Nathalie Durand: « à cheval entre l’artistique et le technique »
Nathalie Durand est secrétaire générale de l’Association des directeurs de la photo. Elle a travaillé aussi bien sur des téléfilms que des films de cinéma. Elle explique ce que les restrictions sanitaires devraient changer à son travail et évoque les principaux sujets dont parlent entre eux les directeurs de la photo
Siritz : Qu’est-ce que Le Guide des précautions sanitaires va changer dans votre métier ?
Nathalie Durand : Tout d’abord je voudrais dire que ces règles sont provisoires, je l’espère en tout cas et que bientôt, on n’en entendra plus parler. En ce qui concerne mon travail de directrice de la photo, c’est comme pour chacun d’entre nous : prendre des précautions, porter un masque, se laver les mains, garder des distances minima. Dans la pratique, pour nos équipes sur les tournages, cela va ralentir le travail.
Siritz : La crise concerne un film sur lequel vous étiez directrice de la photo ?
ND : Je devais faire un téléfilm de Catherine Klein, produit par Elzevir films. Il devait se tourner en avril. Le confinement nous a arrêté à deux semaines du tournage. Tout était en place. Depuis, la production est très attentive aux conditions sanitaires et veut prendre ses précautions. Sans doute un tournage en août, histoire de bénéficier des premiers retours d’expérience et pour des questions de disponibilité de décors. Certaines choses sont retravaillées dans le scénario pour que ce soit possible avec les précautions sanitaires.
Je ne crois pas que les équipes vont s’alléger
Siritz : En général, les équipes vont être plus légères ?
ND : Cela sera variable suivant les projets. Je ne crois pas que les équipes vont s’alléger. Le principe c’est qu’il y ait moins de gens en même temps sur le plateau, pour respecter les règles de distanciation. Mais il y aura besoin de techniciens à l’arrière pour rester efficace à la face.
Siritz : Et en post-production, le directeur de la photo doit être sur place pour l’étalonnage.
ND : Je sais que les monteurs sont très préoccupés par ça et s’inquiètent de ce que les mesures de télétravail mises en place pendant la pandémie deviennent pérennes. De la même manière, nous nous inquiétons de ce que l’étalonnage suive le même chemin. Nous sommes fermement attachés à être ensemble dans la salle d’étalonnage avec l’étalonneur/étalonneuse et le réalisateur/la réalisatrice. Rien ne devrait nous empêcher de travailler comme avant en gardant nos distances et en portant des maques si il le faut.
Siritz : Dans le téléfilm sur lequel vous travaillez, la scénariste réécrit le scénario. Est-ce qu’on vous demande votre avis sur des modifications que vous souhaiteriez ?
ND : Pas spécialement. Le travail de réécriture, je n’y participe pas. Je participe à l’élaboration du découpage. J’ai fait part des informations que j’avais, de mes observations à la production, à la réalisatrice et à l’assistante pour un tournage avec les mesures sanitaires. Je suis disponible pour répondre à des questions ou si il y a besoin de mon avis.
On a aussi une réflexion sur la direction artistique.
Siritz : Avant cette crise qui est évidemment au premier plan des préoccupations, est-ce qu’il y a des sujets qui étaient particulièrement débattus par les directeurs de la photo, notamment au sein de votre association, et qui restent évidemment d’actualité ?
ND : On se pose évidemment des questions sur les outils qui évoluent profondément, et qui modifient notre champ d’action. On a aussi une réflexion sur la direction artistique. Ça n’est pas ou peu pratiqué en France et plusieurs parmi nous se demandent comment englober la direction artistique à partir de notre place de directeur de la photo. Nous avons organisé une réunion-zoom à ce sujet récemment.
Siritz : C’est le système américain. Alors qu’en France la direction artistique est collégiale, partagée entre le réalisateur, le directeur de la photo et le chef décorateur. Michel Barthélémy, le président de l’Association des décorateurs est contre. A l’AFC il y a des partisans de ce fonctionnement ?
ND : Oui, certains le sont. En tout cas c’est en débat. Ça pose la question de l’identité de l’image dans le cinéma français. La caractéristique de notre profession c’est vraiment d’être à cheval entre l’artistique et le technique. C’est une position privilégiée. Mais on aimerait bien qu’elle soit reconnue comme telle.
Siriz : Vous avez le sentiment de ne pas être suffisamment reconnu ?
ND : Oui. Sur les plateaux, de plus en plus. Beaucoup de productions nous voient comme quelqu’un qui a une caméra et manipule des outils. Mais pas plus que ça. Alors que la collaboration avec le chef décorateur et le chef costumier, par exemple autour de la réalisation donne au film sa personnalité, son identité.
S : Est-ce qu’il y a de grandes différences entre travailler sur un film de cinéma et une fiction pour la télévision, notamment les séries ?
ND : Je n’ai pas fait de série en France. J’en ai fait une en Suisse. Et je fais assez peu de téléfilms. Pour moi, le travail est le même. Sauf que les rythmes sont différents. En télévision tout est très minuté. Il y a beaucoup à faire en une journée. Il n’y a pas trop le temps de la réflexion. Il faut tout bien anticiper.
Siritz : Mais quand vous travaillez pour le petit écran plutôt que pour le grand écran cela change-t’il l’approche de votre travail ?
ND : Sur le choix de la valeur des plans un peu, sur le découpage mais pas sur la lumière en elle même.
Siritz : Les conventions collectives du cinéma et de l’audiovisuel sont différentes ?
ND : oui, mais c’est minime.
Siritz : Comment êtes vous appelée à travailler avec un nouveau réalisateur ?
ND : Il n’y a pas de règle. Quand j’ai fait le film de Xavier Legrand, « Jusqu’à la garde », c’est le producteur Alexandre Gavras, que je connaissais qui m’a mis en relation avec lui. Mais ça passe aussi par un réseau de connaissance. Ou bien, des réalisateurs/réalisatrices que votre travail intéresse. Personnellement je n’ai pas d’agent mais beaucoup de mes collègues en ont et le travail peut aussi arriver par là.
Voir la carrière de Nathalie Durand :
https://www.afcinema.com/_Nathalie-Durand-8593_.html
Lire notamment le très intéressant interview auquel Nathalie Durand a répondu à l’occasion de la sortie du film « Jusqu’à la garde » de Xavier Legrand
Lire aussi l’interview de Michel Barthélemy, président de l’Association des décorateurs de cinéma où il évoque la question du directeur de la création https://siritz.com/le-carrefour/lesthetique-du-film-est-reellement-partagee/