ARD, UN PROPHÈTE DU SCÉNARIO
Il est le scénariste de « Un Prophète » et des deux Mesrine. Mais ce qu’il préfère ce sont les séries. Comme les américains il pense qu’un bon film commence par un bon scénario.
Siritz.com : Comment êtes-vous venu au cinéma, vous n’avez même pas votre certificat d’études et, d’après ce que vous m’avez dit, vos parents étaient analphabètes ? https://fr.wikipedia.org/wiki/Abdel_Raouf_Dafri
Abdel Raouf Dafri : Je n’ai pas fait d’études parce que je ne supportais pas la discipline de l’école, mais j’ai beaucoup lu.
Siritz.com : Mais comment êtes vous devenu scénariste de cinéma ? Et d’emblée l’un des plus grands.
ARD : En fait, ça s’est fait par le plus grand des hasards. J’habitais à Lille, une ville très socialiste, et, en 1981, les militants socialistes faisaient du porte-à-porte dans les cités. Et puis, ils faisaient des réunions où il y avait des jeunes, du café chaud. Sans adhérer j’y allais. Et c’est là que j’ai appris que, si Mitterrand était élu, il créerait les radios libres. Et les radios libres se sont ouvertes. On venait avec ses disques que l’on passait et on disait ce que l’on voulait dans le micro. Je suis devenu animateur radio et disc-jockey en boîte de nuit. J’ai fait ce métier pendant 10 ans, même à la télé. Et quand la radio est devenue professionnelle, il fallait synthétiser ses 25 secondes de présentation d’un disque, donc l’écrire. J’ai découvert aussi ce que c’était de faire l’interview et le montage d’un reportage. Et, un jour, je me suis rendu compte que j’aimais beaucoup le cinéma. Surtout le cinéma américain. J’adorais les gens comme Richard Brooks.
Siritz.com : Vous vouliez alors faire du cinéma ?
ARD : Non. Mais je lisais beaucoup de livres sur le cinéma. Je m’intéressais au « process ». Et je me suis intéressé naturellement à des scénaristes. Pour moi, au sommet il y avait Oliver Stone. Et je m’intéressais plus à un cinéma de genre qu’à un cinéma dit d’auteur. Même s’il y a des choses que j’aime chez Jean-Luc Godard. Truffaut m’a parlé avec « Les 400 coups » et « L’enfant sauvage ». Après il ne m’a pas dit grand-chose. En fait, je ressentais profondément le cinéma américain. En tout cas, à 27 ans je me suis demandé ce que j’allais faire. Je n’avais plus envie d’être animateur. Et j’ai découvert, dans un livre de Patrick Brion, que Richard Brooks avait démarré comme scénariste. L’écriture m’a semblé un job formidable.
A cette époque, en France, personne ne voulait être scénariste
Siritz.com : C’était quand ?
ARD : En 1993. A cette époque, en France, personne ne voulait être scénariste. Tout le monde voulait être réalisateur. Et je voulais être scénariste de série télé. J’avais vécu avec « Belphégor », « La 4ème dimension », « Les incorruptibles ». Je trouvais que le feuilletonnant permettait de creuser les personnages. Et HBO, la chaîne américaine du cinéma, a commencé à se lancer à son tout dans les séries.
Siritz.com : Et vous avez commencé à écrire des séries ?
ARD : Il y a deux personnes qui ont cru en moi très vite. D’abord, Martin Brossolet, de la boite de production Protécréa. Et il y a un autre monsieur qui m’a appelé, c’est Nicolas Boukhrief, qui dirigeait Canal+ écriture dans les années 90, avec Richard Grandpierre, qui deviendra producteur par la suite.
Siritz.com : Vous avez travaillé pour Protécréa ?
ARD : Moi, je pouvais écrire un épisode du « Commissaire Moulin » parce qu’il se comporte comme un vrai flic. Pour lui la fin justifie les moyens et il peut se comporter comme un fasciste. Je ne pouvais écrire un épisode de « Navarro » ou des « Cordier » parce que ça n’est pas réaliste. Dans les années 90 j’ai écrit donc le synopsis, puis le scénario d’un épisode de Moulin. Mais, avant qu’il ne soit tourné, ce que j’avais écrit s’est passé exactement de la même façon dans la réalité. A tel point qu’on ne pouvait le tourner.
