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Le carrefour

The making of « Le bureau des légendes »

Interviewé

Son producteur, Alex Berger *, révèle comment , seule de toutes les séries françaises, elle arrive à livrer 10 épisodes par an

Siritz : Le « Bureau des légendes » est la seule série française qui diffuse 10 épisodes de 52 minutes par an depuis le  début. Comment vous y prenez-vous ?

Alex Berger : Il faut tout d’abord que la série soit, dès le départ, prévue et organisée pour faire une série par an. Eric Rochant, avec qui j’ai créé la société de production,

TOP-The Oligarchs Productions, dès 2008, nous sommes demandés comment faire une série forte et exigeante Française, en faisant comme les américains, c’est à dire rendre des saisons de 8 à 24 épisodes par an. Ce processus industriel indispensable est prévu dès le développement. Aux Etats-Unis ça fonctionne comme ça depuis 60 ans. Ils ont prévu la writers room, que nous appelons atelier d’écriture structurée, ADES. Et toute l’organisation, écriture, tournage, montage se trouve dans le même lieu pour gagner le maximum de temps. En second lieu il faut une organisation particulière : des règles, comme les Guilds (syndicats)aux Etats-Unis : ils ont normé un système. La guilde des auteurs, la WGA établit les règles pour l’ensemble de l’organisation : le rythme, les rendus, la typologie de chaque production, le temps qu’on y consacre, les versions, les rôles, les responsabilités, les rémunérations pour chacun.

Siritz : Pour un pays qui se dit ultra-libéral…

Alex Berger : Dans ce domaine c’est le pays le plus régulé au monde après la Chine. Ces règles sont signées par tous : auteurs, réalisateurs, producteurs, distributeurs, diffuseurs. Ces normes sont négociés et mis à jour tous les 4 ans. Si on n’est pas signataire de ce tronc commun de règles on ne peut pas travailler. Donc, le marché est très compétitif, mais tout le monde utilise les mêmes normes, donc le processus est rodé et les productions s’insèrent tous dans une organisation préétablie. Et cela a donné depuis 20 ans le renouveau des séries menées par des auteurs-producteurs d’une créativité exceptionnelle comme les Sopranos (David Chase), The Wire (David Simon), The West Wing (Aaron Sorkin) ou des comédies comme Seinfeld (Jerry Seinfeld et Larry David) .

Siritz : Donc Éric et vous vouliez reproduire le système américain ?

Alex Berger : Oui, mais en tenant compte des particularités françaises. C’est à dire du droit d’auteur et non du copyright américain,  du droit du travail qui est plus restrictif chez nous, notamment en ce qui concerne la durée du travail. Quant au travail en pool, on a commencé à y penser avec notre projet sur les oligarques russes, pour Canal. Et puis, plus tard, quand Eric a eu l’idée du « Bureau des légendes », il n’était pas question pour nous de faire autre chose qu’une saison par an, dans la même exigence, en mettant en place que nous devions adapter, en l’inventant pour la France et en faisant la pédagogie auprès de nos partenaires, Canal+ et Fédération Entertainment (la société de Pascal Breton, en charge de la distribution). Puis il a fallu faire la pédagogie de l’ensemble des équipes pour bien comprendre l’aspect timing très intense, afin que, quand nous commencions le da production d’une saison, nous étions déjà dans le développement de la saison suivante. Donc il a fallu véritablement s’organiser en amont.

Il a fallu faire émerger notre « marque »

Siritz : Depuis le lancement de la première saison les choses ont évolué ?

Alex Berger : Surtout le marché est devenu de plus en plus compétitif. En 2013 il n’y avait pas Netflix. Depuis les choses sont différentes. Il y a beaucoup plus de volume de séries, plus de diffuseurs et de plateformes. Il a fallu faire émerger notre marque.

Siritz : Ca veut dire quoi « marque » dans ce domaine ?

Alex Berger : C’est une marque à engagement émotionnel, où les spectateurs investissent des heures de leur vie, en l’occurrence 10 heures par an pour Le Bureau des Légendes, pour suivre des personnages, entrer dans un univers. Il fallait s’imposer dans un univers avec beaucoup plus de choix. Il fallait être surs et certains que nous ne séparions pas la création et l’idée du processus industriel mais surtout il fallait traduire l’ADN des écrits de bout en bout du processus et jusqu’à la fin, le marketing. On doit être vigilant et cohérent jusqu’au dernier metre, au dernier instant pour ne pas fausser la relation avec le spectateur, de ne pas le décevoir car c’est une relation fragile et de maintenir l’envie de revenir doit se gérer en amont aussi.

Siritz : Cela suppose un changement total de conception du producteur et des équipes, mais est-ce que ça ne suppose pas un changement total de la part de la chaîne ? Comment commencer le développement d’une nouvelle saison en même temps que le début de la production de la précédente alors que les chaînes françaises attendent  de voir si la série a marché pour commander la suivante.

