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LES CINÉMAS TIENNENT ET NETFLIX PERD DE SON AVANCE

Aux États-Unis la vie normale commence à reprendre. Alors qu’il n’y a pas eu de soutien de l’État, les salles de cinéma ont plutôt bien résisté. Certes, deux circuits de la Californie du sud, Pacific Theatres et Arclight, ont été liquidés. Mais il s’agit de petits circuits de  17 établissements avec 230 écrans. Au contraire, le premier réseau américain et du monde, AMC, qui possède 8 000 écrans, a trouvé 917 millions $, dont 506 millions $ en augmentation de capital, pour poursuivre son activité. C’est dire qu’il y a des investisseurs pour croire dans l’avenir de la salle de cinéma.

Celles  qui ont réouvert l’ont fait avec des jauges limitées. Surtout, elles ont accepté de perdre leur fenêtre d’exclusivité pour pouvoir diffuser les blockbusters de Warner. Tout d’abord « Wonder woman 1984 ». Puis, surtout, « Godzilla et King-Kong » qui a été diffusé simultanément dans les salles et sur HBO Max. Il a réalisé la première semaine un box-office salle de 80 millions $ aux États-Unis et de 400 millions $ dans le monde. Mais la question de savoir si cette sortie simultanée est seulement liée à la situation de pandémie ou va devenir une pratique définitive n’est pas réglée.

En tout cas, le groupe Disney a passé un accord avec Sony pour diffuser l’ensemble de ses films et de son catalogue sur ses chaînes et sur Disney+. Parmi ces acquisitions il y a les « Spiderman ». Or, pour les films à venir, cet accord respecte la fenêtre d’exclusivité des salles de cinéma.

Ce qui est frappant, c’est que la progression des abonnés de Netflix se ralentit. https://www.letelegramme.fr/multimedia/gueule-de-bois-pour-netflix-apres-une-pandemie-en-or-21-04-2021-12738463.php Ainsi, au troisième trimestre, la progression de ses abonnés est la moitié de ce qu’elle avait prévue. C’est en partie dû au recule de la pandémie et au fait que celle-ci, du fait des restrictions sanitaires de tournages, a moins produit, et donc moins diffusé de nouvelles séries. Mais surtout, son avance par rapport à ses concurrents se réduit. Au contraire, comme on l’a vu, la progression de Disney+ est spectaculaire, bien supérieure à ce que ses dirigeants avaient prévu. Mais c’est vrai aussi des chaînes à péage de Warner . Ainsi, aux États-Unis, au premier trimestre Netflix n’a progressé que de 450 000 abonnés alors que Warner Media, avec HBO et HBO Max, en a gagné 2,7 millions. Au total Netflix a 67 millions d’abonnés, mais les chaînes de Warner, en cumulé, en sont à 44,2 millions. Néanmoins, les dirigeants de Netflix affirment qu’avec la levée des restrictions sanitaire, le renouvellement des séries va s’accélérer.

Amazon prime annonce 200 millions d’abonnés dans le monde. Mais il s’agit d’un abonnement à 50 € par an et les films où les séries ne sont qu’un produit d’appel pour inciter à l’abonnement à cette plateforme de vente pour le principal hypermarché du monde.

En France, les plateformes doivent, pour les films de cinéma, respecter la chronologie des médias. Mais les studios peuvent ne pas du tout sortir leurs films en salle et les diffuser directement sur leurs plateformes. Ils perdraient évidemment les recettes salle et des chaînes à péage. Mais si les pouvoirs publics français leur imposent des obligations trop contraignantes les studios et les plateformes ont cette arme atomique à la leur disposition. https://siritz.com/editorial/la-salle-de-cinema-menacee-de-mort/

 

 

 

 

 

 

 

ELLES SONT FACE A UN PROBLEME NOUVEAU POUR ELLES

Ce sera donc le 16 décembre que l’ensemble des  salles de cinéma françaises vont ré-ouvrir. Et les conditions sanitaires imposées lors du premier dé-confinement ne seront pas renforcées. Au contraire, pendant la période de couvre feu, il y aura un léger assouplissement pour le démarrage de la dernière séance avec le billet horodaté. Mais ce sera un assouplissement, pas une occasion de séance supplémentaire. Juste une plus grande souplesse dans la fixation de l’horaire de démarrage de la dernière séance.

