Archive d’étiquettes pour : Barbie

Après avoir analysé les menaces qui pèsent dur Disney https://siritz.com/editorial/disney-la-forteresse-fissuree-mais-debout/, Paramount https://siritz.com/editorial/chef-doeuvre-en-peril-paramount/et Comcast-Universal https://siritz.com/le-carrefour/le-premier-et-le-plus-deteste-de-laudiovisuel/, Alain Lediberder analyse celles qui pèsent sur Warner ». Il commence par rappeler que « qui aime le cinéma aime Warner, ou au moins l’admire ». https://alain.le-diberder.com/warner-la-belle-et-la-bete/

En effet, sous son label a été inventé le parlant, s’est développée la couleur, a été créée une suite ininterrompue de chefs-d’œuvre et de succès, et la révolution des séries. Du moins sur les écrans. En revanche si l’on franchit la scène on découvre au contraire une caricature de ce qui est dénoncé comme le pire du capitalisme au XXI° siècle. En 2024 il semble cependant que l’histoire touche à sa fin. Selon de nombreux experts la survie de Warner n’est pas assurée, du moins sous sa forme actuelle d’un conglomérat.

Warner a été créée en 1923 et n’a mis que quelques années pour rejoindre le groupe des Majors d’Hollywood.  Au passage elle avait « inventé » le cinéma parlant avec Le Chanteur de Jazz (1927), embauché Ernst Lubitsch, lancé John Barrymore et acquis quelques éditeurs musicaux dans une industrie naissante avec George Gershwin à son catalogue. Bonnie and Clydela nuit de l’Iguanela horde sauvage sont des films Warner, tout comme ceux du Kubrick d’après 2001, la quasi-totalité des films de Clint Eastwood, la saga Harry Potter, dernièrement BarbieDune 2.

En 1989 Warner entreprend de fusionner avec Time Inc, une grande société de presse magazine présente également dans le câble et qui avait également financé le lancement d’une prometteuse chaîne payante, HBO. L’affaire suivante, la fusion avec le groupe de Ted Turner, Turner Broadcasting, en 1995 fut beaucoup plus compliquée. Elle apportait à Warner, pour environ 9 milliards de dollars, CNN et le mini-network WTBS mais aussi l’énorme catalogue des films de MGM (de 1924 à 1986) que Turner avait racheté.

La première catastrophe

En janvier 2000 fut annoncée la fusion entre Warner et AOL, société aujourd’hui défunte, mais qui à l’époque était une star de la bourse et semblait contrôler l’accès à Internet. La fusion fut autorisée au début de 2001, au moment où la bulle Internet explosait déjà. Steve Case serait le président et celui de Warner, Gerald Levin, deviendrait simple CEO. L’opération était censée créer un géant valant plus de 360 milliards de dollars. Ce fut en effet une épouvantable catastrophe, pas seulement financière (l’ensemble ne valait plus que 70 milliards dès 2003) mais également humaine. Cependant, même catastrophique, la période AOL n’avait pas chamboulé Warner en profondeur. Le groupe conservait une culture d’entreprise décentralisée.

En 2017 la proposition d’ATT de racheter Warner pour 85 milliards de dollars fut accueillie avec satisfaction. Mais ce fut peut-être le début de la fin de l’ancien Warner, en tout cas du modèle décentralisé qui prévalait alors. Warner devint une division de ce groupe de télécommunications, d’abord nommé ATT media business avant de reprendre le nom de Warnermedia. La cohabitation entre les Texans des télécoms et les « saltimbanques » de la télévision s’avéra là aussi impossible, pire encore que celle entre les startupers d’AOL et les dirigeants de vieux médias.

ATT décida en 2022 de se séparer de sa branche audiovisuelle en la fusionnant avec le groupe Discovery. L’arrivée de David Zaslav, le patron de Discovery à la tête du groupe accentua encore le sentiment de crise et de déclin.

WarnerDiscovery aujourd’hui :

-« Networks » représentait environ 50% du chiffre d’affaires en 2022 et regroupe les activités de chaînes de télévision linéaire. Ce segment est le seul significativement rentable du groupe avec un résultat opérationnel de 3,8 milliards. Malheureusement c’est celui dont le déclin apparait certain.

-« Direct to consumer » est désormais composé du seul service de svod  Max, qui regroupe les abonnés de HBO (même ceux en linéaire), et de l’ancien service Discovery+. En 2023 le service semble avoir réduit ses pertes et a connu au moins un trimestre en léger excédent d’exploitation. En revanche, en 2022, malgré des recettes de 9,7 milliards de dollars (21% du total du groupe), le résultat opérationnel était catastrophique avec un solde négatif de 5,7 milliards.

-« Studios» est en fait un fourre-tout qui regroupe notamment la production de films, celle de séries, la distribution de films et les ventes de jeux vidéo. Le cinéma est l’activité la plus prestigieuse du groupe, la seule à disposer d’une notoriété international.Cependant, même si le studio produit régulièrement des grands succès et maintient une part du marché américain du cinéma comprise entre 13 et 18% depuis quinze ans, le cinéma ne pèse pas plus de 15% dans les recettes du groupe. Globalement le segment « studios » était légèrement bénéficiaire en 2022 avec un excédent d’exploitation de 541 millions de dollars.

Mais au total le solde d’exploitation de ces trois segments était négatif de 1,4 milliard de dollars.

Et demain ? En 2024, malgré les succès récents de BarbieWonka, ou Dune 2, par ailleurs dûs à des personnes qui ont été virées par l’équipe actuelle, l’entreprise Warner est dans une situation très difficile. Le cours de son action semble avoir durablement décroché en-dessous des évolutions des principaux indices boursiers.

