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Le carrefour

EMMANUEL DAUCÉ PRODUCTEUR DE SÉRIES

A la tête de Tetra Média Fiction il est reconnu comme l’un des meilleurs producteurs français de série. Aujourd’hui « Paris Police 1900 », mais auparavant « Un village français », « La Commune », « Les hommes de l’ombre », « Une belle histoire », « Vernon Subutex » sont des étapes marquantes de ce genre en France.  Il explique sa méthode pour produire des séries de qualité qui ont du succès et créent une valeur de succès.

Interviewé

Siritz.com : Actuellement Canal+ diffuse la série « Paris police 1900 » qui est une série de grande qualité qui marche très bien. Qui en a eu l’idée ?

Emmanuel Daucé : C’est Canal+. Ils voulaient faire une nouvelle série policière : « Braquo » s’était arrêté et « Engrenages » allait s’arrêter. Arielle Saracco, Fabrice de la Patellière, Vera Peltekian et Pierre Saint-André avaient envie de faire une série autour de la police scientifique en 1900. https://fr.wikipedia.org/wiki/Emmanuel_Daucé

Siritz.com : Qu’est-ce qui leur avait donné cette envie ?

ED : Une exposition photo sur le début de la police scientifique autour de Bertillon. Les photos de scènes de crime étaient à fois horribles et très esthétiques. Donc à la base c’était plus une intention visuelle qu’un véritable concept.

Siritz.com : Ils vous ont demandé à vous directement ?

ED : Non. Ils avaient interrogé plusieurs producteurs avant moi. Mais ils n’avaient pas trouvé la bonne clef. Moi, mon reflexe c’est de penser avant tout à un auteur, j’ai pensé à Fabien Nury avec lequel je n’avais jamais travaillé mais dont je connaissais bien l’univers. Et Canal+ était ravi de le retrouver puisqu’il avait fait la saison 1 de « Guyane » avec eux.

Canal+ voulait une série policière qui se passe en 1900

Siritz.com : C’est avant tout un grand scénariste de bandes dessinées. Mais il avait donc aussi écrit et même réalisé, une série télévisée.

ED : Oui. Fabien c’est d’abord un scénariste très expérimenté mais aussi un auteur avec un univers très personnel. Et, du coup, cette série qui était à la base une commande est devenue une série d’auteur. J’ai rencontré Fabien quand on était étudiant et je savais qu’il était fan de polars. Puis je l’avais recroisé quelques années plus tard à Tetra Media quand il travaillait à l’adaptation pour le cinéma de la série « Les brigades du tigre ». Il avait déjà à cette époque le projet de faire en série « Il était une fois en France » alors que ça n’était pas encore paru en bande-dessinée. Cela devait être en 2005.

Siritz.com : Quand vous acceptez de faire la série vous savez que cela va être forcément une série chère. Est-ce que vous pensez tout de suite à comment vous allez la financer, parce que la chaîne Canal+ ne va sans doute pas tout financer ?

Moins cher de régler les problèmes budgétaires au niveau du scénario

ED : Vous savez, j’ai produit « Un village français » et, au tout début, en 2005 je savais qu’elle coûterait forcément plus cher que les séries habituelles de France télévisions. Ce qu’il faut faire c’est travailler avec un auteur scénariste. C’est moins cher de régler les problèmes budgétaires au niveau du scénario que quand on en est à la réalisation.  Fabien Nury, dans sa carrière d’auteur de bandes dessinées était un scénariste aguerri. Et il avait écrit la série «Guyane» et réalisé un épisode. Il avait donc toutes les compétences pour être un showrunner.

Siritz.com : Et quand il a commencé qu’est-ce qu’il a mis en avant.

ED : Il a tout de suite centré son récit autour de la préfecture de police de Paris et du préfet de police Lépine. La préfecture est une ville dans la ville.  Faire de ce lieu un décor récurrent, c’est déjà une manière de résoudre une partie des problèmes financiers. Par ailleurs j’ai tout de suite proposé à Fabien Nury d’être producteur associé. C’est le meilleur moyen de traiter toutes les questions économiques et artistiques ensemble et non pas séparément. On les résout ensemble et progressivement.

Siritz.com : Quelles ont été les phases de l’écriture ?

