POUR LA RÉALISATION DE « MON BÉBÉ »

« Mon bébé » a été diffusé par Canal+ dimanche 4 avril. https://fr.wikipedia.org/wiki/Mon_bébé_(film,_2019)

C’est le 8ème long métrage réalisé par Liza Azuelos. Il était sorti en salle le 13 mars 2019. https://fr.wikipedia.org/wiki/Mon_bébé_(film,_2019)

Cinéfinances.info* a fourni les données financières de cet article.

Le film a été co-produit par Pathé Films et Liza Azuelos (Love in the air) pour un budget initial de 7 millions €. Il a été distribué par Pathé et a rassemblé 620 000 spectateurs.

Pour la préparation, 30 jours de tournage et la postproduction la rémunération de la réalisatrice a été de 200 000 €, répartie à part égale entre à valoir sur droits d’auteurs et salaire de technicien. C’est un peu supérieur à la moyenne des rémunérations des réalisateurs de films français sortis en 2020. https://siritz.com/financine/le-barometre-des-realisateurs-fin-octobre/

Le film était préacheté par Canal+ mais aussi C8, et coproduit et préacheté par France 2.

Le précédent long métrage de fiction réalisé par Liza Azuelos est « Dalida », sorti en salle le 11 janvier 2017. Il était produit et distribué par Pathé. Le budget initial était de 15,7 millions.

Pour la préparation, 54 jours de tournage et la post-production la rémunération de la réalisatrice était de 200 000 €, réparti à part égal entre à valoir sur droits d’auteur et salaire de technicien.

Le film est une adaptation du livre de Catherine Rihoit et Bruno Gigliotti. Le scénario a été co-écrit avec ce dernier. L’ensemble a été rémunéré 1 130 000 €.

Le film a rassemblé 770 000 spectateurs.

*www.Cinefinances.info est un site, accessible par abonnement, destiné aux professionnels du cinéma.  Il publie le budget, le plan de financement et la répartition des recettes de tous les films français qui sortent (hors les films « sauvages » qui ne déposent pas leurs contrats au registre public et ne demandent donc pas l’agrément qui leur permettrait d’accéder à l’aide du CNC). Il dispose d’un puissant moteur de recherche multicritères et de 10 ans d’archives.

ET AUSSI POUR LES EFFETS SPÉCIAUX ET LES JEUX VIDÉOS

La production cinématographique et audiovisuelle est, sans le moindre doute, l’un des  principaux moteurs de l’économie d’aujourd’hui et des années à venir. Donc de création d’emplois et de valeur.https://siritz.com/le-carrefour/les-grands-defis-economiques-du-cinema/

On peut espérer que, quand les salles de cinéma ré-ouvriront la fréquentation y retrouvera ses niveaux d’avant pandémie parce que c’est le premier des loisirs collectifs et culturels. Mais, surtout, que la croissance de la production de séries de fiction va fortement s’accélérer. Or, déjà, en 2019, HBO, qui répertorie tous les projets de tournage dans le monde, avait calculé que ceux-ci nécessitaient 2 000 plateaux de tournage alors que n’en existaient que 1 000 dans l’ensemble du monde.

Or, en ce qui concerne les studios de tournage la France est parmi les très mauvais élèves. Quel que soit le critère retenu : taille de chaque studio, taille des plateaux, le nombre de plateaux, la hauteur des plateaux, la taille des backlots extérieurs qui doivent être aussi importante que celle des studios intérieurs, les surfaces annexes,  la palette de prestataires, etc… A tel point que, quand un blockbuster américain est tourné en France, parce que notre pays a beaucoup d’atouts (Paris, la Côte d’Azur, ses châteaux, la productivité et la compétence de son personnel technique, etc..), son tournage en studio se fait systématiquement à Londres. Pour ce qui est des productions françaises de 20 à 30 millions € de budget, elles vont tourner systématiquement dans les studios allemands ou tchèques. Que d’emplois et de taxes perdus !

C’est pourquoi en 2018 Film France et le CNC avaient commandé une étude pour faire le point sur notre considérable retard. Et  déterminer les lourds handicaps que cela allait de plus en plus représenter pour notre en production. Mais aussi pour analyser les causes de ce retard et proposer des remèdes. « Les studios de tournage, enjeu principal de la production en France » a été remis en mars 2019. https://www.cnc.fr/professionnels/actualites/le-cnc-devoile-un-rapport-sur-les-studios-de-tournages-et-annonce-le-lancement-dune-concertation-sur-leur-modernisation_990873

Or, il faut reconnaître que le CNC a pris conscience que l’enjeu était effectivement essentiel pour la production dans notre pays. Notamment que le recours à la plupart des effets spéciaux suppose le tournage en studio. De plus les tournages en ville vont devenir de plus en plus problématiques et coûteux du fait des réglementations municipales pour faciliter la circulation. Et l’économie des séries repose largement sur l’usage de décors récurrents.

Il vient donc d’appeler à un « choc de modernisation » en créant une commission qui sera chargée de soutenir des projets ambitieux nous permettant de rattraper notre retard en matière de studios de tournages. Mais aussi dans le domaine tout à fait complémentaire des effets spéciaux ainsi.  Et dans celui des jeux vidéo qui sont liés aux effets spéciaux. https://www.cnc.fr/professionnels/communiques-de-presse/le-cnc-appelle-a-un-choc-de-modernisation-de-lappareil-de-production-et-soutient-les-projets-ambitieux-a-hauteur-de-10m_1393649

10 millions € seront ainsi distribuées, l’aide à chaque projet étant plafonnée à 800 000 €. Mais elle pourra être complétée par un volume de soutien plus important sous forme d’investissement de la Banque publique d’investissement et des prêts garantis par l’IFCIC. L’objectif semble d’éviter le saupoudrage pour promouvoir de véritables champions français compétitifs au niveau international. Un appel d’offre a été lancé et les dossiers sont attendus.

Jusqu’à présent le CNC avait une direction technique. Mais elle n’avait qu’un rôle et des moyens limités par rapport aux autres directions du cinéma et de l’audiovisuel. Désormais il est enfin clairement reconnu que ces deux secteurs sont de véritables industries qui ont besoin d’outils de fabrications compétitifs. Dans un pays victime de sa sous-industrialisation c’est un tournant important.

