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Le carrefour

MARIE MASMONTEIL SUR LA PRODUCTION CINEMA

Elle est productrice de films de cinéma par sa société Elzévir Films dans laquelle elle est associée à Denis Carot. Elle y produit des fictions et des documentaires. En 2012 Tout Larzac  a obtenu le César du meilleur film documentaire.  Elle est vice-présidente du Syndicat des producteurs indépendants en charge des longs métrages de cinéma. Elle est sortie de l’ENA en 1988.

Interviewé

Siritz.com : Les plates-formes de S-VoD, Netflix et Amazon, ont acheté des films français qui devaient sortir au cinéma et qui n’y sont donc pas sorti. Ces  ventes ont permis aux producteurs de rembourser les chaînes qui avaient préfinancé ces films. J’ai demandé par écrit  au CSA, qui est charge de faire respecter leurs obligations par les chaînes, de me confirmer que ces montants devraient être rajoutés à leurs obligations de l’année suivante. Il ne m’a pas répondu. Avez-vous posé la question et avez-vous une réponse ? https://siritz.com/financine/de-carybde-en-scylla-pour-lexploitation/

Marie Masmonteil : Le SPI  revient de vacances et je ne sais si on a une réponse. Mais il est logique que ces montants soient reportés l’année suivante ou étalés sur les années suivantes. Mais il n’y a pas que les achats des plates-formes. Il y a les films dont le tournage devait avoir lieu à l’étranger en 2020 et ont dû être décalés à 2021.

Siritz.com : Même avant le confinement, Canal+ était en retard de 40 millions € par rapport à ses obligations, ce qui est très important.

Canal+ a « optimisé » ses investissements

MM : C’est en effet le cas pour Canal. Selon le CSA, la chaîne aurait «optimisé » le calcul de ses obligations, c’est à dire sous-estimé ses obligations pour sous-investir. Sciemment. Le CSA lui a donc enjoint de rattraper ce retard, à raison de 15 millions € l’année prochaine, 15 millions  € l’année suivante, puis encore 10 millions €. Mais, en juin, l’ensemble des organisations professionnelles du cinéma a eu une conversation avec Canal+ et ils nous ont dit qu’en 2020 ils seraient en retard de 40 millions €, du fait du rachat par les plates-formes ou du report de tournages. Ils proposaient d’investir cette somme autrement, notamment en aidant les distributeurs et les exploitants. 

Siritz.com : Quelle a été la réponse de la profession ?

MM : Les avis des organisations professionnelles étaient partagés. Mais,   Canal+ a commis une erreur  en n’en parlant pas d’abord aux organisations professionnelles  de producteur, puisqu’il s’agissait de l’argent de la production. Donc, ça s’est envenimé et  les producteurs  leur ont dit de dépenser cet argent  dans la production l’année prochaine. Donc cela ferait une somme de 80 millions en tout en notre faveur, dont plus 35 millions € en 2021.

Siritz.com : Avant même le confinement et la fermeture des salles, et malgré la très bonne fréquentation de 2019, on a le sentiment que, le chiffre d’affaires et donc  les investissements des chaînes dans le cinéma diminuaient, notamment du fait de la concurrence des plates-formes de S-Vod. Or, l’économie de la production de films repose largement sur la télévision, notamment sur Canal+ qui, en plus doit diversifier ses investissements.

MM : Paradoxalement, pour Canal+, ça n’est pas la situation que l’on constate. Quand on a eu une réunion, par zoom, en juin avec Maxime Saada (le président du directoire du groupe Canal+ de Canal+) et son équipe, il nous a dit que, alors qu’ils avaient investi 140 millions € en 2019, il devraient investir 160 millions € en 2020. Ils avaient fait une bonne année 2019. Avec le service public c’est 60 millions € (58+2), donc pas de baisse des investissements non plus. Par ailleurs,  Canal + nous a dit que, sur les 160 millions €, du fait des achats des plates-formes, ils  ont perdu de gros films.

Selon Maxime Saada Canal+ a fait un bon chiffre d’affaires en 2019

Siritz.com : Sur Cinéfinances.info j’ai le plan de financement de tous les films français. Or, même avant la crise sanitaire j’avais l’impression que de plus en plus de producteurs avaient de plus en plus de mal à monter le financement de leurs films.  L’indicateur c’est que le financement de beaucoup de  film doive faire appel à de plus en plus d’investisseurs. Parfois, 15, voir 20. Est-ce une bonne analyse ?

MM : C’est exact. La baisse des investissements de Canal, film par film, est de 30% environ. Pour donner un exemple, moi, sur les 5 derniers films que j’ai produits, je n’ai rien gagné : ni salaire producteur ni amortissement des frais généraux, ni imprévus. Certes, c’étaient des films fragiles, des films d’auteurs. Mais sur les films du milieu, c’est pareil. C’est de plus en plus difficile.

https://fr.wikipedia.org/wiki/Marie_Masmonteil#Récompenses

Mais je ne vais pas rentrer dans la discussion selon laquelle il y aurait trop de films. La France produit 300 films, sur lesquels, beaucoup de  documentaires, dont l‘économie est différente.  Et il y a les coproductions minoritaires. Donc la France produit  environ 170 à 200 films de fiction majoritairement français. Or le montant global investi par les chaînes n’a pas augmenté et on produit plus de films. Il y a 5 ans Canal+  investissait environ 30% du budget. Et maintenant c’est plutôt 15 à 20%. Et, pour les films de marché, pour y arriver, on partage de plus en plus de RNPP avec les investisseurs et on se retrouve de plus en plus producteur exécutif.

