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Le carrefour

Tournages : assurer les risques pandémiques

Olivier Auguste Dormeuil, l’un des deux associés du courtier en assurance Rubini et associés, explique les conditions de la mise en place d’une telle assurance sans laquelle les producteurs ne prendront pas  le risque de tournage.

Interviewé

18 producteurs ont lancé un cri d’alarme à Bruno Lemaire pour attirer son attention sur l’importance capitale de l’enjeu. Un assurance donne son point de vue sur les solutions possibles.

Siritz : Quand les tournages ont été arrêtés les producteurs ont découvert qu’ils n’étaient pas assurés contre les risques de pandémie. Pour l’instant l’Etat prend en charge, directement par le chômage partiel, ou indirectement par le report des charges ou les crédits bancaires, une grande partie des conséquences d’une suspension des tournages. Mais quand ceux-ci pourront reprendre  aucun producteur ne pourra relancer ou démarrer une production s’il doit financer seul les conséquences d’un nouvel arrêt parce qu’un comédien ou le réalisateur  décède du Covid 19. Est-ce que les compagnies d’assurance, en France et dans le monde,  ont imaginé des solutions ?

OAD : Jusqu’à maintenant les risques de pandémie étaient exclus de nos contrats. La dernière pandémie qu’il y a eu dans le monde c’était il y a un siècle et on ne pensait pas que cela pourrait arriver de nouveau. Sur cette question on vit au jour les jours. Il faut bien comprendre que tous les assureurs dans le monde sont réassurés par quelques très gros réassureurs qui sont principalement en Europe : Hanover Ré, Munich Re, Suisse Ré et Scor. Avec tous les événements qui viennent de se passer ils en ont pris un sacré coup, notamment du fait de  tous les évènements sportifs ou culturels annulés.

Hugo Rubini a fondé la société en 1993 et s’est associé avec Olivier Auguste Dormeuil en 1998. Le cabinet de courtage assure les oeuvres d’art, les séries, les films de cinéma et de publicité. Il est leader dans ces deux derniers secteurs

https://www.rubini-et-associes.com/qui-sommes-nous-

Siritz : Donc il y avait tout de même des contrats qui assuraient les risques de pandémie.

L’assurance de Wimbledon contre les risques de pandémie va coûter 200 millions €

OAD : Oui. C’est en général exclu des contrats, mais on peut racheter des exclusions. C’était, par exemple, le cas du tournoi de Wimbledon et ça va coûter dans les 200 millions €. Ces réassureurs vont payer beaucoup de sinistres dans le monde et j’imagine que ça doit se chiffrer en plusieurs milliards €. Donc, pour pouvoir assurer les productions de films et de séries, il faut que les assureurs  aillent voir les réassureurs et que ceux-ci leur donnent des capacités d’assurer les risques de pandémie. Or, pour l’instant, ils sont surtout en train de payer des sinistres plutôt que de chercher le financement de nouvelles garanties. C’est pourquoi ça va prendre pas mal de temps.

Siritz : Mais cela veut-il dire que, pour l’instant, on n’a pas bougé pour le cinéma et l’audiovisuel ?

OAD : Non, on avance. Et on estime pouvoir avoir quelque chose en juin. Mais ça ne couvrira pas tout. Ce sera peut-être une solution qui « capera » un risque.

Il y aura un plafond au remboursement

Siritz : Qu’est-ce que cela veut dire ?

OAD : Qu’il y aura un plafond au remboursement. Si le décès d’un réalisateur arrête totalement le tournage d’un film l’assureur ne remboursera pas tout le film. De toute façon il va falloir y aller très progressivement. Avec tout ce qui se passe, et le risque d’une deuxième vague,  les assureurs n’ont pas envie d’assurer le risque de pandémie. Il faut redémarrer en y allant très progressivement.

Siritz : Donc, par exemple, sur un film de 10 millions € l’assureur ne garantirait que 5 millions €.

OAD : Je pense que ce sera bien moins que ça. Les réassureurs ont subi un tel choc qu’ils ne sont pas très chauds pour prendre de gros risques. Mais je parle des conséquences du Covid. On peut imaginer qu’il y aura très peu de films où un comédien, un réalisateur ou un chef opérateurs va mourir des conséquences du Covid. S’il est malade mais que le tournage reprend 2 ou 3 semaines plus tard, le coût n’est pas celui de la totalité du film. Et sur les autres risques on va continuer à les assurer normalement.

Siritz : Mais le plafond sera en valeur absolue ou en pourcentage du tournage ?

