : Clairement, il y a une vraie prise de conscience de l’intérêt des productions locales pour toucher un public identifié, l’intérêt des plateformes internationales pour les productions locales est d’ailleurs très fort. Mais cela n’empêche pas les alliances et les coproductions. Les pays nordiques le font entre eux depuis longtemps et continuent. Même chose pour l’alliance entre France télévisions, ZDF et la RAI. Mais ce n’est pas parce qu’une production est typiquement locale qu’elle ne peut pas avoir un succès international.
Siritz.com : Un des phénomènes marquant de ces dernières années est le développement de Netflix. Quel effet cela a-t-il eu sur votre manifestation et sur le marché ?
Les services publics doivent se poser la question de leur responsabilité
MB : Il est évident que cela a élargi le marché. Cette concurrence est stimulante, elle ouvre de nouvelles opportunités aux créateurs. Cela force chaque diffuseur à se poser la question de sa vocation et de son positionnement dans l’écosystème. Il y a notamment une vraie question que doivent se poser les services publics. Dans leur raison d’être il y a une responsabilité particulière que nous aimons évoquer à Fontainebleau.
Siritz.com : En 2020 fin juin il y avait le confinement, les rassemblements étaient interdits Comment avez-vous fait ?
MB : On a pu organiser deux séances extérieures, dans la forêt de Fontainebleau. Et, entre mars et fin juin, on a pu mettre en place des outils qui nous ont permis de nous développer de manière virtuelle. Mais on a fait le choix de ne pas présenter de séries sur nos plateformes. Parce qu’on estime qu’un festival c’est le partage et la découverte des oeuvres en salle avec leurs équipes. On a laissé la possibilité aux équipes d’envoyer des liens si elles le souhaitaient. On s’est focalisés sur la parole donnée aux créateurs, et nous sommes consacrés à la présentation de sessions didactiques du même genre que celles que l’on fait en période normale : des études de cas, des masters class de talents, des interviews de décideurs, des modules autour des décideurs.
« Série séries émission » tous les 15 jours et le réseau de décideurs The link
Siritz.com : Mais désormais vous proposez des services tout au long de l’année.
MB : On a créé un une émission sur les séries, « Série Séries émission ». Il y a une émission tous les 15 jours qui donne la parole aux créateurs et aux interprètes. Et on a développé un réseau de décideurs européens, « The link ». Les professionnels y présentent leurs projets et discutent entre eux. Sur cette plateforme on fait des sessions en live. L’avantage de tout ça est que cela pérennise la parole des créateurs et permet de toucher un nombre plus grand de professionnels. Je suis heureuse que nous puissions proposer « à la demande » de belles interviews de créateurs emblématiques comme Russell T Davies.
Siritz.com : Cette année Série Séries se tiendra fin juin/début juillet comme les autres années. Vous pariez sur le déconfinement ?
MB : On a pris le parti de travailler toutes les hypothèses. Comme on sera l’été on va faire beaucoup de chose en extérieur. Mais notre infrastructure digitale existe. Personnellement je pense qu’il est illusoire de penser que l’on sera revenu à la normale, ne serait-ce que parce que les professionnels de tous les pays ne pourront voyager. Donc on se prépare à un événement hybride, avec des gens sur place, des gens à distance. Mais tous pourront dialoguer entre eux.
Nous mettons l’accent sur l’importance du trio scénariste, réalisateur, producteur
Siritz.com : En France il y a un débat un peu chaud dont Siritz.Com se fait l’écho, que l’on retrouve sur Facebook avec « paroles de scénaristes », sur les rapports entre scénariste, réalisateur et producteur. Est-ce que l’on trouve ce débat dans d’autres pays.
https://siritz.com/cinescoop/les-mousquetaires-de-laudiovisuel/
https://siritz.com/cinescoop/y-a-t-il-encore-un-realisateur-dans-lavion/
https://siritz.com/cinescoop/mais-ou-sont-les-3-mousquetaires/
https://siritz.com/le-carrefour/un-scenariste-met-les-pieds-dans-le-plat/
MB : Ce que je peux dire c’est que je n’ai pas vu d’initiative comme « Paroles de scénaristes » à l’étranger. Donc les rapports doivent être plus tendus en France, sans doute du fait de notre histoire. Évidemment, cela fait partie des sujets dont on a envie de s’emparer pour créer le dialogue. Le principe de Série Séries c’est de faire la preuve par l’exemple. Nous, nous mettons l’accent sur l’importance du trio scénariste, réalisateur, producteur. Si le trio ne fonctionne pas la qualité de la série s’en ressent. Quand il s’entend les résultats se voient.
Siritz.com : Ce sujet va être abordé par Série Séries de cette année ?
MB : C’est indispensable.
Siritz.com : Est-ce que ce débat en France ne vient pas de l’entrée des professionnels du cinéma dans le monde des séries. Car, dans le cinéma, l’auteur c’était le réalisateur. Dans le monde de la télévision c’était plus équilibré.
MB : C’est avant tout une guerre d’égos. La série est une œuvre collective et la place de chacun est essentielle. Mais en lisant les premières interventions dans « paroles de scénaristes », je me suis rendu compte à quel point cette question restait d’une grande actualité. J’avoue que j’ai été surprise que les choses aient finalement aussi peu évolué depuis la première édition de Scénaristes en Séries en 2005 où ces mêmes manques de dialogue avaient motivé la création du festival à Aix-les-bains. J’aurais espéré que les choses évoluent mieux et plus rapidement… De notre côté en tant que festival nous pouvons à minima continuer de proposer un espace de débat et mettre en avant les pratiques vertueuses. Les événements permettant l’échange et la discussion ont encore une bonne raison d’être.
LES RÉMUNÉRATIONS DES RÉALISATEURS EN 2021
FinanCinéOLIVIER BAROUX POUR « LES TUCHE 4 » EN TÊTE
Le site Cinéfinances.info* continue de publier les données sur les nouveaux films français produits en fonction de leurs dates de sortie initiale. A partir du mois de mars, il publiera les données des films dont la production est achevée, la plupart des distributeurs ne fixant plus de date de sortie éventuelles.
Voici, pour les mois de janvier et février 2021, la rémunération des réalisateurs de films français de fiction qui auraient dû sortir.
Comme on le voit ces chiffres sont tous inférieurs à ceux de 2020 pour les films qui sont effectivement sortis.https://siritz.com/les-barometres-de-la-distribution/remuneration-des-realisateurs-de-films-francais-de-fiction/
La plus forte rémunération est celle d’Olivier Baroux pour la comédie « Les Tuche 4″, pour la préparation,42 jours de tournage et la post-production. Il est produit par Richard Grandpierre (Eskwad) et distribué par Pathé. Mais sa sortie est d’ors et déjà reportée à Noël. Il s’agit à l’évidence d’un blockbuster et son producteur comme sont distributeur ont les reins assez solide pour attendre la meilleure date.
La rémunération moyenne correspond à peu près à celle de Benjamin Euvrad pour la comédie « Attention au départ », pour la préparation, 36 jours de tournage et la post-production. Il est produit par Frédéric Japy (Easy Movies) et distribué par SND.
La rémunération médiane correspond à la rémunération de Farid Bentoumi pour le drame « Rouge », pour la préparation, 20 jours de tournage et la post-production. Il est produit par Frédéric Jouve (Les films Velvet) et distribué par Ad Vitam.
En moyenne le salaire représente 52% de la rémunération et l’à valoir sur droits d’auteur 48%.