Et, cerise sur le gâteau, dès l’ouverture des salles il y aura à l’affiche, le blockbuster américain « Wonder Woman 84. 

https://fr.wikipedia.org/wiki/Wonder_Woman_1984

Cela veut dire que les films annonce des films qui vont démarrer le 23 décembre, et il y en a plusieurs très prometteurs, vont être vus par un large public. Par ailleurs, après « Tenet », c’est une nouvelle fois Warner qui prend le risque de sortir en salle partout où c’est possible, alors que la moitié des salles américaines sont fermées. Il est vrai qu’aux Etats-Unis, Warner a décidé de sortir le film le 25 décembre à la fois dans les salles ouvertes et sur sa plate-forme de S-VoD HBO Max. De nombreux professionnels américains estiment que le studio a ainsi franchi le rubicond alors que d’autres pensent qu’il a n’a fait que s’adapter momentanément à une situation momentanément exceptionnelle, puisque 50% des salles de cinéma américaines sont fermées.

Cette situation ouvre donc à nouveau le débat sur l’avenir des salles de cinéma face aux plateformes de S-VoD.  

Certains pensent qu’une grande partie du public a pris l’habitude de regarder des films chez eux, d’autres qu’ils vont absolument saisir la moindre occasion de sortir. On retrouve le vieux débat sur l’avenir de la salle de cinéma face à tous les nouveaux médias. L’avènement de la télévision, de la cassette ou du CD avaient fait naitre les mêmes craintes et, à chaque fois, la salle de cinéma s’est adaptée et a su parfaitement résister. 

Voir la finale de la Coupe du monde de foot-ball à la télévision ou dans le stade

Car, fondamentalement, voir un film dans une salle de cinéma n’a rien à voir avec le voir sur un écran chez soi, même un grand écran de télévision. Pour prendre un exemple, il est clair que l’on voit mieux  la finale de la Coupe  du monde de foot-ball  sur son téléviseur que dans le stade. Ne serait-ce que parce que la  télévision propose des gros plans ou des replays. Mais une grande partie des spectateurs préféreraient y assister dans le stade.

La plupart des gros blockbusters américains sortiront au plus tôt l’été prochain. Et il y en aura moitié moins que les années précédentes. En revanche, il y a énormément de films français en attente et ils bénéficieront d’une large exposition. Jusqu’à la fin des restrictions sanitaires et le retour massif des films américains les exploitants ne retrouveront pas leurs entrées passées. Mais les distributeurs français bénéficieront d’expositions favorables. Même si les professionnels savent que le succès d’un film donne au public l’envie de retourner au cinéma. 

Les plateformes ont les moyens d’accaparer tous les talents

Avec tout de même la question de savoir combien de temps encore et avec quelles sources de financement le CNC pourra accorder un soutien automatique renforcé alors que, économiquement, le soutien automatique habituel est en grande partie financé par les recettes des films américains.

A long terme néanmoins les plateformes de S-VoD soulèvent  un problème auquel le cinéma n’a jamais été confronté et que souligne très clairement Philippe Reynaert dans son Carrefour de la semaine dernière. https://siritz.com/le-carrefour/les-facettes-de-netflix-selon-reynaert/

En effet, les plateformes ont des moyens considérables, sans commune mesure avec ceux du cinéma, même des grandes majors américaines. Elles vont se battre pour acquérir les productions des talents et des stars. Ainsi, le prochain Dany Boon sera un téléfilm dont Netflix aura l’exclusivité mondiale. Et, ces plateformes vont se livrer une guerre féroce pour accaparer ces talents puisqu’en 2022 leurs besoins pourraient dépasser la capacité mondiale de production. Ce qui veut dire qu’il ne resterait aucune capacité et aucun talent pour le  cinéma mais aussi la télévision. Evidemment, ce n’est qu’une  prévision fondée sur le cumul de leurs investissements prévisionnels. Comme l’équation est impossible, il est probable qu’ils reverront leurs investissements et adapteront leur stratégie.

Ce qui est probable

Mais ce n’est pas parce que les plateformes acquièrent des films de cinéma en étant capable de payer des prix très interessants pour leurs producteurs qu’elles vont faire de même pour tous les films. Ce qui est probable, c’est qu’elles vont continuer à privilégier les séries tout en se diversifiant dans tous les autres types de programmes, comme les fictions et les documentaires unitaires mais aussi le flux et le sport. Et aussi, sans doute, que le monde va devoir augmenter sensiblement ses capacités de production et ses talents. Mais qui peut s’en plaindre ?

