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Le carrefour

FRANCOIS THIRRIOT SUR LA SITUATION DE L’EXPLOITATION

François Thirriot est l’exploitant du multiplexe Métropolis à Charleville-Mézière et le président du Syndicat français, le principal syndicat d’exploitants de salles de cinéma (730 écrans pour 200 adhérents) qui représente toutes les catégories de salles :  indépendants, mono-écrans, municipaux, art & essai,  grands circuits.

 

Interviewé

Siritz.com : Vous êtes l’exemple d’un exploitant indépendant important. Quelles sont les caractéristiques de votre multiplexe Métropolis ?

François Thirriot : Il a 10 écrans pour 2 000 fauteuils et réalise  entre 400 000  et 430 000 entrées par an depuis son ouverture. On est sur une zone de 50 000 habitants. Et c’est une multiplexe  de centre ville.

Siritz.com : C’est la tendance des nouveaux multiplexes depuis quelques années d’être de proximité et pas dans des centres commerciaux, hors des villes comme au départ.

FT : On voulait dynamiser le centre ville et pas l’abandonner pour l’affaiblir. On a eu  la chance  d’être accompagné par la ville. C’était une friche industrielle constituée de petits artisans qui ont été achetés les uns après les autres par la ville. Elle avait donc un foncier de 10 000 m2 sur lequel on s’est implanté en 2003.  On a racheté le foncier et on est ainsi entièrement propriétaire du multiplexe.

Siritz.com : Donc, quand les salles ont fermé le 16 mars, vous n’aviez pas de loyer à payer.

FT : Mais il nous restait la fin des remboursements de  l’emprunt  réalisé pour effectuer cet investissement de 6,3 millions €. Il nous reste encore à rembourser 70 000 € par trimestre. Donc on était dans une situation qui n’était pas trop inconfortable.

Siritz.com : Et le personnel était en chômage partiel. Mais est-ce qu’il n’y avait pas d’autres frais ?

FT : On a maintenu pendant la fermeture une équipe réduite chargée de l’entretien, deux personnes qui venaient une fois par semaine pour mettre en route les machines et les éteindre. On en a profité pour faire du rangement. J’en faisais partie. Parce qu’on avait besoin de s’occuper. Mais c’était assez traumatisant d’entrer dans un cinéma qui accueille en moyenne 1 200 personnes par jour et qui était désert et silencieux.

Siritz.com : Il faut dire que les deux premiers mois de l’année, avant la fermeture des salles, la fréquentation avait été très mauvaise. Quasiment -30%. 

FT : Effectivement. L’année dernière avait été une année record, du fait de l’offre de films. Quand j’ai vu ce qui était annoncé pour 2020 je savais que ce sera une mauvaise année. Et, à partir parti d’avril il faisait beau tous les jours. Même s’il n’y avait pas eu le Coronavirus on aurait été à – 30%.  On serait descendu à moins de 200 millions de spectateurs sur l’année. Ce qui n’était pas arrivé depuis longtemps.

La FNCF a fait un travail remarquable

Siritz.com : J’imagine que pendant cette fermeture vous communiquiez avec vos collègues  du Syndicat français. Or, un certain nombre d’entre eux sont propriétaires  de fonds de commerce ou gérants, donc ont un loyer à payer.

FT : On a effectivement beaucoup échangé, fait pas mal de visio-conférences. J’ai remonté toutes les difficultés et inquiétudes au bureau de la Fédération Nationale des Cinémas Français dont je fais partie. En fait, cette période de trois mois était stable au niveau des dépenses puisqu’il ne se passait rien. Mais ce qui nous inquiétait c’était la reprise. Or la profession s’est bien organisée. La FNCF a fait un travail remarquable à tous les niveaux pour essayer de nous accompagner. D’abord en préparant un guide sanitaire qui soit accepté et qui démontre aujourd’hui  qu’il nous permet de rester ouvert. Puis par lors de la réouverture, par une campagne d’affichage à l’extérieur, qui a été formidablement accompagnée par les affichistes.  Et par un film publicitaire qui a été fait en un temps record et qui a été diffusé sur les chaînes tv. Et cela est dû à un travail remarquable des permanents de la FNCF, du bureau et des présidents de syndicats.

Siritz.com : Oui, c’est à souligner quand on voit les problèmes d’autres professions comme les restaurants ou les salles de sport. Vous avez tout prévu et cela a fonctionné dès le début.