 

DÉCONFINER NE SUFFIRA PAS https://siritz.com/cinescoop/francais-deconfinez-vos-poulets-n2/

Dépoulaillez votre fiction !

En plus des pistes de l’épisode 2, il y a un raison éthique supplémentaire de vous dépoulailler : selon l’étude CSA, il y a 10 scènes de violence par heure pour une seule scène d’amour ! 150 à 200 morts de fiction par semaine sur toutes les chaînes. Alors ne laissez pas votre “exception culturelle“ muter en “exécution cultuelle“… Un de vos diffuseurs a déclaré : « En France, le polar est un divertissement ». What ?! Les morts vous divertissent ? Pour nourrir vos audiences, vous avez 8000 morts de fiction par an sur vos petits écrans ! Sans compter les chaînes d’infos focalisées sur le fait divers morbide. Ce « carnaval de macchabées », comme dit une amie sociologue belge, est souvent loin de nous divertir comme votre Gendarme de Saint-Tropez… Et en tant que québécoise et mère de famille, je m’inquiète des séquelles de cette Cosa Nostra sur nos enfants et la société. Vous n’y réfléchissez jamais ?

Amis français, réveillez-vous ! Pour résister à Netflix, Amazon Prime, Apple TV, Disney+, Hulu, ESPN+, HBO Max, Pluto TV, Paramount+, Peacock, AMC Network, Viacom CBS, etc., il va falloir vacciner vos directeurs contre les virus VRAP et VAD, sortir du canapé, réduire vos élevages industriels de poulets, et freiner vos adaptations encabanées (rassurantes) de séries policières étrangères.

Cinéma à la maison

Bonus : même si votre fiction française ne progresse pas en financement, et trop peu en audace et diversité, elle fait désormais nettement plus d’audience que les séries étrangères.

Malus : au classement mondial “IMDb PRO“ des 10 meilleures séries 2020 (audience et qualité) sur toutes les plateformes, on est à 80% de “non-polar“ : science fiction (Dark, Westworld), univers “Star-Wars“ (The Mandalorian), super-héros (The Boys, Umbrella Academy), fantastique médiéval (The Witcher), historique sociétal (The Crown, Le Jeu de la Dame).https://fr.wikipedia.org/wiki/Le_Jeu_de_la_dame

Constat :  dans ce top ten, il n’y a que 2 séries “polar-thriller“, dont les héros ne sont même pas des policiers mais des malfrats : Ozark et La Casa de Papel. Seulement 20% de poulets ! Une belle claque pour les certitudes archaïques de vos as du marketing enfargés (empêtrés) dans le polar…

Alors inventez, écrivez, produisez vos propres séries doublement originales (ndlr : audacieuses et non adaptées). Réalisatrice et voyageuse, j’ai croisé beaucoup d’auteurs français et belges qui ont ce talent… si on ne leur met pas les menottes.

Autre constat de la féministe québécoise modérée que je suis : quand un de vos “Meurtres à tous les étages“ affiche un casting insolite, une identité visuelle moderne, une direction d’acteurs sensible, une émotion supérieure, il est souvent réalisé… par une femme ! Voilà donc un vaccin audiovisuel évident, un anti-ronron efficace. Tirez-en les conclusions.

Espoir et renaissance

Oui, il y a une embellie (je ne parle pas d’audience) mais vous ne réussirez à l’international comme Canal+ que si votre budget fiction, en baisse de 15% depuis 2012 (chiffre CNC), double pour atteindre le niveau anglais. Mais c’est mal parti avec vos énarques qui font des coups de cochon à la culture, veulent la privatiser, et pour qui le service public audiovisuel serait dépassé et peut-être “une honte“.

Pour résister à ces baveux (prétentieux) et aux séries étrangères audacieuses des plateformes, il va falloir vous dépoulailler franchement, mais pour ça, il faut avoir du front autour de la tête (audace) !

Si vous osez, vous serez aux petits oiseaux (heureux) et vous serez enfin au niveau du « cinéma à la maison où de belles séries remplacent de médiocres longs métrages qui ont pourtant bien plus de moyens et de temps de tournages », comme dit Martin Scorcese, qui s’étonne de l’ostracisme dominant qui règne encore en France dans le monde du cinéma et des aristocritiques vis-à-vis de la fiction télé. Cette ségrégation disparaîtra quand vous aurez assez dépoulaillé vos antennes. Et vos réalisateurs de cinéma victimes des salles fermées vont déferler en télévision…
Pensez-y !…  

Merci de m’avoir lue, pardon à ceux que ma vision québécoise pourrait déranger mais « Haut les cœurs et ostie d’câlisse de bonne chance à tous ! ».
_____________
Rosalie Labonté

POUR LA RÉALISATION DES « GARDIENNES »

Ce film a été diffusé par France 3 jeudi 31 mars. https://fr.wikipedia.org/wiki/Les_Gardiennes_(film)

C’est le 9ème long métrage de Xavier Beauvois qui mène aussi une carrière de comédien. https://fr.wikipedia.org/wiki/Xavier_Beauvois

Cinéfinances.info* a fourni les données financières de cet article.

Il est sorti en salle le 6 décembre 2017. Produit par Sylvie Pialat (Les Films du Worso), son budget initial est 8,8 millions €. La Suisse est coproductrice à 10%. Il est tiré du roman du même titre roman d’Ernest Périchon.

Pour la préparation, 51 jours de tournage et la post-production, la rémunération du réalisateur est de 200 000 €, réparti entre 120 000 € d’à valoir sur droits d’auteur et 80 000 € de salaire de technicien. C’est légèrement supérieur à la rémunération moyenne des réalisateurs de films français sortis en 2020. https://siritz.com/financine/le-barometre-des-realisateurs-fin-octobre. Le scénario a été co-écrit avec Frédérique Moreau qui a reçu 33 000 € d’à valoir. Le sujet qui comprend l’achat des droits du livre a été payé 418 000 €.

Son précédent film, « Les rançons de la gloire » est sorti en 2015. Il a été produit par Pascal Caucheteux (Why not Productions) pour un budget initial de 8,2 millions € et distribué par Mars films. Le film est coproduit à 22% par la Suisse et 10% par la Belgique.

