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Les studios américains pensent avoir trouvé le Graal, une véritable corne d’abondance et La Pierre philosophale, capable de tout transformer en or. Mais sont-ils aussi éternels qu’ils le pensent.

LES SUPERS HÉROS ET LES FORMATS

Le Graal c’est le super-héros auquel le public s’identifie. Certains ont été inventés pour le cinéma (comme dans « La guerre des étoiles », « Indiana Jones », « Mission impossible », « Avatar », etc…). D’autres sont adaptés de bandes dessinées célèbres (Superman, Batman, Spiderman, etc…).

Mais, selon les studios, ce Graal ne devient véritablement capable de créer de l’abondance à volonté que quand il se bâtit sur un format qui répète à l’infini la première version des exploits du super héros, en les rendant à chaque fois plus spectaculaires. Le public-surtout les jeunes- y retournera à chaque fois les yeux fermés pour renouveler le plaisir que lui a procuré la version précédente. Dans le cas d’Indiana Jones chaque épisode jusqu’au 5ème a même eu plus de succès que le précédent.

LES PLATES-FORMES DE S-VOD

La Pierre philosophale ce sont les plates-formes de S-Vod, qui proposent un choix considérable de fictions-surtout des séries, parfois des unitaires-évènements et des documentaires-que, grâce au numérique, on peut regarder quand on veut sur son téléviseur, son ordinateur et sa tablette. Et, pour ces programmes, comme pour les super-héros du cinéma, le récit doit s’inscrire dans un format qui reproduit à l’identique celui de succès passés : durée des séquences, climax à tels moments, etc…

L’inventeur de la plate-forme est Netflix qui avait réussi dans la location de cassettes vidéo, puis de DVD. Et son succès a été foudroyant et universel. Les majors se sont dit qu’elles ne pouvaient laisser l’exclusivité de l’usage de cette Pierre philosophale à une entreprise de location alors qu’elles possédaient le Graal des Blockbusters.

C’est pourquoi toutes les majors, à l’exception de Sony-donc 4 majors-ont lancé là leur tour eur plates-formes. Ont également crée la leur Amazon pour qui ce n’est qu’un produit d’appel pour s’abonner à sa plate-forme de livraison. Et pour qui c’est une goutte d’eau. Apple a également lancé la sienne. Pour c’est aussi une goutte d’eau et sa stratégie est de bâtir une marque fondée sur l’innovation et la qualité.  Avec Pixar elle avait bien démontré que la qualité et la créativité sont dans ses gènes.

Or, pour l’instant, toutes les plates-formes des studios sont lourdement déficitaires. Et elles risquent de le demeurer. Seule la plate-forme de Netflix est bénéficiaire et capable d’amortir ses 17 milliards $ par an investis dans les contenus.

Mais peut-on imaginer que chacune de ces plates-formes trouve les millions d’abonnés qui lui sont nécessaires pour atteindre l’équilibre. Comme cela s’avère improbable elles tentent de réduire leur tarif d’abonnement avec une offre comprenant de la publicité. Mais les chaînes de télévision traditionnelle sont bien placées pour savoir que c’est un marché en régression. Certes la publicité sur le replay est  en progression mais elle reste marginale.

LE GOULOT D’ÉTRANGLEMENT DES TALENTS

Surtout, les plates-formes se heurtent à un véritable goulot d’étranglement : le manque de talents. Il ne suffit pas de respecter un format qui a fait ses preuves pour fabriquer un bon programme. Car le public regarde une série et va au cinéma pour se changer les idées en étant captiver par une histoire et des personnages qu’il découvre et qui le surprennent.

Même les jeunes finissent par se lasser de la répétition. Il n’est donc pas certain que tous les films à très gros budget que les majors croient devoir être de nouveaux blockbusters ne soient pas des déceptions. Comme le dernier Indiana Jones qui est sans doute bien meilleur que son précédent et qui n’a visiblement pas attiré le public jeune.  De même il ne suffit pas de mettre une star dans une série et suivre pas à pas les régler d’un format pour que son succès soit inéluctable.

Or le cinéma en France dépend beaucoup du succès des blockbusters américains. Les résultats mitigés, aux États-Unis et en France, du nouvel Indiana Jones, qui est pourtant bien supérieur à son prédécesseur, sont un avertissement. Les jeunes d’étaient pas au rendez-vous. Or cet échec fait suite à celui d’autres films qui se présentaient comme des blockbusters. Peut-être que le Graal ne va plus transformer le plomb qu’en plomb. Les studios devront alors en trouver un autre Graal, qui sera probablement découvert par l’inventivité d’un nouveau talents.

De même il risque d’y avoir un soudain rétrécissement de l’offre de plates-formes du fait du tarissement de la Corne d’abondance. Et le boom de la demande de séries va peut-être se ralentir brusquement si plusieurs plates-formes disparaissent.