Par ailleurs, du point de vue des majors, les blockbusters à 200 millions $ de budgets visent de 1 à 3 milliards $ de chiffre d’affaires salle dans le monde. Ce sont donc des affaires risquées, mais potentiellement très rentables. C’est pourquoi les majors les privilégient et continuent à les produire. Or les plateformes n’ont aucun intérêt à investir 200 millions $ pour 2 heures de programme alors qu’elles peuvent avoir 12 heures d’une série exceptionnelle  qui va fidéliser leurs abonnés en investissant de 40 à 50 millions €. Disney a certes fait diffusé « Mulan » par sa plate-forme Disney + plutôt que de le sortir en salle. Mais il ne l’a pas inclus dans les programmes de Disney +. Il a offert à ses 70 millions d’abonnés de l’acheter en vos pour 30 €. Donc, si 10% de ses abonnés répondaient favorablement à cette offre le film qui a coûté de l’ordre de 200 millions $ serait amorti. Et ce serait une promotion pour la plateforme puisque, pour pouvoir acheter ce film il faut être abonné à Disney+ Mais, pour le groupe, ça ne génère aucunement les profits qu’une sortie salle mondiale aurait générée.

Pour ceux qui parlent anglais lire ce très intéressant article du New-York Times sur ces questions vues de Hollywood.

Siritz : Les professionnels du cinéma et de l’audiovisuel se sont réjouit de l’annonce par le chef de l’Etat de l’entrée en vigueur, dès le 1er janvier 202, 1de le directive Services Média Audiovisuels. Donc les plates-formes de S-Vod vont entrer dans le système de soutien à la production française. Ce qui va compenser l’inévitable baisse des investissements des chaînes françaises.

Alain Le Diberder : Cette transposition était inscrite dans le projet de loi audiovisuelle. Mais cette loi doit être suivie d’un décret qui fixera l’essentiel de ses modalités d’application et, en premier lieu, le pourcentage du chiffre d’affaires que ces plates-formes devront investir dans la production française. On parle de 16%, 20%, voire 25%. Il y a ensuite le problème de l’assiette, car, par exemple, Amazon Prime concerne d’autres services que les films et les séries. Il faut préciser également la  nature des investissements concernés. Par exemple, si Netflix avait tourné « The Irishman » en France est-ce que l’intégralité du coût du film aurait été pris en compte ? Dans le débat au Parlement il semble que ce devait être uniquement les droits France qui devraient être pris en compte. Enfin, quelle devrait être la ventilation des droits entre le cinéma et l’audiovisuel.

Siritz : 25% c’est pour le cinéma ou cinéma plus audiovisuel, avec un plancher pour le cinéma.

ALD : A priori c’est pour l’ensemble. La ventilation entre les deux c’est justement ce que les discussions interprofessionnelles préalables au décret devaient fixer.

Siritz : Le Parlement peut voter cette partie de la loi à la rentrée ou le gouvernement procéder par ordonnance.

Ce qui est important c’est le décret

ALD : Oui. Mais ce qui est important c’est le décret. Et aujourd’hui, tous les points ne sont pas tranchés. Netflix est en discussion avancé sur ces points. Ce n’est pas du tout le cas d’Amazon. Ni de tous les autres : Disney, Apple, Comcast, etc… A ce jour les Américains ont accepté le principe d’une contribution à la production française en payant une Taxe vidéo  de 5,15% au CNC. La question est celle des contreparties. Si Netflix doit investir le même pourcentage que Canal+ dans le cinéma, ils vont demander la même fenêtre dans la chronologie des médias.

Siritz : Mais ça signifie que les films sortent d’abord en salle et que Netflix acceptent l’exclusivité de plusieurs mois pour les salles.

