Le droit en cas de non respect de la chronologie des médias
Canal+ a décidé unilatéralement de ne pas appliquer cette régle
Maxime Saada, le président du directoire du groupe Canal+, a annoncé que toutes les chaînes du groupe allaient diffuser leurs programmes en clair. Y compris les films de cinéma pour lesquels Canal+ bénéficie d’une chronologie de diffusion plus favorable que les chaînes en clair.
C’est ainsi que la semaine dernière Canal+ a diffusé en clair « Venise n’est pas en Italie » et « Trois jours et une vie » et que cette semaine elle va diffuser « Tanguy, le retour » (voir Cinescoop). Canal+ cinéma diffuse « Rebelles » lundi 23 et « Jusqu’ici tout va bien » mercredi 25. Le CSA a demandé au groupe Canal+ de revenir à une diffusion cryptée des films de cinéma au-delà du 31 mars.
Néanmoins nous avons voulu savoir, indépendamment de la réaction du CSA, quel était le droit en cas de non respect de la chronologie des médias par une chaîne cryptée. Nous avons demandé à maitre Gérald Bigle* (par ailleurs Sponsor de nos baromètres) de faire le point.
Siritz : Quelles sont les sanctions administratives en cas de non respect de la chronologie des médias
Gérald Bigle: En proposant l’accès à toutes leurs chaînes cinéma, séries, jeunesse et documentaires sur toutes les box des opérateurs télécoms pendant la période de confinement, Canal + remet en cause les délais prévus par la chronologie des médias.
Les sanctions
En cas de non respect de la chronologie des médias prévue aux articles L231-1 et suivants du Code du cinéma et des images animées, plusieurs sanctions existent. Les articles L421-1 et suivants du même code vise les sanctions administratives, notamment en cas de non respect des délais fixés (par la loi ou par accord professionnel).
Siritz : Quelles sanctions ?
Gérald Bigle : L’article 422-1 du Code du cinéma et des images animées prévoit un avertissement ; une réduction ou le remboursement des aides financières automatiques ou sélectives qui ont été attribuées ; une sanction pécuniaire.
Siritz : De combien s’élève cette sanction pécunière ?
Gérald Bigle : Il y a des plafonds. Ainsi, son montant ne peut exceder, lorsque la personne sanctionnée est une entreprise, 3% du chiffre d’affaires hors taxes réalisé au cours du dernier exercices clos calculé sur une période de douze mois. Ce maximum est porté à 5% en cas de réitération dans un délai de cinq ans à compter de la date de notification de la première sanction.
En outre, il peut y avoir une exclusion du bénéfice de toute aide financière automatique ou sélective pour une durée ne pouvant excéder cinq ans. Il peut y avoir aussi une exclusion du calcul des sommes représentant les aides financières attribuées sous forme automatique mentionnées à l’article L. 311-1 pour une durée ne pouvant excéder cinq ans. Enfin, il peut y avoir une interdiction, pendant une durée ne pouvant excéder cinq ans, d’exercer des fonctions de direction dans une entreprise appartenant au secteur concerné.
Siritz : Il n’y a que des sanctions administratives ?
La concurrence déloyale
Gérald Bigle : Non. Les pratiques de Canal + pendant cette période exceptionnelle de confinement pourraient être aussi qualifiées de concurrence déloyale vis à vis d’autres
diffuseurs ayant acheté les droits en clair dans le respect des délais fixés par la chronologie des médias. Pour qualifier une concurrence déloyale, les trois conditions doivent être réunies : une faute, un préjudice, un lien de causalité.
Siritz: Quelles sont les sanctions pour concurrence déloyale ?
Gérald Bigle : Les sanctions sont de nature civile et peuvent être les suivantes : des dommages et intérêts, la cessation des agissement déloyaux, des mesures accessoires comme des mesures de publication.
Siritz : Mais le confinement ne peut-il justifier les mesures exceptionnelles prises par Canal+ ?
La force majeure
Gérald Bigle : La situation de confinement impose aux Français de devoir vivre chez eux, sans sorties possibles, ni cinéma. La télévision s’impose de fait comme une activité évidente dans ce contexte particulier. Mais s’agit-il d’un cas de force majeure au sens du Code civil, qui pourrait justifier les mesures exceptionnelles prises par Canal + ne respectant pas la chronologie des médias ?
Siritz : Comment caractériser un cas de force majeure ?
Gérald Bigle : Pour caractériser un cas de force majeure, l’événement doit être imprévisible, insurmontable et extérieur. Si ces critères sont remplis, la force majeure est exonératoire ou libératoire. Dans le contexte du droit du travail, le ministre de l’Économie et des Finances, Bruno Le Maire, a d’ailleurs annoncé que « pour les entreprises, le coronavirus sera considéré comme un cas de force majeure ». Néanmoins, par le passé, les juges français ont ainsi refusé de qualifier de force majeure les épidémies de grippe H1N1 de 20092, du bacille de la peste3, du virus la dengue4 ou du virus du Chikungunya.
Siritz : Mais on voit mal en cas le confinement contraint Canal+ à offrir ses programmes de cinéma à tous les français.
*Maitre Gérald Bigle est spécialisé dans le droit du cinéma et de l’audiovisuel.
Le 23 mars 2020