Siritz.com : Vous avez écrit d’autres choses ?
ARD :Je leur avais envoyé autre chose, qui était plutôt dans le genre du romancier américain Elmore Léonard. https://fr.wikipedia.org/wiki/Elmore_Leonard Parce que Tarantino a tout pris à Léonard. On ne le dit jamais assez. J’avais écrit une histoire de 10 truands par équipe de deux qui doivent retrouver Leila, la maitresse d’un mafieux, à qui elle a volé tout son pognon et des papiers compromettant. Mais, parmi les 10, l’un est l’amant de Leila. Donc, il participe à la poursuite pour essayer de la sauver. Et chaque binôme est assez antinomique et les dialogues sont assez drôles. Ça s’appelait « GangBang ». Mais Boukhrief m’a dit que ça n’était pas le moment pour monter un film de genre.
Siritz.com : Donc deux impasses.
ARD : Oui. Alors je suis revenu dans le nord et je suis retourné à la communication d’entreprise. J’ai écrit un court métrage. Un ami l’a réalisé et ça été produit par une boîte lilloise. C’est un huis clos sur un tueur en série. Il y avait déjà de bonnes bases, mais trop de dialogue. On s’est bien marré. Et puis après j’ai continué à écrire.
Siritz.com : Mais comment avez-vous vraiment démarré ?
ARD : J’ai écrit le projet d’une série. Elle se passait dans un quartier : deux amis d’enfance, des maghrébins d’origine, dirigent deux camps opposés. L’un, les truands, l’autre, les religieux.
Un projet de série refusé par plusieurs producteurs et quatre fois par Canal+
Siritz.com : Tout à fait d’actualité.
ARD : Mais pas à l’époque. Il a été refusé par plusieurs producteurs. Et, même, quatre fois par Canal+. Ils trouvaient que c’était un sujet dur, violent. Et puis en 2001 Martin Brossolet m’a envoyé une carte de vœux pour le nouvel an et m’a dit d’appeler le nouveau responsable de Canal+ écriture, François Cognard. Il venait de Starfix et moi je lis Starfix. Je le rencontre. Mais lui il veut orienter les films de Canal vers le dialogue, du film de genre à l’italienne. Ça n’était pas ma came. Je suis trop américain. Les grands polars américains disent tous des choses sur leur société à travers une fiction totale. John Ford a été le premier réalisateur américain à parler du racisme à travers « Le Sergent Noir ». Dans « La prisonnière du désert » John Wayne est un personnage épouvantable vis-à-vis des indiens. Mais, grâce à Canal+ j’ai rencontré Marco Cherqui, le producteur de La Compagnie des Phares et Balises. Et il m’a dit qu’il voulait faire du cinéma de genre et que, si je lui amenai une super histoire, il signait. Et un jour je lui amène « Un prophète ». A cette époque j’étais au RMI.
Siritz.com : Mais comment avez-vous écrit cette histoire ?
Un de mes films fondateurs a été « Dans la chaleur de la nuit »
ARD : Je lis énormément de livres, j’adore m’instruire. Je suis d’origine algérienne, né en France. Mais vous m’entendez, je n’ai pas d’accent. A la télé quand j’entends parler des français d’origine maghrébine ils ont l’accent d’émigrés arrivés récemment en France. Une caricature qui n’a rien de vrai. Les maghrébins d’origine, nés en France, parlent comme les français des endroits où ils habitent. Cette représentation des maghrébins nés en France me mettait la rage. Même chose pour les noirs nés en France. A cette époque, je regardais beaucoup la télé et un de mes films fondateurs a été « Dans la chaleur de la nuit », de Norman Jewinson, avec Sidney Poitier. Et j’en avais marre de voir des films avec des arabes dominés par les blancs qui leur montrent la direction. Mais je ne voulais pas faire un film communautariste, parce que je ne suis pas communautariste. Je voulais faire un film dans lequel l’arabe ne se voit pas comme arabe, mais tous les autres, les arabes comme les corses, le voient comme tel. Et l’acte fondateur c’est qu’il est un arabe au service des corses. Et là il a la paix. Relative, puisqu’il est esclave.
Siritz.com : Mais il évolue.