Pour la préparation, 8 semaines de tournage et la post-production, la rémunération du réalisateur est de 350 000 € répartie entre 200 000 d’à valoir sur droits d’auteur et 150 000 € de salaire de technicien. Le co-scénariste Etienne Comar a reçu 150 000 € d’à valoir. Ils se sont partagés 300 000 € pour le sujet.

Le film n’avait rassemblé que 56 000 spectateurs.

*www.Cinefinances.info est un site, accessible par abonnement, destiné aux professionnels du cinéma.  Il publie le budget, le plan de financement et la répartition des recettes de tous les films français qui sortent (hors les films « sauvages » qui ne déposent pas leurs contrats au registre public et ne demandent donc pas l’agrément qui leur permettrait d’accéder à l’aide du CNC). Il dispose d’un puissant moteur de recherche multicritères et de 10 ans d’archives.

 

 

 

ÉPISODE N°2 : LES RAISONS DU RETARD FRANÇAIS

Polar audacieux ou polar frileux ? https://siritz.com/cinescoop/francais-deconfinez-vos-poulets/

Les raisons du retard sont nombreuses. À commencer par les roitelets du buzz qui, plutôt que de parler de création, de qualité et de diversité d’antenne, préfèrent battre la breloque (rabâcher) sur l’audience ou sur une actrice qui se désemballe en public les nénés et le popotin.

Mais il faut surtout arrêter de raboter l’écriture pour plaire à tout le monde (cf. Vince Gilligan).  https://fr.wikipedia.org/wiki/Vince_Gilligan La censure génère l’autocensure. Vous avez des scénaristes puissants capables d’écrire sur tous les thèmes… Il ne faut plus les traiter comme des scribes mal payés. Et il faut cesser d’ubériser vos réalisateurs télé ! En Amérique le “director“ est bien plus libre que ce que disent en France ceux qui voudraient le marginaliser. Hors de France, la télévision est un tremplin pour le cinéma, pas une prison.

Autre cause : un variant du VRAP est arrivé : le VAD (Virus d’Absence de Diversité). Par exemple, vous écrivez 73% de personnages CSP+, catégories socio-professionnelles supérieures, alors qu’ils ne sont que 28 % en France ! Ils écrasent 27% d’ouvriers, prolétaires et inactifs (72% de la société réelle). (CSA 2019). Et je n’ouvre pas le sujet du manque de “non blancs“, de handicapés, d’actrices de plus de 50 ans, de réalisatrices, etc., sinon je dois rajouter une page…

Il faut aussi renouveler les éternels clichés d’écriture. Quelques exemples pêle-mêle :

  • Pré-générique : un macchabée au pied d’un clocher, d’une falaise, ou pendu sous une grue, en haut d’un mât de voilier, au flanc d’une tour médiévale, noyé dans la tourbe du marais, dans une piscine, dans un étang, scarifié d’un symbole mystique moyenâgeux, ou crucifié dans un vignoble avec du raisin en boucles d’oreilles
  • Le tandem poulet-poulette qui se fait tout le temps la baboune (la gueule).
  • Le coupable si évident dès le début qu’on sait très bien que ça ne sera pas lui car le film doit durer plus de 15 minutes.
  • Les cadavres féminins à nichons bien plus dénudés que les morts mâlichons.
    (Y-aurait-il trop de scénaristes hommes ? Je suis une femme et ça me dérange).
  • Le portable de la poulette qui sonne 18 fois dans l’épisode, à chaque fois que le scénariste cherche une bascule d’intrigue « Non c’est pas vrai !? Ok, j’arrive ».
  • Le jeune inspecteur français qui détecte un serial-killer chevronné en 45 minutes, coupures pub comprises, là où le meilleur profileur US mettrait 12 épisodes !

Etc, etc… je pourrais faire deux pages… ou un scénario français !

Pourquoi déconfiner et rajeunir ?

En France, les téléspectateurs amoureux des poulets et poulettes ont 53 ans sur TF1, 60 ans sur F2 et 63 ans sur F3 (source CSA). Mais vos marketeurs qui veulent les garder doivent cesser de dire « On répond aux demandes du public ». Faux ! Patois de magasinier (commercial) car le public n’a rien demandé. Il est embrigadé et regarde les escadrons de poulets si on ne lui propose rien d’autre.

Il faut cesser de prendre les français pour des valises (nigauds). Ils veulent moins de 74% de polars en primetime (étude CSA 2019). La BBC n’est qu’à 34% et ça marche ! Elle offre 66% de séries historiques, politiques, judiciaires, d’aventure,fantastiques, de jeunesse, de dramédies chez les pauvres, et même des contes romantiques ! Et parfois plusieurs par soirée ! Ne répondez pas « Oui mais notre public est différent ». C’est faux et vous le savez puisque vous adaptez plein de séries anglaises, israéliennes, espagnoles, scandinaves, créées pour leurs publics soi-disant « différents ». Ci-dessous, un petit relevé inquiétant de la diversité bien pochée (endormie) de vos productions de primetime grandes chaînes sur 2018-2019 (90’, 52’ et 26’) :

Polar et thriller                                                73,8 %
Drame sociétal ou familial                               8,2 %

Comédie familiale et-ou sentimentale             6,1 %

Feuilleton social-polar type PBLV, DNA          5,6 %
Historique                                                       3,6%

Monde médical et hospitalier                          1,2 %
Univers jeunesse et adolescence                   1,1 %


Pensez-y !…   (à suivre demain, épisode 3 : déconfiner ne suffira pas)  

En 2014, une chronique de la réalisatrice canadienne Rosalie Labonté avait évoqué le manque d’audace de la fiction française.