ED : Fabien avait déjà une bonne connaissance de cette époque. Suite à l’adaptation des « Brigades du tigres » et à un projet de série pour Canal+, qui ne s’est pas fait pour des problèmes de budget, sur la bande à Bonnot. Puis avec l’aide d’une documentaliste, mais aussi tout seul, Fabien est reparti dans la doc durant près d’un an, c’est la base de son travail. Beaucoup de personnages et d’événements sont tirés de cette documentation, une documentation qui se fait aussi beaucoup à travers des images, photographies, peintures de l’époque. Partant des personnages Fabien écrit des notes, sortes de traduction de la documentation en matière fictionnelle, et partant de ces notes il écrit des synopsis. Comme il vient de la bande dessinée il réfléchit beaucoup en scène et a une pensée très visuelle. Donc, il écrit très tôt des scènes avec, dès les premières étapes, une grande attention apportée à leur dimension visuelle.

Siritz.com : Il a écrit avec une équipe de scénariste ?

Deux ans pour écrire la première saison

ED : Oui. Il a créé un atelier de scénaristes avec Alain Ayrole, un auteur de bandes dessinées, ainsi que Benjamin Adam et Thibault Valetoux qui sont diplômés de la FEMIS section séries. Ils ont discuté avec Fabien pendant des semaines pour nourrir les arches et les personnages. Mais les versions dialoguées ont été écrites par Fabien, sauf les épisodes 3 et 4 qu’il a coécrit avec eux. La manière d’écrire de Fabien est très particulière et on n’a pas trouvé quelqu’un qui pourrait écrire « à la manière de ». C’était déjà le cas pour « Un village français ». C’est une marche que nous n’avons pas réussi à franchir.

Siritz.com : Combien de temps a pris l’écriture de tout le scénario de la première saison ?

ED : Cela a été relativement rapide. Environ 2 ans.

Siritz.com : Et Canal intervenait à chaque étape pour donner son accord ?

ED : Ils nous faisaient globalement confiance. C’était plutôt un échange régulier avec eux.  Dès le début ils étaient très enthousiastes. Néanmoins ce qui les gênait c’est qu’on leur proposait une série historique et politique dans un cadre policier alors qu’ils voulaient vraiment une série policière. Vera Peltékian disait qu’il fallait dans cette série un « Dahlia noir ». Il a alors fallu ajouter l’affaire de la valise sanglante, inspirée, elle aussi, de faits réels. Cela permettait vraiment à Canal+ de dire qu’on était dans une série policière.

Siritz.com : C’est une série où la mise en image est très importante. Qui a choisi les techniciens artistiques ?

ED : Fabien Nury, mais aussi Fabien Despaux qui a réalisé les 4 premiers épisodes. Ils ont fait le casting ensemble avec Canal+ et Okinawa Guérard, la directrice de casting avec laquelle j’ai la chance de travailler depuis « Un village français ». Julien Despaux a amené le chef opérateur flamand, Brecht Goyvaerts, qui a un immense talent.  C’est Fabien qui a amené Pierre Quefféléan, qui est un chef décorateur du cinéma. Et la chef costumière Anaïs Romand, c’est une suggestion de Canal+.

Siritz.com : Et pour la musique qui est toujours très importante pour donner son identité à une série, comme à un film ?

ED : On avait plusieurs idées et on a fait quelque chose qui n’est pas très sympathique. On a fait un blind-test entre le projet de trois compositeurs. Et on a choisi Grégoire Hetzel. Mais on a rémunéré les deux autres.

Siritz.com : En fin de course la série coûtait combien.

Un budget de série française, pas un budget de série internationale

ED : Un peu au-dessus de 2 millions € l’épisode. Cela ne comprend pas les frais généraux. C’est le coût réel.

Siritz.com : C’est quasiment le double de ce que coûte une série habituelle française. Comment la financez-vous ?

ED : Il y a Canal+ la chaîne qui est fortement impliqué et Studio Canal a donné un minimum garanti pour le mandat de ventes internationales.

Siritz.com : Cette série a un incontestable potentiel à l’international. Mais est-ce que vous êtes couvert dès le départ ?

ED : On reste dans un budget de fiction française, mais pas de série internationale. Mais pour pouvoir trouver son équilibre économique Paris Police vise le marché international. C’est ce que je cherche à faire depuis « Un village français » et « Les hommes de l’ombre » : faire des séries longues d’auteur, qui portent un regard singulier sur le monde, avec l’ambition de créer une valeur de catalogue, que ce soit à travers le deuxième marché français ou les ventes à l’international.

Siritz.com : Mais, avant de créer de la valeur, il faut aussi faire de la marge ?

ED : Oui, mais il faut accepter de baisser les taux de marge dans un premier temps, pertes que l’on espère combler par les futures ventes. Puis, dès la deuxième saison on peut aussi limiter certaines dépenses si la production a été pensée sur le long cours, en amortissant par exemple le coût de certains décors. Un mini-série ne pourra jamais atteindre cet objectif. Cela suppose de choisir des séries dont les concepts sont susceptibles de durer. Il faut aussi s’entourer de talents et de techniciens qui sont prêts à s’engager sur plusieurs saisons.