De nombreux films qui se tournent à l’étranger sont reportés

Siritz.com : Depuis la crise sanitaire j’imagine que, pour un producteur indépendant c’est encore plus difficile de monter un film.

MM : Concrètement, de nombreux films qui se tournent à l’étranger, y compris en Allemagne, sont reportés. Il y a deux jours on a appris que les français domiciliés en île de France ou en PACA, ne pouvaient tourner en Allemagne à partir de septembre. L’Allemagne, notre principal partenaire ! Ainsi, Marie-Ange Luciani devait produire le prochain film de Robin Campillo à Magagascar. Elle va tout de même commencer à préparer. Mais le tournage est reporté à mars, car, pour l’instant, on ne peut y tourner. De même on ne peut faire de coproduction avec les israéliens. Or, au Spi, on fait beaucoup de coproductions internationales. La France a des accords de coproduction avec 70 pays.

Siritz.Com : On va voir comment la crise sanitaire va évoluer. Mais, en attendant, les plates-formes apportent un plus. Ce sont de nouveaux acteurs. Très nettement pour la commande de séries. Mais, même pour les films de cinéma. Elles ont acheté les droits internationaux de « Mignonnes », qui est un premier film et un film d’auteur. Je suis certain que Netflix a payé plus que ce qu’aurait rapporté les ventes à l’étranger,  territoire par territoire.

Je suis souverainiste, en faveur des chaînes françaises historiques

MM : Oui. Il y a les atlantistes qui se réjouissent de l’arrivée de ces nouveaux acteurs. Et il y a incontestablement des côtés positifs. Et il y a  les souverainistes. Je suis une souverainiste. Je privilégierai toujours les chaînes françaises historiques. Non seulement elles apportent le financement, mais elles ne nous imposent pas un casting, nous laisse la liberté de création.

Siritz.com : Mais les plates-formes interviennent-elles plus ?

MM : Pour l’instant elles achètent des films déjà prêts. Je ne suis pas sûr que ce serait la même chose si elles intervenaient en préfinancement. Elles nous ont aussi demandé de pouvoir inclure dans leurs investissements cinéma des téléfilms qui ne sortent pas en salle. Nous avons refusé car, pour nous, un film de cinéma, c’est un film qui sort d’abord en salle. Nous sommes intransigeants sur ce point.

Siritz.com : Et sur la chronologie des médias. Elles vont demander d’être au même niveau que Canal+.

MM : Là encore, je suis souverainiste. Canal+ est une chaîne française, historique, c’est la chaîne du cinéma. Si on met les plates-formes au même niveau dans la chronologie, elles risquent de prendre les films les plus importants, car elles ont une diffusion mondiale et ont des moyens considérables. Ce serait la fin de Canal +, et, donc, pas l’intérêt du cinéma français.

Siritz.com : Mais si leurs achats pour le « hors France » étaient pris en compte, les films sortiraient d’abord en salle en France et uniquement chez elles à l’étranger.

MM : On ne peut prendre en compte que leurs achats de droits pour le territoire français. Et il faut faire très attention à ce que ces plates-formes ne détruisent pas une partie de la filière industrielle du cinéma français : vendeurs internationaux, distributeurs et exploitants étrangers qui diffusent des films français.

Siritz.com : Le gouvernement, c’est à dire la direction des médias et des industries culturelles (DGMIC), prépare le texte qui va fixer les obligations des plates-formes. Le président de la République a demande à ce qu’il entre en vigueur le 1er janvier. La grande question est celle du pourcentage de leur chiffre d’affaires qu’elles devront investir et la répartition entre cinéma et œuvres audiovisuelles. Il y a aussi celle de leur place dans la chronologie des médias.

MM : Je ne crois pas que le cinéma français les intéresse. En fait je ne sais pas ce qui les intéresse. Ils ont tendance à changer d’avis. Dans la dernière conversation que j’ai eu avec Sara May, de Netflix, ce qui les intéresse ce sont les films très banlieue, action, diversité. Ils auraient bien aimé « Les misérables ». Et ils aiment les films qui ont eu des prix dans les festivals.  Ils ont acheté les droits hors France de « Mignonnes » qui a été primé à Sundance, Ils ont acheté « Atlantique » de Mati Diop, après qu’il a remporté le Grand prix du Jury Festival de Cannes. Ils ont dû le payer très cher, pensant qu’il avait des chances de représenter le Sénégal aux Oscars. Donc, il cherche une vitrine, un peu comme les films de grands réalisateurs américains. Mais qui ne sont pas forcément très regardés.

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