Aujourd’hui, elle y constate une embellie mais revient avec sa lucidité et son humour québécois sur la vache à lait du “polar“ tricolore.
note : les mots québécois peu connus sont traduits en parenthèses. Exemple : tataouiner (gesticuler)

ÉPISODE 1 : LE POLAR TÉLÉ A REMPLACÉ LE CINÉMA

Les osties de pépites du cinéma français

Depuis votre grand Victor Hugo et son chef-d’œuvre Les Misérables avec Javert et Jean Valjean, vous aimez le poulet en France ! J’ai des pépites de cinéma qui ne quittent plus mon disque dur québécois : Drôle de Drame de Marcel Carné, Touchez-pas au Grisbi de Jacques Becker, L’Ascenseur pour l’Échafaud de Louis Malle, Les Tontons Flingueurs de Georges Lautner, Le Cercle Rouge de Jean-Pierre Melville, Série Noire d’Alain Corneau et bien d’autres, les plus récents étant MR 73 d’Olivier Marchal, Un Prophète de Jacques Audiard, L’Affaire SK1 de Frédéric Tellier et des “films de genre“ comme Polisse de Maïwenn, Nightfare de Julien Séri, ou Grave de Julia Ducournau…

Révolution télévision

Mais la fontaine de votre polar long-métrage se tarit depuis 30 ans. Pourquoi ? Parce que les français d’âge mûr ont quitté la salle pour le canapé à l’arrivée des poulets-télé des années 75-80, comme vos Maigret, Cinq Dernières Minutes, Julie Lescaut, Commissaire Moulin, Navarro, etc., des séries qui ont su vous minoucher (amadouer), même si les vraies audaces ont été, dans les années 90, Série Noire, Haute Tension et L’heure Simenon d’Hamster Productions de Pierre Grimblat, l’inventeur des collections modernes. Et en 2000, l’ovni M6 Police District d’Hugues Pagan a tout secoué, avec en conseiller technique et rôle principal un Olivier Marchal qui connaissait bien le poulailler.

Et depuis 2010, votre polar télé se singularise avec au hasard, Balthazar, Nicolas Le Floch, Candice Renoir, Caïn, Les Petits Meurtres d’Agatha Christie, Cassandre, Alex Hugo, Astrid et Raphaëlle, etc… Cette canopée coiffe une autre forêt de 90’ parfois pochés (somnolents) mais souvent minous (plaisants), qu’on pourrait appeler “Meurtres à France 3“, tous sur fonds de drones de paysages, de cathédrales, de lacs et de châteaux. Sans oublier les pépés Magellan, Mongeville et votre tata Capitaine Marleau, la toquée qui tataouine (gesticule) avec grand succès même si, dans l’esprit “comédie polar“, on est loin des Tontons Flingueurs ou de L’homme de Rio

« La fiction française est au firmament ! » carillonnent ceux qui beurrent trop épais (exagèrent). “Firmament“ peut-être, mais seulement d’audience. Heureusement quelques séries ont un niveau international et cinématographique, comme Les Témoins F2, Braquo et Engrenages C+ (Emmy Awards 2012 et 2015 meilleures séries étrangères !) et les récentes osties de pépites Bureau Des Légendes C+ ou Moloch d’Arte, des séries audacieuses vendues dans le monde entier. https://siritz.com/le-carrefour/the-making-of-le-bureau-des-legendes/

Pourquoi ce retard international ?

Dans un audiovisuel mondial chambardé, aux publics de plus en plus variés et exigeants, où les 15-30 ans fuient les écrans fixes, et face au tsunami des plateformes, les moyens et l’audace sont essentiels. Votre poulet beau mec à gyrophare qui écrase les radars, ou les folleries de la Pitaine Marleau, ça plait aux chroniqueurs confinés, à vos gilets jaunes, aux ex-ménagères et aux retraités vaccinés, mais ça ne suffit pas pour vendre une série à la planète entière, tabarnak ! Pourquoi ?

https://www.rtbf.be/emission/series-corner/detail_les-miserables-la-serie-britannique-epoustouflante-adaptee-du-classique-de-victor-hugo?id=10648790

Parce que jusqu’en 2000 une bactérie rôdait sans trop de danger. Hélas elle a muté en virus méchant, le VRAP (Virus Record d’Audience Prioritaire), échappé de votre laboratoire de recherches Médiamat. Aujourd’hui, ça contagionne les diffuseurs d’une molécule “consensuelle et identificatoire“ comme disent les études de marché. Résultat : vous êtes à 74% de polars français en primetime (CNC 2019) et dans vos séries soi-disant “inédites“, vous êtes à 2/3 d’adaptations de séries étrangères ou de romans à la mode ! Ce n’est pas très sympa pour vos scénaristes inventifs et originaux…

Vince Gilligan, créateur de la série cultissime Breaking Bad, a un avis cinglant sur tout ça :
« Il faut arrêter d’étouffer l’audace. On ne peut pas faire de grandes séries à partir détudes de marché. Plus on cherche à plaire à tout le monde, moins on plait à tout le monde ».  Traduction d’une scénariste française renommée : « Le polar en télévision, c’est comme le MacDo pour les enfants, si vous leur en donnez trop, ils ne veulent plus rien d’autre ! » Avis de bon sens féminin à la Gilligan…  

Pensez-y !…   (à suivre demain, épisode 2 : les raisons du retard français)                   

POUR LE RÉALISATION DE « LE FLIC DE BELLEVILLE »

Ce dimanche 28 mars TF1 a diffusé la comédie policière « Le Flic de Belleville », sorti en salle le 17 octobre 2018. https://fr.wikipedia.org/wiki/Le_Flic_de_Belleville

Il a été réalisé par Rachid Bouchareb, dont c’est le 9ème long métrage. https://fr.wikipedia.org/wiki/Rachid_Bouchareb

Cinéfinances.info* a fourni les données financières de cet article.

Le film est produit par Jean Bréhat et Rachid Bouchareb (Tessalit Productions pour 15,4 millions € de budget initial et distribué par Metropolitan Film Export.

Pour la préparation, 54 jours de tournage et la post-production la rémunération du réalisateur est de 360 000 €, dont 200 000 € d’à valoir sur droits d’auteur et 160 000 € de salaire de technicien. C’est le double de la rémunération moyenne des réalisateurs de films français sorti en 2020.

https://siritz.com/financine/le-barometre-des-realisateurs-fin-octobre/

Le scénario a été coécrit avec Larry Gross et Marion Doussot ils se sont partagés 23 000 € et 820 000 € qui sont inscrits dans le budget respectivement pour le scénario pour le sujet.

Le film a rassemblé 632 000 spectateurs.