Pour l’instant les discussions ont lieu principalement avec Netflix

ALD : Si les films ne sortent pas en salle, ce ne sont évidemment pas des films et il n’y a plus de problème de chronologie des médias. Mais les investissements ne sont pas pris en compte dans les obligations à remplir pour le cinéma. Mais, ce qui est inquiétant c’est que, pour l’instant, les discussions ont lieu principalement avec Netflix. Ils font du lobbying en France et ont signé des accords avec la SACD. Amazon, bien qu’ils diffusent des films et des œuvres françaises depuis plusieurs années, n’a rien signé avec la SACD et ne rémunère donc pas les auteurs.  On sait que ce groupe est assez indifférent à  notre droit du travail, notre droit de la concurrence et même à notre droit fiscal. Le film est  pour lui un produit d’appel. Ce sera la même chose pour Apple, et aussi pour Google et Facebook quand ils commenceront à leur tour à diffuser films et œuvres audiovisuelles. Ce sont les plus dangereux. Donc, être pressé de faire entrer dans notre système des groupes dont on n’a pas encore mesuré la stratégie d’ici 5 ans me paraît pour le moins précipité. Aujourd’hui, par exemple, Amazon paye des prix que les diffuseurs français ne peuvent payer. S’ils réussissent à les marginaliser, dans 5 ans ils feront ce qu’ils voudront.

La directive SMA n’a pas prévu de système de sanctions

Siritz : Mais si on fixe des règles précises, quelles sont les sanctions ? Les grandes chaînes françaises ont des fréquences hertziennes qu’on peut leur retirer.

ALD : La directive SMA n’a pas prévu de véritable système de sanctions. En France, derrière TF1 et M6, il y avait Bouygues ou la Lyonnaise des eaux qui dépendaient beaucoup des commandes publiques. Mais Amazon c’est 1 200 milliards $ de capitalisation boursière dans le monde., 600 000 salariés et ils ne dépendent d’aucune dépense publique.

Siritz : A l’heure du tout numérique notre réglementation est effectivement vieillotte.

ALD : C’est vrai, elle aurait dû changer dès 2010. A l’époque tous les « nouveaux » facteurs et acteurs qui composent le paysage audiovisuel d’aujourd’hui étaient présents. Mais la modifier sur des points importants comme la fiscalité ou la chronologie des médias pour avoir 50 à 60 millions €  d’investissements en plus dans la production  de films en 2021 ne me semble pas valoir le coup. C’est ouvrir la boite de Pandore. Les plates-formes peuvent attendre. Netflix a gagné 7 millions d’abonnés et produit de plus en plus de séries françaises avec notre réglementation actuelle. S’il s’agit de redynamiser le financement du cinéma français. il y a d’autres voies, comme celles proposées par le rapport Boutonnat.

Siritz : En tout cas, les plates-formes, quand elles interviennent, prennent tous les droits.

ALD : C’est le cœur de leur modèle d’affaires. Elles pourront faire des exceptions pour se faire admettre au début, mais à moyen terme c’est le modèle d’affaires qui s’imposera. Actuellement, la production française est dans un système de colocation. Location aux salles, au distributeur, aux télés, et souvent un film est préfinancé par trois chaînes, qui se partagent les fenêtres. Aucun de ces acteurs n’est propriétaire du film. Par contre, la plate-forme elle est propriétaire du film, parce qu’elle en veut la diffusion exclusive et qu’elle est prête à le financer seule.  

Siritz : Netflix demande la même fenêtre que Canal+. Mais, logiquement  le critère de la chronologie des médias, c’est  le prix public. Dans ce cas Canal +  doit se situer avant Netflix puisque son abonnement est deux fois plus élevé. 

On fait entrer dans notre poulailler un renard très sympathique qui sera suivi par une meute de loups

ALD : Je crains qu’en vertu du principe très théorique de la neutralité technologique  ce soit la même fenêtre. Pour les plates-formes un film est intéressant par sa contribution à l’abonnement. Elle est déconnectée de l’audience du film. Un film dont on a beaucoup parlé, mais qui a été relativement peu vu, comme « The Irishman » de Scorsese, c’est très bon pour l’abonnement. Pour eux les dépenses dans des films sont fondamentalement des dépenses de marketing.

Siritz : Donc Netflix a une logique tout à fait différente des acteurs actuel de notre cinéma.

ALD : Oui. On fait rentrer dans notre poulailler un renard très sympathique. Mais qui va être suivi par une meute de loups. Ce renard, lui, n’a pas envie de tuer toutes les poules. Il a bien compris qu’il  faut qu’elles puissent se reproduire. Mais il a déjà une logique différente de celle du paysan-Canal+ qui faisait croître son poulailler. 

Siritz : Canal+ investit dans beaucoup de films.