Dans cette période il n’y a que 4 documentaires annoncés, avec des rémunérations qui vont de 17 500 € à 28 530 €.
Siritz.com publiera ce baromètre tous les mois.
*www.Cinefinances.info est un site, accessible par abonnement,destiné aux professionnels du cinéma. Il publie le budget, le plan de financement et la répartition des recettes de tous les films français qui sortent (hors les films « sauvages » qui ne déposent pas leurs contrats au registre public et ne demandent donc pas l’agrément qui leur permettrait d’accéder à l’aide du CNC). Il dispose d’un puissant moteur de recherche multicritères et de 10 ans d’archives.
CINÉMA : L’HYPOTHÈSE DES ANNÉES FOLLES
ÉditorialLES DISTRIBUTEURS DEVRONT GÉRER L’ENCOMBREMENT DES SORTIES
Selon Roselyne Bachelot, la ministre de la culture, dans l’émission de Yves Calvi sur Canal+, les cinéma pourraient réouvrir cet été. Les négociations sur les conditions de cette réouverture devraient donc s’accélérer. Elles porteront sur le niveau des restrictions, comme des jauges à 50%, voir 25%, ainsi que sur la fixation de mesures barrières. Cette ouverture suppose en tout cas la disparition du couvre-feu, avec la question de savoir si, au départ, on ne limitera pas à une seule le nombre de séances de nuit. La concomitance avec l’ouverture des restaurants et des cafés est évidemment un enjeu très important.
Les expériences étrangères de réouverture confirment que ce retour à une vie normale va se traduire par une fringale de consommation, notamment de loisirs. Comme les années folles après la première guerre mondiale et la grippe espagnole. Comme les 30 glorieuses après la première guerre mondiale.
Mais cela ne signifie pas que tout sera encore mieux qu’avant. Car le cinéma français va devoir faire face à deux problèmes. En premier lieu l’encombrement de films français qui n’ont cessé d’être produits et n’auront pu sortir depuis 9 mois. Il devrait se situer entre 150 et 180. Ils s’ajouteront aux quelques quatre ou cinq nouveaux films français qui sortent en moyenne chaque semaine. Eric Marti, qui est un fin-connaisseur en la matière est sceptique sur la capacité des distributeurs à se mettre d’accord pour étaler les sorties. https://siritz.com/le-carrefour/eric-marti-lecons-de-la-pandemie/https://siritz.com/le-carrefour/eric-marti-lecons-de-la-pandemie/
Le second problème est celui de l’approvisionnement en films américains puisque certains Studios privilégient clairement le développement de leur plateforme. Or, normalement, les films américains représentent entre 50 et 55% des entrées des salles en France. https://siritz.com/editorial/s-vod-quelle-riposte-des-exploitants/
Aux États-Unis, Disney et Warner vont sortir leurs films simultanément en salle et sur leur plateforme c’est parce que de nombreuses salles seront encore fermées ou vont réouvrir avec des jauges très limitées. Mais si les salles ré-ouvrent en France, pourquoi Warner ne sortirait pas ses films en salle alors que HBO Max ne sera pas présent chez nous avant l’année prochaine. Quant à Disney sa stratégie est fluctuante : « Mulan », même en France où les salles étaient ouvertes, a été proposé aux seuls abonnés de Disney + en VoD Prime à 30 $ ou 30 €. Visiblement cela n’a pas été un succès, puisque, ensuite, son dessin animé de Pixar, « Soul » a été offert directement aux abonnés, sans supplément à payer. Enfin, Bob Chapek, le PDG du groupe vient d’annoncer que, aux États-Unis, que Disney va expérimenter une troisième formule : son nouveau dessin animé, « Raya et le dernier dragon », sortira simultanément dans un nombre limité de salle et en VoD Prime pour les abonnés de Disney+. https://fr.wikipedia.org/wiki/Raya_et_le_Dernier_Dragon
Pour l’instant rien n’est annoncé concernant la France. Mais Bob Chapek a reconnu ne pas être certain que l’on reviendra à la fenêtre d’exclusivité des salles d’avant la pandémie.
Donc, en fait, dans cette période où une grande partie des salles dans le monde sont encore fermées, ces deux studios semblent plutôt chercher le moyen d’amortir au mieux l’énorme investissement que constituent leurs films. Et les tatonnements de Disney indiquent que ni la diffusion directe sur Disney +, ni la VoD Prime réservée aux abonnés de la plateforme ne suffit. En outre, les distributeurs américains, comme les français, devront gérer une situation d’encombrement des sorties.
Pour l’instant certains exploitants américains semblent accepter la sortie simultanée. Mais, eux aussi savent que la période est exceptionnelle et que chacun doit « faire avec ». Néanmoins l’encombrement des sorties va les mettre en situation de force par rapport aux distributeurs.
Enfin, en France, pendant la fermeture des salles, quand le cinéma français va affronter la crise de l’encombrement, le montage de nouveaux films ne sera-t-il pas rendu plus difficile ? Car, sans distributeur aucun financement n’est bouclé. Et la plupart des distributeurs vont attendre d’avoir sorti leurs films avant de s’engager sur de nouveaux.
MAIS OÙ SONT LES 3 MOUSQUETAIRES ?
CinéscoopLE MARKETING DOIT ÊTRE AU SERVICE DE LA FICTION ET NON L’INVERSE
La noblesse de Jean Aurenche en fin d’épisode 2 résumait une digne évidence pour résister aux producteurs hiérarchiques et aux monarques du “temps de cerveau disponible“, qui ne parlent que de « marques, personnages constitutifs et fédérateurs, FRDA-50, sujets non segmentants, inspirationnels, identificatoires et transgénérationnels ». Oh là, on se calme ! https://siritz.com/cinescoop/les-mousquetaires-de-laudiovisuel/ .
https://siritz.com/cinescoop/y-a-t-il-encore-un-realisateur-dans-lavion/
On est tous d’accord à 100% sur l’évidence qu’on ne peut pas faire une bonne série sans penser au public. Mais comment faire comprendre aux oligarques qu’on ne peut pas réussir une fiction si on ne pense qu’au public ?! Le marketing doit être au service de la fiction, et non l’inverse…
Portos, Athos, Aramis mais aussi d’Artagnan !
Alors, une belle fiction, c’est l’œuvre de trois mousquetaires : Porthos, un producteur créatif et battant, Athos, un scénariste d’envergure, et Aramis, un réalisateur expérimenté. J’ajoute aussi un d’Artagnan potentiel, le conseiller de programmes passionné et cultivé (il y en a) qui défendra leur projet au palais du diffuseur face aux vigiles armés du marketing d’audience. Les mousquetaires soudés génèrent une créativité collective au service d’une série ou d’un film. Mais attention : aucun d’eux ne doit se prendre pour le cardinal de Richelieu ou la Milady de Winter et s’approprier les décisions…
Le vrai bon modèle est celui d’Un Village français, avec le duo d’origine Jean-François Boyer-Emmanuel Daucé, devenu un quatuor avec Frédéric Krivine et Philippe Triboit, soudés comme des mousquetaires, d’où le titre du feuilleton. Rêvons un peu ,mais ne serait-ce pas une belle variante du showrunner version française avec un final cut collectif ? https://fr.wikipedia.org/wiki/Un_village_français
Le village français est un modèle
https://siritz.com/le-carrefour/emmanuel-dauce-producteur-de-series/
Et pour ceux qui douteraient encore de l’entente nécessaire, lisez Anne Landois, directrice d’écriture récompensée d’un Emmy Award 2015 pour Engrenages. En évoquant le développement de sa série La Promesse qui a triomphé en janvier 2021 et qu’elle a dirigée comme scénariste, showrunneuse et coproductrice, elle avait dit : « Aujourd’hui, nous avons besoin de travailler ensemble. Je prépare le tournage d’une minisérie que je produis pour TF1 et je travaille main dans la main avec la réalisatrice. Nous échangeons beaucoup en respectant la place de chacune. Nous avons besoin l’une de l’autre. »
Générique de fin. Arrêtons les duels de territoires
Coluche disait « La hiérarchie, c’est comme les étagères, plus c’est haut, plus c’est inutile ». La fiction anglaise ou scandinave ignore le bonapartisme hiérarchique à la française. Les mots d’Anne Landois et la réussite mondiale de certaines de nos séries nous prouvent que la France en est capable. Une évidence qui devrait être prioritaire dans notre fiction de la décennie qui commence.