OAD : Je pense en valeur absolue. Mais c’est un « work in progress ».

Dominique Boutonnat est en train de travailler à un fonds de garantie

Siritz : Prenons les tournages qui sont interrompus. Les producteurs ont déjà engagé des sommes importantes. Si le tournage ne reprend pas parce qu’il n’y a pas d’assurance possible, que les producteurs ne peuvent donc livrer leur production, ils devront rembourser leurs financements et un grand nombre d’entre eux vont sauter. Est-ce qu’on a imaginé des règles sanitaires à respecter pendant le tournage pour que l’assurance de la pandémie devienne possible ?

OAD : D’abord, Dominique Boutonnat, le président du CNC, est en train de travailler à un fonds de garantie, d’indemnisation qui sera abondé par le Trésor et la fédération des assurances. Le montant n’est pas encore fixé avec précision, mais il  pourrait garantir les conséquences du Covid sur les tournages.

Siritz : Mais est-ce qu’on a déjà imaginé les règles sanitaires à respecter sur les tournages ?

OAD : Oui. Il y aura obligatoirement un contrôle sanitaire sur tous les tournages. Par exemple, une présence médicale et un référent Covid.  Chaque membre de l’équipe devra avoir un masque. Les protocoles sont en train d’être mis en place par le Comité d’hygiène, les syndicats professionnels. Il y aura des  protocoles sanitaires à respecter sur tous les tournages.

Siritz : Le port du masque pour les comédiens qui jouent devant la caméra ?

OAD : Non. Ca ne sera évidemment pas possible. Je parle de tous les gens derrière la caméra.

Siritz : Est-ce que tous ceux qui arrivent le matin seront testés.

OAD : Normalement oui. Une infirmière ou un infirmier, voir quelqu’un de la protection civile prendra la température de chacun à l’arrivée et au départ. La cantine va changer. Ce sera plutôt des plateaux repas avec des espaces séparés. Ne seront sur le plateau que les gens qui doivent absolument y être pour éviter au maximum les risques de contact. Ce sont les directeurs de production qui sont et devront être à la manœuvre la-dessus.

Siritz : Les bruits courent que, pendant la période de reprise où le Covid frappe encore, on obligerait tous ceux qui sont sur un tournage à ne pas rentrer chez eux et, par exemple, aller dans un hôtel qui leur est réservé pour ne pas être confinés.

OAD : Non. Ce confinement me paraît irréalisable. Certains ont même parlé de confiner les comédiens avant le tournage. Mais ce  sera  au cas par cas. Dans le Morvan je ne pense qu’il y ait beaucoup de risques. A Paris, aujourd’hui on ne pourrait tourner.

Siritz : Est-ce qu’on a une évaluation, grosso modo, de combien la couverture du risque pandémie pourrait augmenter le coût des assurances ?

Le respect du protocole sanitaire sur les tournages va en augmenter les coûts

OAD : C’est un peu tôt pour le dire, mais ça ne sera pas négligeable. Tout dépendra notamment du fonds de garantie du CNC. Ce qui est sûr c’est que le respect du protocole sanitaire sur les tournages va en augmenter les coûts, parce que cela va allonger les tournages, qu’il va falloir fournir des masques et payer des infirmiers.

Siritz : Est-ce qu’on a une idée de quand les tournages pourraient démarrer si le dé-confinement  n’entraine pas de rebond ? Pour les restaurants on parle du début juin.

OAD : En théorie on pourrait recommencer à partir du 12 mai puisque l’Etat pousse au redémarrage de l’économie. Mais le 12 mai je ne suis pas sûr qu’il y aura une police d’assurance Covid. Il vaut donc mieux imaginer juin. Et cela va dépendre des tournages. Pour un film  avec beaucoup de comédiens et de figurants, mieux vaut imaginer 2021, voir 2022.

Siritz : Mais pour les films dont le tournage a été stoppé, par exemple dans un studio, leur producteur ne peut reporter le tournage. Il a construit son décor, il va falloir qu’il réussisse à garder ses comédiens, son réalisateur et ses équipes en prolongeant son contrat. Il doit reprendre au plus tôt.

OAD : Dans certaines régions, comme l’Ile de France, tout va dépendre de la décision du politique. Nous on espère avoir des premières polices  d’assurance en juin.

Voir aussi Serge Hayat sur le casse-tête du redémarre des tournages :https://siritz.com/le-carrefour/serge-hayat-dans-les-salles-de-cinema-la-reprise-sera-tres-timide-puis-il-y-aura-embouteillage/

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