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Le carrefour

ANTOINE REIN SUR LA PRODUCTION CINEMA

Le président de la Commission d’agrément est producteur de film de cinéma. Il est associé avec Fabrice Goldstein et Antoine Gandubert au sein de sa société de production Karé Productions. Il a produit 18 longs métrages et un de ses films a reçu 2 Césars importants.

 

 

Interviewé

Siritz.com : En période normale la Commission d’agrément se réunit une semaine sur deux. Pendant le confinement a-t-elle continué à se tenir ?

Antoine Rein : Oui. Au tout début le CNC nous envoyait les dossiers et on faisait les remarques par écrit. C’était un peu acrobatique. Et puis, au bout de deux ou trois réunions, les commissions sont devenues virtuelles.

Siritz.com : Et maintenant ça continue en virtuel ?

AR : Non. Ce sont de vrais commissions dans lesquelles on est présent.

Siritz.com : Depuis qu’il y a eu le confinement est-ce qu’on note des évolutions dans les dossiers présentés. Est-ce que les projets montés avant la crise ont été déposés tels quels, où certains ont-ils étaient modifiés pour tenir compte d’une situation nouvelle ?

AR : Pendant le confinement, pour ce qui est de l’agrément d’investissement, c’est à dire avant le tournage, il n’y avait pratiquement aucun dossier déposé. En tout cas plus aucune fiction. Quelques documentaires et quelques animations. Bien entendu, tous les tournages qui avaient commencé ont été interrompus.

Siritz.com : Et quand le confinement a cessé et que les tournages ont pu reprendre, est-ce qu’on note un changement dans les dossiers déposés à l’agrément d’investissement ?

Il y a le problème de l’assurance

AR : Au début il y a tout de suite eu le problème de l’assurance. https://siritz.com/le-carrefour/tournages-assurer-les-risques-pandemiques/ Les assureurs ne voulaient absolument pas assurer contre les risques du Coronavirus. Et, dans ces conditions, c’était tout simplement impossible de tourner. Aucun producteur ne pouvait prendre ce risque. Et puis il y a eu la mise en place de ce fonds de garantie du CNC pour l’assurance contre le Coronavirus. A partir de ce moment les tournages ont repris. Mais le fonds du CNC ne couvre que les tournages qui se passent en France. Ceux qui se passent en partie ou en totalité  à l’étranger n’ont donc pas repris.

Siritz.com : Mais ce fonds de garantie ne couvre qu’un pourcentage de certaines dépenses, il  y a une franchise importante et il est plafonné à un millions €. Cela reste donc un risque énorme pour un producteur.

AR : Oui. Pour un film à 2 ou 3 millions € c’est jouable tout en restant un gros risque pour les producteurs, compte tenu de la franchise importante. Mais pour un film à budget moyen, et, encore plus, à budget élevé, le risque est très élevé compte tenu du plafond du capital assuré (1 million €). 

Siritz.com : Les assureurs ont proposé une assurance complémentaire.

AR : Mais elle est tellement chère. Elle va au-delà du million, mais est également plafonnée à un niveau très bas. Elle ne présente aucun intérêt. Je ne pense pas qu’un seul producteur l’ait prise. Malgré les tentatives de certains courtiers, on peut vraiment dire que les assureurs n’ont pas tenu leur rôle.

Siritz.com : Est-ce que, quand les tournages ont repris, les plannings de tournages ont été modifiés ?

AR : A la sortie du confinement et quand il y a eu une assurance, on s’est demandé pour les films dont le tournage avait été interrompu et ceux dont le tournage devait commencer, s’il fallait ou pas attendre. On a élaboré des règles de protection sanitaires. Certains se sont dits que, même si la situation n’était pas très claire, il fallait tourner avant qu’une nouvelle vague arrive. D’autres se sont dits qu’ils étaient tellement dans l’inconnu sur ce qu’on allait pouvoir tourner et comment qu’il fallait attendre.

Siritz.com : Mais qu’est-ce que les mesures de protection sanitaires ont changé dans tournages ?

