Partager l'article

Bannière publicitaire
Accéder au site du partenaire >

Le carrefour

DIDIER HUCK SUR NOS INDUSTRIES TECHNIQUES

Le  président de la Fédération des  industries techniques du cinéma, de l’audiovisuel et du multimédia, fait le point de la situation du secteur qu’il représente et de ses principaux enjeux. Il  est aussi vice-président  des relations institutionnelles de Technicolor Mikros Image. Il a fait Polytechnique, l’Ecole des minites et il est diplômé de la Harvard business school.

Interviewé

Siritz.com : Selon les chiffres publiés par la  Ficam, en 2017 et 2018, le chiffre d’affaires des industries techniques a chuté, alors que les années précédentes il avait augmenté. Comment l’expliquer ?

https://fr.wikipedia.org/wiki/Fédération_des_industries_du_cinéma,_de_l%27audiovisuel_et_du_multimédia

Les causes de la baisse du chiffre affaires

Didier Huck : On avait noté une baisse des investissements dans le cinéma, de l’ordre d’une centaine de millions € par année, sans doute provenant des chaînes pour une partie importante. Et cela a été amplifié par la baisse de la part des industries techniques dans le budget des films, en pourcentage. Plus une baisse du budget moyen des œuvres cinématographiques françaises.

Siritz.com : Comment expliquer cette baisse en pourcentage des industries techniques dans le budget des films ?

DH : C’est significatif d’une baisse du financement disponible pour les films, donc d’une pression accrue sur les prix et sur le niveau des prestations demandées. Parce que le nombre d’œuvres n’a pas significativement diminué.

Siritz.com : Mais cela n’a-t-il  pas été compensé par une augmentation des tournages étrangers, américains et chinois, ainsi que des séries commandées par les plates-formes ?

DH : C’est vrai. Les productions étrangères ont amorti cette baisse, mais ne la compensent pas totalement. Dans ces productions de films et de séries étrangères une partie importante concerne l’animation. Bravo aux talents français. Mais ces productions ne concernent pas toutes les industries techniques. Sur l’audiovisuel, contrairement au cinéma qui fait appel au marché, une partie des productions intègrent les prestations techniques. Donc, la croissance de l’audiovisuel ne revient pas à 100% aux industries techniques. En revanche, avec le développement des séries, le doublage bénéficie d’une véritable croissance. Bien entendu, actuellement, nous sommes tous sur une mer déchaînée, avec des vagues gigantesques. Et le secteur est comme un grand bateau : quand l’avant est en haut de la vague, l’arrière est en bas. Et vice-versa. 

Siritz.com : Concrètement cela a eu quel effet sur chaque partie du bateau ?

DH : Le tournage a été fortement touché au premier semestre. La post-production a continué un peu en partie ce qui était en cours. Puis le tournage a repris, mais la post-production a chuté après avoir terminé les travaux en cours. Maintenant c’est le doublage qui chute. Et puis, dans le tournage, les séries ont fortement repris, alors que, dans le cinéma, ce n’est pas le cas des films à gros budget. Et les prévisions pour décembre et janvier sont plutôt sombres. Nous avons le sentiment que les chaînes, du fait de la baisse de leurs recettes, temporisent maintenant sur le lancement de nouveaux tournages de séries. Et puis, on est dans une période d’incertitude réglementaire dans l’attente des transpositions de la directive SMA. Cela va déterminer la stratégie des plates-formes. Mais aussi des chaînes. 

Siritz.com : Vous n’avez pas encore publié le chiffre d’affaires du secteur pour 2019. Est-ce que, d’après ce que vous en savez, la  baisse des deux années précédentes se poursuit ?

DH : La baisse se poursuit, à un rythme un peu plus faible, de l’ordre de 6%.

Le gouvernement a fait un travail exceptionnel

Siritz.com : Est-ce que les différents soutiens apportés par les pouvoirs publics pendant les trois mois d’arrêt total de l’activité ont été suffisants pour permettre aux entreprises de tenir le coup ?

DH : Le gouvernement a fait un travail exceptionnel. La batterie des mesures qui ont été prises a permis de réduire fortement le choc. Le chômage partiel a beaucoup aidé. Cela a évité que les talents partent et que l’on procède à des licenciements. Le report des charges sociales joue pour la trésorerie, conforté par les exonérations intervenues depuis. Le fonds de solidarité joue pour les petites entreprises. En revanche, les Prêts Garantis par l’Etat ont été attribués à un faible niveau aux entreprises de notre secteur. Environ 50% de nos demandes ont été refusées par les banques. 

Siritz.com : Donc les entreprises ont des problèmes de trésorerie.

DH : Oui, une trésorerie qui se tend fortement. Et surtout elles n’ont pas les moyens d’investir comme elles le devraient dans les perspectives de la transposition de la directive SMA.  Celle-ci va, sans doute, changer beaucoup de choses. Mais nous accueillons avec satisfaction les 10 millions fléchés industries techniques, annoncés par la Ministre de la Culture et le Président du CNC. Notamment pour le plan studio, initialement doté de 1 million, cela va faire un appui significatif.

Pas suffisant pour compenser les consommations de cash

Siritz.com : Les exploitants ont été visiblement très satisfaits des aides qui ont été annoncées lors de leur Congrès. Avant les annonces ils ne s’attendaient pas à autant et aussi vite. Est-ce que vous trouvez ces 10 millions suffisants ?