ARD : Oui parce qu’il lit et il commence à comprendre quelle est sa place. Et son cerveau évolue, mais les autres ne le voit pas. Et lui il sait qu’ils ne le voient pas. Il va donc pouvoir commencer à monter son propre plan. Il encaisse, encaisse. Et, le moment venu, il prend le pouvoir.
Siritz.com : Vous avez enquêté sur le monde la prison, sur les truands ? C’est si réaliste.
ARD : Tous mes potes dans le nord ont fait de la prison. Je connais parce qu’ils racontent.
Pas un producteur ne signe pas avec un scénariste ans avoir un réalisateur
Siritz.com : Par quelles étapes êtes-vous passé ?
ARD : D’abord j’ai travaillé pendant trois ans sur le scénario. Puis je raconte l’histoire pendant trois heures à Marco Cherqui, le producteur de Phares et Balises. Il me dit que ça sort beaucoup des clous. Mais j’ai une chance inouïe c’est que Canal+ veut le faire. J’écris donc un traitement de 40 pages, comme une grosse nouvelle à l’américaine. Marco Cherqui le lit et me dit qu’on va entrer en développement. Et, à cette époque il n’y a pas un producteur qui signe avec un scénariste sans avoir un réalisateur. C’est le problème en France. On fait tellement confiance au réalisateur que le scénario peut être pourri, on monte le film quand même. Aux États-Unis c’est le scénario qui prime. Et, en France, ils ne savent pas lire.
Siritz.com : Pas tous.
ARD : Je vais vous donner un exemple très concret qui m’a été raconté par Nicolas Boukhrief. Un américain était venu le voir quand il était à Canal, avec un scénario. Il l’a lu et en est tombé amoureux. Il a dit : il faut absolument le faire en France, ça va être énorme. Il l’a envoyé à tous les plus gros producteurs de la place de Paris. Ils l’ont fait passer en comité de lecture. Les notes de lecture sont remontées à Nicolas. Et elles disaient toutes « on ne comprend rien, on ne sait pas qui fait quoi, qui est qui ». Un des lecteurs a même dit « il faudrait mettre les scènes dans l’ordre ». Boukhrief a rappelé le scénariste et lui a rendu compte des remarques. Le scénariste est parti proposer son scénario aux États-Unis. C’est « The Usual Suspects » ! Cette histoire m’a marqué. Voilà comment les scénarios sont lus dans nos principales boîtes de production.
Siritz.com : Donc revenons à « Un prophète ». Vous en êtes au traitement.
ARD : Oui. A cette époque j’étais très en colère et la colère n’est pas bonne conseillère. Et j’avais fait connaissance, grâce à Canal, de Nicolas Pefailly. Lui, il allait canaliser mon jeu. On a travaillé en binôme : j’écrivais 30 pages, je lui envoyais, il réagissait pendant que je continuais à avancer. On se faisait une réunion sur les 30 pages et ainsi de suite.
Jacques Audiard veut réaliser « Un Prophète »
A l’époque, la femme de Marco déjeune avec Jacques Audiard. Elle lui parle de mon traitement et Jacques demande à lire. Il propose d’être conseiller. Nous on avait déjà lancé l’écriture de la V1. Puis Jacques lit la V1. Puis on lui envoie la V2. Et là il dit : « Je veux réaliser ce projet ». On se rencontre. Et lui il n’a jamais vu d’arabe : c’est le fils de Michel Audiard. Il était surpris de la violence. Je lui dis que c’est comme ça en prison. Et qu’il devait prendre pour les rôles de vrais arabes, avec des gueules d’arabe. Et les trois quarts des mecs qu’on a pris ont un casier judiciaire. Les acteurs du film ont vécu ce que leurs personnages qu’ils interprètes ont vécu. Et ils ont conseillé Jacques. Le seul qui n’est pas de ce monde, c’est le premier rôle, Tahar Rahim, qui n’a jamais fait de prison. Il avait été remarqué dans ma série « La Commune ».