Son précédent film, sorti en 2014, est « Two men in a town » (« La voie de l’ennemi »). C’est une coproduction américano-algéro-française, dont Cinéfinances.info ne nous a pas fourni les chiffres. Elle avait le même producteur et était distribué par Pathé. En France elle a rassemblé 32 000 spectateurs.

En 2010 est sorti « Hors la loi », qui raconte, de 1945 à 1962, la vie de trois frères nés en Algérie. Il est également produit par Tessalit Productions. Son distributeur est Studio Canal. La rémunération du réalisateur était de 300 000 €, uniquement en à valoir sur droits d’auteur. Il a coécrit le scénario avec Olivier Loreille et ils se sont partagés 230 000 et 250 000 €, inscrits respectivement comme scénario et sujet.

Le film avait rassemblé 431 000 spectateurs.

*www.Cinefinances.info est un site, accessible par abonnement, destiné aux professionnels du cinéma.  Il publie le budget, le plan de financement et la répartition des recettes de tous les films français qui sortent (hors les films « sauvages » qui ne déposent pas leurs contrats au registre public et ne demandent donc pas l’agrément qui leur permettrait d’accéder à l’aide du CNC). Il dispose d’un puissant moteur de recherche multicritères et de 10 ans d’archives.

LES CHIFFRES RÉÉLS DES DEUX AGRÉMENTS

Le 3 juillet 2020 Siritz.com a publié un article sur la rémunération de la réalisatrice Zoé Wittock https://siritz.com/cinescoop/la-remuneration-de-zoe-wittock-pour-jumbo/pour le film « Jumbo ». Puis, le 12 février 2021 un article sur le plan de financement de ce film https://siritz.com/financine/le-pre-financement-public-de-jumbo/.

Les chiffres de ces articles sont fournis par notre site Cinéfinances.info* qui les rassemble à partir des contrats déposés au registre public et, souvent, à partir du dossier d’agrément d’investissement (avant que le film ne soit produit).

Or, pour ce film, le dossier que nous avons utilisé n’était pas le dossier définitif qui a été effectivement approuvé par la commission d’agrément d’investissement. Il nous parait donc indispensable de fournir à nos lecteurs les chiffres exactes.

Tout d’abord, en ce qui concerne l’article sur le financement, il était intitulé « Le préfinancement public de Jumbo » https://fr.wikipedia.org/wiki/Jumbo_(film,_2020). En effet, il indiquait que les financements publics représentaient 87% du financement du film. Mais les 250 000 € de financement d’Eurimages, au regard de l’agrément français, ne sont pas considérés comme de l’argent public. Celui-ci ne représente donc que 42% du budget et non 78%, comme nous l’avions écrit. Au total le film a néanmoins bénéficié de 72% d’argent public français et européen.

Le budget prévu du film était de 2 753 860 €, avec une répartition légèrement différente de celle publiée de la part de chaque coproducteur : Insolence Productions (Anaïs Bertrand) pour la France, 35,7% ; Les Films Fauves (Luxembourg) 34,68% ; Kwassa Films (Belgique), 29,63%.

ANAÏS BERTRAND

L’Avance sur recettes est de 440 000 € et non de 470 000 €.

La sofica Sofitvciné a porté pour 77 000 € le minimum garanti de WT Films, le distributeur international.

Les salaires de producteurs prévisionnels étaient de 211 819 €, les frais généraux de 189 953 €, mis en participation. Dans l’agrément de production (une fois le films réalisé), le budget du film a été de 2 986 437 €. Insolence production a mis en participation 93 138 € de salaire producteur, 70 139 € de frais généraux et 56 631 € en numéraire. Le Luxembourg a participé à hauteur de 44 693 € et la Belgique de 39 176 €. L’intégralité des imprévus a été consommé durant la post-production.

Ce film ne bénéficiait d’un financement ni de la télévision, ni d’une région ni des aides à la création visuelle et sonore du CNC. Il ne pouvait donc qu’être produit à l’international où le système d’aide est différent.

Une coproduction internationale indispensable

La réalisatrice étant belge les producteurs souhaitaient tourner dans les Hauts de France. La Belgique et le Luxembourg sont devenus des partenaires et des lieux de tournage indispensables. Ce qui supprimait les possibilités de bénéficier du crédit d’impôt.

Le film devait sortir le 18 mars 2020. Il n’a pu sortir que le premier juillet, au début des vacances. Insolence production estime que le distributeur français Rezo, a été un partenaire incroyable. En France le film n’a rassemblé que 6 869 spectateurs. Mais il s’exporterait bien. Il a ainsi été présenté à Sundance et remporté le Gild Filmpreis à la Berlinale (section Génération)

C’est le premier film de la réalisatrice Zoé Wittock. En plus de sa rémunération comme réalisatrice, celle-ci a touché 22 500 € de droits d’auteur sur le scénario, ce MG étant indexé sur le budget du film.

« Jumbo » est le premier long métrage produit par Anaïs Bertrand. Il illustre l’énorme investissement en temps et en argent que peut représenter la production d’un film et le risque important qu’il constitue pour le producteur et le distributeur. Mais  cette prise de risque explique la vitalité persistante de notre cinéma.

 

*www.Cinefinances.info est un site, accessible par abonnement, destiné aux professionnels du cinéma.  Il publie le budget, le plan de financement et la répartition des recettes de tous les films français qui sortent (hors les films « sauvages » qui ne déposent pas leurs contrats au registre public et ne demandent donc pas l’agrément qui leur permettrait d’accéder à l’aide du CNC). Il dispose d’un puissant moteur de recherche multicritères et de 10 ans d’archives.