Siritz.com : Donc vous réfléchissez avec l’auteur, dès le départ, aux saisons suivantes ?

ED : Bien entendu. C’est ce que l’on a fait tout de suite pour « Un village français ». C’est une manière de penser l’équilibre économico artistique de la série.

Siritz.com : Vous avez déjà commencé à écrire la deuxième saison de Paris Police ?

La saison 2 sera « Paris Police 1905 »

MD : Bien sûr.

Siritz.com : Sur la deuxième saison ce sont les mêmes scénaristes ?

ED : « Paris Police 1905 » sera écrite par Fabien Nury et Xavier Dorison, avec qui Fabien avait écrit « Les brigades du tigre ».

Siritz.com : A ce stade vous savez déjà qui seront les réalisateurs ?

ED : En principe la même équipe que la saison 1. On a constitué une famille artistique autour de la saison 1 alors que l’on ne se connaissait pas les uns les autres. Comme pour « Un village français ».

Siritz.com : Combien de temps a duré le tournage des 8 épisodes ?

ED : Plus d’une centaine de jours de tournage. Des journées de 9 heures. On était entre 14 et 15 jours par épisode, ce qui est énorme.

Siritz.com : L’audience sur Canal doit être élevée.

ED : Les retours des abonnés sont à un très haut niveau.

Siritz.com : Maintenant parlons de votre carrière. Vous avez fait l’ESSEC, puis la FEMIS. C’est une bifurcation étonnante.

J’ai découvert que producteur était un métier

ED : Quand j’étais à l’ESSEC je me suis très vite rendu compte qu’il était hors de question que je travaille dans le consulting, l’audit ou la finance qui étaient les débouchés naturels. J’étais attiré par les métiers culturels et je cherchais ma voie. En fait je me demandais comment je pourrais être utile ! Au départ, je voulais plutôt travailler dans l’édition. A l’école j’étais copain avec Jérôme Barthélémy qui était dans la promo au-dessus de moi et qui, alors qu’il était à l’ESSEC a présenté la FEMIS, dans la section production. J’ai alors découvert que producteur était un métier qui s’apprenait et pas seulement un truc d’héritier. https://fr.wikipedia.org/wiki/Emmanuel_Daucé

Siritz.com : Vous étiez cinéphile ?

ED : Venant de province je connaissais le cinéma par Arte et le vidéoclub de mon village. Mais vers la fin de l’ESSEC, quand j’ai préparé la FEMIS (j’avais quand même pas mal de temps !), je suis devenu un rat de cinémathèque. Et j’ai trouvé des stages à la régie sur des tournages pour voir de l’intérieur comment ça fonctionnait. Et dès que j’ai mis les pieds sur un plateau de cinéma cela m’a plu, j’avais juste peur de me faire éjecter.

L’idée du réalisateur roi ne m’allait pas

Siritz.Com : Comment vous êtes passé de diplômé de la FEMIS à responsable de la fiction de Tetra Media ? C’est un bâton de maréchal.

ED : Quand j’étais à la FEMIS je travaillais aux Films Pélléas. Comme stagiaire.  Mais je me suis rendu compte que le monde du cinéma et, notamment du cinéma d’auteur, n’étais pas mon monde. L’idée du réalisateur roi ne m’allait pas. Je voyais bien que leur rapport au texte était secondaire par rapport au rapport avec l’image. Or moi, j’avais un rapport au texte très fort et l’envie de marier succès public avec fiction politique. Et je voyais ça dans les séries HBO de l’époque comme « Les Sopranos ».

Siritz.com : Vous avez découvert ça pendant que vous étiez à la FEMIS ?

ED : Oui. Je me suis dit que je voulais être producteur de séries. J’ai fait mon mémoire de sortie de la FEMIS sur la production de séries en France dans lequel j’expliquais comment donner de la valeur aux séries. Marc Nicolas qui dirigeait l’école à l’époque m’avait dit que ce n’était pas un mémoire mais une déclaration d’intention. Il fallait faire des séries longues. Il fallait faire des séries d’auteur. Mais au lieu de les centrer sur un réalisateur, il fallait les centrer sur un scénariste. Au fond, depuis tout ce temps je radote. En tout cas c’est toujours ma politique aujourd’hui. Mais on voit dans le compte facebook « Paroles de scénaristes » que cette idée a beaucoup de mal à faire son chemin.

Siritz.com : Et comment avez-vous fait ?