LA DISTRIBUTION PEUT-ELLE ESPÉRER DU NOUVEL ÉCO-SYSTÈME ?

ll reste encore une étape à franchir pour l’inclusion de la S-vod dans l’écosystème de notre audiovisuel. C’est, pour les films de cinéma, sa place dans la chronologie des médias par rapport à Canal + mais aussi aux grandes chaînes en clair.
Canal a signé un accord avec la profession du cinéma, avec une chronologie des médias que le cinéma doit imposer aux autres médias. https://siritz.com/editorial/accord-entre-canal-et-le-cinema/Mais ceux-ci peuvent ne pas vouloir respecter cette chronologie. La situation serait telle que le gouvernement devrait intervenir pour trancher ce conflit. https://www.lesnumeriques.com/vie-du-net/le-dossier-de-la-chronologie-des-medias-pietine-netflix-s-impatiente-n168203.html

Mais une fois ce conflit tranché, est-ce que le cinéma bénéficiera de plus d’argent ? En principe oui puisque, dès la première année, les plateformes vont apporter 50 à 60 millions € en plus à la production cinéma.
Néanmoins, face à cette concurrence, le chiffre d’affaires et, donc, l’apport de Canal + à cette production risque de baisser. Surtout, si le gouvernement impose à Canal + une chronologie qui ne lui convient pas, la chaîne peut toujours mettre à exécution sa menace de se scinder en deux chaînes : une, utilisant la fréquence hertzienne, de cinéma et fiction, soumise aux règles fixées par l’État et le CSA. L’autre de sport, utilisant l’OTT, c’est à dire internet. Le chiffre d’affaires de la première, sur lequel est assis l’obligation d’investissement dans la production cinéma et fiction, chuterait alors fortement.Dans ce cas il est probable que la production cinéma verrait ses recettes baisser.
Mais admettons que les choses se passent bien et qu’un accord général soit trouvé sur la chronologie des médias. C’est à dire que la S-Vod apporte 50 à 60 millions de financement supplémentaire à la production cinéma. Est-ce que cela ne va pas permettre aux producteurs de demander des minima garantis moins élevés aux distributeurs qui traversent une phase très difficile du fait de la baisse de la fréquentation de 2021 qui devrait se poursuivre largement en 2022 ?                                                                                                                                                                   En fait, les plateformes ne seront certainement intéressées que par les films à fort potentiel commercial. Elles n’apporteront donc pas plus de financement aux producteurs des autres dont les montages financiers ne seront nullement facilités. Au contraire, si le chiffre d’affaires de Canal+ baisse. Ces producteurs ne seront donc pas en mesure de moins faire reposer leur financement sur les distributeurs.

 

EN FRANCE LA PRIORITÉ EST DONNÉE À LA RÉGLEMENTATION ET LA CONCENTRATION

Le gouvernement est favorable à la fusion de TF1 et de M6, car se sont des nains comparés aux géants américains de la S-VoD. Et la présidente de France télévisions partage ce point de vue et doit sans doute souhaiter une fusion de son groupe avec radio France. https://siritz.com/editorial/vers-du-grabuge-dans-laudiovisuel/

Mais, à part la présidente de France télévisions et le président du CSA, les autres diffuseurs et les producteurs indépendants de télévision sont contre, surtout les producteurs de flux que rien ne protège contre une intégration verticale renforcée, dans leur secteur, de ce nouveau groupe.

En tout cas, ce qui est frappant c’est que ces deux diffuseurs, comme France télévisions d’ailleurs, n’ont pas axé leur développement sur l’innovation numérique, à la différence par exemple des chaînes britanniques.

Un article des Échos du 20 octobre notait ainsi que, en 2020, le chiffre d’affaires de la télévision de rattrapage des chaines françaises représentait 125 millions € contre 426 millions € pour la VoD gratuite ou payante des chaines britanniques, soit 11% de leur chiffre d’affaires. https://www.zdnet.fr/blogs/digital-home-revolution/le-replay-l-arme-des-cha-nes-contre-la-svod-39883867.htm

Ce retard â l’allumage de la télévision française n’est pas nouveau. Ainsi, le feuilleton quotidien est à l’évidence un genre majeur de la télévision. Au Royaume-Uni « Coronation street » date de 1960. En France, le premier feuilleton quotidien, « Plus Belle la vie » date de….2004 alors qu’il y en avait alors 4 qui triomphaient au Royaume-Uni et au moins 3 dans chacun des grands pays voisins.

Les GAFA sont intégralement nés de l’innovation, y compris Netflix. Certes Disney, un puissant acteur établi, se développe, mais il reste encore loin derrière.