Grand prix du jury à Cannes, Prix Delluc, 9 Césars, 1,35 millions d’entrées
Puis Jacques a travaillé avec un scénariste, Thomas Bidegain, pour l’adapter le scénario à son style. Parce qu’il a une forte personnalité et veut à tout prix que ce soit du Jacques Audiard. Mais là, il est face à un scénario original. Un bouquin, on peut le violer. Kubrick l’a fait plusieurs fois. Mais sur un scénario original, c’est plus compliqué parce que j’ai une écriture très verrouillée. Par exemple, il était très embêté par la scène où le type sort une lame de rasoir de sa bouche pour en égorger un autre. Je lui ai dit : s’il n’y a pas cette scène, on trouvera un autre réalisateur. Et si on ne s’était pas entendu là-dessus mon plan B c’était Michael Cimino. Il aurait sans doute dit oui parce qu’il n’arrivait plus à tourner à Hollywood. https://fr.wikipedia.org/wiki/Un_prophète
Siritz.com : Mais « Un Prophète » n’est pas du tout le premier de vos scénarios qui a été tourné. Il y a d’abord eu votre série « La Commune ».
ARD : Les choses se sont débloquées avec la rencontre d’Emmanuel Daucé et de Jean-François Boyer, de Tetra Média Ils étaient emballés et voulaient absolument la faire. Et puis, le bruit a commencé à courir que l’inconnu qui avait écrit ce scénario en avait écrit un autre, un long métrage qui allait être tourné par Jacques Audiard. Ça changeait tout. Et Canal a appelé Emmanuel Daucé et lui a dit qu’ils aimaient mon projet de série et qu’ils en avaient une autre qui était retardée. Ils lui ont demandé si j’étais capable d’écrire tous les épisodes de la mienne dans un délai très court pour être à l’antenne en remplacement. Emmanuel m’a demandé si je m’en sentais capable. Je lui ai dit que je n’avais pas le choix. Et le projet s’est monté très vite. Fabrice de la Patellière, le responsable de la fiction de Canal+, a été formidable. Parce que, personnellement, il avait de gros problèmes avec la violence. C’est pourquoi il privilégie des sujets psychologiques, comme « Le bureau des légendes ». Mais, à partir du moment où Canal dit oui, ils suivent. Le développement s’est bien passé. Donc Canal a diffusé les 8 épisodes de « La Commune ». https://fr.wikipedia.org/wiki/La_Commune_(série_télévisée)
Siritz.com : Comment cela a marché ?
ARD : Pas bien. Et, moi j’ai la conception américaine : on ne continue que si ça marche.
Siritz.com : Donc, « La Commune » a été votre premier scénario à être produit et diffusé. Mais, cela a été possible parce que vous aviez écrit le scénario d’un long métrage, « Un Prophète » que Jacques Audiard allait réaliser. Et, avant que « Un Prophète » ne soit réalisé, vous avez écrit le scénario de deux autres longs métrages à succès.
ARD : Cherqui distribuait le scénario de « Un Prophète » comme des petits pains. Tout le monde le lisait parce qu’ils voyaient Jacques Audiard en couverture. Or, un jour, je lis dans un article qu’un agent important, Samuelson, s’est fait casser la gueule par un producteur, Thomas Langmann. Ma réaction ça été de me dire que ce producteur était un passionné et j’ai demandé à Cherqui de me le présenter. Et il me dit que ça tombait bien, parce que lui aussi voulait me rencontrer, après avoir lu « Un prophète ».
Siritz.com : Vous le rencontrez et il vous propose « Mesrine » ?
Moi je voyais Mesrine comme un salon, pas un héros
ARD : Oui. Mais moi je cherche à caser mes propres histoires. Mesrine cela ne me tentait pas trop. Et puis il me parle de l’acteur auquel il pensait. Et je lui dis « non, je ne travaille pas avec ce monsieur. Je n’ai rien contre lui, mais je ne vais pas voir ses films. Alors je ne vais pas faire un film avec lui. » Et il me demande pour qui j’aimerais écrire ? Je réponds : Vincent Cassel. Ça ne lui allait pas. En plus il m’avait fait lire les scénarios qui avaient été écrits jusque-là. Ils étaient très mauvais et je lui ai dit que j’avais peut-être une vision différente de la sienne.
Siritz.com : Mais s’il venait vous voir c’est que lui aussi les trouvait mauvais.