ED : j’ai pris les droits d’un roman « Peau de lapin » et avec un camarade de la FEMIS, Sébastien Mounier (devenu depuis un scénariste à succès de séries) nous avons écrit une adaptation en série, le pilote dialogué et les arches.

Siritz.com : Donc vous vouliez devenir scénariste.

Cela a beaucoup surpris Philippe Martin que je choisisse les séries plutôt que le cinéma

ED : Non. Mais c’était comme être stagiaire régie sur des productions. C’était le meilleur moyen pour comprendre ce que c’était qu’écrire un scénario de série. On l’a présenté à la Fondation Hachette. Et on a gagné le prix du meilleur scénariste. A cette époque j’ai rencontré Jean-François Boyer qui dirigeait Telfrance. Je lui ai dit que j’aimerais le rejoindre. Cela a beaucoup surpris Philippe Martin, le producteur des Films Pélléas, qui produisait (et produit encore) d’excellents films d’auteurs – dont ceux de Pierre Salvadori par exemple.

Siritz.com : Et Jean-François vous a engagé.

ED : Oui. Et j’ai bien fait de le suivre. A cette époque, toutes les séries françaises étaient faites pour un public de plus de 40 ans. J’avais 27 ans et elles n’étaient pas faites pour moi. J’ai commencé à travailler sur le feuilleton « Plus belle la vie ». Il y avait eu un appel d’offres. J’avais travaillé sur les premiers textes de réponse à l’appel d’offre, avant d’être éjecté du projet une fois qu’il a été mis en production. L’audience s’est effondrée. Olivier Sulzynger a été engagé pour rebâtir « Plus belle la vie » et il m’a repris. Et là je me suis rendu compte que, même pour la fiction la plus industrielle qui soit, c’est parce qu’un auteur s’était emparé du feuilleton que les audiences avaient décollé. Le travail de production à Marseille était très impressionnant, mais jusqu’à l’arrivée de cet auteur cela ne marchait pas. Et c’est pendant un des ateliers d’écriture de « Plus Belle La Vie » que j’ai commencé à penser à un « Un village français ».

Siritz.com : Et comment ce projet est devenu une réalité ?

J’ai parlé à Jean-François Boyer de mon projet  de « Un village français »

Jean-François Boyer est un entrepreneur

ED : Jean-François Boyer a quitté Telfrance pour reprendre Tetra Media. On a déjeuné ensemble parce qu’il cherchait à constituer son équipe de fiction. Je lui ai parlé de mon projet. Et je lui ai suggéré d’en confier l’écriture Frédéric Krivine que je ne connaissais pas personnellement, mais j’avais eu la chance de lire les scénarios d’une mini-série (Nom de code DP) que j’avais trouvé remarquables. Et il fallait lui proposer d’être producteur associé. Une sorte de showrunner en fait. La série pouvait s’étendre sur plusieurs saisons et s’exporter. C’était en décembre 2004 et en janvier 2005 j’arrivais à Tetra Media comme producteur. Il n’y avait que 4 personnes.

Siritz.com : Jean François vous a confié une grosse responsabilité.

ED : Dans les grosses sociétés comme Telfrance il y a beaucoup de monde. Les jeunes producteurs travaillent sous la coupe de producteurs établis. Jean François est un entrepreneur. Il démarrait. On était 4. Il m’a donné les clefs du camion. Je n’avais pas un salaire très élevé, mais cela ne me posait pas de problème parce que je n’avais pas d’enfants : je voulais d’abord produire des séries ! Aujourd’hui je travaille avec de jeunes producteurs (Antoine Szymalka, Alexandre Boyer et Léa Gabrié qui va nous rejoindre bientôt) et, en aucun cas je leur dis qu’ils sont à mon service. Ils doivent mener à bien leurs projets.

Siritz.com : La première série diffusée a été « La commune », écrite par Abdel Raouf Dafri. C’est une excellente série qui se passe dans un quartier où s’affrontent deux clans de maghrébins, les religieux et les gangsters, dirigés par deux anciens amis d’enfance. Vous êtes le premier à avoir fait confiance à ce scénariste mais ce projet n’a été accepté par Canal+ que quand Jacques Audiard a décidé de tourner pour le cinéma son scénario « Un Prophète ». Cela prouve à quel point à cette époque le scénariste, même pour les séries, n’était pas reconnu. Abdel a expliqué pourquoi sa série s’est retrouvée à l’antenne si vite. https://siritz.com/le-carrefour/ard-prophete-du-scenario/. Après il y a eu « Un village français ».