AR : Il faut un référent Covid. On prend la température de tout le monde tous les matins. S’ils ont de la température, on les renvoie chez eux et on les fait tester. Et si le test est positif on l’étend à ceux de l’équipe avec lesquels ils ont été en contact. On nettoie toutes les surfaces régulièrement. Cela fait perdre au moins une demi-heure par jour. 

Siritz.com : Et les scènes avec beaucoup de figurants ?

AR : Chacun fait ce qu’il veut. Mais, pour mon film, je me suis dit que les scènes avec foule il vaut mieux les tourner à la fin. Et je sais que, pour les « Tuche 4 »,  quand il y a eu le confinement, il leur restait quelques semaines de tournage. Ils  ont réécrit et quand le tournage a repris, les scènes avec foule ont dû être modifiées. Pour donner un exemple, dans mon film qui est en tournage, il y a une scène qui se passe gare de Lyon. On a eu l’autorisation d’y tourner et nos comédiens avaient le droit de ne pas porter le masque. Mais ces conditions sont en train de changer et on ne peut de toute façon pas étendre ça aux figurants. Du coup, la scène a fini par perdre son sens et nous avons changé de décor. Bien entendu, je ne dis pas ça sous forme de critique, mais juste pour expliquer l’adaptation à laquelle nous sommes confrontés.

https://fr.wikipedia.org/wiki/Antoine_Rein

Les grands investisseurs doivent rattraper leur retard

Siritz.com : Maintenant, quand on examine les projets qui arrivent à la Commission, est-ce qu’on ne note pas que les grands investisseurs habituels sont beaucoup plus frileux. Ils lisent le Ciné-chiffres comme nous tous et, globalement, il y a une très nette baisse de la fréquentation.

AR : Notre secteur est particulier. Parce qu’il y a tous ceux qui ont des obligations d’investir. Ils doivent remplir ces obligations et, compte tenu du confinement et de l’impossibilité de tourner à l’étranger, ils sont en retard dans l’exécution de ces obligations. Au contraire donc, il n’y a jamais eu autant de dossiers qui se présentent à l’agrément. Quand j’étais chez mon loueur de matériel, il me disait qu’il n’a jamais eu autant de locations de matériel un mois de septembre. La difficulté vient des distributeurs. Ils ont souffert comme nous tous de la crise. Pendant 3 ou 4 mois, ils n’ont pas sorti de films et ceux qu’ils avaient signés il faut bien qu’ils les sortent. Donc ils ont un surstock. Il se peut qu’à terme certains diminuent leurs investissements ou soient plus prudents sur leurs prochains investissements.

C’est encore plus bipolaire qu’avant

Siritz.com : Le distributeur a toujours été celui qui prenait le plus de risque. Et, quand je regarde la fréquentation, il y a encore quelques films qui marchent, réalisant des scores proches de ce que pouvait espérer leur distributeur. Mais la majorité ne marche pas du tout.

AR : Effectivement. C’est encore plus bipolaire qu’avant. J’ai l’impression que le film qui se plantait à 150 000 ou 100 000 entrées il y a quelques années n’en fait plus que 50 000. Aujourd’hui, quand on ne marche pas, on ne marche pas du tout. Mais je ne suis pas sûr pour autant que les proportions de films qui marchent ou ne marchent pas aient changé.

Siritz.com : Les distributeurs risquent d’être le goulot d’étranglement.

AR : Mais ils ont besoin de sortir des films pour faire du chiffre d’affaires et couvrir leurs frais généraux. Ce qui m’inquiète c’est le cinéma d’auteur. Les Festivals, qui sont le vrai tremplin du cinéma d’auteur, vont être encombrés des films qui n’ont pas pu y être présentés. Les distributeurs risquent de se faire une concurrence encore plus vive sur les films dits commerciaux ou les films d’auteurs reconnus, et sacrifier le cinéma d’auteur plus exigeant. Les plates-formes non plus n’ont pas une grosse appétence pour les films d’auteur de gens pas connus, malgré leurs grandes déclarations d’amour au cinéma.

Siritz.com : Mais Netflix a acheté «Mignonnes» qui est un film d’auteur et un premier film.