ARD : En tout cas, je lui explique que moi je voyais Mesrine comme un salop qui s’est fabriqué un personnage, mais qui allait jusqu’u bout de sa folie et qui était un mec très dangereux. Lui, le voyait comme un héros. Je lui réponds : non. Moi je vois Nelson Mandela comme un héros, ou Martin Luther King ou Ghandi. Pas Mesrine. J’ai lu son livre « L’instinct de mort ». Il n’aime pas les arabes qu’il traite de bougnoules. Si je traite de Mesrine, je parle de l’homme, je ne fais pas de la Mesrinemanie. Thomas était embêté, mais il tenait à son projet. Et, au fonds de lui, il pensait encore me faire changer d’avis.
Siritz.com : Et qu’est-ce qui a fait avancer ce projet ?
ARD : Un jour il me dit que, pour la réalisation, il pensait à Jean-François Richet. Je lui ai dit : super, on est au moins d’accord sur un point ! Et Richet avait le même point de vue que moi sur le personnage. Puis, on a été voir Vincent Cassel et j’ai exposé ma vision. Et Cassel a dit génial. Tous les trois on a été voir Thomas qu’on a convaincu et je suis parti en écriture. Et j’ai lu deux tonnes de documentation. J’ai interviewé la première compagne de Mesrine jouée par Cécile de France. Et j’ai vu Charlie Bauer un militant d’extrême gauche, ami de Mesrine, qui a fait 25 ans de prison.
Richet c’est la méthode américaine : il n’écrit pas le scénario, il réalise
Siritz.com : Vous avez écrit avec Richet ?
ARD : Non. Lui c’est la méthode américaine. On était d’accord sur le fond et il m’a laissé écrire. Lui s’occupait de la mise en scène. Après il a fallu faire des ajustements, car chacun des deux films sur Mesrine a coûté 20 millions d’euros et il fallait s’adapter au financement disponible. Et 20 millions pour un polar sur Mesrine le métier n’y croyait pas.
https://fr.wikipedia.org/wiki/L%27Instinct_de_mort_(film)
https://fr.wikipedia.org/wiki/L%27Ennemi_public_nº_1_(film,_2008)
2 500 000 d’entrées et de nombreux prix
Siritz.com : Mais pour le deuxième film il n’y avait plus de livre d’où partir.
ARD : Il n’y avait que les faits d’armes relatés par la presse et il fallait écrire une vraie histoire. Et là j’ai compris qui était Mesrine, surtout parce que Charlie Bauer m’aidait sur cette partie de sa vie. Et j’avais la possibilité de faire ce que font les américains : mettre de la politique dans un film de genre. L’échange entre Georges Wilson et Vincent Cassel, sur la négociation de la rançon, a bien eu lieu. Et Richet avait une confiance absolue dans mon travail de scénariste.
Siritz.com : Votre scénario a été tourné tel quel.
ARD : Non. Il y avait une scène de braquage de bijouterie à Genève. Quatre minutes de silence absolu, une semaine de tournage. On n’a pas eu le budget. Ça m’a brisé le cœur. Il y a eu une deuxième scène que l’on n’a pu tourner, faute de moyens. Moi, je ne signe rien avant de voir le producteur et que nous sommes d’accord sur ce que je veux faire. On passe un accord à ce moment. Mais quand c’est pour des raisons budgétaires, on s’adapte.
Siritz.com : Et le scénario de « Gibraltar » ?
ARD : C’est une arnaque. Dimitri Rassam est, comme Thomas Langmann, le fils d’un très grand producteur. Ils ont tous les deux hérités d’une fortune. Mais Thomas est un homme formidable, un grand producteur et Dimitri n’a aucun talent et je n’ai aucun respect pour lui. Sur ce film je me suis fait avoir. Et le film n’a pas marché.
Siritz.com : Vous ne voulez qu’être scénariste et pourtant vous avez réalisé un film. Sur la guerre d’Algérie. «Qu’un sang impur », sorti en 2020.