En 2005 les chaînes ont pris conscience de leur retard dans le 52’

ED : En 2005 les chaînes ont commencé à prendre conscience de leur retard dans les séries de 52’. Il y avait eu « PJ », « Avocats et Associés », et leurs petites sœurs, les séries policières du vendredi sur France 2, « Clara Sheller » sur la case du mercredi et « Police district » sur M6. France 3 avait lancé un appel d’offre sur des 52’, qu’ils voulaient « identitaires de France 3 ». Je me disais qu’il ne fallait pas proposer de série policière et que ce ne soit pas parisien. Et l’Occupation était un genre qui marchait toujours en France. « La grande vadrouille » est un des plus grands succès de l’histoire du cinéma français. Et c’était un genre spécifiquement français qui pouvait favoriser l’exportation.

L’Occupation c’est un genre qui marche toujours en France

Siritz.com : Quelle a été la réaction de France 3 ?

ED : Anne Holmès a été la première à lire le projet et elle était enthousiaste. Et je me disais que France 3 pourrait élargir son public au-delà de son public âgé, parce que, comme dans les séries de HBO, les personnages ne seraient pas manichéens.

Siritz.com : Mais c’était une série chère.

ED : Non. Pas beaucoup plus chère que leurs fictions unitaires. Le décor, la campagne française n’a pas changée entre 40 et aujourd’hui. La première saison on a fait zéro marge. C’était vraiment un investissement, un pari sur l’avenir de Jean-François Boyer. On était des outsiders, personne ne nous attendait et il fallait penser différemment.

Siritz.com : A partir de « Un village français » vous êtes devenu un producteur reconnu et établi.

Il n’y en a pas beaucoup en France qui ont la capacité dêtre showrunner

ED : Oui. Maintenant il y a la holding Tetra media studio, qui a des filiales, dont Tetra Media fiction. Chaque filiale est dirigée par un producteur associé. La notion de coproduction est dans notre ADN. Depuis 3 ans maintenant, ITV est entré dans le capital de Tetra media Studio, ce qui nous permet de nous appuyer sur le réseau des producteurs d’ITV (dont ITV Studio America qui produit la série « Snowpiercer » pour Netflix aux Etats Unis ou Cattleya en Italie, le producteur de « Gomorra ») pour des coproductions internationales.

Siritz.com : Aujourd’hui les chaînes cherchent toutes à commander des séries. Mais une série doit avoir un showrunner qui écrit et réalise. Il y en a beaucoup en France qui ont cette capacité ?

ED : Non. C’est un des problèmes que l’on rencontre aujourd’hui pour faire plus de séries de meilleure qualité. Cette fonction demande beaucoup d’’expérience et de compétence, il ne peut pas y avoir une génération spontanée de showrunner. Aujourd’hui, beaucoup de scénaristes français, dont plusieurs anciens du département Séries de la Fémis que j’ai eu la chance d’accompagner durant plusieurs années avec Franck Philippon, sont en train d’apprendre ce métier…

Siritz.com :  Vous avez déjà fait une série pour Netflix.

ED : Oui, « Vampires ». C’est une série qui a été produite par Antoine Szymalka. Elle a malheureusement été diffusée dans un grand anonymat. C’était la première semaine du confinement en mars et toute la communication de Netflix est tombée à l’eau. Il n’y aura pas des saison 2. On est en discussion avec eux sur d’autres projets.

Siritz.com : Travailler avec Netflix c’est différent par rapport aux chaînes françaises.

Lorsqu’il commence à douter de l’auteur, le premier responsable c’est le producteur

ED : Les différences tiennent avant tout aux personnes. Chez Netflix en un an elles dont déjà changé. Au début il fallait produire très très vite. Maintenant ils prennent plus leur temps. Quand un projet correspond à la ligne éditoriale d’une chaîne, en général ça se passe bien. Quand elle intervient beaucoup c’est que le projet a été choisi pour de mauvaises raisons, quand on découvre que la vision que nous avons du projet n’est en fait pas partagée. Même chose quand un producteur intervient trop sur un texte. Lorsqu’il commence à douter de l’auteur, le premier responsable c’est le producteur. Cela veut dire qu’il s’est trompé en décidant de travailler avec cet auteur sur ce projet. Une difficulté de beaucoup de séries, c’est qu’elles reposent sur un empilement de talents et de visions et non pas sur la vision d’un scénariste-auteur accompagné par le producteur et le diffuseur.

Siritz.com : C’est aussi le problème sur le  cinéma. Les chaînes qui sont un financier déterminant, consciemment ou inconsciemment, visent le Une des magazines de télé ou de grands articles. Il faut des stars. Le scénario passe après.

 

 

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