Le seul domaine où la télévision française a, en fait, innové, est le flux de M6 qui traite des sujets concernant la vie quotidienne des français. Ce qui a permis â cette « petite » chaine d’être beaucoup plus rentable que TF1. Mais elle n’ a pas  transposé ce succès dans le numérique, alors que Netflix a démarré comme loueur de K7 vidéo. Et Amazon a commencé en vendant des livres en ligne.
La culture économique dominante en France repose sur la taille et la réglementation beaucoup plus que sur l’innovation.

 

LE DÉCRET SMAD VA CREUSER UN PEU PLUS SA TOMBE

Les décrets SMAD, qui vont obliger la S-VoD à financer le cinéma français, ne sont pas encore totalement au point. La pierre d’achoppement porte sur la chronologie des médias. Mais cette question cache le problème de fonds qui est celui de la nature même de notre cinéma.

Au stade actuel du projet la salle de cinéma conserve son exclusivité de 4 mois. Car, les exploitants, ont réussi à faire reconnaitre que le cinéma c’est un film en salle. Au Congrès de la FNCF, François Aymé, le président de l’AFCA, a bien rappelé que si, dans notre pays, nos statistiques professionnelles publient le nombre d’entrées et non le chiffre d’affaires, c’est que le cinéma en salle à un rôle essentiel dans la vie de notre cité. Ce n’est pas seulement une activité économique, mais il a un rôle culturel et social. https://siritz.com/editorial/cinema-entre-optimisme-et-colere/

A ce stade des négociations la S-VoD a trouvé sa place entre Canal+ et les chaînes hertziennes gratuites. Mais celles-ci exigent que, quand elles diffusent un film qu’elles ont préfinancé, la plateforme de S-VoD qui l’a également diffusé cesse de le diffuser. Ce que ces dernières refusent. Surtout Walt Disney, qui menace, si cette règle est appliquée, de ne pas diffuser ses films dans les salles françaises, mais directement sur sa plateforme. Et, au Congrès, comme expliqué dans l’article cité, pour bien montrer ce que cela signifierait, le Studio n’a présenté aucun film de 2022. Ce serait bien entendu, une catastrophe pour le cinéma français.https://www.lesnumeriques.com/vie-du-net/disney-met-un-enorme-coup-de-pression-sur-la-chronologie-des-medias-n168751.html

Beaucoup pensent que c’est du bluff, car, même si cela permettrait d’augmenter les abonnements de la plateforme, ce serait une perte sèche pour le studio. C’est en effet ce qu’ont montré les deux types d’expérience : proposer le film à 30 € à ceux qui sont abonnés à Disney+. Où l’inclure sans supplément dans leurs programmes. Aux États-Unis, mais aussi en France cela ferait perdre des millions € à Disney. En outre, c’est la sortie en salle qui assure la promotion d’un film et crée sa valeur.

Néanmoins Disney dispose d’une autre arme. Il lui suffirait de pré-acheter  les plus importants films français, à un prix supérieur au cumul de ce prix et de l’apport habituel d’une chaîne en clair, mais à condition que le producteur ne vende pas son film à une chaîne en clair. Ce serait une catastrophe pour les nos grandes chaînes en clair qui devraient se contenter des films à faible potentiel commercial.

En fait, cette bataille des quotas soulève un problème de fonds : alors que le film de cinéma est bien celui qui est conçu pour que le public se déplace en salle, le financement du film français repose que minoritairement sur les entrées en salle et très majoritairement sur le visionnement d’un téléspectateur, assis dans son fauteuil, chez lui.

A titre d’exemple, selon Cinéfinances.info*, pour « Eugénie Grandet », qui vient de sortir cette semaine, dont le budget prévisionnel est 3,5 millions €, le minimum garanti du distributeur pour la salle en France est de 61 000 €, alors que l’apport de la télévision est de 1 millions. De même, pour « Les Intranquiles », dont le budget est de 4,2 millions, le minimum garanti du distributeur est 100 000 € alors que l’apport de la télévision est de 460 000 €.

Or, à la différence du distributeur qui pense pouvoir amortir son investissement par les recettes salle, la télévision est obligée d’investir un certain pourcentage de son chiffre d’affaires dans des films de cinéma français et européens. Et le film de cinéma est un programme qui fait de moins en moins d’audience.

L’insertion des plateformes dans ces sources de financement obligatoires va aggraver ce déséquilibre qui devient une aberration, car celles-ci ont besoin de très peu de films et que les chaînes en ont de moins en moins besoin. Les producteurs de cinéma produisent de moins en moins pour le cinéma, c’est à dire pour le succès en salle et, de plus en plus, pour décrocher le financement  imposé aux éditeurs de plus en plus réticent du petit écran.