DH : C’est une excellente nouvelle et nous avons remercié la Ministre et le CNC. Mais, compte tenu des pertes et déficits prévisionnels des entreprises ça n’est évidemment pas suffisant pour compenser les consommations de cash pendant la période d’arrêt. Ce qui manque c’est autant qui ne pourra pas être investi. Or, il est important que les entreprises puissent investir pour augmenter leurs capacités. Et, pour l’instant, la répartition de ces 10 millions n’est pas connue. Nous allons commencer à en discuter. Néanmoins, passer de 1 millions € à 10 millions €, en sus des ressources de la CIT qui sont de 5 millions, c’est très significatif. C’est un changement d’ordre de grandeur. Nous insistons beaucoup pour qu’ils aient un effet structurant et compensent la disparition de fonds propres de nos entreprises. Il va évidemment falloir trouver des financements complémentaires. Par exemple, l’IFCIC va intervenir. Et, évidemment, les banques.

Siritz.com : Mais l’activité a repris fortement. Par exemple, pour les locations de matériel de tournage.

DH : Mais ce n’est pas pour ça que les marges pourront être reconstituées. Dans le tournage l’activité a effectivement repris fortement. Mais à tel point qu’il faut aller chercher du matériel à l’étranger. Donc, on perd de la marge.

Prévision de baisse de 33 à 40% en 2020

Siritz.com : Quelles sont vos prévisions de baisse de chiffre d’affaires en 2020 ?

DH : Une baisse moyenne des chiffres d’affaires des entreprises entre 33% et 40% selon les estimations faites au début de l’été, avec une temporalité différente suivant les secteurs. L’industrie vit actuellement avec une faible visibilité, y compris jusqu’à la fin de l’année.

Siritz.com : Jusqu’à maintenant les régions, notamment dans le cadre de leur convention avec les CNC, intervenaient pour soutenir les tournages sur leur territoire. Est-ce qu’elles commencent à chercher à soutenir les industries techniques,  surtout les studios qui, par leur existence même, attirent les tournages.

DH : Un peu l’Occitanie, essentiellement avec France tv.  Mais surtout la région PACA et l’Ile de France.  Pour les autres régions, il y a tout un travail qui se fait avec Film France pour optimiser les ressources. Dans le nouveau comité directeur de la Ficam il y a Olivier Marchetti, de Provence Studios, qui est vice-président de la Ficam (Marché Stock TV). Avec AMP représenté par Olivier Gerry (Marché Flux TV) au comité directeur, c’est une deuxième entreprise dont le siège est ancré dans les territoires. 

Il faudrait une augmentation temporaire de 10% du crédit à la production

Siritz.com : Si on regarde l’avenir, quels sont les grands enjeux des industries techniques ?

DH : Le premier enjeu c’est que la production cinématographique redémarre. Pour y parvenir il faudrait qu’il y ait une augmentation temporaire de 10% du crédit d’impôt à la production. En fait il s’agirait de consommer le crédit d’impôt qui n’a pas été attribué en 2020. Pour boucler les plans de financement. Parce que l’on voit bien qu’il y a un gap dans les plans de financement des films.

Siritz.com : Oui. Antoine Rein, le président de la commission d’agrément que nous avons interviewé, dit qu’il y a autant de films que les années précédents. Mais que sur les films à petit et moyen budget les producteurs doivent mettre de plus en plus salaire, frais généraux et parfois imprévus, en participation et  que les films à gros budget sont en attente. https://siritz.com/le-carrefour/antoine-rein-sur-la-production-cinema/

DH : Et il faut qu’il y ait aussi des films à gros budget pour que les industries techniques puissent vivre. Et, une fois que la directive sur la SMA aura été transposée, cela permettra à chacun d’y voir plus clair et où investir. Il est probable qu’il devrait y avoir un afflux de production de séries On aura donc besoin de capacités de tournage, notamment en ce qui concerne les studios. Sur les effets visuels l’augmentation du crédit d’impôt international à 40% à partir de 2 millions € d’effets visuels en France dans le budget est entré en vigueur. Cela devrait avoir un effet d’entrainement pour les effets visuels et sur l’ensemble des tournages. Il convient de proroger dès maintenant ce crédit d’impôt jusqu’à fin 2024 afin d’offrir une stabilité juridique aux producteurs internationaux qui se décident longtemps à l’avance. 

Siritz.com : Il va sans doute y avoir des exigences techniques supplémentaires des diffuseurs et producteurs. 

Le comité directeur de la FICAM

DH : C’est pourquoi la commission technique est coprésidée par Béatrice Bauwens de Mikros et Pascal Buron de TSF.  Il s’agit d’avoir l’approche de l’aval et de l’amont. 

Siritz.com : Vous venez d’être renouvelé comme président de la Ficam. Mais il y a eu des modifications du comité directeur.

DH : Quand j’ai été élu j’ai émis le souhait au comité directeur de se rapprocher le plus possible de la parité. Nous avons tenté de susciter des candidatures en binôme. Dans certains secteurs nous y sommes arrivés, dans d’autres non. J’ai également souhaité que l’on s’ouvre à d’autres marchés. Il y a le marché post-prod, avec un binôme couvrant le stock et le flux, ainsi que le marché publicité. Et nous avons créé le marché des applications numériques. Parce que, parmi nos adhérents, il y en a un certain nombre qui font des applications numériques à destination exclusive du cinéma et de l’audiovisuel. J’ai souhaité qu’ils soient bien représentés au comité directeur. Cécile Lima de Mobilis Pro, Octave Bory de Stepper et Tommaso Vergallo de Noir Lumière ont ainsi rejoint le comité directeur. Œuvrant dans des domaines complémentaires, cela nous permettra de nous remettre en permanence en question et de mélanger les cultures.

© Copyright - Blog Siritz