FT : Plus tout le travail nécessaire pour présenter un plan de relance au CNC, au ministère de la Culture et au Gouvernement. La FNCF a été l’un des fédérations les plus efficaces pour obtenir un soutien des pouvoirs publics qu’elle jugeait absolument nécessaire. Les résultats ont été rendus publics par la ministre au Congrès de Deauville. Cela a été pris comme exemple par la CICAE qui représente tous les exploitants européens.

Siritz.com : Donc les salles ont rouvert le 22 juin. Mais elles ont tout de suite eu à faire face à un problème majeur, c’est celui de l’approvisionnement en films américains. Comme la plupart des salles sont fermées aux Etats-Unis et que les majors font des sorties mondiales, pour éviter le piratage, il n’y a pas eu, sauf une exception, de sorties de blockbusters. Or, les films américains représentent en moyenne 55/60 % des entrées françaises et, beaucoup plus l’été, qui est la grande saison pour les sorties de films américains. Quelle a été chez vous la fréquentation comparée à une période normale ? 

FT : L’été le cinéma américain peut représenter 70 à 80% des entrées. Les deux premières semaines, à Charleville, on était à 10% ou 15% des années précédentes. La troisième on est monté à 26% pour redescendre. C’est lié à l’offre de films, mais aussi à la météo. Il a fait presque tout le temps très beau, de juin à septembre. Puis on est monté doucement. A la dernière semaine d’août, avec la sortie de Tenet et une météo favorable, on était à presque 60%. Mais, ne l’oublions pas, avec un nombre de séances réduites.

Siritz.com :En outre il n’y avait  pas la continuation d’autres blockbusters sortis en juillet et août.

On perd de l’argent toutes les semaines

FT : Et c’est toujours difficile de comparer. C’est la semaine de l’opération Cinécool. C’est une opération où les salles du Grand Est font un tarif unique à 4,5 €. Et on pense que cela a boosté la fréquentation. Mais un jour Olivier Snanoudj m’avait dit que pour bien marcher un film américain avait besoin d’un grand film français en face, ce qui n’était pas le cas. Et, sur la semaine du 9 au 15 septembre la fréquentation était à 24 % de l’an dernier, puis à 36%. Et la semaine dernière à 24%. En fait c’est très insuffisant. On perd de l’argent toutes les semaines. 

Siritz.com : Pourquoi rester ouvert si vous perdez de l’argent toutes les semaines. Une grande partie des salles britanniques et américaines préfèrent fermer.

FT : Ce que l’on veut c’est rester ouvert.  Et on a une différence avec beaucoup de pays c’est qu’on a une production nationale importante, diversifiée et capable de faire des entrées. « Les Tuches n°4 » qui va arriver est capable de faire venir du monde. Si on regarde les films qui vont sortir prochainement il n’y en a pas mal d’intéressants mais quand on regarde les distributeurs il n’y a pas d’américains. Aujourd’hui on essaye de tenir avec ça. Tenir est bien le terme.

Siritz.com : Et il faut que vous soyez ouverts pour soutenir les distributeurs et les producteurs français qui sont, par ailleurs, un atout pour les salles françaises. Est-ce que les chiffres du syndicat français sont  à l’image de vos salles ?

FT : Il y a des disparités importantes. Les gros établissements de la périphérie parisienne sont encore plus touchés. Les salles art & essai s’en sortiraient un peu mieux.

Siritz.com : C’est ce que confirme une étude Comscore que nous avons publiée. C’est d’ailleurs normal parce qu’elles programment moins de blockbusters américains, voire aucun.

FT : Et elles ont un public régulier, fidèle à une salle et à sa programmation. Ce sont des gens qui « vont au cinéma », qui participent volontiers à des avant-premières avec le réalisateur. Nous, à Charleville, ceux qu’on ne voit plus ce sont les 15/30 ans. On craignait de perdre les seniors,  qui auraient peur d’aller au cinéma. Or ils sont là. En revanche, les jeunes n’ont pas les films américains et français qu’ils ont l’habitude d’aller voir. Je m’attendais en juin, comme beaucoup de mes collègues, à être très ingénieux sur la programmation de juillet et août.  J’ai donc repris des films des vieux catalogues, encouragé par les distributeurs, comme Warner. Mais on fait ça pendant un mois, pas quatre.