Alors, arrêtons les guéguerres de territoires. Cessons de vouloir nous mettre les uns les autres sous bracelet électronique. Amis scénaristes, oubliez vos frustrations, résistons ensemble. Ou réalisez, certains d’entre vous le font avec joie et talent. Amis diffuseurs et producteurs ambitieux, soyez artistiques, replacez l’audace en tête de liste devant l’audience et les dividendes, et vous serez gagnants car les trois sont compatibles. Amis réalisateurs de télévision, résistez en séries. Amis du cinéma, partagez avec élégance votre talent sans négliger les scénaristes et réalisateurs de télévision.
Brisons ce mur germanopratin entre le cinéma 7ème art et la fiction de télévision qui ne serait que de la série B, un sous-genre avec des “téléastes“. Le scénariste de télévision n’est pas un ersatz, et le réalisateur de télévision qui tourne en 9 jours un épisode 52’ avec un incendie de forêt ou un film de 90’ en 20 jours dans la savane, est souvent bien plus aguerri qu’un cinéaste qui aurait 30, ou 35 jours ! Les talents sont partout. D’impressionnantes mini-séries audacieuses dépassent en écriture et mise en scène bien des films de “cinéma pop-corn“ endormis sous la couette de leurs subventions.
Enfin, partageons notre créativité avec un peu d’humour en préférant le “show-rieur“ (showrunner en québécois) au “show-râleur“ (showrunner en parisien). Et donnons surtout plus souvent les commandes aux “show-reinettes“ créatives, calmes et expérimentées.
Respectons-nous. Unissons nos associations et syndicats pour apaiser les aigreurs et surtout pour éradiquer les arnaques ou les horreurs humaines que racontent les témoignages du site Paroles de Scénaristes. Cessons de nous “désister“, il n’y a qu’une lettre à changer pour passer à “résister“.
Pour paraphraser Stéphane Hessel plus que jamais d’actualité dans le monde actuel :
« Résister ensemble, c’est créer. Créer ensemble, c’est résister ».
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PS : Pardon de cette chronique au masculin, je n’aime pas l’écriture inclusive, mais il y a beaucoup de productrices, scénaristes (mot “épicène“ mixte) et réalisatrices qui ont du courage et un grand talent !
DOMINIQUE BARON
Y-A-T-IL ENCORE UN RÉALISATEUR DANS L’AVION ?
CinéscoopLES MÉFAITS DU RAPPORT CHEVALIER
En 1960, apparition des feuilletons télé, qui passent en couleur en 1967. Le premier gros succès est Janique Aimée en 1963. Des réalisateurs éminents de télévision profitent du flux Nouvelle Vague pour prendre le pouvoir comme au cinéma. Mais quoi qu’en disent certains, cela s’éteint dans les années 2000 avec l’invasion des séries et la chute des œuvres unitaires (hors collections) aujourd’hui tombées à 12%. Car, à l’inverse du territoire du showrunner qui s’élargit logiquement, celui du réalisateur se rétrécit en télé, où il est de plus en plus menotté, sauf s’il vient du cinéma avec sa notoriété. Pourquoi ? https://siritz.com/cinescoop/les-mousquetaires-de-laudiovisuel/
La première raison est commerciale : invasion des séries et collections 52’ et 90’ qui imposent aux réalisateurs télé ce dont les scénaristes non showrunners souffrent déjà, à savoir l’interventionnisme qui génère la dépendance, et parfois une autocensure qui satisfait diffuseurs et producteurs.
Le rapport Chevalier en 2011 : pas de réalisateur parmi les auteurs
La deuxième raison est technocratique. Le rapport Chevalier de 2011, titré “Le défi de l’écriture et du développement“, censé trouver des pistes pour relancer la fiction en crise, fut rédigé sans réalisateurs. https://www.cnc.fr/documents/36995/145478/rapport+de+la+mission+Chevalier+sur+la+fiction+française.pdf/7a5e3269-8b84-cc43-b88b-c73272e219b7. Seul le scénario compterait et le développement d’une série n’aurait pas besoin du réalisateur ! Mais qui oserait faire un rapport sur la crise de l’Assistance Publique sans y associer les urgentistes ?! Le ministre 2011 Frédéric Mitterrand, ayant lui-même réalisé, s’en excusa. Mais le mal était fait. L’avis nécessaire du réalisateur de terrain en fin de l’écriture (version tournage), et son apport artistique évident dans les premiers épisodes d’une série, étaient officiellement ignorés. Tristesse…
La dignité et le talent des auteurs, scénaristes et réalisateurs
Marcel Achard aurait apprécié ce rapport qui oubliait la mise en scène avec son « tandem exclusif scénariste-producteur » (sic), rapport qui est déjà dépassé et ne défend pas plus les scénaristes. Il n’a pas su empêcher leur sous-estimation, leur sous-rémunération, ni anticiper l’importance du showrunner qui dérange des producteurs en mal d’autorité et qui négligent parfois sans élégance le “tandem“.
On l’a vu sur une série récente très médiatisée où la production a refusé aux deux scénaristes d’origine la direction artistique et une coproduction justifiée, c’est-à-dire le showrunning. Double peine pour les deux auteurs de base déjà injustement négligés dans la promotion médiatique et qui se retrouvent interdits d’un showrunning indispensable pour la suite de la série ! Comme dit l’un d’eux meurtri à juste titre : « La production nous l’a fait miroiter et n’a pas respecté ses promesses. Nous avons notre part de responsabilité. Après 25 ans de métier, croire encore en la parole d’un producteur, il faut être idiot ! ». Heureusement, ça n’est pas universel…
Retour au sujet. Il est évident que rien ne peut naître sans scénario. Lapalissade. Mais la réalisation n’est pas anodine, même en série industrielle. Témoignage d’un jeune réalisateur mélancolique : « Je suis content de tourner mais triste d’être ubérisé comme un coursier car même dans l’épisode lambda 225, que deviendrait le scénario sans mon travail avec les acteurs, mon découpage, le choix des optiques, des mouvements de caméra, le sens de l’image ? Un regard que je suggère au comédien peut changer une scène, même sur un feuilleton express à petit budget. C’est ça, ma réalisation. »
Il est soutenu par le grand Sidney Lumet : « Sur la base fondatrice du scénario, le réalisateur maîtrise la technique, la grammaire des caméras, le temps de tournage, mais surtout l’ensemble des facteurs de beauté et d‘émotion de chaque scène : l’harmonie des personnages avec les décors et les objets, la profondeur focale, l’ombre et la lumière, l’équilibre entre technique et artistique. Un silence, un geste, l’émotion d’un regard, peuvent ennoblir une scène banale. Seul le réalisateur a cette compétence ! »
Et pour ceux qui, malgré ces dignes citations, ne saisissent toujours pas la part d’auteur du réalisateur, ajoutons Jean Aurenche, grand auteur avec qui j’ai eu la chance de débuter quand j’étais scénariste novice. Bien qu’injustement critiqué par la Nouvelle Vague, il n’a jamais basculé dans l’aigreur à la Marcel Achard et m’a dit un jour où nous parlions à l’apéro d’harmonie artistique : « Si je découvre en projection une scène que je n’ai pas écrite et dont je suis ému, j’en remercie le réalisateur »…
Jean Aurenche nous ravit par son élégance, qui est loin d’être universelle dans la guerre des égos. La passion d’écrire, qu’elle soit au clavier, à la caméra, ou les deux, ne survivra que dans l’harmonie du noble trio formé avec des producteurs créatifs et éthiques, à l’inverse de la production évoquée plus haut, qui a confisqué le showrunning aux scénaristes adaptateurs d’origine pour ménager des réalisateurs cinéma de notoriété, et peut-être économiser des séances personnelles en thérapie…
DOMINIQUE BARON
(à suivre le 6 mars , épisode 3 : Mais où sont les 3 mousquetaires ?)
