« Netflix a toujours été d’une correction parfaite »
Pascal Rogard, le directeur général de la SACD, qui représente les auteurs de fiction du cinéma et de l’audiovisuel, a négocié avec la plupart des plates-formes. Ses 40 ans d’expérience dans plusieurs fonctions du secteur* en font l’un des plus à même d’analyser les défis à relever pour les intégrer à notre système
Siritz : La SACD a signé avec Netflix, quelques mois après son lancement en France, un contrat similaire à celui avec les chaînes de télévisions, pour la rémunération de ses auteurs.
Pascal Rogard : La particularité de cet accord tient au fait que nous avons communication du nombre de vues de chaque œuvre et que le barème adopté par le conseil d’administration de la SACD prévoit une rémunération en fonction de ces vues. Evidemment, le barème prévoit une majoration pour les œuvres inédites, des séries ou des téléfilms, dont la première diffusion est sur Netflix. Ça pourrait être aussi le cas pour les films de cinéma mais, pour le moment, il n’est pas dans la stratégie de Netflix de proposer en première diffusion des films de cinéma, c’est-à-dire des œuvres sorties en salles.
Siritz : Vous avez un moyen de contrôler ces chiffres qu’ils vous fournissent ?
PR : Je ne vois pas quel intérêt ils auraient à nous fournir de faux chiffres. De toute façon, ils nous payent un pourcentage de leur chiffre d’affaires.
Siritz : C’est leur chiffre d’affaires en France ?
PR : Notre contrat porte sur trois territoires : la France, le Luxembourg et la Belgique. Et pour les autres territoires qui bénéficient du même système qu’en France, comme avec les télévisions, les sociétés d’auteur locales nous reversent les droits en fonction de l’audience des œuvres inscrites à nos répertoires, sauf dans les pays où ils n’existe pas encore un droit à rémunération proportionnelle des auteurs.
Siritz : Mais vous n’avez toujours pas d’accord avec les autres plates-formes, qui diffusent pourtant aussi des œuvres audiovisuelles et des films ?
Amazon Prime et Apple ont des prix de bundle
PR : Effectivement, ni avec Amazon Prime, ni avec Apple. Ni d’ailleurs avec Facebook qui nous répond circulez, il n’y a rien à voir. On n’a pas d’accord non plus avec Disney +, que nous avons contacté avant le lancement de l’offre mais qui n’a pas encore répondu à notre demande d’entamer une négociation. Par contre nous avons a un accord avec YouTube. Il faut comprendre que chaque plateforme a ses particularités mais que certaines cherchent à fuir leurs responsabilités.
Siritz : Mais, avec Amazon, y a-t-il des discussions ou bien refusent-ils simplement de discuter ?
PR : Si, ils discutent. Mais ils ont comme Apple, des prix de bundle : les films et les œuvres sont un produit d’appel pour vendre une multitude d’autres choses. Certains professionnels critiquent Netflix – de moins en moins d’ailleurs – mais au moins, c’est un pur acteur du marché.
Amazon vend des tas de choses et le prix d’abonnement à Amazon Prime est un faux prix. Il est la moitié du prix de l’abonnement à Netflix. Pour moi, si l’audience d’une œuvre est la même que sur Netflix, il n’est pas normal que l’auteur touche deux fois moins. Les auteurs ne sont pas là pour vendre les produits entassés dans les entrepôts d’Amazon.
Siritz : Donc la discussion porte sur la valorisation de l’offre de vidéo.
PR : Pas seulement. Il existe plusieurs autres critères comme le nombre de gens connectés et la durée de connexion. Le véritable problème, que le CNC va aussi connaître pour collecter sa taxe tout comme le CSA pour faire respecter les obligations d’investissement, c’est que le chiffre d’affaires d’Amazon est réalisé sur un prix d’appel pour ses autres activités, comme pour Apple qui veut surtout vendre ses i-Phones.
Siritz : Mais alors comment fixer un prix ?
PR : Le prix de référence doit clairement être le prix des vrais acteurs du marché comme Netflix ou Disney qui sont de véritables acteurs de notre secteur : on regarde combien Netflix nous verse et cela permet de calculer un minimum garanti par abonné. Bien entendu, il peut y avoir des variables comme la présence de notre répertoire, mais cette présence augmentera en raison des obligations de la directive européenne.
Siritz : Mais pour l’instant Amazon diffuse des œuvres sans accord. Ils sont donc en infraction parce qu’ils n’ont pas les droits de diffusion.
PR : Pour l’instant les discussions existent, même si j’ai de sérieux doutes sur leur bonne foi. De toute façon, nous ne ferons rien dans l’immédiat car les tribunaux fonctionnent au ralenti. Mais si nous n’aboutissons pas rapidement, si nous ne sortons pas de ces interminables négociations, et dès que la justice se remet en marche, la SACD les assignera et je ne doute pas qu’ils seront condamnés. Presque toutes les négociations sont difficiles. Canal+ avait arrêté de nous payer et ne respectait pas son contrat. Pour les obliger à rémunérer les auteurs j’ai dû les assigner. On a conclu un accord quelques jours avant de passer devant le tribunal. Et là, nous avons encore des problèmes avec eux. Alors que je le dis, Netflix a toujours été d’une correction exemplaire.
Siritz : Le chef de l’Etat, lors de sa discussion avec les professionnels, a dit que la directive serait en application le 1er janvier. C’est très attendu, ne serait-ce que pour compenser l’inévitable baisse des investissements des chaînes. Mais est-ce que la profession sait ce qu’elle souhaite ?