Les français, contrairement aux américains, ont du mal à regarder leur propre merde
ARD : Ça été très compliqué. Moi je ne veux qu’être scénariste. Comme David Mamet ou David Chase. En France, le paysage est pauvre en réalisateurs de qualité. J’ai eu de la chance. J’ai eu Audiard et Richet. J’avais proposé mon film sur la guerre d’Algérie à Jean-François Richet. Mais il voulait travailler sur Lafayette. Et il me suggère de le réaliser moi-même. Moi, j’avoue, la perspective de me lever à 6 heures du matin, de me coucher à minuit, ne m’excite pas. J’en ai parlé au producteur Marc Missonnier qui adhérait au projet tout de suite. Je voulais utiliser le contexte de la guerre d’Algérie pour raconter des choses politiques à travers une fiction totale.
Siritz.com : Vous avez donc découvert la réalisation.
ARD : Oui, en tant que scénariste, je suis un des rares très bien payé, qui peut vire de sa plume. Mais en tant que réalisateur j’ai découvert ce que c’est qu’une équipe technique. Par ailleurs, mon film montre la complexité de cette guerre. Il n’y a pas d’un côté le bon FLN et de l’autre les méchants colons. Mais les journalistes n’ont pas voulu comprendre ce que je disais.
Siritz.com : Et le succès n’a pas été au rendez-vous.
ARD : Les français, contrairement aux américains, ont du mal à regarder leur propre merde. Les américains ont fait des films sur le massacre des indiens, la guerre du Viet-Nam, sur la corruption de leur politique. Nous, en France, on a de vrais problèmes avec ça. Dans « Dans la chaleur de la nuit », Sidney Poitier veut attribuer le meurtre au colon raciste et n’est donc pas si différent des blancs qui veulent faire porter le meurtre à un noir, sans preuve. C’est à partir de ce film que j’ai commencé à m’intéresser à ceux qui écrivent le cinéma, pas à ceux qui le mettent en image. Et que j’ai du mal à accepter le mythe du réalisateur scénariste.
Siritz.com : Mais vous avez découvert la réalisation. Et on n’a eu que 42 salles et pas d’affichage sur Paris. Mon producteur a appelé de grands exploitants pour qu’ils élargissent la sortie et ils lui ont dit que ce film allait attirer une clientèle qu’ils ne voulaient pas voir dans leur salles…
Je travaille sur « Un Prophète », la série
ARD : Oui. « Un Prophète », la série. 10 épisodes de 45 à 50 minutes. L’équipe originelle est de retour : Marco Cherqui, Nicolas Peufaillit. On a récupéré tous les droits. Je tiens à souligner que Phares et Balise sont des producteurs qui respectent les scénaristes
Siritz.com : Vous avez déjà une chaîne ?
ARD : Non. Nous sommes financés par Media Musketeers Studio » dirigée par Sébastien Janin. En fait il est financé par un groupe américain. Nous avons de gros moyens. Ce sera du 2 millions € l’épisode. J’ai écrit l’arche narrative, la bible et les deux premiers épisodes.
Siritz.com : C’est un arabe qui est le héros ?
ARD : Avant « Un Prophète » les arabes n’existent pas dans le cinéma français. Après « Un Prophète » ils ont fait carrière. On voit avec le Covid qu’il y a des tas de toubibs arabes. Donc un arabe ne peut plus passer inaperçu. Il faut prendre une ethnie qu’on ne voit pas. J’ai choisi un africain, un comorien.
Siritz.com : C’est tout ?
Je vais écrire aussi la série « Madame Claude »
ARD : Non. J’ai signé un projet avec Fabio Conversi (Babe film) et Malika Abdelaoui (Marathon Studio). « Madame Claude ».
Siritz.com : Dans les années 70 il y a déjà eu deux longs métrages sur le sujet.
ARD : Oui. Là c’est une série et il y aura beaucoup de révélations sur la France de l’époque. C’est un personnage extraordinaire. Ce projet intéresse déjà beaucoup les américains.
Siritz.com : Vous travaillez à la fois pour le cinéma et les séries. Comment voyez-vous l’avenir du cinéma ?
ARD : Les plateformes vont avoir des moyens considérables et elles, elles vont privilégier le scénario. Pour que j’aille au cinéma il faudra me proposer James Bond, Top Gun ou Matrix 4. Ce qu’on ne veut pas voir sur un grand écran de télé. Il y a Dune aussi. Mais Warner a promis de le diffuser en même temps sur HBO Max et en salle. Et HBO Max sera France en 2022.
https://siritz.com/le-carrefour/un-scenariste-met-les-pieds-dans-le-plat/