ERIC MARTI : LEÇONS DE LA PANDÉMIE
Le CarrefourSiritz.com : Est-ce qu’en Europe il y a des pays où les salles n’ont pas fermé depuis un an ?
Eric Marti : Il y a des pays où les salles n’ont pas fermé. En Scandinavie, en Suède ou en Russie où elles ont fermé très peu de temps. En Russie elles n’ont fermé que quelques semaines au printemps dernier. Ensuite, il y a des situations très différentes entre la première et la deuxième vague. Aujourd’hui aux Pays-Bas, en Allemagne et en Autriche les salles sont fermées. Mais au Luxembourg elles ont fermé fin octobre et ré-ouvert depuis la mi-janvier alors qu’elles restent fermées en Belgique et en France. A partir du printemps dernier, l’Espagne à ré-ouvert dans certaines régions. Alors que le Portugal vient de refermer.
Siritz.com : Et le Royaume-Uni ?
EM : Ils sont complétement fermés depuis Noël et le sont restés. Ils annoncent leur réouverture pour le 17 mai.
Siritz.Com : Mais les majors américaines ont repoussé la date de sortie de la plupart de leurs films parce qu’ils font des sorties mondiales. Dans les pays qui sont restés ouverts, sans les films américains, quelle a été la fréquentation ?
Les succès sont venus des films locaux
EM : La fréquentation dépend de la capacité de la production locale à attirer le public. Il y a eu tout de même quelques blockbusters comme « Dr Dolittle » de Universal en Russie. Et puis il y a eu « Tenet » de Warner , notamment en France, « Scooby ! » chez Warner et « Les Trolls 2 : Tournée Mondiale» chez Universal ou encore « Wonder Woman 84 », également de Warner, dans certains territoires en début d’année. Mais les succès sont venus des films locaux.
Siritz.com : Par exemple.
68% de part de marché
EM : Et bien, quand l’Espagne a ré-ouvert, est sorti « Padre No Hay Mas Que Uno – 2 », la suite d’un film qui avait eu beaucoup de succès l’année d’avant, et que les producteurs ont décidé de sortir l’été, malgré la réticence du distributeur, Sony. Il a eu un succès exceptionnel, réalisant 68% de part de marché la semaine de son démarrage. Les Pays-Bas ont ré-ouvert en même temps que la France, l’été dernier, mais ont beaucoup mieux marché que nous parce qu’ils ont eu trois films locaux qui ont immédiatement été de gros succès. Deux comédies et « Bigfoot Family », film d’animation Belgo-français, qui est sorti trois semaines avant la France et qui a très bien marché. Et en France on a eu « Les Blagues de Toto », « 30 Jours Max », « Tout Simplement Noir » et « Antoinette dans les Cévennes » qui ont relancé la fréquentation, même si on n’a pas retrouvé les niveaux d’avant.
Siritz.com : Mais il y a peu de succès locaux.
EM : Quand il n’y a pas ces succès on est à moins 88/90% ! A noter qu’en Russie ils sont à moins 33% sur les premières semaines de l’année 2021 parce qu’ils ont eu deux très beaux succès locaux en février : un film d’action et une comédie.
Siritz.com : Et en Chine. Ils ont fermé ?
EM : Ce qui est caractéristique en Chine, c’est le nouvel an chinois qui dure 10 jours début février, avec une gigantesque circulation de population puisque les familles se réunissent. En 2019, le pays a connu un record avec un box-office de 892 millions $ pendant ces fêtes En 2020, les cinémas étaient fermés, donc zéro. En 2021, les salles étaient ouvertes et le box-office de janvier a été seulement 1% inférieur à celui de 2019. Les professionnels se sont dit : on devrait pouvoir faire 75% à 90% de la période du nouvel an de 2019. Or le marché a fait un bond de +30%, pour atteindre 1,2 milliards $.
Siritz.com : Il y avait des limitations de jauge ?
EM : A 75% sur tout le pays et à 50% sur certaines provinces du nord, dont Pékin, du fait d’une résurgence de Covid. Mais il y avait une très forte limitation sur les voyages et les familles ne pouvaient se retrouver. Les gens ont dû rester chez eux et le premier loisir était le cinéma. En outre il y a eu une augmentation moyenne du prix du ticket de 12%.
Siritz.com : Et des pays comme la Corée, l’Australie et la Nouvelle-Zélande qui ont très bien contenu la Covid ?
EM : La Corée a eu un confinement et des fermetures sur des périodes très courtes. Quelques semaines. Puis cette année, une semaine. Et l’Australie et la Nouvelle-Zélande n’ont fermé que quelques jours. Mais il y a une différence très forte entre les trois pays, c’est la dépendance au film américain. Sans film américain, les marchés d’Australie et de Nouvelle Zélande s’effondrent. La Corée programme des films coréens, japonais et chinois. C’est comme la France en Europe : ils sont très ouverts. Donc, sans films américains, ils s’en sont plutôt bien sortis. Mais, depuis le début de l’année, ils sont à moins 85% par rapport à l’année dernière alors que l’Australie et la Nouvelle-Zélande sont à – 55 et -50%.
Siritz.com : Comment ça s’explique ?
EM : « Wonder Woman 1984 », « The Croods : A new Age » et un film australien « The Dry », ont dynamisé le box-office en Australie comme en Nouvelle-Zélande, qui en outre n’ont pratiquement pas fermé, alors que la Corée a fermé une semaine et a imposé des limitations de jauge très strictes.
Siritz.com : L’Inde est, en quantité, le principal pays producteur. Comment ça s’est passé chez eux.
EM : Ils ont tout fermé. Et, début janvier ils ont tout ré-ouvert avec une jauge à 50%. Dans certaines villes la jauge a été levée immédiatement. Aujourd’hui la limitation de jauge est une exception.
En France ce sont les multiplexes de 10 écrans et plus qui ont le plus soufferts
Siritz.com : A partir de ces chiffres qu’est-ce qu’on peut dire sur la dépendance au film américain. Parce que, sauf exceptions, les studios ont décidé de retarder la sortie de leurs films, voire de les diffuser directement sur leurs plateformes de S-Vod. En France, en période normale de film américain c’est 50 à 55% de la fréquentation, le film français de 35 à 40%. Quelle a été la situation en Europe ?