LA RÉGLEMENTATION DES PLATEFORMES RISQUE DE TOURNER A L’ABSURDE

Les professionnels français du cinéma et de l’audiovisuel voudraient que les plateformes de S-Vod américaines aient des obligations similaires à celles des diffuseurs français : obligations d’investissement, taxe alimentant le compte de soutien, quotas. Ils ont raison. Mais dans l’actuelle réglementation française les producteurs français de cinéma et d’œuvres audiovisuelles qui bénéficieraient de leurs commandes ne peuvent bénéficier des avantages dont bénéficient ces producteurs lorsqu’ils travaillent pour des chaînes françaises : réinvestissement du soutien généré dans de nouvelles productions françaises, crédit d’impôt pour compenser les charges sociales très élevées qui renchérissent considérablement le tournage en France. https://www.lesechos.fr/tech-medias/medias/netflix-ne-veut-pas-seulement-financer-lexception-culturelle-mais-aussi-en-beneficier-1301258

Si cette discrimination était maintenue cela conduirait les producteurs français concernés à privilégier aussi souvent que possible les coproductions avec des partenaires européens. En tournant à l’étranger ils feraient appel à des prestataires de ces pays et utiliseraient le plus de salariés possibles sur lesquels ne pèseraient pas les charges sociales françaises. Et, pour maximiser les soutiens publics de ces pays, ils utiliseraient le plus souvent possible des créateurs et des comédiens francophones ou européens non français. En somme, cela ouvrirait à la Belgique, au Luxembourg et à l’Allemagne un marché inespéré.

Il faut rappeler que le Crédit d’impôt international permet de faire bénéficier de cette subvention des productions entièrement américaines à condition qu’elles soient tournées en France.

De même, un film français distribué par une major américaine bénéficie à la fois du compte de soutien et du crédit d’impôt.

En fait,  cette exclusion reviendrait à vouloir le beurre et l’argent du beurre, à refuser d’admettre la réalité : les plateformes souhaitent investir fortement dans les séries mais beaucoup moins dans des films qui sortent d’abord en salle. On les oblige néanmoins à investir dans nos films de cinéma. Mais cela met en danger Canal +, notre chaîne du cinéma. Pour ne pas perdre Canal+, cette mesure « compenserait » cette menace par de lourds handicaps à supporter par les producteurs auxquelles ces plateformes seront obligées de commander. Mais comme la réglementation les obligera à investir dans des films de cinéma cela ne supprimera aucunement la menace pesant sur Canal +. Et le bénéfice économique global de ces obligations sera en grande partie perdu. Les organisations professionnelles représentant les producteurs français (SPI, SPECT, USPA, AnimFrance, etc…) demandent à l’État de modifier cette règle absurde.

En somme, faire entrer les plateformes dans notre écosystème est logique. Mais le développement de ces plateformes accompagne le bouleversement des pratiques culturelles. Notre écosystème ne peut ignorer ce bouleversement et rester immuable. Pour en conserver l’esprit il faut le faire évoluer. https://siritz.com/editorial/faire-evoluer-lecosysteme-de-notre-cinema/

 

Le risque pour le cinéma est celui du renouvellement générationnel

Siritz.com : En tant qu’économistes du cinéma vous êtes des observateurs privilégiés de cette industrie et de son évolution. En France, avant la pandémie, depuis une dizaine d’années, la fréquentation cinématographique est à un niveau élevé de plus de 200 millions de spectateurs par an. Est-ce qu’il en est de même dans les autres pays occidentaux et, notamment aux États-Unis ?

Philippe Chantepie, inspecteur général du Ministère de la Culture

Philippe Chantepie : On est plutôt dans une période de hausse globale, mais il faut distinguer selon les régions. Aux États-Unis la MPAA manifeste des inquiétudes depuis la dernière décennie. Les studios cherchent à se développer en Asie qui est un marché en belle progression, alors qu’en Europe il n’y a plus beaucoup de ressources potentielles. En Europe, maintenant que les parcs de salles se sont restructurés, au moins pour partie, on est dans une relative stabilité. Cela tient au vieillissement de la population et de la production qui est concentrée sur peu de pays, la Grande-Bretagne et la France. Et très peu d’échanges intra- européens.

Siritz.com : Dans les pays occidentaux le public du cinéma est un public âgé. Ceux qui y vont sont la génération du baby-boom d’après-guerre. Ils sont nombreux parce que l’on vit de plus en plus longtemps. Mais il semble que les jeunes d’aujourd’hui vont très peu au cinéma et regardent d’autres médias. A long terme c’est inquiétant. Quand ils seront vieux ils n’auront pas l’habitude d’aller au cinéma.

PC : L’évolution des pratiques culturelles sur 50 ans dessine une tendance, comme les données du CNC regardés longitudinalement ; et on trouve le même constat au Japon ou aux États-Unis : le problème n’est pas seulement celui du vieillissement de la population et de la « fin » des baby-boomers. Le problème ou le risque est en réalité celui qu’ont connu la presse ou la lecture de livre : c’est celui du renouvellement générationnel. Est-ce que les 10/15 ans et 20-25 ans d’aujourd’hui vont plus ou moins au cinéma que les 10/15 ans et 15-25 ans des décennies passées. La réponse est plutôt non et la tendance s’affirme.  Or, si la pratique ne s’installe pas à ce moment, elle ne s’inscrira pas à l’âge de 25-35 ans… A présent, ce constat est obscurci par le fait que les 60 ans et plus avaient repris le chemin des salles. Avec la multiplication des modes d’accès au cinéma par le numérique, amplifiée par la crise de la Covid, la sortie en salle, qui était la pratique culturelle la plus démocratique, avec la musique enregistrée, est en danger à moyen-long terme dans les pays occidentaux.

Siritz.com : C’est-à-dire ?

PC : Il y a une prise de conscience, d’abord aux États-Unis. En France, moins puisqu’on parle de vieillissement, ce qui est exact mais ne fournit pas le diagnostic. La prise en compte du problème conduit à une autre difficulté, du moins une nouveauté dans l’offre : commence à voir le jour aux États-Unis une re-segmentation de l’offre. D’un côté une segmentation jeune, les Marvel, les Disney, etc…ou, en France l’animation. Et puis, il y a une production plus disparate pour des publics plus âgés et des marchés plus étroits. La consommation numérique durant la pandémie, le risque d’embouteillage des sorties à son issue sont des éléments qui peuvent révéler ouvertement ces enjeux.

Siritz.com : Il semble que la Chine soit devenue le premier marché du monde, du moins par la fréquentation.

PC : Peut-être aussi par la production. Des incertitudes sur les chiffres demeurent.

Siritz.com : Et le Moyen-Orient se développe aussi ?

PC : Oui, parce qu’ils développent leur parc de salle qui était limité, disposent de financements, créent des festivals. Mais ce sont des marchés que l’on a peu explorés. Ils sont un peu comme le marché indien, pourvu de vitalité, très dépendants des bassins linguistiques, en l’occurrence unifié d’un côté, multiple de l’autre. Se sont aussi des univers clos pour les marchés occidentaux.

