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Le carrefour

LES EFFETS SPECIAUX D’EMMANUEL PITOIS

Il a commencé par travailler pour Donald Trump. Cela explique peut-être pourquoi il des devenu l’un des grands chefs maquilleurs par effets spéciaux français. Son carnet de commande ne désemplit pas. Il  a travaillé sur près de 300 films et séries. Ce qu’il préfère ce sont les maquillages qui ne se voient pas mais qui créent le personnage.

Interviewé

Siritz.com : Comment définissez-vous votre métier ?

Emmanuel Pitois : Je fais des effets spéciaux de maquillage.  Au moment où le maquillage en deux dimensions s’arrête, je prends le relais pour rajouter des volumes, des éléments supplémentaires, comme faire un vieillissement, rajouter un faux nez, des prothèses de cicatrice, des effets sanglants…

https://www.lamontagne.fr/felletin-23500/loisirs/emmanuel-pitois-defigure-les-stars-pour-les-besoins-du-cinema_11912589/

Siritz.com : Qu’est-ce que vous avez fait comme études ?

EP : J’ai toujours vécu dans une ambiance artistique. Mes parents étaient brocanteurs. J’ai toujours aspiré à avoir un métier artistique. Et, à 16 ans, en seconde, je suis tombé gravement malade, ce qui a foutu en l’air ma scolarité. J’avais alors eu envie de faire une école d’art. J’ai alors, par l’intermédiaire d’un professeur de cours du soir à l’école nationale des arts décoratifs de Limoges, pu me présenter au concours d’entrée, avec une dispense d’âge et sans bac. Et j’ai été reçu. A 16 ans.

Mon premier emploi a été pour Donald Trump

Siritz.com : Mais comment êtes vous passé de ces études à votre métier actuel qui n’a rien à voir avec le milieu dans lequel baignaient vos parents.

EP : En 5ème année, avec mon premier diplôme, je suis parti aux Etats-Unis, travailler  pour Donald Trump.

Siritz.com : ??…

EP : En fait, j’ai travaillé sur un projet pour Philippe Starck qui décorait les hôtels de Trump. Mais, en fait, quand j’étais au lycée, j’avais un ami qui était fou d’effets spéciaux de maquillage. C’est là que j’avais découvert que des gens gagnaient leur vie, et bien, avec ce métier. Il avait beaucoup de revues américaines qui expliquaient cette technique, assez prodigieuses pour l’époque. Aux Arts Déco, j’ai  suivi des cours d’art du feu qui permettent de faire des modelages et des moulages. Je me suis mis à faire des  effets spéciaux et ma sœur jumelle, qui était la petite amie d’un très bon photographe, en a fait des photos. J’ai donc constitué un portofolio important. Or, ce photographe  avait une importante usine de meubles et  travaillait sur des projets immobiliers un peu partout dans le monde. Et, un jour, il me dit : « On a un problème pour finir un hôtel avec Philippe Starck. On manque de personnel. Est-ce que tu peux aller à New-York pour nous aider ? ». J’ai accepté.

Siritz.com : Mais Starck est loin du cinéma.

J’ai travaillé avec Dick Smith sur « Cyrano de Bergerac »

EP : Oui. Mais, avant de partir j’ai envoyé une lettre, avec des photos, au plus grand chef maquilleur américain, Dick Smith. Il a fait, entre autres,  « l’Exorciste », « Amadeus », « Little big man ». Il m’a répondu en me disant que j’avais beaucoup de talent et de venir le voir. Je l’ai rencontré. Il préparait « Cyrano de Bergerac » avec Depardieu, en 1988. Je suis resté 3 mois à New-York et j’y ai rencontré pas mal de gens.  Je voulais évidemment rester travailler aux Etats-Unis, pour le cinéma. Mais c’était tellement compliqué avec les syndicats. On m’a alors convaincu qu’il fallait que je rentre en France pour développer cette activité chez nous. Jusque là, en France, pour les effets spéciaux de maquillage on s’adressait aux américains ou aux anglais. 

Siritz.com : Il n’y avait personne en France ayant cette compétence ?

Avec Marc Eloi je faisais plutôt les prothèses

EP : Si, quelques-uns, notamment Jacques Gastineau, qui avait cette compétence.  Or, quand je suis rentré, une revue de cinéma a publié un article de deux pages sur mon travail. Gatineau l’a lu et m’a appelé. Il cherchait quelqu’un et m’a téléphoné pour faire un effet pour un film (« Le fantôme de l’arc en ciel », de « Marc Eloi »). Donc, c’est ce que j’ai fait dans son atelier. Il a été convaincu par mon travail et on a travaillé 7 ans ensemble. Moi je faisais plutôt les prothèses, lui les faux animaux. Puis nos chemins ses son séparés et je me suis associé avec un autre artiste,  Benoît Lestang. C’était aussi, dès le début des années 80, un des rares maquilleurs français d’effets spéciaux. On a travaillé ensemble pendant une dizaine d’années. Il est décédé et maintenant je travaille seul. J’ai fait environ 300 films et séries.

