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Le carrefour

MARC TESSIER SUR LES BOULEVERSEMENTS ACTUELS

Il a été, entre autre, directeur général de Canal+, la chaîne du cinéma, à sa création. Il a été président du CNC. Puis président de  France télévisions. Il est aujourd’hui président de Film France (qui promeut à l’étranger et en France, les tournages en France),  président de Vidéo Futur, un éditeur de VAD et président du SEVAC, l’organisme représentant les éditeurs de VAD. Par son expérience c’est donc l’un des meilleurs connaisseurs du cinéma et de l’audiovisuel. Il a accepté de donner à Siritz.com son analyse des bouleversements auxquels on assiste aujourd’hui dans ces secteurs, en France et dans le monde.

Interviewé

Siritz.com : Aujourd’hui les plates-formes de S-Vod internationales sont en pleine croissance. La crise sanitaire  a obligé de nombreuses salles dans le monde à fermer et a entrainé, directement ou indirectement, une baisse de la fréquentation de celles qui sont ouvertes.  La S-Vod  a saisi l’occasion pour acquérir d’importants films de cinéma qui sortent directement chez elles. De même, Disney, le plus grand  studio américain a décidé de sortir l’un de ses principaux blockbusters directement en VAD Premium.  Par ailleurs, le principal exploitant du monde vient d’accepter, dans certains cas, de réduire la fenêtre d’exclusivité de ses salles par rapport à la VAD Premium. Comment analysez-vous toutes ces évolutions telluriques ?

MT : Il faut préciser que Disney offre « Mulan »   directement en VAD Premium, mais uniquement aux abonnés de Disney+. Donc c’est une formule particulière.

Siritz.com : Mais comment expliquer le revirement à 180° d’AMC par rapport à sa position d’il y a deux mois ?

MT : J’imagine qu’il n’a pas pris cette position de gaité de cœur. Il y est sans doute contraint par les circonstances. Aujourd’hui les exploitants sont confrontés à une double concurrence. Celle de ce nouveau mode de diffusion, la VAD Premium, facile d’accès, à un prix concurrentiel même s’il est sensiblement plus élevé que la VAD locative de base. Et à celles des plates-formes de S-VoD, qui ont une énorme force économique, notamment parce que ce sont des plates-formes mondiales. Et ces forces économiques cherchent à acquérir des films de cinéma importants, destinés aux salles, mais dont les producteurs et les distributeurs sont en mal de financement.

Siritz.com : Et comment analyser l’irruption des plates-formes de S-Vod dans le marché des films de cinéma destinés avant tout aux salles ?

MT : Ces plates-formes cherchent tout simplement à utiliser leur puissance économique pour diffuser ces films de cinéma dans des conditions les plus intéressantes pour leur offre. Elles sont en mesure de le faire en accordant une marge au producteur, sur un marché qui, jusqu’ici, était dominé par les grands studios américains.

Siritz.com : Netflix affirme vouloir diffuser les films en même temps que les salles, ce qui, pour les exploitants, serait la fin des salles de cinéma.

MT : Netflix ne fait pas la guerre aux salles de cinéma. En France on a tendance a tout présenter en terme de conflit. Netflix, dans son catalogue, propose des films anciens ou sortis en salle plusieurs mois plus tôt. Et, pour certains films, il les finance même entièrement, en laissant une marge au producteur et en les diffusant directement chez lui. Le phénomène auquel on assiste est un phénomène mondial et profondément macroéconomique. C’est pourquoi il faut absolument une discussion entre tous les acteurs, les diffuseurs, les exploitants, les distributeurs et les producteurs.

Siritz.com : Mais peut-on continuer à appliquer les mêmes règles quelque soit le type de film ?

MT : Non. On ne peut appliquer les mêmes règles à un blockbuster qu’à un film qui va sortir dans une dizaine de salles, à un film à exploitation longue et à exploitation courte. Il faut laisser les acteurs économiques jouer leur rôle dans un environnement d’émulation entre les différents modes d’exploitation. Il y a de nouveaux acteurs économiques très important qu’il faut insérer dans l’économie du cinéma. Et il faut tenir compte, non seulement de l’intérêt des exploitants, mais aussi de celui des distributeurs et des producteurs.

Siritz.com : Mais, en France, le marché a été particulièrement bien optimisé comme le prouve le dynamisme de notre exploitation et de notre production nationale. Ces modifications peuvent le déstabiliser.

MT : C’est pourquoi il est important de se remettre autour de la table. Les producteurs, les distributeurs et les exploitants. Non pas pour élaborer un cadre contraignant applicable à tous, mais pour donner un peu plus de marge de manœuvre en fonction de la caractéristique du film.  En tout cas , il est clair que cette nécessaire évolution ne doit pas se faire contre les salles. D’ailleurs, tous les nouveaux médias, la S-VoD comme la VAD, ont besoin d’un média salle important. Et je ne suis pas hostile à ce que l’on réfléchisse à la part des recettes revenant à chaque partie prenante selon les différents modes d’exploitation choisis. La part des recettes devrait être proportionnée à la part des financements et à la durée de l’exploitation en salle.

Siritz.com : Mais ensuite, chacun négocie librement et choisit entre les multiples formules possibles ?

MT : Oui. Il faut laisser les acteurs négocier. Il y a trop de formules possibles pour les insérer dans des règles du jeu rigides. Mais qu’il y ait de grands principes, comme la sortie prioritaire en salle, la réponse est oui. Que la S-Vod contribue au financement de ces films qui sortent d’abord en salle, la réponse est oui. Mais ce sont des principes, pas des réglementations. Et, si un distributeur voit que son film va avoir une exploitation en salle d’une durée limitée, qu’il puisse négocier une sortie en VAD  dans la foulée de la sortie en salle, pour que celle-ci bénéficie de la promotion de la sortie en salle. 

Siritz.com : Les évolutions économiques que l’on constate sont mondiales. Est-ce que la France peut conserver une réglementation  détaillée qui lui est propre et qui avait fait ses preuves avant le développement de ces nouveaux médias ?

MT : Notre système est probablement trop rigide alors que les modes d’exploitation se diversifient. On doit laisser la place pour des formules diverses, comme cela va avoir de plus en plus lieu à l’étranger. La France ne peut pas être une île à l’écart de cette évolution mondiale. D’autant plus que, même chez nous, c’est le cinéma américain qui est dominant et qui fixera les règles du jeu. Mais il ne faut pas prendre prétexte des effets, que j’espère provisoire, de la crise sanitaire, pour tout bouleverser et remettre en cause le rôle essentiel des salles de cinéma. Il s’agit de s’adapter, pas de tout remettre en cause.

Voir aussi une précédente interview de Marc Tessier sur la télévision publique.

https://siritz.com/le-carrefour/seule-une-television-publique-garantit-que-nous-ayons-une-offre-de-programmes-qui-reflete-notre-culture-et-nos-preoccupations/

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