Siritz.com : La Chine a une production importante. Elle vient de sortir un film d’action qui a réalisé le plus fort démarrage de l’histoire du cinéma, devant les Avengers. Et la Chine a clairement une volonté de montrer sa puissance. Pourtant, on ne connait pratiquement pas le cinéma chinois, beaucoup moins que le Coréen ou le Japonais.

PC : La Chine cherche d’abord à créer un marché intérieur puissant et autonome économiquement. Il y a eu d’énormes investissement dans le parc de salles modernes et ultra-équipées. Elle dispose de très grands groupes avec de considérables économies d’échelle. Depuis, des partenariats ont commencé, soit en coproduction qui n’ont pas bien marché, sans doute pour des raisons culturelles, soit par des investissement dans des groupes américains ou européens, comme ils le font sur les jeux vidéo. En outre, on apprécie trop peu l’importance d’un bassin asiatique où la Chine peut jouer un rôle très puissant.

Thomas Paris, Chercheur au CNRS

TP : Et puis les investissements chinois dans le cinéma et l’audiovisuel ont été freinés par les pouvoirs politiques. Par ailleurs, pour imposer sa production, il faut des structures, d’exportateurs et d’importateurs. Enfin, la culture est un facteur important. Imposer les codes du cinéma chinois, qui sont différents de ceux auxquels on est habitués, va prendre du temps. René Bonnell l’avait théorisé : nous baignons tous depuis notre plus jeune âge dans les codes que nous a imposés Hollywood.

Les franchises permettent aux studios de limiter les risques

Siritz.com : Dans votre livre vous décrivez et analysez les différentes phases de l’évolution du cinéma américain, tant du point de vue de l’économie que de la création. Il y a eu le star -system, les grands réalisateurs, les westerns, les superproductions et, aujourd’hui il y a les franchises.

TP : Le cinéma est une industrie de prise de risque, comme toutes les industries de la création et les producteurs et distributeurs, surtout lorsqu’ils interviennent au niveau mondial, ont tendance à vouloir limiter les risques. Le star-system était un moyen de limiter les risques, en mettant en avant des noms connus du public. Aujourd’hui, avec les franchises, ils savent d’emblée qu’ils auront un public identifié qui a apprécié la première ou les précédentes productions de la franchise. Ils savent qui est le public de Star Wars ou de Superman. Le risque est limité et les investissements en marketing peuvent compter sur une notoriété préexistante.

Siritz.com : Mais est-ce que l’on ne note pas des indices d’usure de cette formule ?

PC : C’est Disney qui a inventé la franchise, avec tous les produits dérivés et les parcs de loisirs, ce qui permet de créer et faire vivre non pas seulement un film, mais un univers.

Siritz.com : Mais les autres pays occidentaux n’ont pas réussi à le copier. Sauf pour quelques comédies qui ont un énorme succès et dont on fait quelques suites.

PC : On n’a pas vraiment créé d’ »univers européen », capable de toucher le monde. On a eu « Amélie Poulain » ou « The Artist » qui sont des singularités exotiques et typiques. Mais on n’aurait pas pu en faire réellement des franchises. Et les échanges entre les cinémas européens sont très faibles. Il n’y a que la France qui est historiquement ouverte aux cinémas des autres pays européens et plus encore aux cinématographies extra-européennes.

Siritz.com : La production française est de loin la plus importante d’Europe. Mais, sur son propre marché elle ne représente aujourd’hui que 35 à 40% de la fréquentation et le cinéma américain de 50 à 55%. Notre industrie cinématographique dépend donc du cinéma américain.

TP : Tout le génie du système économique du cinéma français consiste à s’appuyer sur les recettes du cinéma américain pour produire des films. La crise sanitaire, quand les salles étaient ouvertes, nous a quasiment placés dans une situation où les entrées se limitaient à celles des films français, ce qui a donné un aperçu de ce que serait notre cinéma sans les films américains. Bien entendu, si, à l’avenir, on se retrouvait dans un système où il n’y avait plus de films américains la question de la survie du cinéma français se poserait. Notre système pallie cette situation puisqu’il repose en partie sur le financement par les chaînes et, demain, les plateformes de streaming, ce qui devrait permettre de préserver une partie de son financement. Mais serait-il suffisant ?

PC : Avec une précision : les exploitants ont à juste titre bénéficié pendant cette crise d’une exonération de la TSA. Cette exonération peut aussi traduire le poids assez faible qu’elle représente sur le financement du cinéma en France. L’essentiel provient de la taxe sur les diffuseurs, des apports des chaînes payantes, publiques ou privées. Par ailleurs, si on regarde les audiences des films français et américains, sur le long terme, elles sont assez faibles et décroissantes. L’intérêt des chaînes généralistes pour le cinéma n’est plus aussi prégnant et la concurrence des chaînes cinéma importante. Il y a des cases qui ne sont pas occupées. Le cinéma a perdu un pouvoir d’attraction historique qui justifiait le financement à long terme. Ce sont les fictions audiovisuelles et les séries qui ont le vent en poupe. A fortiori avec la concurrence de la S-VoD, la période de pandémie et ses effets sur les salles rendent, les enjeux de financement du cinéma sont très aigus.

Siritz.com : Oui. Parce que les diffuseurs autres que les salles de cinéma, les chaînes comme les plateformes, recherchent plutôt les séries. Cela dit, récemment Netflix vient d’annoncer qu’en 2021 ils vont diffuser 71 films. Ce qu’ils appellent films, c’est-à-dire des unitaires, souvent à très gros budget, mais qui ne sortent pas en salle. Par exemple, les prochains films de Jean-Pierre Jeunet, de Dany Boon ou de Jane Campion. https://siritz.com/financine/razzia-de-netflix-sur-les-films-de-cinema/ C’est tout de même une évolution importante pour un diffuseur qui recherchait des séries, parce qu’elles fidélisaient le public. Et Disney a réservé l’exclusivité de trois de ses plus grosses productions de cinéma à ses abonnés de sa plateforme Disney+. Mais elle a successivement fait trois types d’offres différentes, ce qui laisse supposer qu’aucune n’a été concluante. Comment analyser ces évolutions ?