A l’inverse, les Studios américains privilégient les blockbusters, qui mettent en valeur le spectacle en salle, créent l’évènement et attirent les jeunes. Et leurs films rassemblent 55% de nos entrées. Les plateformes les veulent parce qu’ils ont créé l’évènement.

Les producteurs français croient avoir remporté une victoire. Ils sont en train de creuser leur tombe.

*www.Cinefinances.info est un site, accessible par abonnement, destiné aux professionnels du cinéma.  Il publie le budget, le plan de financement et la répartition des recettes de tous les films français qui sortent (hors les films « sauvages » qui ne déposent pas leurs contrats au registre public et ne demandent donc pas l’agrément qui leur permettrait d’accéder à l’aide du CNC). Il s’agit du dossier sur lequel le producteur a monté son financement, correspondant à l’agrément d’investissement, non les données définitives, après production effective du film. Ce site dispose d’un puissant moteur de recherche multicritères et de 11 ans d’archives.

ELLES SONT FACE A UN PROBLEME NOUVEAU POUR ELLES

Ce sera donc le 16 décembre que l’ensemble des  salles de cinéma françaises vont ré-ouvrir. Et les conditions sanitaires imposées lors du premier dé-confinement ne seront pas renforcées. Au contraire, pendant la période de couvre feu, il y aura un léger assouplissement pour le démarrage de la dernière séance avec le billet horodaté. Mais ce sera un assouplissement, pas une occasion de séance supplémentaire. Juste une plus grande souplesse dans la fixation de l’horaire de démarrage de la dernière séance.

Et, cerise sur le gâteau, dès l’ouverture des salles il y aura à l’affiche, le blockbuster américain « Wonder Woman 84. 

https://fr.wikipedia.org/wiki/Wonder_Woman_1984

Cela veut dire que les films annonce des films qui vont démarrer le 23 décembre, et il y en a plusieurs très prometteurs, vont être vus par un large public. Par ailleurs, après « Tenet », c’est une nouvelle fois Warner qui prend le risque de sortir en salle partout où c’est possible, alors que la moitié des salles américaines sont fermées. Il est vrai qu’aux Etats-Unis, Warner a décidé de sortir le film le 25 décembre à la fois dans les salles ouvertes et sur sa plate-forme de S-VoD HBO Max. De nombreux professionnels américains estiment que le studio a ainsi franchi le rubicond alors que d’autres pensent qu’il a n’a fait que s’adapter momentanément à une situation momentanément exceptionnelle, puisque 50% des salles de cinéma américaines sont fermées.

Cette situation ouvre donc à nouveau le débat sur l’avenir des salles de cinéma face aux plateformes de S-VoD.  

Certains pensent qu’une grande partie du public a pris l’habitude de regarder des films chez eux, d’autres qu’ils vont absolument saisir la moindre occasion de sortir. On retrouve le vieux débat sur l’avenir de la salle de cinéma face à tous les nouveaux médias. L’avènement de la télévision, de la cassette ou du CD avaient fait naitre les mêmes craintes et, à chaque fois, la salle de cinéma s’est adaptée et a su parfaitement résister. 

Voir la finale de la Coupe du monde de foot-ball à la télévision ou dans le stade

Car, fondamentalement, voir un film dans une salle de cinéma n’a rien à voir avec le voir sur un écran chez soi, même un grand écran de télévision. Pour prendre un exemple, il est clair que l’on voit mieux  la finale de la Coupe  du monde de foot-ball  sur son téléviseur que dans le stade. Ne serait-ce que parce que la  télévision propose des gros plans ou des replays. Mais une grande partie des spectateurs préféreraient y assister dans le stade.

La plupart des gros blockbusters américains sortiront au plus tôt l’été prochain. Et il y en aura moitié moins que les années précédentes. En revanche, il y a énormément de films français en attente et ils bénéficieront d’une large exposition. Jusqu’à la fin des restrictions sanitaires et le retour massif des films américains les exploitants ne retrouveront pas leurs entrées passées. Mais les distributeurs français bénéficieront d’expositions favorables. Même si les professionnels savent que le succès d’un film donne au public l’envie de retourner au cinéma. 

Les plateformes ont les moyens d’accaparer tous les talents

Avec tout de même la question de savoir combien de temps encore et avec quelles sources de financement le CNC pourra accorder un soutien automatique renforcé alors que, économiquement, le soutien automatique habituel est en grande partie financé par les recettes des films américains.

