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Le carrefour

François Thirriot est optimiste pour la salle

C’est le président du syndicat français des théâtres cinématographiques, qui représente plus de 700 salles et vient de tenir sa 102ème assemblée générale. Il exploite lui-même le Métropolis à Charleville-Méziaire et Le Turenne à Sedan. Il est bien placé pour analyser la situation du cinéma et France.

Interviewé

Siritz.com : Nous vous avions interviewé en octobre de l’année dernière sur la façon dont vous et l’exploitation avaient surmonté la pandémie. https://siritz.com/le-carrefour/ultime-proposition-de-la-fncf/

Vous étiez élogieux sur la façon dont le gouvernement avait soutenu les entreprises et le CNC le cinéma. Mais, personne de se doutait que nous étions qu’au début de la pandémie, qu’il y aurait une nouvelle et très longue fermeture des salles, puis une réouverture avec des mesures sanitaires strictes, notamment le Pass sanitaire. A ce stade quel est, pour une exploitant comme, vous la situation Avez-vous réussi à, au moins, équilibrer les comptes ? https://www.la-croix.com/Culture/Covid-19-cinemas-souffrent-lobligation-passe-sanitaire-2021-07-29-1201168471

François Thirriot : Deux cas très différents pour ce qui me concerne, car j’interviens sur un site de 10 écrans, un autre de 3. Pour le Metropolis de Charleville-Mézières, nous avons sollicité un PGE de 400 000 €. Sur le Turenne de Sedan c’est 30 000 €. Il faut rappeler qu’à l’époque, ce prêt était destiné à amortir le choc de trois mois de fermeture suivie, on le savait, d’une réouverture compliquée, parce qu’il y avait peu de films. Et puis vous le savez, les Américains n’ont pas sorti leurs films, victimes d’une situation sanitaire catastrophique Or, chez nous, les films américains c’est en moyenne 55% des entrées et plus de 70 % sur juillet et août.

Siritz.com : Et comment ça s’est passé dans la réalité ?

FT : L’été a été très difficile, d’autant plus qu’il a fait très beau, à la différence de cette année. Petit à petit, très lentement, la fréquentation a progressé. Jusqu’à l’embellie constatée fin octobre, lors des vacances scolaires, pour arriver à 50% de la fréquentation de 2019. Et l’obligation de refermer !

Siritz.com : Et quelle était votre analyse actuelle des perspectives pour le cinéma ?

FT : Nous avions revu une partie de notre clientèle. Mais notre espoir a été déçu puisque la réouverture annoncée par le Président de la République pour le 15 décembre a été annulée. Ça été un coup de massue.

Siritz.com : Comment analysez-vous la fréquentation depuis la réouverture des salles, en juin. Elle est très au-dessous de celle de 2019. Est-ce que les gens ont perdu l’habitude d’aller au cinéma, ou est-ce un problème d’’offre, notamment, encore une fois, de films américains.

Le succès de « Demon slayer » mérite réflexion

FT : Je suis optimiste. Je n’ai jamais pensé que nous ne retrouverions jamais les entrées d’avant la pandémie. J’étais bien sûr dans le hall du cinéma Métropolis le 22 juin. Les 15-25 ans, dont on nous disait qu’ils avaient déserté les cinémas, étaient bien là et en nombre. Ils viennent quand ils en ont l’envie comme on l’a vu avec « Demon slayer », qui a été un énorme succès. Chose intéressante ce film manga distribué par CGR Events n’a fait l’objet d’aucune communication traditionnelle. Son succès s’est bâti sur les réseaux sociaux et les médias numériques. Cela mérite réflexion.

Siritz.com : Et le public plus âgé, les seniors ?

FT : Il est venu. Il y a eu de bons résultats. On a même parfois dépassé les chiffres de 2019. Et puis il y a eu le Pass sanitaire, qui a été appliqué à la salle de cinéma, avant toutes les autres professions. Comme l’a rappelé Richard Patry à notre assemblée générale, nous n’avons eu qu’une semaine pour nous organiser. Même si, bien entendu, nous avons compris la nécessité de cette mesure, nous n’avons pas bien vécu le fait d’avoir été les seuls à devoir l’appliquer quand tous les autres, notamment les cafés et les restaurants, étaient traités différemment. La fréquentation a du reste commencé à remonter quand la mesure a été généralisée.

Siritz.com : Mais vous ne pensez que les plateformes sont désormais un concurrent beaucoup plus sérieux que la  télévision ?