EM : Il y a un pays où la production nationale a une part de marché de 55%, c’est la Turquie. Ils ré-ouvrent leurs salles le 1er avril. En France, le marché normal est à 200 millions d’entrées ou plus. Si les studios américains mettent une partie de leurs films directement sur leurs plateformes, on risque de tomber à 150/170 millions d’entrées. Quand les salles ont ré-ouvert en France on a vu que ce sont surtout les gros établissements, les multiplexes de 10 écrans et plus, qui ont le plus souffert.
Siritz.com : Parce qu’ils sont tirés par les blockbusters américains.
EM : Mais même la semaine de « Tenet », ils étaient en léger retrait. https://siritz.com/editorial/les-salles-de-cinema-en-grand-peril/
Siritz.com : Parce qu’il n’y avait pas la continuation d’autres blockbusters.
EM : Donc, première conséquence d’une diminution de films américains, le marché baisse un peu. Les professionnels allemands ont observé la même chose. Les exploitants qui faisaient de l’art et essai populaire en centre-ville ont bien marché.
Siritz.com : Mais la baisse des multiplexes de périphérie avait déjà commencé. Le cinéma est de plus en plus un loisir de proximité.
« Detective China town 3 » plus gros démarrage sur un seul pays, battant « Avengers-Endgame »
EM : En Europe oui. Moins dans les pays du Golfe et en Amérique Latine. En Europe cela risque de s’accélérer s’il y a moins de films américains. Mais le changement le plus marquant s’est produit en Chine : « Detective Chinatown 3 » a réalisé le plus gros démarrage pour un premier jour et un premier week-end sur un seul pays, battant le record de « Avengers – Endgame » aux États-Unis. Cela devrait amener les studios américains à réfléchir. D’abord parce que le premier marché mondial c’est la Chine. Et les producteurs chinois ont appris à faire des films qui marchent aussi bien, et même mieux que les films américains. https://www.ecranlarge.com/films/news/1366888-detective-chinatown-3-plus-fort-quavengers-endgame-au-box-office
Record historique d’un démarrage dans un territoire
Siritz.com : Quel était la part de marché des américains ?
EM : Elle était de 50%. Aujourd’hui les observateurs estiment que le maximum sur lequel ils pourront compter c’est 40%. Cela veut dire que, dans la négociation des trois fondamentaux que sont la date de sortie, la combinaison et le taux de location, le rapport de force ne va plus être le même. Si les studios américains perdent des parts de marché ils ne seront plus dans la même position vis-à-vis des exploitants et de leurs concurrents distributeurs.
Siritz.com : Quelle est votre analyse de ce que sera la politique des grands studios si et quand les salles seront revenues à une ouverture normale, disons l’année 2022 ?
EM : Mon impression c’est qu’il y a un choix qui a été fait par trois des principaux studios, Disney, Warner et Universal. Les trois ont changé de patron et ont décidé de mettre l’accent sur les plateformes. Universal appartient à Comcast. Bob Chapek, chez Disney, veut être le champion de l’ère digitale et mise sur Disney+. Warner appartient à ATT et l’objectif est de relancer HBO Max. https://siritz.com/editorial/s-vod-quelle-riposte-des-exploitants/ Le patron de Sony les a mis en garde : on ne sait pas rentabiliser un film de 200 millions € sur une plateforme. La MGM et Broccoli ont cherché par tous les moyens à vendre à 600 millions $ le nouveau James Bond. Ils n’ont pas trouvé d’acheteurs.
Siritz.com : Donc il y aura moins de films américains.
Les studios voudront privilégier leurs plateformes
EM : C’est probable, pendant quelques années les studios voudront privilégier leurs plateformes. Surtout si le day and date reste interdit dans certains pays comme la France.
Siritz.com : Mais sortir sur une plateforme en même temps que la salle c’est la mort des salles. C’est comme si on vendait le livre de poche en même temps que l’édition broché. Le chiffre d’affaire des éditeurs et des libraires s’effondrerait.
EM : Oui, mais sans l’édition brochée, il n’y a pas de livre de poche. De toute façon il faudrait savoir comment Disney sur « Soul » ou Warner sur « Wonder Woman 1984 » peuvent récupérer leur investissement avec les abonnés de leurs plateformes. Rapporté à un film, ce sont quelques centimes que l’on récupère sur chaque abonnement.
Siritz.com : Universal n’a pas choisi la S-VoD, mais la Vod Premium à 20 ou 30$. « Trolls : World Tour » aurait réalisé 100 millions $. Mais en France la P-VoD c’est tout à fait marginal.
EM : Les 100 millions $ ont été annoncés par l’actionnaire Comcast, sans mesure indépendante. Cela reste donc un résultat à valider. En outre, cela n’a concerné que l’exploitation aux États-Unis. En France, le film est sorti en salles, avec succès d’ailleurs.
Siritz.com : Mais Netflix va diffuser 71 films en 2021, dont certains à 150 millions € de budget.
Dans certains marchés les studios auront du mal à récupérer leur part de marché
EM : Certes, mais il faudra bien qu’à un moment ils s’assurent que cette politique dégage une réelle rentabilité. Et, entre temps, les industries locales fortes, comme la Chine, seront capables de rivaliser avec Hollywood en termes de « production value ». Et dans les territoires où ça sera le cas les américains auront du mal à récupérer leurs parts de marché. Si un jour ils considèrent qu’ils ont absolument besoin de la salle pour amortir leurs films, ils ne retrouveront pas nécessairement les mêmes capacités d’amortissement.
Siritz.com : Et en France ?
EM : Il y a deux marchés qui se côtoient. Le marché des blockbusters américains et des très gros films français, qui drainent un public important vers les multiplexes. Et le marché des films indépendants, qui sont exposés mais qui ne suffisent pas à remplir les multiplexes.
Siritz.com : Mais, à partir de cette analyse, que faut-il faire ?
EM : Il serait peut-être opportun de soutenir nos champions nationaux, Pathé, UGC, Gaumont, CGR, Studio Canal, Metropolitan, SND, etc… Il faut être capable de faire des « blockbusters » à la française et prendre la place des absents. On devra aussi certainement s’interroger sur la limitation pour un exploitant de rajouter des écrans pour un film qui marche très bien. Dans les multiplexes on limite à 2 écrans par film. En France il y a 10 000 films programmés chaque semaine sur 5 000 écrans. En proportion, en Chine c’est l’inverse. https://www.ecranlarge.com/films/news/1366888-detective-chinatown-3-plus-fort-quavengers-endgame-au-box-office
En tout cas pour les studios, priorité à leurs plateformes
EM : Au niveau des Studios on est effectivement dans une grande phase de recrutement d’abonnés pour les plateformes. Et il y a aussi Apple, Amazon Prime, Paramount en plus de Warner, Disney et Netflix. Ça fait beaucoup. Ils sont tous en train de recruter pour avoir la base la plus forte. Or, on sait que le coût de recrutement est forcément élevé. Quand il y en aura trois dominants et que le marché sera stabilisé, ils pourront proposer à leurs abonnés, de manière exceptionnelle, de la P-Vod.
Siritz.Com : Ce que Disney+ a fait avec « Mulan » et ça a été un échec retentissant.