AR : Il y a toujours des exceptions. Et ils achètent davantage des films sur la banlieue ou sur les jeunes. Mais, de manière générale, les films hors comédie ou genre sont peu achetés par ces nouveaux intervenants.

De plus en plus de films à moins 1 million €

Siritz.com : Il semble qu’il y a beaucoup, peut-être de plus en plus, de films qui ne passent pas à la Commission d’investissement. 

AR : Attention. Ils peuvent très bien passer directement à l’agrément de production, après tournage. Cela veut juste dire qu’ils n’ont pas de financements encadrés (ie préachats télé, aides régionales, CNC, crédit d’impôt, soficas…). Ce sont souvent des documentaires, et parfois des fictions avec des budgets très limités. Mais on contrôle en Commission de production qu’ils ont bien respecté les minima syndicaux. Sinon, ils n’ont pas droit au soutien automatique du CNC et n’entrent pas dans les quotas des chaînes s’ils sont achetés. Il y a de plus en plus de films de moins un millions € de budget, notamment des documentaires. C’est ainsi qu’en moins de 10 ans, ils sont passés de 20% des films produits à 30%.

Siritz.com : Mais notez-vous des évolutions marquantes ?

AR : Il y a un peu plus de films produits, mais, parmi eux, il y a surtout de plus en plus de films à petit budget. Le budget moyen baisse, mais c’est surtout le budget médian qui chute (-12,5% en 2019). Par ailleurs, le  pourcentage d’aide publique est plafonné à 50%, ou à 60% si c’est un premier ou deuxième film et enfin à 70% s’il n’y a pas de crédit d’impôt. Or ces pourcentages sont frôlés de plus en plus souvent. Cela veut dire qu’il y a une dichotomie croissante entre les films de marché et les films subventionnés. Le fameux film du milieu devient de plus en plus difficile à financer. Avant, un film du milieu avait un budget entre 4 et 7 millions €. Aujourd’hui, quand on est au début de cette tranche, on est presqu’un gros film (la médiane est d’ailleurs à 2,35 M€ en 2019). Et il doit y avoir de moins en moins de très très gros budgets. Bref, les films entre 3,5 et 5 millions € sont de plus en plus difficiles à monter.

Siritz.Com : Y-a-t’il une autre évolution qui vous frappe ?

De plus en plus de production déléguée avec groupe

AR : Pour un producteur indépendant les conditions sont de plus en plus dures. Il y a de plus en plus de coproductions déléguées avec les groupes. C’est inquiétant parce que les producteurs indépendants font un travail de diversité et de développement que ne peuvent pas faire les groupes.

Siritz.com : Vous êtes un peu traités comme des producteurs exécutifs ?

AR : Ce qui n’est pas normal c’est qu’un producteur indépendant développe un projet pendant deux ans, va voir un groupe et se retrouve coproducteur délégué, avec des parts de recette tardives et donc très incertaines. On se retrouve effectivement quasi-producteur exécutif, alors qu’on a développé le projet. Le développement c’est le risque le plus important. Quand les groupes co-développent, c’est autre chose. Ils partagent le risque de développement. Mais quand on développe le film, que l’on va voir les chaînes et les régions, et qu’à la fin le distributeur devient coproducteur délégué, je trouve que ça n’est pas juste. Or je le vois de plus en plus.

Siritz.com : Vous êtes en tournage de votre nouveau film. Quel est son sujet ?

AR : « Les jeunes amants » est une histoire d’amour entre une femme, Fanny Ardant, et un homme plus jeune, Melvil Poupaud. La réalisatrice est Carine Tardieu, avec qui nous avions fait « Du vent dans mes mollets » et « Otez-moi d’un doute » qui avaient été deux succès. On a donc trouvé le financement assez rapidement. Mais le confinement a commencé la semaine où la préparation débutait…

Siritz.com : C’est elle qui a apporté le sujet ?

AR : Non. On est en coproduction avec Patrick Sobelman (Ex Nihilo). Il avait développé le projet avec Solveig Anspach, qui est décédée avant la fin de l’écriture. Et Solveig lui a fait promettre de trouver une réalisatrice pour reprendre le projet. Il l’a proposé à Carine qui a accepté de le reprendre, en le réécrivant.

