LES SÉRIE EN SÉRIES DE MARIE BARRACO
Marie Baracco et son agence de communication Kandimari, avec un comité éditorial représentant de tous les créateurs de série, a lancé en 2012 Série séries qui est devenu une manifestation incontournable pour les professionnels du secteur en Europe. Elle présente le développement de celle-ci et analyse l’évolution de la création de séries en Europe.
Siritz.com : Série Séries, créé en 2012, est un Festival sans prix. C’est original.
Marie Barraco : En fait cette manifestation a été conçue avec les producteurs et les auteurs pour remplir un besoin, celui de disposer d’un lieu de rencontre et d’échanges autour de la création sérielle. Nous avons donc collectivement imaginé ce rendez-vous qui dure 3 jours et qui a lieu à Fontainebleau. https://www.serieseries.fr
Siritz.com : Elle vise le marché européen. Y-a-t-il eut dès le début tout le monde ?
MB : Dès le départ il y avait cette volonté de stimuler les créations et collaborations sur la zone Europe. Petit à petit il y a eu des pays que l’on avait peu identifiés qui nous ont rejoint. Notamment les pays de l’Est que l’on voit émerger de façon de plus en plus intéressante. Bien entendu, les britanniques ont toujours été très forts. Les nordiques n’ont cessé d’être actifs et créatifs.
Siritz.com : Dans les pays de l’Est lesquels sont en pointe ?
MB : La Croatie, la Bulgarie, la République Tchèque et récemment nous avons reçu plusieurs projets ukrainiens intéressants.
Siritz.com : La Russie fait partie de l’Europe ?
MB : Oui. On a eu quelques projets Russes.
Siritz.com : Et ils sont à quel niveau ?
MB : Plutôt ceux des pays de l’Est.
Siritz.com : Il y a un pays qui est à la frontière de l’Europe et qui est un grand producteur de cinéma : la Turquie. Est-ce la même chose pour les séries ?
MB : Dès la deuxième année on a fait un focus sur la Turquie. On avait déjà noté l’envol de la production en termes de quantité, de qualité, d’exportation et d’impact culturel dans toute la zone Moyen-Orient. Cela reste une production très dynamique, mais moins connectée à la création européenne que les autres. Néanmoins elle reste toujours très intéressante et on y jette un œil en permanence.
Siritz.com : Et Israël, qui n’est pas en Europe, mais qui a une production de très grande qualité, qui s’exporte partout et qui inspire la création dans tout l’occident ?
MB : Oui, on a fréquemment eu des projets israéliens et pas plus tard que l’année dernière. C’est un pays qui inspire beaucoup et qui a une manière de fonctionner passionnante. En Israël la création et le développement, l’attention portée à l’écriture sont fondamentaux et cela reste un exemple passionnant à mettre en avant et décrypter pour les européens.
Siritz.com : Quelles ont été les évolutions majeures de cette manifestation ?
Série séries est un évènement centré sur la création et consacré aux auteurs
MB : La manifestation en elle-même a peu évolué. Elle reste un endroit de rencontres et de réflexion qui reste à taille humaine et qui répond à une vraie demande du secteur. Donc son ADN est resté le même. Ce qui a évolué ce sont les événements autour. Il y a beaucoup plus de gros marchés, de festivals, de gros événements. Série séries s’en distingue parce que c’est un événement centré sur la création et consacré aux créateurs qui s’attache à représenter une source d’inspiration, de réflexion et de rencontres susceptibles de générer des collaborations créatives. Nous avons maintenu la taille de l’évènement pour préserver la qualité des échanges et de la convivialité, pour maintenir une facilité dans les interactions et les rencontres.
Siritz.com : Mais vous avez créé des manifestations autour.
MD : On a effectivement organisé des événement hors les murs. Notamment des événements bilatéraux en Europe, entre la France et un autre pays européen, qui ont un grand succès parce qu’ils sont très efficaces. Ça a marché très bien et tout de suite. On en a fait avec le Danemark, la Suède, la Grande-Bretagne, la Hollande, la Norvège. En 2018 par exemple on a vu la Norvège à Série Séries émerger nettement, se renouveler, se diversifier comme peu de pays de la zone, il était donc passionnant de s’y attarder. On a pu étudier comment ils avaient réussi à la faire évoluer à ce point et créer un point de rencontre privilégié entre les professionnels français et norvégiens. Série Séries à Fontainebleau représente toute la diversité de la création. Sur 3 jours il est complexe de vraiment creuser une tendance, les «Hors les murs » permettent de décrypter en profondeur et de renforcer les relations artistiques et commerciales entre les créateurs et les opérateurs de deux pays
Siritz.com : Combien de temps cela dure-t-il ?
MB : En général chacun dure 48 heures. Le principe est d’inviter les professionnels du pays choisi à venir présenter leurs œuvres à Paris, puis en retour de déplacer les français dans le pays en question, proposant une découverte mutuelle. L’année dernière on devait faire un événement en Bulgarie mais la Covid nous en a empêché. En tout cas cela évite de surcharger Série Séries, pour permettre aux professionnels d’avoir le temps de se rencontrer et d’approfondir certains sujets.
