ANGELO COSIMANO SUR LES EFFETS DE LA CRISE
Il est président de la CST (Commission supérieure et technique de l’image et du son), la première association de techniciens et de l’audiovisuel française. Elle joue un rôle d’observatoire technologique.Elle est chargée également de faire respecter, sous l’autorité du CNC, les normes et spécifications techniques en vue de la délivrance des autorisations d’exercice, conformément à la réglementation en vigueur.
Siritz.com : Comme travaillez-vous aujourd’hui à la CST. Est-ce que vos réunions vous les faites au bureau ou en visioconférence ?
Angelo Cosimano : Tout en virtuel, ce qui a eu beaucoup d’effets positifs. Par exemple, il y a plus de participants, ne serait-ce que parce qu’il n’y a pas de temps de transport. Elles se passent très bien parce que chacun respecte l’autre, la qualité sonore nous contraint a vraiment écouter les interlocuteurs et je rajouterai qu’il n’y a pas d’effet de manche non plus lieu pour nous faire perdre du temps. C’est assez paradoxal, mais nous y avons découvert beaucoup d’avantages.
Siritz.com : Vous allez déménager.
AC : A la fin du mois. Notre équipe est dans les cartons. En principe nous serons installés début octobre, 9 rue Baudoin dans le 13 ème. Avant même de connaître la Covid, nous avons fait le choix de nous contraindre, et d’anticiper le développement des réunions virtuelles. Nous passons de 800 à 300 mètres carrés…
Siritz.com : La CST est un formidable poste d’observation de la fabrication des films et des œuvres audiovisuelles. Est-ce que vous notez un retour au volume de tournage avant la crise ou un recul ?
La reprise des tournages s’est bien passée
AC : La reprise des tournages qui étaient en cours s’est très bien passée. Très tôt, après la fin du confinement, les préparations semblent être reparties. Sur l’aspect tournage nous sommes plus optimiste qu’à la fin du printemps. Ne serait-ce que parce que la télévision a besoin de programmes. Bien entendu les entrées des salles sont au plus bas depuis la réouverture. Mais le cinéma français n’a pas perdu beaucoup. C’est essentiellement dû à l’absence des 55% d’entrées dues aux films américains. Donc, sur le plan de la production il y a des raisons d’être optimiste. Bien entendu, pour les salles de cinéma c’est très compliqué.
Siritz.com : Il y a des règles sanitaires assez strictes sur les tournages. Quels sont les métiers les plus affectés ?
AC : Les retours sont plutôt positifs. Contrairement à la légende, une équipe de tournage c’est une équipe de gens très disciplinés. Tout simplement parce que, comme on n’a pas une minute à perdre, chaque minute perdue coûte très cher. D’après les informations qui remontent à nous, tout le monde s’est plié au jeu. Je pense que c’est plus dans l’écriture que c’est compliqué. Faire prendre moins de risques aux comédiens pourrait devenir une autocensure inconsciente. Mais je fais confiance aux réalisateurs et aux auteurs pour ne pas céder à de mauvaises habitudes.
Siritz.com : Le fait qu’il n’y ait pas de retard ou de coûts supplémentaires c’est ce que disait Remy Chevrin, le directeur de photo, quand nous l’avons interviewé. https://siritz.com/le-carrefour/remy-chevrin-notre-cinema-manque-dambition-visuelle/
Les temps de préparation sont trop courts, ce qui coûte cher
AC : Un des défauts du cinéma français, et de la fiction, c’est le manque de temps de préparation. Parce que les financements sont rassemblés au dernier moment et les décisions de tournage sont prises très tard. Donc, comme la production ne consacre pas assez de temps à la préparation, elle perd beaucoup en ne rationalisant pas assez les tournages. Et, économiquement, c’est un non sens puisque la conséquence c’est que, à la fin, cela coûte plus cher. Mais là, depuis la Covid, il s’agit des vies humaines. Donc, il semblerait que la préparation donne de meilleurs résultats en évitant les pertes de temps disons « superfétatoires »…
Jusqu’à ce jour, à ma connaissance, il n’y a pas eu de cas de malade à la suite d’un tournage. A priori tout le monde prend les précautions qu’il faut. En revanche, à partir du déclenchement du confinement il y a sans doute eu des pré-projets qui ont été repoussés et n’ont pas redémarré. On ne peut le quantifier, mais cela aura un effet à un moment. En tout cas les producteurs font leur boulot et essayent à nouveau de monter leurs films.
Siritz.com : Certains disent que cela va permettre enfin de réduire le nombre de film.
AC : Cela fait 50 ans que j’entends dire qu’il y a trop de films. J’avais 15 ans et je m’occupais d’une salle d’art et d’essai de banlieue. Evidemment c’est faux. La preuve : il y a beaucoup moins de films et c’est une catastrophe. Le spectateur, comme le téléspectateurs, a besoin d’avoir le sentiment d’avoir le choix. Et, si, en plus, nous rajoutons la peur d’aller au cinéma, la situation devient très compliquée.
Siritz.com : On ne peut savoir à l’avance quel film va marcher.
AC : C’est la démonstration qu’il faut continuer de produire à un rythme élevé. Pour les salles et pour les intermittents.
Siritz.com : Mais pour les intermittents, on prend en compte dans l’assiette minimale de 507 heures, toutes les heures jusqu’au 31 août 2021.
AC : Mais je parle d’au-delà. Il faut reprendre un même niveau de production.
Siritz.com : On dit que les tournages français à l’étranger ont des problèmes, du fait des mesures sanitaires des différents pays. L’inverse serait vrai aussi.