A long terme néanmoins les plateformes de S-VoD soulèvent  un problème auquel le cinéma n’a jamais été confronté et que souligne très clairement Philippe Reynaert dans son Carrefour de la semaine dernière. https://siritz.com/le-carrefour/les-facettes-de-netflix-selon-reynaert/

En effet, les plateformes ont des moyens considérables, sans commune mesure avec ceux du cinéma, même des grandes majors américaines. Elles vont se battre pour acquérir les productions des talents et des stars. Ainsi, le prochain Dany Boon sera un téléfilm dont Netflix aura l’exclusivité mondiale. Et, ces plateformes vont se livrer une guerre féroce pour accaparer ces talents puisqu’en 2022 leurs besoins pourraient dépasser la capacité mondiale de production. Ce qui veut dire qu’il ne resterait aucune capacité et aucun talent pour le  cinéma mais aussi la télévision. Evidemment, ce n’est qu’une  prévision fondée sur le cumul de leurs investissements prévisionnels. Comme l’équation est impossible, il est probable qu’ils reverront leurs investissements et adapteront leur stratégie.

Ce qui est probable

Mais ce n’est pas parce que les plateformes acquièrent des films de cinéma en étant capable de payer des prix très interessants pour leurs producteurs qu’elles vont faire de même pour tous les films. Ce qui est probable, c’est qu’elles vont continuer à privilégier les séries tout en se diversifiant dans tous les autres types de programmes, comme les fictions et les documentaires unitaires mais aussi le flux et le sport. Et aussi, sans doute, que le monde va devoir augmenter sensiblement ses capacités de production et ses talents. Mais qui peut s’en plaindre ?

Par ailleurs, du point de vue des majors, les blockbusters à 200 millions $ de budgets visent de 1 à 3 milliards $ de chiffre d’affaires salle dans le monde. Ce sont donc des affaires risquées, mais potentiellement très rentables. C’est pourquoi les majors les privilégient et continuent à les produire. Or les plateformes n’ont aucun intérêt à investir 200 millions $ pour 2 heures de programme alors qu’elles peuvent avoir 12 heures d’une série exceptionnelle  qui va fidéliser leurs abonnés en investissant de 40 à 50 millions €. Disney a certes fait diffusé « Mulan » par sa plate-forme Disney + plutôt que de le sortir en salle. Mais il ne l’a pas inclus dans les programmes de Disney +. Il a offert à ses 70 millions d’abonnés de l’acheter en vos pour 30 €. Donc, si 10% de ses abonnés répondaient favorablement à cette offre le film qui a coûté de l’ordre de 200 millions $ serait amorti. Et ce serait une promotion pour la plateforme puisque, pour pouvoir acheter ce film il faut être abonné à Disney+ Mais, pour le groupe, ça ne génère aucunement les profits qu’une sortie salle mondiale aurait générée.

Pour ceux qui parlent anglais lire ce très intéressant article du New-York Times sur ces questions vues de Hollywood.

Elle devrait contribuer à la diversité de notre production mais…

L’entrée des plates-formes de S-Vod dans notre système de financement du cinéma et des œuvres  audiovisuelles, à partir de  janvier, va forcement renforcer celui-ci. On ne sait pas quelle sera la répartition  de leurs investissements entre cinéma et œuvres télévisuelles, mais il est probable que la plus grande part sera réservée aux séries et fictions unitaires. Pour le cinéma, cela devrait en partie compenser la baisse de chiffre d’affaires, et donc le recul des investissements, de nos chaînes. Puis ces apports croitron au fil des années.

https://www.lesechos.fr/tech-medias/medias/creation-audiovisuelle-le-gouvernement-fait-passer-netflix-et-disney-a-la-caisse-1259832

Notre écosystème est remarquable parce que fondé sur l’obligation d’investissement. C’est le cas du soutien financier du CNC qui est à la fois une épargne forcée et un droit de douane. Et il bénéficie non seulement à la production de films et d’oeuvres audiovisuelles françaises mais aux salles de cinéma et à la distribution de films. Ce qui explique que nous ayons le plus performant des réseaux de salle en Europe et une extraordinaire variété de distributeurs. https://siritz.com/financine/le-barometre-de-la-distribution-doctobre/

Néanmoins les obligations d’investissement des chaînes représentent des montants encore plus importants : moins de 10% pour le soutien du CNC, près de 30% pour les apports des chaînes.

Mais ce rôle déterminant des chaînes a un inconvénient. En effet, les films sont avant tout destinés à être diffusés en salle. Sinon ce sont des téléfilms. Or, la tendance naturelle des chaînes de grande audience est de privilégier les projets qui vont leur assurer la première de couverture des magazines télés ou de grands articles. C’est à dire qui sont interprétés par des stars qui vont susciter des articles « people » ou portant sur de « grands » sujets plutôt que le scénario, originalité, le traitement ou la réalisation. Comme les chaînes sont obligées de commander un nombre de films qui dépasse probablement leurs besoins et qu’il n’y a certainement pas suffisamment de projets répondants à cette seconde catégorie de critères, elles sont encore plus incitées à favoriser les premiers critères.