TP : Pendant très longtemps la valeur d’un film lui était conférée par sa sortie en salle, notamment par le nombre d’entrées. Cette situation tenait aussi au fait qu’on ne mettait pas les mêmes moyens en marketing sur une film diffusé sur un autre média, par exemple en e-cinéma , ce qui donne lieu à un phénomène de prophétie auto-réalisatrice. Mais les studios ont la possibilité de récupérer une part de recettes plus importante sur une sortie en VOD que sur une sortie en salles. C’est ce qu’avait montré une étude pour la Commission européenne. Certes, aujourd’hui, le développement de la SVOD change la donne. Néanmoins on peut constater que la situation actuelle conduit les studios à expérimenter différentes formules.

Dans une phase expérimentale ou dans un régime de transition

Siritz.com : Jusqu’à maintenant tous les exploitants du monde exigeaient une fenêtre prioritaire et exclusive. Aujourd’hui, aux États-Unis les exploitants acceptent des sorties simultanées sur la S-Vod. Mais la pandémie les oblige à des jauges très faibles et ils ne peuvent être trop exigeants. Le réseau de salles AMC a signé un accord avec Universal. Il a une fenêtre de 17 jours pour la salle, puis le film sort en VoD et le studio partage avec AMC les bénéfices https://blog.son-video.com/2020/08/un-accord-historique-entre-universal-et-amc-permettra-la-publication-des-films-en-vod-17-jours-apres-leur-sortie-en-salle.

TP : Nous sommes encore dans une phase expérimentale ou dans un régime de transition. Il est certain que la majorité des consommateurs ne s’abonnera pas à toutes les plateformes. Leur capacité d’abonnement est limitée. Comme dans le football, beaucoup s’abonneront  à une offre parcellaire, voire peut-être, tant que cela est possible, ils prendront des abonnements momentanément pour voir un film très médiatisé. Aujourd’hui, les films très attendus comme « Mulan » ou « Soul », sont rares. Cette rareté en fait des produits d’appel mais permet dans le même temps cette stratégie « d’abonnements tournants ».

PC : On est aussi dans une phase de recrutement d’abonnés. Les plateformes tentent toutes les formules pour trouver les plus efficaces. Et ceci peut durer. Cette situation rappelle celle de la musique au début 2000 : les deux premières plateformes MusicNet et PressPlay (créées par les Majors deux à deux), se disputaient par leur catalogue de futurs abonnés… comme si l’amateur de musique devait choisir la moitié du catalogue sans savoir si tel titre de tel label appartenait à telle plate-forme. Même chose avec l’épisode de convergence de Vivendi au temps de Messier. Pierre Lescure avait alors rappelé que, par nature, une création est destinée non pas à un parc à thèmes mais au plus grand nombre. Il avait raison. Aujourd’hui, peut-être, mais pas encore.

TP : En France, la question de la chronologie des médias intègre celle de la défense d’acteurs établis. Ramener la fenêtre de la S-VoD juste derrière celle de Canal+ pourrait signifier sacrifier Canal +. Or Canal+ est le pilier du financement du cinéma français. Les réflexions sur la chronologie des médias se font donc avec cette interrogation en toile de fond : ne risque-t-on pas de détruire notre système ? Notre chronologie des médias est très réglementée. Mais elle se rapproche de la chronologie de gré à gré des américains.

Personne ne peut dire jusqu’où ce déplacement du centre de gravité vers le marketing au détriment de la création peut aller

Siritz.com : Sur les franchises, en France, il y a eu Besson, avec notamment Taxi, Taken, etc…

TP : Oui. Mais ce sont des films à l’américaine. Et un des freins pour nous, c’est que les franchises exigent des coûts marketing très élevés Mais ce concept de franchise dépasse le cinéma. C’est un enjeu dans le jeu vidéo, où certains acteurs constatent que certains de leurs jeux imposent des univers qui peuvent être valorisés de différentes manières. La marque et l’univers constituent des actifs importants. Quand on voit les derniers Star Wars on se rend compte qu’il n’y a pas d’effort considérable sur le scenario. Il y a à peu près la même structure d’un film à l’autre, les mêmes scènes.  Jusqu’où ce déplacement du centre de gravité vers le marketing au détriment de la création peut-il aller ? Personne ne peut le dire. Il y aura peut-être un renouveau de la création qui peut arriver par le cinéma ou par un autre média. D’ailleurs, l’engouement pour les séries tient-il peut-être à un affaiblissement de la capacité du cinéma à nous surprendre.

PC : De plus, il faut se pencher sur l’économie de l’attention. Le jeux vidéo qui se vendait uniquement à l’unitaire est en train de basculer vers l’attention et la durée, pas seulement avec le streaming. Le principe, devenu universel, consiste à capter des utilisateurs abonnés et le plus de leur temps d’attention. Les univers, ceux que les jeux ont parfaitement compris et créés, sont longs, ceux des séries audiovisuelles de même. Le cinéma sait faire des sequels, pour quelques films… Cette situation place en concurrence tous les contenus sur les mêmes écrans, ce qui fait que la valeur s’opère aussi en amont par les algorithmes utilisant les data des profils d’usages. Netflix, Amazon Prime… des studios hollywoodiens dans une moindre mesure s’y mettent. En Europe, cette dimension n’est pas conçue à sa mesure.

Siritz.com : Mais les exploitants peuvent bâtir des algorithmes à partir des cartes d’abonnement puisqu’ils savent exactement ce que chacun a consommé.

PC : Ils ont très peu de données. Sans doute l’âge, mais la catégorie socioprofessionnelle, les autres goûts et préférences, l’univers de consommation culturelle … Traditionnellement les industries culturelles ne connaissent guère leurs consommateurs, mais les distributeurs davantage.

TP : Avant la crise, le cinéma en France semblait aller vers une bipolarisation franchises et films d’animation, avec de moins en moins d’espace pour les films qui sortent de ces catégories. Avec la pandémie, c’est peut-être une perspective inverse qui se dessine. Si les franchises abandonnaient les salles, l’espace serait de nouveau libre pour cet autre cinéma. Mais cela impliquerait une économie plus frugale pour le cinéma français.