Siritz.com : Néanmoins, en général, les films français marchent comme ils auraient dû marcher hors crise sanitaire. Par exemple  « Tout simplement noir », « Antoinette dans les Cévennes » ou « Les Apparences » réalisent de très bons scores.

FT : Ils font même parfois mieux. Certains distributeurs ont eu raison de sortir leur film à ce moment. Les plans de sortie étaient plus élargis. Certains établissements ont même fait de la multidiffusion pour compenser le nombre de séances réduit et le manque de films. Mais au niveau des salles la fréquentation était plus répartie.

Siritz.com : La ministre de la culture Roselyne Bachelot, et le président du CNC, Dominique Boutonnat, sont venus au Congrès de la FNCF. La profession s’attendait à un ensemble de mesures évoquées par le Premier ministre. Mais j’ai eu l’impression que les exploitants étaient impressionnés par l’ampleur réelle des mesures,  leur caractère concret, leur simplicité et leur rapidité probable de mise en œuvre.

FT : Les exploitants ont en effet été très contents de constater que les discussions qui avaient été engagés avec les pouvoirs publics avaient abouti à ce que la ministre a annoncé. C’est vrai que, dans les circonstances actuelles, on avait un peu peur, parce qu’on n’est pas les seuls à souffrir. C’est dur partout. Heureusement que ces fonds vont permettre aux salles de cinéma à tenir un peu.

https://www.culture.gouv.fr/Presse/Communiques-de-presse/Un-plan-de-relance-et-de-modernisation-inedit-pour-le-cinema-et-l-audiovisuel

Siritz.com : Effectivement. C’est une aide jusqu’à la fin de l’année. Mais on ne peut raisonnablement espéré que la crise sanitaire aura disparu le 1er janvier. Elle ne commencera à cesser que lorsqu’il y aura un vaccin qui marche et qui est disponible partout. Qu’est-ce qui va se passer jusque là ? Et l’Etat n’a pas dit ce qu’il fera après le 1erjanvier.

Rien ne se déroule comme prévu

FT : Et en plus, depuis la réouverture des salles, on a une succession d’événements qui fait que rien ne se déroule comme on aurait voulu que ça se déroule. Les sorties de grands films sont  retardées les uns après les autres. On va pouvoir tenir jusqu’à la fin de l’année, grâce au plan de soutien. Mais c’est la suite qui m’inquiète. Faudra-t-il un nouveau plan de relance ? suivi d’un plan de maintien? suivi d’un plan de sauvegarde, voir de sauvetage ? De toute façon on est très dépendant du cinéma américain.

Siritz.com : Et les américains tiennent à des sorties mondiales pour éviter le piratage. Or, une grande partie de leurs salles, donc de leur principal marché, restent fermées.

FT : Le marché américain c’est avant tout 4 villes, à commencer par New-York.

Siritz.com : Où la situation empire à nouveau. Donc, à l’heure actuelle, j’imagine qu’il n’y a pas de discussion de la FNCF avec les pouvoirs publics sur un soutien à partir de 1er janvier.

FT : Pas encore. Il y a des discussions en interne. Nous réfléchissons à l’après. Mais il faut permettre au CNC de distribuer les fonds qui nous ont été dévolus. Ce qui ne va pas être simple. Puis, dès la mi-octobre on commencera à discuter de la suite.

Siritz.com : Durant cette période les banques vous ont bien soutenus ?

FT : Oui, en ce qui concerne les reports d’échéances sur 6 mois, voire un an. Mais report n’est pas annulation des intérêts complémentaires.  Elles ne veulent pas faire plus. Et ça reste des banques.

Siritz.com : Elles ne peuvent combler le trou de l’économie française. Mais revenons à la situation du cinéma. Ce qui est frappant c’est que les français n’ont pas eu peur d’aller au cinéma. Quand l’offre était là, ils y ont été. Sil les jeunes y ont moins été c’est qu’il n’y avait pas les blockbusters américains. Donc, les français estiment que le cinéma est indispensable à leur vie sociale. C’est au moins une constatation qui peut rendre optimiste.

TF : Dès qu’il y a le film et la météo qui convient le public est là. Cela confirme que le cinéma c’est le loisir le plus accessible et le moins cher. Cela amène à un message d’optimisme. La question est de savoir combien de temps et comment on va continuer à continuer sans films américains.

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