Alex Berger: Ca été comme pour tout ce qui concerne « Le bureau des légendes », il a fallu faire de la pédagogie. Mais surtout il faut trouver les bons partenaires, le bon studio en l’occurrence FedEnt pour prendre le risque, jouer gagnant et pas forcément que prudent. Et convaincre Canal+ de s’engager à prendre le risque du développement.

Siritz : Par ailleurs, les chaînes françaises payent 800 000 € ou au plus 1 million€ l’épisode. Or votre série coûte beaucoup plus chère. 

Alexc Berger: La première année il a fallu faire avec. Notre partenaire Federation Entertainment, qui, en tant que studio,  a investi plus d’un million € dans le développement. Sur les 15 millions € que coûtait la saison 1, Canal+ s’est engagé sur 10 millions €. C’est notre partenaire Fédération Entertainment qui, en tant que distributeur est de nouveau intervenu.

Siritz : En pariant sur les ventes internationales ?

Alex Berger : Oui.

Siritz : Quelle a été la première chaîne étrangère qui a acheté la série ?

Alex Berger : La VRT, la chaîne  flamande publique. Mais les ventes se font après la première saison. Les chaînes veulent être certaines que la série va revenir pour plusieurs saisons, les étrangers veulent pouvoir l’installer.

Siritz : Et ensuite ?

Alex Berger : Deux pays ont été véritablement déclencheurs de toutes les ventes internationales : les Etats-Unis et le Royaume-Uni. Aux Etats-Unis c’est un nouvel acheteur qui l’a emporté initialement, Apple. Au Royaume-Uni c’est Amazon. Aujourd’hui c’est Sundance dans ces deux pays.

Siritz : Et en tout vous avez eu combien de pays acheteurs ?

Alex Berger : D’après FedEnt et StudioCanal, près de 100.

Siritz : Outre sa qualité et sa périodicité, ce qui est remarquable avec « Le bureau des légendes » c’est que c’est un des grands réalisateurs du cinéma français, Eric Rochant, qui s’y est lancé. Il y a encore quelques années, en France, la fiction était considérée comme un art mineur, comparativement au cinéma, art majeur.

Alex Berger : Oui, cela a changé, cette forme narrative qui donne plus de temps à installer les personnages et les histoires attire les meilleurs.  Depuis au moins une vingtaine d’années sont apparus les séries américaines que je citais, elles ont changé le paradigme, les séries relèvent d’un art majeur.

Le studio de tournage est essentiel 

Siritz : Pour une série aussi ambitieuse le studio de tournage est essentiel ? 

Alex Berger : Oui, à la fois pour y installer des décors récurrents, mais pour avoir une unité de travail : écriture, tournage, montage, production, PMDC (promo-marketing-digital et communication). Nous sommes installés à la Cité du cinéma qui nous convient très bien. Mais en 2013, il a fallu expliquer et négocier ce nouveau processus. 

Siritz : Mais en 2023 la Cité du cinéma sera le siège des JO.

Alex Berger : Je sais. Mais il y a d’autres studios.

Siritz : De toutes façons, en France comme ailleurs, le nombre de séries produites va fortement augmenter. Il va y avoir une bataille attirer pour les talents, à commencer à celle entre le cinéma et les séries, puis entre les séries de toutes ces plates-formes.

Alex Berger : C’est le plus important. Signer des normes et des règles par tous les acteurs de notre industrie. Il faut ensuite enseigner ces règles dans les écoles, développer la formation. Implémenter des règles et normes pour tous : Français et étrangers commerçant sur notre marché. Il faut contribuer au CNC, adhérer à ses règles et à la SACD. De manière transparente. C’est en train de se faire avec des normes, adaptées à notre droit d’auteur, notre droit du travail à notre exception culturelle. On en discute et je participe à ces discussions car elles sont très importantes. C’est maintenant car aujourd’hui deux systèmes s’affrontent entre les normes US et Européennes. 

* Alex Berger, né aux Etats-Unis, est un producteur, concepteur, consultant et entrepreneur dans le domaine des médias. Au cours de sa vie professionnelle, il a créé ou participé à de nombreux programmes (Rapido, Burger Quiz ), inventé le portail multi-accès (Vizzavi), fondé ou accéléré la croissance de plusieurs entreprises (NBdC,Chez Wam, Canal+),  et a occupé de nombreux postes à responsabilité, notamment aux côtés de Pierre Lescure  chez Canal +  ou encore comme patron de CanalNumédia ou VivendiNet (Groupe Vivendi-Universal), et dernièrement en tant que co-fondateur de TOP – The Oligarchs Productions.

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