Siritz.com : Vous avez aussi créé Série Séries Kids.
MB : Oui, il y a 3 ans. C’est une émanation de Série Séries qui tourne autour des séries d’animation françaises. Mais l’ambition n’est pas d’être un point de contact entre professionnels, mais de proposer un temps d’échanges privilégié avec le public. Les équipes de création rencontrent le public dans des salles. Ça marche très bien. D’année en année on double la capacité d’accueil parce que nous jouons tous les ans à guichets fermés !
Siritz.com : Cela a lieu quand et où ?
On a créé un Série séries sur le marché africain
MB : Pendant Série Séries à Fontainebleau. Par ailleurs, on a créé Série Séries sur le continent africain. En 2018 on a organisé une première manifestation à Ouagadougou. Cela permet d’observer le succès de la production africaine, en partant de l’Afrique francophone. Ce sont des professionnels africains qui étaient venus à Fontainebleau qui ont décidé de décliner le modèle sur leur continent. La deuxième édition devait avoir lieu à Abidjan en 2020. On a été obligé de la reporter. Mais on annonce une édition de Série Séries Afrique en ligne dans 15 jours.
Siritz.com : Vous allez utiliser Zoom ?
MB : Non, on a un prestataire. On l’a déjà utilisé par Série Séries fin juin/début juillet 2020 On a développé une plateforme digitale, serieseries.tv. C’est une plateforme sur laquelle ont lieu les sessions. A date plus de 70h de contenus exclusifs produits par Série Séries y sont proposés et la mise en ligne de sessions tournées vers la création africaine va nous permettre de faire un pont Europe/Afrique et de créer du lien.
Siritz.com : Comment se fait le financement de la manifestation ?
MB : Les partenaires sont les mêmes depuis 10 ans. La région Ile de France en premier lieu, les collectivités locales, les sociétés d’auteur (SACD, Sacem, Procirep), France Télévisions. Des prestataires comme Transpalux. Des banques. Il y a en tout 35 partenaires. Et les professionnels eux-mêmes puisque les accréditations sont payantes.
Siritz.com : Pas le CNC ?
MB : Le CNC soutient Séries Stories, une initiative précise et identifiée en direction des auteurs au sein de Série Séries. Sur le budget global de l’événement cela représente moins de 5% du budget. Le CNC a fait le choix de concentrer son soutien sur la manifestation Séries Mania qui se tient dans les Hauts-de-France.
Siritz.com : Série Séries est un très bon point d’observation du marché. Quelles sont des grandes tendances de son évolution depuis 2012 ? D’abord, est-ce que le nombre de participants a augmenté ?
MB : On le limite volontairement. On a commencé avec 500 et aujourd’hui on est autour de 700. Il faut laisser une place centrale aux auteurs pour que la manifestation ne soit pas trop absorbée par la partie business. Il y a 35% de français et 65% d’européens.
Siritz.com : Et les évolutions des programmes ?
Valoriser les productions locales qui ont une ambition internationale
MB : La principale évolution, c’est le nombre des séries produites. En 10 ans, sur le continent européen, la croissance a été exponentielle. Et il y a des succès de plus en plus importants pour certaines. Par ailleurs, nous nous attachons à valoriser beaucoup les productions locales mais qui ont une ambition internationale. La diversité est de plus en plus grande, ce qui nous permet de faire un choix. Ainsi, on a présenté « Skam » au moment même de sa diffusion en Norvège, avant qu’elle ne devienne un phénomène. https://fr.wikipedia.org/wiki/Skam_(série_télévisée)
Cette série norvégienne visant les jeunes adultes a été adaptée en série franco-belge
On remarque aussi le développement de fiction en direction d’un public plus jeune, le développement de plus séries de genre. Et puis, avec la multiplication des productions, on note la volonté de cibler, c’est-à-dire de s’adresser à des publics différents.
Siritz.com : Auparavant on estimait qu’au-delà d’un certain budget il fallait monter des coproductions, pour partager ce budget entre plusieurs diffuseurs. Ce qui supposait de prendre des comédiens de ces différents pays, de multiplier les lieux de tournage. Est-ce que ce que vous venez de dire sur le fait que les fictions nationales de grande qualité, même chères, ont un véritable potentiel international change la donne ?
MB : Clairement, il y a une vraie prise de conscience de l’intérêt des productions locales pour toucher un public identifié, l’intérêt des plateformes internationales pour les productions locales est d’ailleurs très fort. Mais cela n’empêche pas les alliances et les coproductions. Les pays nordiques le font entre eux depuis longtemps et continuent. Même chose pour l’alliance entre France télévisions, ZDF et la RAI. Mais ce n’est pas parce qu’une production est typiquement locale qu’elle ne peut pas avoir un succès international.
Siritz.com : Un des phénomènes marquant de ces dernières années est le développement de Netflix. Quel effet cela a-t-il eu sur votre manifestation et sur le marché ?