Siritz.Com : J’imagine que le confinement a posé des problèmes. 

AR : Bien entendu, parce qu’on ne savait pas combien de temps il allait durer. Puis, si les comédiens devraient porter un masque ou rester à distance. Pendant les 6 semaines de confinement on n’a pas arrêté de changer d’avis sur la date de reprise. Vers la fin, on a décidé qu’on allait reprendre en septembre, pour avoir le temps de mieux préparer et de mieux connaître les conditions de travail. C’est une histoire d’amour qui ne pourrait être possible avec un monde où une grande partie de la population est masquée…

Baisse des durées de tournage

Siritz.com : Combien de temps de tournage ?

AR : 8 semaines. On tourne actuellement en Bretagne, qui est très épargnée par le virus, puis on revient à Paris et ensuite on va en Rhône-Alpes.

Siritz.com : C’est plus qu’un tournage moyen. 

AR : Oui. 8 semaines c’est devenu beaucoup. En 5 ans, le nombre de jours de tournage moyen a baissé de 5 jours. La moyenne est plutôt à 35 jours. Le budget est  un peu en-dessous de 5 millions € (ces fameux films difficiles à faire). On a France 2, Canal+, Ciné+,  des Soficas et 2 régions. C’est Diaphana qui distribue et MK2 qui s’occupe des ventes internationales. On a eu l’avance sur recettes, ce qui est la première fois pour mon associé et moi.

Siritz.com : Avec un tel financement, pas besoin de mettre votre salaire et vos frais généraux en participation.

AR : Si. Pas la totalité, mais une majeure partie. C’est ça qui est décourageant. Même en incluant le crédit d’impôt. Bien entendu, je ne me plains, car il faut bien comprendre que ces films qui ont ainsi tous les guichets sont des exceptions. La majorité des films que je vois à l’agrément se font dans des conditions difficiles. Cette catégorie permettait aux producteurs, il y 10 ans, de prendre une partie de ses frais généraux et/ou salaires. Aujourd’hui elle ne le permet pas, voire le producteur est obligé de prendre un risque au-delà de cette mise en participation. Si on rajoute les films que nous développons et qui ne voient pas le jour et la faible quotité de recettes qui nous revient, notre activité devient presque absurde économiquement. C’est pourquoi je suis choqué quand certains ne trouvent pas normal qu’on puisse s’octroyer parfois une partie de nos frais généraux.

Si une société de production fait un film par an, ce n’est pas avec 150 000 € de salaire et de frais généraux qu’elle va payer loyers, salaires et développements. La production est un métier d’apprentissage, c’est pourquoi on a progressivement plus de facilité avec les années. Mais les conditions générales se détériorent tellement que j’ai l’impression de monter un escalier roulant qui descend. Je repense souvent à mon expérience de président du Bloc ou du collège cinéma du SPI. Au début je me disais j’allais essayer d’améliorer les choses. Mais au final, on passait notre temps à éteindre les feux et à essayer de stabiliser la situation.

Siritz.com : Les Soficas, quand elles interviennent, prennent en premier, une grosse part des recettes. Il est rare qu’il reste grand-chose pour le producteur délégué.

AR : Il y a 10 ans je leur cédais beaucoup moins de parts pour plus d’argent investi. Mais, force est de constater que ce n’est pas pour autant qu’ils ont un meilleur taux de récupération. Les Soficas sont de plus en plus dures, mais c’est parce que le marché est de plus en plus difficile. En fait, hormis le soutien automatique du CNC réservé au producteur délégué, pour récupérer des recettes il faut que le film soit un gros succès. J’ai fait beaucoup de petits succès sur lesquels je n’ai obtenu aucune recette.

Siritz.com : Vous avez un autre projet ?

AR : J’ai une comédie familiale, très originale et dont nous sommes très contents : « Le sens de la famille » avec Franck Dubosc et Alexandra Lamy. Il est distribué par Gaumont et sort le 20 janvier 2021. Et j’ai trois films en début de casting et/ou de financement qui m’excitent beaucoup et me rendent confiants, malgré cette période difficile.

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