J’ai eu le Coronavirus le 15 janvier
AC : Je n’ai pas d’exemple, mais je pense que cela doit effectivement être le cas. Il y a la quatorzaine au Royaume-Uni, en Espagne l’épidémie repart. L’Italie tient le choc, mais ça peut repartir en trois jours. Et c’est la même chose pour les tournages d’équipes étrangères en France. C’est à l’image de ce qui se passe dans l’ensemble de l’économie sur toute la planète : dans les faits, nous vivons au jour le jour. En outre, beaucoup de pays commencent à imposer la couverture médicale obligatoire pour arriver chez eux. Cela va d’ailleurs peut-être enfin régler cette question au niveau européen. La prise en charge de la sécurité sociale au niveau européen est en principe très simple. Dans la réalité ça n’est pas si simple que ça. De toute façon la vraie sortie du tunnel viendra du vaccin. Pour l’instant on n’en est qu’à l’espoir de vaccin. Et si on en trouve un, est-ce qu’on pourra obliger tout le monde à se vacciner ? En tout cas, moi j’ai eu le Coronavirus le 15 janvier.
Siritz.com : Ah bon ?
AC : Au début, j’ai cru que c’était une grippe. Personne n’avait encore entendu parler du Coronavirus. Coup de chance, j’ai commencé à ressentir les symptômes la veille du micro-salon. J’ai tout annulé. Le matin j’avais 40 de fièvre et je n’y ai pas été. Si j’y avais été j’aurais contaminé un grand nombre de professionnels.
Siritz.com : Cela a duré combien de temps.
AC : Une semaine. J’avais l’impression d’avoir du béton dans les poumons. Je dormais assis car j’avais du mal à respirer. Mon médecin m’a dit que c’était une grippe. Ma femme l’avait aussi. J’ai été crevé pendant deux semaines. C’est quand j’ai fait les tests sérologiques en avril, les premiers tests, que j’ai découvert que j’avais eu la Covid.
Siritz.com : Vous êtes président de la CST depuis 2 ans. Qu’est-ce que cela change par rapport à délégué général ?
AC : Le délégué général, Baptiste Heynemann, assume la tache difficile de manager les équipes et les rapports quotidiens avec notre secteur. Par exemple c’est lui qui a pris en charge le déménagement et croyez-moi c’est un sacré travail pour une modeste équipe comme la nôtre. J’ai toute confiance en Baptiste, je sais qu’avec lui, la CST saura s’installer dans le XXIème siècle, et que ma génération parviendra à passer la main à des gens beaucoup plus jeunes. C’est la direction que j’ai proposé à notre conseil d’administration avec un objectif parallèle de pouvoir atteindre la parité au plus vite. Pour la première fois de son existence, la vice-présidence est assurée par une femme, notre amie Claudine Nougaret, qui est à la fois réalisatrice, productrice et l’une des meilleurs ingénieurs du son de notre pays. J’en profite pour remercier tous les membres de notre bureau qui bénévolement sont toujours présents à nos côtés. La CST est une association ou la solidarité a toujours exemple d’exemplarité.
Le plus important reste la conservation des savoir-faire dans chaque métier
Siritz.com : Quels sont les enjeux essentiels du secteur ?
AC : Le plus important reste la conservation des savoir-faire dans chaque métier. Parce que la révolution technologique a déjà eu lieu. La bascule vers le numériques, les conséquences qui allaient avec. Elles ont été très positives au départ. C’est grâce à la projection numérique que les salles peuvent projeter autant de films. Mais il faut éviter de tomber dans l’illusion que, grâce à ces formidables outils technologiques, on peut avoir besoin de moins de savoir-faire. Il faut sans doute réfléchir au système scolaire qui, à mon avis n’est pas assez basé sur l’expérience. Et le savoir être est tout aussi important que le savoir faire.
Siritz.com : Donc les élèves des écoles audiovisuelles doivent faire plus de stages ?
AC : Ils doivent être confrontés plus tôt aux difficultés du métier. Et il faut élargir leurs origines. Lad Ly, le réalisateur des « Misérables » n’a pas dû avoir une vie facile. Et ça lui a permis de faire un film si différent et de telle qualité. Il y a 40 ans la filière BTS était formidable. Maintenant elle est à revoir entièrement. Les enjeux ne sont plus dans les nouveautés technologiques. Les progrès technologiques s’installent désormais avant tout pour des raisons économiques. Mais le véritable enjeu reste le même : « Qu’est-ce qu’on raconte comme histoire ? ».
Eviter les querelles de chapelle entre le cinéma et la télévision
Siritz.com : Y-a-t’il un autre enjeu ?
AC : Je pense que la création, au sein du CNC, d’un poste de directeur du cinéma et de l’audiovisuel, est une très bonne chose. C’est acter le fait que notre économie est une économie circulaire. Tout communique avec tout. Il faut éviter les querelles de chapelle entre les gens de cinéma et les gens de télévision. Le cinéma est le rêve de tous, celui de d’atteindre une certaine forme de perfection par l’engagement total de tous ceux qui contribuent à le faire naitre. La télévision se doit de revendiquer cette même ambition.
Siritz.com : C’est ce à quoi je pensais quand j’ai créé Ecran total. Mais on peut dire que, aujourd’hui, être le showrunner d’une grande série se situe au même niveau que réalisateur de film.
AC : C’est évident pour ceux qui ambitionnent de sortir des sentiers battus de l’audimat, car cela participe de la volonté de tirer vers le haut et les programmes et les spectateurs : un film réussi c’est un film ou nous parvenons à être plus riches humainement à la sortie qu’à l’entrée !!!