Les services publics doivent se poser la question de leur responsabilité
MB : Il est évident que cela a élargi le marché. Cette concurrence est stimulante, elle ouvre de nouvelles opportunités aux créateurs. Cela force chaque diffuseur à se poser la question de sa vocation et de son positionnement dans l’écosystème. Il y a notamment une vraie question que doivent se poser les services publics. Dans leur raison d’être il y a une responsabilité particulière que nous aimons évoquer à Fontainebleau.
Siritz.com : En 2020 fin juin il y avait le confinement, les rassemblements étaient interdits Comment avez-vous fait ?
MB : On a pu organiser deux séances extérieures, dans la forêt de Fontainebleau. Et, entre mars et fin juin, on a pu mettre en place des outils qui nous ont permis de nous développer de manière virtuelle. Mais on a fait le choix de ne pas présenter de séries sur nos plateformes. Parce qu’on estime qu’un festival c’est le partage et la découverte des oeuvres en salle avec leurs équipes. On a laissé la possibilité aux équipes d’envoyer des liens si elles le souhaitaient. On s’est focalisés sur la parole donnée aux créateurs, et nous sommes consacrés à la présentation de sessions didactiques du même genre que celles que l’on fait en période normale : des études de cas, des masters class de talents, des interviews de décideurs, des modules autour des décideurs.
« Série séries émission » tous les 15 jours et le réseau de décideurs The link
Siritz.com : Mais désormais vous proposez des services tout au long de l’année.
MB : On a créé un une émission sur les séries, « Série Séries émission ». Il y a une émission tous les 15 jours qui donne la parole aux créateurs et aux interprètes. Et on a développé un réseau de décideurs européens, « The link ». Les professionnels y présentent leurs projets et discutent entre eux. Sur cette plateforme on fait des sessions en live. L’avantage de tout ça est que cela pérennise la parole des créateurs et permet de toucher un nombre plus grand de professionnels. Je suis heureuse que nous puissions proposer « à la demande » de belles interviews de créateurs emblématiques comme Russell T Davies.
Siritz.com : Cette année Série Séries se tiendra fin juin/début juillet comme les autres années. Vous pariez sur le déconfinement ?
MB : On a pris le parti de travailler toutes les hypothèses. Comme on sera l’été on va faire beaucoup de chose en extérieur. Mais notre infrastructure digitale existe. Personnellement je pense qu’il est illusoire de penser que l’on sera revenu à la normale, ne serait-ce que parce que les professionnels de tous les pays ne pourront voyager. Donc on se prépare à un événement hybride, avec des gens sur place, des gens à distance. Mais tous pourront dialoguer entre eux.
Nous mettons l’accent sur l’importance du trio scénariste, réalisateur, producteur
Siritz.com : En France il y a un débat un peu chaud dont Siritz.Com se fait l’écho, que l’on retrouve sur Facebook avec « paroles de scénaristes », sur les rapports entre scénariste, réalisateur et producteur. Est-ce que l’on trouve ce débat dans d’autres pays.
https://siritz.com/cinescoop/les-mousquetaires-de-laudiovisuel/
https://siritz.com/cinescoop/y-a-t-il-encore-un-realisateur-dans-lavion/
https://siritz.com/cinescoop/mais-ou-sont-les-3-mousquetaires/
https://siritz.com/le-carrefour/un-scenariste-met-les-pieds-dans-le-plat/
MB : Ce que je peux dire c’est que je n’ai pas vu d’initiative comme « Paroles de scénaristes » à l’étranger. Donc les rapports doivent être plus tendus en France, sans doute du fait de notre histoire. Évidemment, cela fait partie des sujets dont on a envie de s’emparer pour créer le dialogue. Le principe de Série Séries c’est de faire la preuve par l’exemple. Nous, nous mettons l’accent sur l’importance du trio scénariste, réalisateur, producteur. Si le trio ne fonctionne pas la qualité de la série s’en ressent. Quand il s’entend les résultats se voient.
Siritz.com : Ce sujet va être abordé par Série Séries de cette année ?
MB : C’est indispensable.
Siritz.com : Est-ce que ce débat en France ne vient pas de l’entrée des professionnels du cinéma dans le monde des séries. Car, dans le cinéma, l’auteur c’était le réalisateur. Dans le monde de la télévision c’était plus équilibré.
MB : C’est avant tout une guerre d’égos. La série est une œuvre collective et la place de chacun est essentielle. Mais en lisant les premières interventions dans « paroles de scénaristes », je me suis rendu compte à quel point cette question restait d’une grande actualité. J’avoue que j’ai été surprise que les choses aient finalement aussi peu évolué depuis la première édition de Scénaristes en Séries en 2005 où ces mêmes manques de dialogue avaient motivé la création du festival à Aix-les-bains. J’aurais espéré que les choses évoluent mieux et plus rapidement… De notre côté en tant que festival nous pouvons à minima continuer de proposer un espace de débat et mettre en avant les pratiques vertueuses. Les événements permettant l’échange et la discussion ont encore une bonne raison d’être.