EM : Oui, parce qu’ils étaient en train de recruter des abonnés et leur demandait soudain un supplément. Pour « Soul », ils l’ont inclus directement dans l’offre Disney+ sans surcoût. Amazon pourrait parfaitement proposer un événement particulier, par exemple un match de boxe, en direct et en P-VOD, puis en replay quelques jours après pour les abonnés. Donc, les différents modèles peuvent se combiner sur une même plateforme. Mais l’enjeu est d’avoir la plus forte base d’abonnés possible.
Siritz.com : Aux États-Unis, Universal et l’exploitant AMC ont passé un accord novateur : 17 jours d’exclusivité pour les salles, puis en Vod sur laquelle AMC a un pourcentage.
EM : C’est très intéressant parce que cela permet beaucoup de souplesse. AMC dès le premier jour sait combien le film va faire et les 17 jours peuvent être rallongés. Ou bien ils peuvent décider de partager les revenus de la VoD sur un film. Ils se donnent la possibilité de voir au cas par cas. C’est une vraie innovation.
Siritz.com : Mais pourquoi est-ce que la VoD est tellement plus importante aux États-Unis ?
EM : Parce que la couverture du territoire par le réseau de salles n’est pas aussi dense qu’en France. Et ils ont travaillé surtout les jeunes adultes, les 15-30 ans et délaissé le très jeune public de 4 à 13 ans et le public plus mûr. Maintenant ils se rattrapent pour ce public, mais dans certaines villes moyennes il n’y a pas de salles.
Siritz.com : Peut-on tirer d’autres leçons de ces expériences ?
EM : Ce qui est frappant c’est que quand ils ont ré-ouvert, les pays où la fréquentation a le mieux repris sont ceux qui ont ouvert sur tout le territoire, comme la France ou les Pays-Bas. Pour les autres, comme l’Espagne, l’Allemagne ou le Royaume-Uni, cela a été beaucoup plus difficile.
Siritz.com : Oui, parce que les distributeurs veulent des sorties nationales. Aux États-Unis 60% des salles étaient fermés.
EM : Oui, surtout des marché directeurs comme New-York et Los Angeles.
Ceux qui ont les reins assez solides pour attendre tireront leur épingle du jeu
Siritz.com : Mon site Cinéfinances.info qui publie le budget, le plan de financement et la répartition de recettes de tous les films français parle chaque semaine de plusieurs nouveaux films dont la production est achevée. C’est incroyable l’embouteillage qu’il y aura quand les salles vont ré-ouvrir. Plusieurs centaines de films.
EM : Il faut avoir un banquier compréhensif.
Siritz.Com : Mais il va falloir que les distributeurs optimisent les sorties pour que des films se ressemblant ne sortent pas la même semaine.
EM : Malheureusement, je crains que cela soit difficile. Seuls les distributeurs ayant un film très fort pourront attendre pour sortir sur une date à fort potentiel. « Detective Chinatown 3 » devait sortir au nouvel an 2020 et ses distributeurs ont pu attendre le nouvel an 2021. Donc, la capacité à ne pas se précipiter va être essentielle. Ceux qui ont les reins assez solides pour attendre tireront leur épingle du jeu. N’oublions pas qu’en France, ce sont les plus gros succès qui payent en partie, par les aides sélectives, les frais d’édition de plus petits films.
Siritz.com : C’est ce que remarquait un scénariste anonyme dans ce blog. https://siritz.com/le-carrefour/un-scenariste-met-les-pieds-dans-le-plat/
EM : Mais beaucoup de ces distributeurs indépendants font un travail remarquable. Seulement la diversité vit mieux à l’abri d’un marché fort. S’il y a moins de films américains, il sera moins fort et le soutien à la diversité risque de diminuer. Et puis, le cinéma français a une aura au niveau international. Avec le retrait potentiel du film américain il va y avoir une place à prendre, avec des films et des talents porteurs.
Siritz.com : Aujourd’hui les professionnels de notre cinéma se battent pour que les plateformes de S-VoD respectent nos règles du jeu et participent au financement de l’audiovisuel et du cinéma français, ce qui est tout à fait normal.
EM : Mais cela risque de transférer en partie le pouvoir de décision à Hollywood.
ET MAINTENANT PLUTO TV ET PARAMOUNT+
ÉditorialLe groupe Viacom-CBS se développe dans l’univers digital en innovant
Le marché des plateformes internationales ne cesse de se développer. Il y avait Netflix, Amazon prime, Apple TV. Il il a eu Disney+. On sait qu’il va y avoir HBO Max. Et maintenant c’est le groupe Viacom-CBS qui en lance deux. https://siritz.com/editorial/s-vod-quelle-riposte-des-exploitants/
Viacom-CBS c’est un groupe entièrement audiovisuel : il comprend entre autres l’une des trois grandes chaînes nationales américaines, CBS, le studio Paramount, la chaîne à péage Showtine (films et séries) et des chaînes thématiques comme MTV (musique) ou Nickelodéon (enfants).
Le 8 février il a annoncé le lancement en France de Pluto TV, qui est déjà diffusé dans 25 pays, dont les États-Unis, plusieurs pays européens et 17 pays d’Amérique Latine. C’est un concept original. Tout d’abord il s’agit d’un bouquet de 40 chaînes thématiques linéaires, gratuites et financées par la publicité. Ces chaînes sont alimentées par l’énorme catalogue du groupe Viacom. Elles comprennent aussi des séries françaises comme « Plus belle la vie » ou « Les Cordiers ». En second lieu, ce bouquet est OTT (Over The Top), c’est-à-dire accessible directement par internet : pas d’opérateur diffuseur, pas d’autorisation du CSA. Elles font partie de l’univers digital FAST (Free Ad-Supported Streaming Television), sans doute regardé principalement sur i-phone. Elles auraient déjà 36 millions d’utilisateurs actifs dans le monde.
Le groupe Comcast Universal a un bouquet similaire, basé sur le même principe, Peackok. Mais, pour l’instant il n’est diffusé qu’aux États-Unis.
Le 4 mars le groupe va lancer aux États-Unis, au Canada et en Amérique Latine, puis le 25 mars dans les pays nordiques d’Europe, une plateforme de S-Vod, Paramount+. Aucune date n’a encore été révélée pour la France et le reste du monde. https://www.igen.fr/services/2021/02/le-nouveau-service-de-streaming-paramount-veut-diffuser-en-europe-120859
Là encore, Paramount+ va démarrer avec l’énorme catalogue du groupe : 2 500 films, 30 000 épisodes de séries, 1 000 événement sportifs et une offre de news. Mais, là aussi, il y a une innovation, car l’offre est double : soit à 9,99 $ comme les autres plateformes ; soit à 4,99$, avec de la publicité. Cette dernière offre sera proposée à partir de juin. Elle est rendue possible parce que Viacom dispose, dans chaque territoire, des régies publicitaires de ses chaînes et, désormais, de Pluto TV.
La sortie en salle d’abord
Par ailleurs, Paramount+ a passé un accord avec la chaîne à péage EPIX pour mettre à la disposition de ses abonnés des milliers de titres provenant d’une grande variété de studios. A partir du printemps il y aura ainsi les « James Bond » et les « Hunger Games ». Ainsi, après une sortie en salle par MGM et une fenêtre de télévision payante exclusive sur EPIX, seront disponibles sur Paramount+ « House of Gucci, Creed III » et le prochain James Bond, « Mourir peut attendre « .
Le PDG de ViacomCBS prévoit d’investir 5 milliards $ dans les contenus exclusifs du streaming en 2024 et atteindre 65 à 75 millions d’abonnés en trois ans.