Ce qui est compliqué c’est le partager les obligations entre le cinéma et l’audiovisuel
PR : Pas du tout. Ce qui est compliqué c’est de partager, selon les plates-formes, les obligations à l’égard du cinéma et de l’audiovisuel. On peut fixer un pourcentage d’investissement global que les plates-formes vont répartir comme elles veulent. On peut se baser, comme actuellement, sur les consommations. Le cinéma aura alors très peu. On peut aussi fixer, au sein d’un pourcentage global d’investissement un minimum pour le cinéma et un minimum pour les œuvres audiovisuelles.
Siritz : La profession n’avait-elle pas commencé à discuter ce point essentiel ?
PR : Non, cela devait commencer quand la crise est arrivée.
Le gouvernement avait nommé deux facilitateurs : Pierre Sellal, l’ancien ambassadeur auprès de l’Union européenne, un grand diplomate expert en négociations, et Florence Philbert, la directrice générale de l’IFCIC, qui connaît très bien le secteur. Mais ce dispositif n’a pas eu le temps de se mettre en place.
Siritz : Une fois réglée cette question de répartition comment tenir les délais ?
PR : On peut, après avoir transposé la directive par une loi ou une ordonnance, laisser la profession négocier, à condition qu’elle se soit mise d’accord sur tous les points. Mais je ne suis pas certain que la négociation par les professionnels soit une garantie du respect de l’intérêt général.
A un moment il faut que quelqu’un tranche
Siritz : N’est-ce pas logiquement à elle de mener cette négociation ?
PR : Si l’on regarde les résultats des dernières négociations, nous sommes contraints de constater que les résultats ne sont pas formidables. Celle avec Canal+ a abouti à un plafonnement de ses investissements et donc une baisse des financements pour le cinéma. Sur la chronologie des médias les résultats n’ont pas été extraordinaires non plus. Sinon, le gouvernement et le CSA reprennent la main pour accélérer le processus parce qu’à un moment il faut qu’une autorité tranche, dans la mesure où le cinéma va réclamer sa part du gâteau, l’audiovisuel va demander la sienne et il n’est pas sûr que les demandes des deux soient cohérentes.
Siritz : Et en ce qui concerne la chronologie des média ?
PR : Les plates-formes n’ont pas intérêt à investir dans le cinéma puisqu’elles doivent attendre très longtemps, bien après Canal+, pour diffuser les films. Elles devraient attendre un an de plus que Canal+ et OCS. Il serait logique de faire dépendre le délai, non pas du mode de diffusion, linéaire ou non-linéaire, mais du montant l’investissement fait dans le cinéma en respectant le principe de neutralité technologique.
Siritz : A l’heure actuelle la taxe que paye Netflix au CNC, c’est 5,15% de son chiffre d’affaires, comme les autres chaînes. Mais leur TVA est à 20%, à la différence de Canal+ et OCS qui ont une TVA à 10%.
PR : Effectivement. Des obligations d’investissement fortes devrait conduire à un alignement de leur taux de TVA. On ne peut pas les soumettre à 25% d’obligations d’investissement, limiter leurs droits à 2 ou 3 ans, aligner leur taxe au CNC et les placer après Canal+ et OCS dans la chronologie des médias. Avec l’actuel chronologie des médias, Canal+ peut passer des films Disney bien avant Disney +.
Siritz : Mais le gouvernement peut imposer ces règles par décret en arguant que, à la différence des diffuseurs français, ce sont des diffuseurs mondiaux.
Ne pas risquer de déclencher un conflit commercial avec Trump
PR : Il faut être prudent car ce sont des entreprises américaines. Si on leur impose des règles qui seraient jugées discriminatoires, cela risque de déclencher un conflit commercial avec Donald Trump. C’est là que quelqu’un comme Pierre Sellal, qui connaît bien ces les négociations internationales, est très utile. Il ne faut pas agiter le chiffon rouge devant Washington. Trump ne défend pas spécialement les GAFA, mais il ne faut pas lui fournir un prétexte pour mettre en cause les réglementations qui protègent la création.
Siritz : Avec Netflix quel est la question la plus sensible ?
PR : Ce n’est pas le pourcentage des investissements. Ils investissent déjà de plus en plus parce qu’ils savent que c’est bon pour leurs abonnements en France et que notre savoir-faire est reconnu dans le monde entier.
Le sujet ce sont les droits. Leur modèle économique c’est d’investir 120 à 130 % du coût et de prendre tous les droits. C’est le système des majors. En France la production indépendante veut conserver les droits.
Siritz : Mais, donc, il paraît peu probable que le 1er janvier le système soit en place.
PR : Il n’est pas impossible de tenir les délais. Il faut d’abord transposer la directive par une loi ou une ordonnance. Je ne crois pas que la profession soit capable de se mettre d’accord sur la répartition des investissements entre l’audiovisuel et le cinéma. C’est à la puissance publique de trancher. On n’a aucun moyen de trancher en regardant la consommation sur Netflix. La plate-forme ne diffuse aucun film inédit. En revanche le cinéma, lui, doit faire le choix : s’il veut conserver Canal+ comme premier diffuseur du Cinéma, cela bloquera les plates-formes. Le plus simple est que le gouvernement fixe les grandes règles par décret et que le CSA joue son rôle de régulateur.
Pascal Rogard a été secrétaire général de la Chambre syndicale des producteurs et exportateurs à partir de 1981. Il entre également au Comité des industries cinématographiques et audiovisuelles des Communautés européennes (CUCCE) dont il devient secrétaire général. Entre 1989 et 2003 il es délégué général de la société civile des auteurs, réalisateurs, producteurs (ARP) initiée par le réalisateur et producteur Claude Berri. Il devient directeur général de la SACD en 2004.