Les scénarios possibles sont alors les suivants :

-Une nouvelle vente de Warner à un groupe audiovisuel plus puissant. Mais les deux candidats audiovisuels cités parfois dans la presse, Comcast et Disney, sont eux-mêmes très endettés.

-Un rachat de Warner par un groupe de la Silicon Valley. Apple est parfois évoquée, mais Google ou Meta sont envisageables.

-La vente progressive d’activités pour se désendetter. Restent réellement en fait quatre noyaux durs : HBO (devenue le service de streaming Max), le studio, le catalogue et CNN. Mais la vente d’un de ces joyaux de la couronne ruinerait sans doute la légitimité de la réunion du reste dans un groupe et serait fatale.

-Le plus raisonnable en 2024 serait dans une première étape la réunion de deux voire trois services de streaming, Max, Peacock et Paramount+.

-Le scénario de la fuite en avant n’est pas non plus tout-à-fait à exclure comme l’indique l’extension du service Max en Europe et notamment en France, ce qui ne devrait pas contribuer rapidement à la rentabilité du groupe.

Warner est donc dans la situation la plus inconfortablement incertaine des quatre groupes historiques. Disney a des problèmes mais les surmontera, Comcast en a peu et Paramount en a trop. Mais Warner ne peut ni croître, ne serait-ce qu’à cause de sa dette, ni diminuer sans risque d’éclater. Il est certain cependant que la marque, elle, ne disparaitra pas, ni le plaisir de voir ou revoir un de ses 5000 films.

Cette semaine est à marquer d’une pierre blanche pour l’industrie du cinéma mondial. Deux films de studios américains, visant à être des blockbusters, sont sortis en même temps dans le monde entier et ont, chacun, réalisé un score non seulement énorme mais bien supérieur à celui espéré.

D’une part « Oppenheimer », réalisé par Christopher Nolan. Trois heures sur la vie du père de la bombe atomique. Pas un superhéros, mais un personnage complexe et des enjeux d’une grande actualité. D’autre part, « Barbie », le troisième film qu’a réalisé (elle a également co-écrit le scénario) la comédienne Greta Gerwig, une comédie hilarante dont le personnage principal est la poupée de Mattel. Certes, il s’agit d’une des plus célèbres franchises mondiales. Mais, comme le film de Christopher Nolan, il s’agit en fait d’un vrai film d’auteur. C’est une critique sarcastique de notre société, du statut de la femme du machisme et du capitalisme. Fait incroyable, Mattel à qui ont été achetés les droits d’utilisation du personnage et qui est coproducteur du film, a accepté d’y être mis en boite.

DES RECORDS AUX ÉTATS-UNIS/CANADA ET DANS LE MONDE

Pour son premier week-end,  selon Como, « Barbie » aurait totalisé 150 millions $ aux États-Unis/Canada et 182 millions $ dans le reste du monde. Des chiffres approchant les records absolus, avant le Covid, des deux « Avengers ». Et c’est aussi, de loin, le plus grand succès de toute l’histoire du cinéma d’un film réalisé par une femme. Or celui-ci n’a couté que 145 millions $, alors que les blockbusters les plus performants coutent au moins 200 millions $ et le dernier « Indiana Jones », 300 millions $.

Le box-office de « Oppenheimer » serait de 84 millions $ aux USA/Canada et 94 millions $ dans le reste du monde. Mais, compte tenu de ses trois heures et de son nombre réduit de séances, c’est également énorme et il aura une carrière plus longue. Et il n’a coûté que 100 millions $.

UN RECORD EN FRANCE

En France, selon FilmSource, la lettre hebdomadaire de Philippe Marti, pour son premier week-end « Barbie » a rassemblé 1 221 000 entrées , le troisième plus fort démarrage de l’année.  Et « Oppenheimer » 814 000 entrées. De ce fait le total des entrées ces 5 premiers jours bondit à 3 505 000 entrées, soit le deuxième plus faut score de l’année.

Le New-York times qualifie ces succès simultanés de « Barbenheimer ».  Ce double succès dément la règle d’or selon laquelle le marché ne supporte pas la sortie simultanée de deux blockbusters.

DES LEÇONS À TIRER

Pour l’industrie du cinéma, la première leçon à tirer c’est que, quand le public estime que l’offre correspond à ses attentes, il est entièrement disponible pour aller au cinéma. Et ce qu’il veut c’est quelque chose de nouveau, raconté de façon originale, pas une énième resucée de franchise. https://siritz.com/editorial/le-graal-et-la-pierre-philosophale-des-studios/ Même en plein mois de juillet. D’ailleurs aux États-Unis Juillet et Août sont depuis toujours les mois de sortie des blockbusters. Pour les distributeurs et producteurs Français, bien qu’ils correspondent aux vacances de la plus grande partie des Français, ce ne sont pas du tout des mois porteurs. Et, de toute façon, selon eux il n’y aurait pas la place pour d’autres grands succès  public à côté de ceux des blockbusters américains.

Autre leçon :  le triomphe américain a lieu pendant la grève des comédiens qui n’ont participé en aucune façon au lancement des deux films sur les médias ou dans les salles. La remarquable promotion des deux distributeurs, Warner et Universal, a suffi au public pour le convaincre qu’il devait voir ces deux films.

En tout état de cause, ces  deux succès devraient accélérer la recherche par les studios d’une politique fondée avant tout sur l’innovation créative et non sur les franchises.C’est à dire avant tout sur le talent, voire le génie. Mais cela a toujours été le cas dans les arts. Or, si le cinéma est une industrie, c’est aussi un art.