FT : Ce que l’on a bien compris pendant ces mois de fermeture, c’est que la salle de cinéma est essentielle. Elle est aussi indispensable à la filière. Il y a bien entendu des publics qui n’ont jamais été au cinéma. Ceux-là n’iront probablement jamais au cinéma. L’objectif le plus important est l’éducation à l’image de tous les jeunes, plus précisément, comme le dit, Richard Patry « l’éducation à la salle de cinéma ». Et puis, pour revenir aux plateformes, je ne doute pas que la concurrence va se renforcer. Quid du prix des abonnements, quid du nombre de codes « offerts ». Le consommateur devra lui aussi faire des choix.

Siritz.com : Certains distributeurs de films Art et essai s’estiment plus touchés que les autres.

Les décrochages sont violents et très préoccupants

FT :  L’an dernier certaines salles art et essai prétendaient s’en « tirer mieux que les autres » parce qu’elles faisaient mieux leur travail d’accompagnement des films que les autres exploitants. Ça m’a un peu vexé, mais passons … Aujourd’hui la situation s’est compliquée : beaucoup de films, notamment art et essai ont des carrières brutalement interrompues. Les décrochages sont violents et c’est très préoccupant.

Siritz.com : Est-ce qu’au sein du Syndicat français, qui représente plus de 700 salles, on note des différences significatives ?

FT :  Certaines régions ont plutôt été aidées par la météo. En Bretagne « il n’a plu qu’une fois du 19 mai au 30 août » !! Mais ce qui est inquiétant, c’est que, malgré ces conditions favorables, on constate une baisse.  De 10 à 15% pour les petits cinémas ce qui est acceptable, mais de 30 à 40% pour les plus grands établissements, cequi est très compliqué. Rappelons que ces derniers représentent 60% de la fréquentation mais ont aussi un prix moyen plus élevé. Ils génèrent donc le plus de recettes. Outre le secteur de l’exploitation, l’impact sur les distributeurs est énorme.

Siritz.com : Le CNC a parlé d’une enveloppe de 6 à 7 millions d’euros pour les gros établissements.

FT : C’est une bonne nouvelle bien entendu. Les grands circuits s’expriment peu mais on sait qu’ils souffrent beaucoup plus que les autres. Le CNC parle de rattrapage, je ne sais pas si cette somme permettra d’équilibrer. J’en doute.

Siritz.com : La périphérie de Paris et des grandes villes a plus baissé.

FT : J’en ai discuté avec un directeur d’un gros établissement en périphérie parisienne. Il pense que la principale raison vient du fait que son public est plus jeune et qu’il est moins vacciné. Et que multiplier les tests PCR est compliqué.

Siritz.com : Les aides ont-elles été versées rapidement ?

FT : Les aides sectorielles ont été traitées par le CNC assez rapidement. Il faut dire et reconnaître l’efficacité des services du Centre qui se sont réorganisés rapidement. Pour ce qui concerne les aides transversales de l’État, le traitement du fonds de solidarité était presque immédiat.

Siritz.com : Mais dans les pays voisins, notamment le Royaume-Uni ou l’Allemagne, la situation des exploitants est catastrophique parce qu’’ils n’ont pas été aidés. Est-ce que ça n’est pas inquiétant d’être entouré par des marchés salle qui s’effondrent, sans parler de ce qui se passe aux États-Unis.

Ce qui est déterminant c’est ce qui se passera aux États-Unis

FT : Si l’une des caractéristiques de nos salles est de passer des films du monde entier, notre spécificité est d’avoir une production nationale importante et très dynamique, encadrée par un système très efficace. On peut se demander si un pays où l’exploitation se trouve dans une situation compliquée peut continuer à produire. Je pense que non. Nous ne sommes heureusement pas dans ce cas de figure. En revanche, ce qui sera déterminant, c’est ce qui se passera aux États-Unis. Le véritable impact est là. Nous avons un besoin essentiel de films américains. D’autre part, pour revenir à notre production nationale, je pense qu’il convient de réfléchir sur une autre approche sur la manière de faire des films. Pour limiter les « contre-performances ». Mais le sujet est complexe.

Siritz.com : Quel est pour vous l’enjeu majeur ?

FT : Il faut communiquez sur la salle. C’est un endroit magique. La chronologie des médias est un principe important. Je ne dis pas qu’il faut s’accrocher à tout prix à une chronologie intangible, parce que le monde change. On ne peut pas être le dernier des Mohicans. Si on est très différent de tous les autres on risque de se voir dire : on ne sort pas chez vous. On le sait, la sortie d’un film en salle fait du « cash » immédiatement. C’est un élément très important de son équilibre financier et on s’en est bien rendu compte ces derniers mois. Mais c’est aussi, et c’est très important pour la suite de sa carrière, ce qui fait la notoriété du film. Nous devons aussi continuer à investir pour que la salle soit attrayante. Ce sera du reste l’objet de la table ronde du prochain congrès.

 

 

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