Siritz.com : Sur un film ou une série, qui vous appelle ?

Quand la cosmétique pure n’est pas suffisante on fait appel à moi

EP : Dans 90% des cas le chef maquilleur. Il reçoit le scénario et en fait le dépouillement. En fonction de chaque personnage il doit estimer quelle allure il doit avoir. Il fait des propositions au réalisateur. Il travaille avec le chef coiffeur et le chef costumier, parce que c’est en ensemble de choses pour rendre crédible les personnages. https://siritz.com/le-carrefour/lapparence-revele-beaucoup-sur-les-personnages/ Et, quand la cosmétique pure n’est pas suffisante, il ou elle fait appel à moi. On en discute, on en parle avec le comédien ou la comédienne et avec le réalisateur. Puis, quand c’est validé, on chiffre le coût et on le présente au directeur de production qui analyse la proposition. Il se peut qu’il demande de voir si d’autres ateliers ne sont pas moins chers. On est comme des auto-entrepreneurs qui doivent gérer des éléments qui ne sont pas uniquement artistiques.

Siritz.com : Le chef maquilleur fait un appel d’offre où vous appelle parce qu’il vous connait ?

EP : Ils préfèrent travailler avec quelqu’un qu’ils connaissent et à  qui ils savent pouvoir faire confiance. J’ai donc fidélisé un certain nombre de chefs maquilleurs. Mais c’est, pour ça que  c’est aussi très difficile de refuser du travail, parce que cela risque de les mettre dans l’embarras, puisque, avec quelqu’un qu’ils ne connaissent pas, ils vont prendre un risque.

Siritz.com : C’est pour cela qu’actuellement  vous travaillez sur 8 ou 9 films, même si c’est à des stades différents. Et vous travaillez même le week-end.

EP : Ce ne sont pas tous de gros effets. En outre, après l’arrêt des tournages dû au Coronavirus, il y a embouteillage.

Siritz.com : Est-ce que, parmi les effets spéciaux que vous avez fait, certains  ont été des défis importants ?

Faire des maquillages spéciaux qu’on ne voit pas

EP : J’ai fait presque tous les films de Jacques Audiard, à part le dernier. Ce sont des défis, parce que ce sont des trucages dont on ne doit pas ses rendre compte. On contribue à créer des personnages. On accessoirise de petites choses pour leur donner du caractère. Tahar Rahim, sur « Un prophète », quand il est arrivé devant la table de maquillage, il avait 24 ans, il était tout beau. Et, dans le film, c’était un caïd des cités, qui allait en prison. Il fallait lui durcir les traits, lui texturer le visage. Bien entendu, dans le film il y a aussi des égorgements qui sont des effets spéciaux plus mécaniques. Mais, moi, ce que j’aime, c’est faire des maquillages spéciaux qu’on ne voit pas.

Siritz.com : Mais Tahar, pour le durcir, le maquillage ne suffit pas ?

EP : C’est souvent de petites choses. Sur un film avec « Tahar », qui s’appelle « Les joueurs », il a un faux nez, un nez de boxeur. Mais personne ne le sait. Pour qu’il soit un mec de la rue, il faut lui durcir les traits. Même sur le plateau les gens ne le savaient pas. Il avait une gueule. Et, en plus c’était sa demande à lui. Il trouve son nez trop droit, trop propre. Je lui ai fait trois versions de nez sur  trois films différents.

Siritz.com : Donc le comédien intervient de manière importante.

Je ne sui pas uniquement un artisan

EP : Evidemment. Tout se fait en cohérence avec chacun. En plus, souvent, les comédiens ne sont pas des gens faciles à gérer. Si on touche à leur image, on va au-devant des problèmes. Il faut que l’on sache les convaincre d’être laids. Sinon ça n’ira pas. Cela nécessite de la diplomatie. Mon travail ne consiste pas uniquement à fabriquer des accessoires. On est face à un réalisateur et face à un comédien à qui on va changer sa gueule, face à un directeur de production qui fait les gros yeux dès qu’on parle argent. Donc je ne suis pas uniquement un artisan.

Siritz.com : Vous habitez dans la Creuse où se trouve votre atelier. Mais il faut aller rencontrer tous vos interlocuteurs sur le film au moment de la préparation et du tournage.

EP : Je loue aussi un appartement à Paris. Mais ma base est dans la Creuse. Ces déplacements nécessaires représentent évidemment du temps et de l’argent.

Siritz.com : Vous travaillez aussi bien avec des comédiens que des comédiennes ?

EP : Bien sûr, les enfants aussi

Siritz.com : Et le travail pour la télévision n’est pas différent de celui pour le cinéma ?

EP : Quel que soit le média c’est la même chose.

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