En fiction les chaînes ont réussi à compenser cet inconvénient par les collections puis les séries  dont la force est d’avoir la capacité de fidéliser le public par les intérêt et pas forcement sur leur casting.

Néanmoins, si le pourcentage de « bons » films est limité, le secteur est tellement développé qu’en valeur absolue le nombre de « bons » films est lui élevé comparativement aux autres pays d’Europe. 

Les plates-formes S-Vod ont une autre logique si elles achètent les droits pour le monde entier ou un grand nombre de territoires : elles ont tendances à viser des niches, représentant des fractions du public, mais que l’on  retrouve un peu partout dans le monde. Comme « Migonnes », de Maïmouna Ducouré, qui vise les adolescentes, ou les films de genre. Y compris des films d’auteur comme « Le portrait de la jeune fille en feu » réalisé par Céline Sciamma. Certes, nos chaînes à péage, Canal+, Multithématiques et OCS ont un peu la même logique. Or elles représentent la plus grande partie du financement par les chaînes. https://siritz.com/financine/les-apports-du-groupe-canal/ et https://siritz.com/financine/les-pre-achats-docs-en-2020/

Donc, en plus d’apporter de nouveaux financements à la production de films français, les plates-formes internationales de S-Vod vont élargir les opportunités des films originaux. Bien entendu, un des grands enjeux sera de distinguer entre l’obligation d’investissement obligatoire, qui va porter sur le seul territoire français et les achats pour les autres territoires. Les plates-formes risquent de proposer un prix global et d’affecter la plus grande partie à l’achat pour la France, mais de conditionner cet achat à la vente des autres territoires. Il faudra mettre en place une procédure pour éviter ce détournement qui risque, notamment, de tuer nos entreprises de ventes internationales.

L’Etat ne dispose pas de la carotte de l’alignement de la TVA pour convaincre la S-VoD d’investir dans les films français

Le financement des films par la S-Vod   est un enjeu essentiel pour le cinéma français. En premier lieu, du fait de l’inévitable baisse, â court terme, du chiffre d’affaire et donc des apports des chaînes en clair. Mais aussi d’une baisse qui ne fait qu’accélérer une évolution à  long terme. 

Or,  la stratégie suggérée dans notre dernier éditorial  est inopérante. https://siritz.com/editorial/comment-amener-la-s-vod-a-financer-notre-cinema/

En effet, comme l’a souligné un lecteur du blog, l’alignement de la TVA de la S-Vod sur celle de notre télévision payante est interdit par la directive de 2006 sur la TVA.

https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/PDF/?uri=CELEX:32006L0112&from=en

Celle-ci prėvoit en effet que chaque pays a un taux unique et qui ne peut être inférieur à 15%. En France, nous avons choisi 20%. L’annexe III prévoit des dérogations pour une liste limitative et précise de secteurs, dont la télévision. Certes, la télévision développe le replay. Et rien ne dit que les plates-formes ne vont pas développer du linéaire et du direct, notamment dans le sport. Mais ça n’est pas pour le 1 er janvier. Donc,  pour l’instant, ces services sont bien distincts. En outre, les services électroniques sont expressément exclus du tarif réduit. Cette liste peut certes être revue tous les 2 ans. Mais les décisions se prennent â l’unanimité. Or, plusieurs pays mettront leur veto. 

Donc, il faudra trouver un autre argument  pour convaincre les plates-formes de préfinancer des programmes qui ne correspondent absolument pas â leur identité. Car, la plus élémentaire  équité exclut de leur imposer des obligations comparables à celle de la télėvision payante alors que leur fiscalité est le double.

Comme le notait Pascal Rogard, Netflix sera l’interlocuteur le plus disposé â s’intégrer à notre système audiovisuel. https://siritz.com/le-carrefour/netflix-a-toujours-ete-dune-correction-parfaite/

N’oublions pas qu’il a commencé par être un service de location par abonnement de films sur cassettes. Et il diffuse toujours des films « de catalogue ». Mais ils ont dû être achetés très bon marché. Ce type de film est sans doute un créneau. Mais il n’a rien â voir avec le préfinancement de films â venir. Néanmoins, comme le remarquait Alain Le Diberder, la sortie en salle, avec toute la couverture media et par réseaux sociaux qu’elle génère, est un incomparable moyen de valoriser un programme. https://siritz.com/le-carrefour/la-directive-sma-ouvre-la-boite-de-pandore/ Mais il s’agit de préfinancement et il y a beaucoup de déchets. Il est vrai qu’il y a également des déchets avec les séries. Il suffit de constater le pourcentage de celles qui ne sont pas renouvelées.