De ces annonces on peut tirer trois leçons. En premier lieu le groupe est conscient que l’offre de plateformes payantes de S-VoD, va être très encombré. D’où, une offre à moindre prix grâce à un financement par la publicité. En second lieu, il s’agit d’un groupe essentiellement audiovisuel qui va respecter la chronologie des médias sur chaque territoire : Paramount+ aura l’exclusivité des films Paramount, mais après la fenêtre salle. Même chose pour les films MGM. En troisième lieu, s’il semble que le groupe continuera à accorder aux exploitants une fenêtre d’exclusivité sur ses films, il risque de ne pas en être de même pour les chaînes étrangères, dont les françaises. Par exemple, Canal+ diffuse actuellement la série « Your honour » de Showtine. A l’avenir ce type de séries pourrait bien être réservé à Paramount+.
LES MOUSQUETAIRES DE L’AUDIOVISUEL
CinéscoopMINI-SÉRIE DE DOMINIQUE BARON* (Scénariste-producteur-réalisateur présenté en fin d’article)
Aujourd’hui, la presse se focalise sur le mot US “showrunner“ qui s’impose logiquement dans le monde des séries et collections (88% de la fiction). Dans les succès sur plusieurs saisons, un vrai showrunner aguerri assure la continuité éditoriale et artistique. Il doit être un scénariste émérite qui sait guider les autres scénaristes, il doit connaitre assez la mise en scène artistique et technique pour partager avec les réalisateurs afin de passer les scénarios de la 2D à la 3D. Et il doit être un “producer“ qui sait gérer un budget et anticiper les nombreux aléas artistiques et techniques. Jusqu’ici, tout va bien… https://siritz.com/editorial/le-mythe-du-realisateur-auteur-revision/
Un métier qui peine à émerger en France
Mais cette fonction d’avenir, essentielle en séries, ne s’improvise pas. En France, les showrunners de ce niveau sont encore rares et retardés par une vague émergente de diplômés du marketing (“money-making“ ?) qui aiment tout contrôler. Par inexpérience ou souci de territoire, certains surfeurs de cette vague ne voient le scénariste que comme un scribe, et le réalisateur télé comme un simple technicien qui sait placer ses caméras et terminer à l’heure. Et le problème de nombreuses séries est aussi que, pour se rassurer, des commanditaires abondent trop d’avis, mettent trop de scénaristes en siège éjectable, et cela engendre trop de versions non coordonnées par un showrunner d’envergure.
Ce « nouveau monde des soft-killers de l’audiovisuel » (dixit Martin Scorcese) étouffe en coulisses les scénaristes, et en plateau les réalisateurs. Or il est essentiel que le scénariste soit le premier consulté si, par exemple, le producteur veut imposer au réalisateur l’économie de remplacer un autocar qui pulvérise une voiture par un vélo qui tape une poussette, ou de couper une scène en plateau pour éviter une heure supplémentaire. De même qu’il est injuste pour le scénariste qu’un acteur, pour s’approprier une série, réécrive seul les dialogues dans son dos, une tendance en expansion. https://www.lesinrocks.com/2021/02/26/series/series/en-therapie-pourquoi-les-scenaristes-renoncent-a-la-saison-2/
Autre tendance émergeante : le diffuseur et le producteur vont chercher un cinéaste connu pour se rassurer et renforcer la communication génératrice d’audience. C’est une bonne idée, ça cartonne dans la presse mais en télévision le cinéaste, aussi talentueux soit-il, ne doit pas débarquer comme un empereur. Car il y a une règle d’or : le partage. En fiction intelligente, il est vital que les choix créatifs se fassent dans l’alliance d’une brigade de mousquetaires garants de la cohérence d’une série, œuvre collective. D’où la nécessité d’un showrunning expérimenté et respectueux des terres de chacun.
D’où viennent les éternelles chamailleries de territoires ? Flash-back :
Le débat entre auteurs et metteurs en scène est né dans le théâtre des années 30. Louis Jouvet, Charles Dullin, Georges Pitoëff, ont mis en scène des pièces en initiant une vision d’auteurs associés, contournant ce qu’ils appelaient le « textocentrisme » des ardents défenseurs de la moindre virgule, comme Marcel Achard, qui doit pourtant sa notoriété à Louis Jouvet qui triompha en 1929 comme metteur en scène et acteur dans la création de Jean de la Lune, avec Michel Simon. Dans les années 30-40, puis 50-60, les metteurs en scène de théâtre se glissent donc avec talent dans la dramaturgie. Mais les auteurs de l’écrit n’aiment pas voir bouger des scènes ou des dialogues, même s’ils découvrent que la mise en scène ennoblit leur texte et peut lui offrir sa renommée.
En 1955, après un litige sur un projet, l’illustre Jean Vilar fait un croc-en-jambe à Marcel Achard : « Aujourd’hui, les vrais créateurs dramatiques ne sont pas les auteurs mais les metteurs en scène. » Marcel Achard, aussi scénariste au cinéma, se sert de sa présidence du jury de Cannes 1959 pour se venger en médiatisant ses batailles avec Jean Vilar et Marc Allégret (pourtant 9 films ensemble) et leurs tensions sur le statut d’auteur. Il déclare froidement en conférence de presse sur la Croisette :
Le Marcel acharné n’avait pas digéré la loi Guy Mollet de propriété intellectuelle, qui sanctuarisa en 1957 l’évidence que les metteurs en scène de théâtre, les réalisateurs de films et les compositeurs de musique sont aussi des auteurs incontestables. Mais la phrase cinglante de Marcel Achard à Cannes, encore présente aujourd’hui dans l’esprit de certains auteurs rebiffés, va se retourner contre lui…
Le roi du boulevard et les “textocentrés“ vont se prendre un uppercut avec la Nouvelle Vague.
Les critiques des Cahiers du Cinéma, enfants des “trente glorieuses“, secouent le 7ème art. Ils passent derrière la caméra et imposent l’idée, en écrivant eux-mêmes, que le réalisateur est le seul auteur.
La déferlante « Un film de… » séduit festivals et journalistes qui enterrent dès lors le “scénariste non réalisateur“ dans les dossiers de presse et les interviews, et l’oublient dans les projections « en présence de l’équipe du film », qui se font trop souvent sans lui…
Pourtant le scénario est essentiel, c’est lui qui permet d’obtenir les subventions du CNC et l’argent des diffuseurs et des plateformes mondiales à la Netflix, la 2ème nouvelle vague (déferlante ?). Et de plus, le scénario dialogué est primordial pour convaincre les acteurs célèbres, sans qui rien ne se fait.
Aujourd’hui encore, certains journalistes et critiques éminents restent myopes et convaincus que le réalisateur de cinéma, même s’il n’écrit pas un mot, est le seul auteur du film ! Ils devraient aller en thérapie pour sortir du 20ème siècle et respecter les scénaristes, tout en levant un œil sur de belles fictions de télévision réalisées sans “cinéastes“ par de talentueux réalisateurs ignorés, et absents comme les scénaristes, des interviews sur tapis rouge…
(à suivre le 4 mars l’épisode 2 : Y-a-t-il encore un réalisateur dans l’avions ?)
DOMINIQUE BARON*
Diplômé de sociologie et de marketing, DB a démarré loin de tout ça comme caméraman sur le Pen-Duick 6 de Tabarly. Après quelques films sportifs, il se met à écrire puis s’engage par passion des acteurs dans une décennie de 1er Assistant terminée auprès de Jacques Doillon. Le destin le nomme conseiller de programmes sur FTV, puis producteur artistique chez Hamster Productions, avant d’accéder enfin à la réalisation. Une trentaine de téléfilms et séries suivront, les derniers 90’ étant “Tempêtes » (un équipage de sauvetage en mer avec Philippe Torreton), et “Colombine“ (une religieuse africaine, un peu Calamity Jane avec Corinne Masiero)…
Il enseigne aussi l’écriture et la réalisation à l’ISIS de Ouagadougou et aide des écoles du Burkina dans une association.
DOMINIK MOLL ENTRE FILMS ET SÉRIES
CinéscoopSON DERNIER FILM, « SEULES LES BÊTES » SUR CANAL+
Lundi 22 février Canal+ a diffusé le film « Seules les bêtes », sorti en salle le 4 décembre 2019.
https://fr.wikipedia.org/wiki/Seules_les_bêtes_(film)
Ce thriller franco-allemand a été réalisé par Dominik Moll dont c’est le 6ème long métrage. Ce dernier a d’ailleurs la double nationalité. C’est son 6ème long métrage. Il alterne longs métrages pour le cinéma et séries. https://fr.wikipedia.org/wiki/Dominik_Moll
Cinéfinances.info* a fourni les données financières de cet article.
Le film est une coproduction entre la France (80%) et l’Allemagne(20%). Le producteur français est Carole Scotta (Haut et court) qui est également distributeur. En Allemagne c’est Roman Paul et Geirhard Meixner (Rasor Films).
Pour la préparation, 40 jours de tournage et la post-production la rémunération de Dominik Moll est 100 000 €, répartie à part égale entre à valoir sur droits d’auteur et salaire de technicien. C’est légèrement plus que la rémunération médiane des réalisateurs de films français sortis en 2020. https://siritz.com/financine/le-barometre-des-realisateurs-fin-octobre/
Le scénario a été coécrit par Frédérik Moll et Gilles Marchand. Il est tiré d’un roman de Colin Niel et ils se sont partagés 200 000 €.
Le film a rassemblé que 110 000 spectateurs en France.
Le précédent long métrage de Frérérik Moll est « Des nouvelles de la planète mars », sorti le 9 février 2016. Il était produit et distribué par Miche Saint-Jean (Diaphana). Son budget était de 5,8 millions €.
Pour la préparation, 36 jours de tournage et la post-production, la rémunération du réalisateur a été de 150 000 €, répartie en part égale entre à valoir sur droits d’auteur et salaire de technicien. Il a coécrit le scénario avec Gilles Marchand et ils se sont partagés 200 000 €.
Le film n’a rassemblé que 58 000 spectateurs
Entre ses deux derniers films, il a réalisé la série chorale franco-allemande sur l’accueil des émigrants « Eden » de 6 x 52’, diffusée par Arte. Le producteur français était Atlantique Productions.
Et avant, il avait réalisé certains des 35 épisodes de 45 minutes de la série franco-britannique « Le Tunnel « , adaptée du roman « Bron » de Hans Rosenfeld et diffusée en France par Canal+. En France elle était produite par Canal+ et Shine France Films.
*www.Cinefinances.info est un site, accessible par abonnement, destiné aux professionnels du cinéma. Il publie le budget, le plan de financement et la répartition des recettes de tous les films français qui sortent (hors les films « sauvages » qui ne déposent pas leurs contrats au registre public et ne demandent donc pas l’agrément qui leur permettrait d’accéder à l’aide du CNC). Il dispose d’un puissant moteur de recherche multicritères et de 10 ans d’archives.
« LE MYTHE DU RÉALISATEUR AUTEUR : RÉVISION »
ÉditorialPOUR DES FILMS OU DES SÉRIES LA FICTION EST ÉVIDEMMENT UN ART COLLECTIF
L’éditorial intitulé « Le mythe du réalisateur auteur » a suscité de nombreuses réactions. Sans doute le titre est-il mal choisi car il existe bien des réalisateurs auteurs. Mais pour traiter de cette question faut la replacer replacer dans son contexte, notamment historique.
Ainsi le réalisateur Dominique Baron rappelle :
« Je fais partie de ceux qui, au Groupe 25 image (qui se renforce), ont toujours travaillé en harmonie avec les scénaristes et se battent pour notre travail collectif. Je m’inquiétais, peut-être à tort, de l’impact du titre dans un monde où le sujet de la suprématie du texte est apparu dans les années 1930, dans les bagarres entre l’auteur Marcel Achard et ses metteurs en scènes- Louis Jouvet, Charles Dullin et Georges Pitoëff- qui ont imposé une vision moderne plus collaborative, plus audacieuse, plus “auteur associé“, osant défier ce qu’ils appelaient le « textocentrisme » de Marcel, défenseur acharné de la moindre virgule.
Bientôt un siècle que dure ce débat, réveillé plus tard par Jean Vilar, puis par la Nouvelle Vague toute puissante. À la fois scénariste, réalisateur, ex-producteur et conseiller de programmes, j’ai bien producteur étudié le sujet et écrit un long article. Débat récemment revenu « En thérapie » avec le début, logique, d’invasion des réalisateurs cinéma dans certaines chaines de l’audiovisuel… ».
Ce rappel est évidemment essentiel. Il n’est pas question de nier l’importance de la réalisation. Personnellement, je me souviens effectivement des mises en scènes de Jean Vilar. Ainsi, celle de « La résistible ascension d’Arturo Ui », présentée au TNP, donnait au texte de Brecht une dimension qui m’a marqué pour la vie. De même, le scénario de « Citizen Kane », écrit par Herman Mankiewicz, est puissant. Mais c’est la réalisation d’Orson Welles qui lui a donné une dimension qui en fait l’un des plus grands films de l’histoire du cinéma. https://fr.wikipedia.org/wiki/Citizen_Kane
Welles a fait passer le scénario de Manckiewicz de la 2ème à la troisième dimension
Vilar comme Wells ont pu déployer leur talent et leur créativité parce qu’ils sont partis d’un bon texte qu’ils ont fait passer de deux dimensions à trois dimensions.
Néanmoins, dans son Carrefour, Emmanuel Daucé, qui dirige Tetra Média Studio, reconnait que le sujet évoqué par l’éditorial n’est pas purement théorique quand il affirme : « L’idée du réalisateur roi ne m’allait pas». https://siritz.com/le-carrefour/emmanuel-dauce-producteur-de-series/ En fait, pour les séries, le scénariste showrunner est forcément le roi. Mais, pour des films, le débat existe.
Autre remarque, sur cet article, celle de Max Azoulay, le fondateur de l’ESRA, la principale école privée de cinéma et d’audiovisuel, qui est par ailleurs l’un des sponsors de ce blog. Il rappelle que « l’ESRA à inclus depuis des années l’enseignement du scénario, et que le DHEC a introduit voilà 8 ans un département SCÉNARIO (bac+3 à Bac +5) ».
Il existe évidemment aujourd’hui d’autres écoles qui enseignent le scénario.
Mais le fait que la FEMIS, l’école publique qui a succédé à l’IDHEC, ait introduit en deuxième année un cursus Scénario, à côté de celui de la réalisation et de la production, marque un tournant idéologique important. Clairement, il a fallu que nos chaînes de télévision développent fortement les séries longues, et qui ne soient pas que policières, mais abordent les sujets de société et politiques, pour qu’il commence à y avoir un brassage entre cinéma et fiction tv, mais aussi entre scénaristes et réalisateurs.
D’une manière générale, qu’elle soit pour des séries ou des films, la fiction est un art collectif.