Obtenir les audiences comparatives films séries

Pour entamer les négociations avec les plates-formes il est indispensable d’obtenir  les audiences comparatives par genres de programmes. Or Amazon aura ceux de deux films, « Forte » et « Pinocchio », qui avaient effectué leur promotion et allaient juste sortir en salle. Leur audience est une incontestable référence puisque, pour le public, ce sont quasiment des films de cinéma. Mais, avec Amazon, comme avec Apple TV, le vrai débat portera sur le chiffre d’affaires à partir duquel calculer le taux d’investissement dans les œuvres françaises et européennes.

Bien entendu il serait préférable d’avoir un front uni entre le cinéma et l’audiovisuel. Donc un accord préalable sur les pourcentages d’investissements en faveur de chaque secteur. Le fait que de plus en plus de producteurs produisent films et séries devrait faciliter un rapprochement.

Enfin, si on ne peut aligner la TVA de la S-Vod sur celle de nos chaînes à péage, il sera difficile de leur refuser, en plus, un alignement de leur fenêtre dans la chronologie des médias sur celle de Canal+ et OCS. Celle-ci devrait alors passer de 36 mois à 8 mois. Canal+ et OCS risquent d’en profiter pour demander un transfert d’une partie de leurs obligations d’investissement dans les films de cinéma vers les séries.

En fin de compte, il n’est donc pas certain que l’intégration de la S-Vod dans notre système de financement du cinéma compense la baisse des investissements des chaînes gratuites.

Le nombre d’abonnés à un service de S-Vod a progressé d’un tiers selon l’Hadopi

La 4ème vague du baromètre de l’Hadopi sur Les pratiques culturelles à domicile, en période de confinement,  est parue. Elle montre que le pourcentage d’internautes ayant accès à un abonnement payant de vidéo à la demande (VàDA ou S-Vod) atteint désormais 49 %.

Un pourcentage en constante hausse après huit semaines de confinement (43 % après six semaines de confinement, 44 % après quatre semaines de confinement et 46 % en début de confinement), et largement supérieur à celui observé en 2019 (36 %).

Donc, en un an, les abonnés aux services de S-Vod ont progressé d’un tiers. Ce qui constitue un incontestable boom, alors que, comme on le voit c-dessous, les abonnements à la télévision payante se maintiennent et, donc, stagnent.

Voir la précédente étude de l’Hadopi : https://siritz.com/les-barometres-de-la-distribution/le-confinement-a-fait-decouvrir-films-et-series-aux-francais/

Pendant la seule période de confinement, un nombre important de nouveaux abonnés à une offre de VàDA a pu être constaté (25 % des internautes), tandis que le nombre des internautes résiliant leur abonnement s’avérait faible (5 %). Le taux d’abonnés à une offre de chaînes de télévision payante (22 %) et celui à une offre de musique (18 %) restent stables. 46 % des consommateurs de biens culturels ont déclaré avoir utilisé de nouvelles offres d’accès à des biens culturels en ligne.

Consommation illégale au niveau d’il y a un an

Après huit semaines de confinement, le niveau de consommation illicite de biens culturels dématérialisés se situe à un niveau proche de celui relevé au printemps 2019 (26 %). Si 27 % des internautes français consomment de façon illicite des biens culturels, 61 % d’entre eux affirment consommer ces biens uniquement de façon légale, un taux stable depuis le milieu de la période de confinement mais toujours plus fort qu’à la même période en 2019

La période de confinement semble ainsi avoir permis le développement de la consommation légale, puisque 33 % des consommateurs illicites indiquent avoir davantage consommé de manière légale des biens culturels dématérialisés par rapport à l’avant confinement. 60 % d’entre eux affirment n’avoir pas changé la nature de leur consommation concernant les six biens culturels étudiés (musique, films, séries, jeux vidéo, livres et presse en ligne) et seulement 6 % déclarent avoir augmenté leur consommation illicite d’un ou plusieurs biens culturels.

Consommation pirate par le streaming

Les sites de streaming apparaissent toujours comme le moyen privilégié pour accéder de façon illicite aux œuvres culturelles en ligne : ils sont utilisés par 48 % des internautes ayant des pratiques de consommation illicite d’un ou de plusieurs biens culturels (45 % après six semaines de confinement). 32 % de ces consommateurs illicites ont recours à des convertisseurs, 30 % à des sites de téléchargement direct (direct download) et 17 % à des réseaux pair à pair (peer to peer).

Voir l’étude complète de l’Hadopi sur son site :

https://hadopi.fr/ressources/etudes/consommation-de-biens-culturels-dematerialises-en-situation-de-confinement-7

Il faut que les salles puissent couvrir leurs frais de fonctionnement et que les distributeurs les approvisionnent en films. Il y a une solution.

Le cinéma fait partie, comme une grande partie des activités culturelles, et bien entendu de la restauration et du tourisme, de tous les secteurs qui  sont ã l’arrêt total. Et, pour l’instant, du  côté du gouvernement, du ministre de la culture au Président de la République, même si ce dernier a évoqué un plan,  il n’y a pas le plus petit commencement de perspective.

Tous les secteurs du cinéma sont frappés. Mais l’enjeu principal est la réouverture des salles. Quelle que soit la date où elle aura lieu celles-ci devront respecter des mesures de protection sanitaires qui vont augmenter leurs coûts et rėduire leur fréquentation potentielle. Dans certains cas  les recettes ne permettront pas de couvrir les frais de fonctionnement, tandis que les frais fixes continueront ã courir.

Mais l’enjeu majeur concerne le public : voudra-y-il prendre le risque de s’enfermer au cinéma tant que le Covid 19 rode et frappe ? Dans ce cas, sauf, peut-être – et encore- pour les films qui venaient de dėmarrer lors de la fermeture des salles, les distributeurs préféreront attendre que la fréquentation revienne à la normale avant de sortir leur film. Mais sans une offre attractive de films, les salles ne pourront rouvrir. Et  tant que les salles n’auront pas ouvert, les distributeurs n’ayant aucune idée de l’attitude du public, repousseront la sortie de leur film.

C’est donc un cercle vicieux qu’il faut casser.  Et ce, en prenant des mesures exceptionnelles comme le gouvernement n’a cessé d’en prendre pour limiter les conséquences économiques du confinement. Pour y parvenir, il faut   baisser considérablement le point mort des exploitants et des distributeurs dans les premières semaines de la rėouverture.

Augmenter fortement le soutien automatique

Cela  suppose d’augmenter fortement la recette par entrée, en augmentant fortement le taux de soutien automatique le premier mois de la réouverture des salles. Ce bonus pourrait être ėnorme la première semaine,  puis diminuer jusqu’ã la quatrième. 

A titre d’exemple si le soutien double le prix moyen de la place qui est de 6,7 € et que, la première semaine,  il n’y a que 1  millions d’entrées, soit le quart des entrées en juillet août, l’aide aux exploitants serait de 6,7 millions €. En juillet cela correspondrait pour les exploitants aux recettes de 2 millions d’entrées par semaine contre 3,5 millions habituellement. Si le taux de soutien diminuait de 25% par semaine cela reviendrait à environ 18 à 20 millions sur le mois. L’augmentation du soutien à la distribution pourrait appliquer le même principe et coûter globalement  7 millions €. Soit un total de 25 à 27 millions €Certes, les blockbusters américains ne bénéficieraient nullement de ces mesures. Mais une réouverture des salles dès la mi-juillet leur permettrait de programmer des lancements  en août.

L’enjeu est considérable, non seulement pour la reprise d’une vie sociale en France mais aussi pour tout le secteur culturel. Si les cinémas ré-ouvrent les théâtres, puis les autres activités culturelles pourront à leur tour envisager les modalités de leur réouverture.

Une taxe de solidarité sur les grandes plates-formes de S-Vod

Bien entendu le CNC n’a pas la moindre réserve pour financer ces montants et l’Etat devra lui attribuer une dotation exceptionnelle. Mais les fonds nécessaires pourraient provenir en partie, voir en totalité, d’une autre source : une taxe de solidarité sur les plates-formes internationales de S-Vod, comme je l’avais suggéré dans deux  précédents éditoriaux*.

Car, désormais, il est clair que le confinement est pour elles un véritable effet d’aubaine. Netflix a annoncé que ses abonnés avaient progressé deux fois plus vite que prėvu  au 1er  trimestre. Cela confirmerait que le confinement les a fait progresser  de 30 % depuis le confinement français et mondial. De même les 50 millions d’abonnés conquis en 6 mois par Disney + confirment cette analyse et les résultats d’Amazon prime doivent être ã la même aune. 

Une taxe de 5% sur le chiffre d’affaires  de ces plates-formes pendant 3  à 4 mois pourrait financer la presque totalité du bonus calculé plus haut. 

En effet, rien que sur Netflix une taxe de 5%,  représentant 21% % d’un effet d’aubaine de 30% d’abonnés en plus, rapporterait environ 4,5 millions € par mois. Sur les trois plates-formes cela pourrait représenter 5 à 6 millions € par mois et  financer, en 3 où 4 mois  presque la totalité du bonus du fonds de soutien. En outre,  les plates-formes pourraient bien préférer que cette taxe soit en fait une contribution volontaire au redémarrage du cinéma, ce qui serait pour elles une formidable promotion de leur image de marque.

Et si, par chance, la fréquentation est supérieure au prévision l’Etat devrait garantir de prendre en charge le supplément de fonds de soutien.