ALD : Avec des budgets et des fenêtres d’exploitation contraintes et relativement courtes. Et en partageant son pouvoir, souvent avec une autre chaîne à péage et avec une ou deux chaînes gratuites. Pour financer son film un producteur empile des intervenants. L’inconvénient c’est que la prise de risque est sans doute trop diluée. Mais les investisseurs laissent en fait une paix relative au réalisateur et au producteur délégué. Avec les plates-formes le feu vert viendra des Etats-Unis.

C’est la vraie épine de Damoclès sur la tête du cinéma

Siritz : Canal+ était la chaîne du cinéma et du sport. La chaîne est prise à la gorge  par l’explosion des droits sportifs. Elle doit perdre des abonnés, elle est sans doute déficitaire et n’a pas encore déposé sa demande de renouvellement de fréquence qui arrive à échéance à la fin de l’année.

ALD : C’est la vraie épée de Damoclès sur la tête du cinéma. Canal+ pourrait renoncer à sa fréquence TNT, ce qui serait un coup de théâtre. Cela lui permettrait d’alléger une grande partie de ses obligations et, accessoirement, d’être vendue à un opérateur non-européen. Sky, qui appartient à Comcast, a déclaré au-début de l’année s’intéresser à cette hypothèse, c’est un vieux serpent de mer. Et puis la valorisation d’Universal Music est plus élevée que celle de Vivendi, sa maison mère, ce qui laisse supposer que, pour les marchés financiers, celle de Canal+ est quasi-négative. Si Canal+ est vendue et passe sous pavillon américain la question de la place des plateformes de S-vod sera réglée, elles seront indispensables.  Mais si le Canal+ actuel survit, les producteurs devaient éviter de faire du Canal+ « bashing » car son rôle financier reste extrêmement positif.  Ils se sont engagés à investir dans des premiers films et des films de producteurs indépendants ainsi que dans toute une série de contraintes que n’accepteront pas les plates-formes.

Siritz : Mais faire entrer les plates-formes dans notre système d’obligation  suppose qu’on aligne leur fiscalité sur celle des chaînes. Si elles payent une taxe vidéo de 5,15% comme Canal+ au lieu de 2% actuellement, leur TVA va passer de 20 à 10%. C’est un véritable cadeau.

ALD : Effectivement. Mais je ne vois pas le Parlement voter ce cadeau aux Gafa. La catastrophe serait de les aligner sur tout. Si on y pousse on va le regretter dans 3 ans. Déjà la directive SMA remplace la directive Télévision sans frontière qui imposait aux chaînes européennes d’avoir 50% de programmes européens. La directive SMA  en impose 30%. C’est mieux que rien, mais c’est un recul.

Ce sont la salle de cinéma et les festivals qui apportent leur valeur aux films

Siritz : Les salles de cinéma en France sont  un secteur très dynamique. 2019 a encore été une très bonne année. Les deux premiers mois de 2020  ont vu une baisse notable de la fréquentation, sans doute due à une offre de films plus faible que précédemment. Mais la fermeture des salles due au Covid 19 est une catastrophe. Il n’a  pas de recettes et des charges fixes dont elles peuvent reporter le paiement, mais qu’elles risquent de ne pouvoir payer quand elles rouvriront. Les trois grands circuits ont les moyens de passer ce cap. Mais pour les exploitants indépendants qui représentent 50% des entrées c’est une autre histoire.

ALD : Il y a effectivement un vrai risque de disparition des petites salles.  Or elles présentent deux intérêts majeurs. En premier lieu, pour la diversité des offres, car elles représentent plus 50% de la fréquentation pour le cinéma d’auteur. En second lieu  elles ont un rôle social essentiel dans les villes petites et moyennes. La crise sanitaire a été l’occasion d’une revalorisation de la place de ces villes dans la France future. Et, dans ces villes, où il n’y pas de multiplexes, la fermeture d’un cinéma serait une catastrophe symbolique. Et politique. En 2020 il y a un risque de voir 100, 200, 500 villes  perdre leur cinéma. C’est donc catastrophique pour le cinéma indépendant et d’auteur ainsi que pour la vie culturelle et sociale des territoires.

Siritz : Il faut donc absolument que l’Etat et les collectivités locales lancent un grand plan de soutien aux salles indépendantes?

ALD : Oui. Que l’on prenne en charge leur loyer pendant la période de fermeture. Certaines régions, comme Auvergne Rhône-Alpes,  préachètent des billets et les revendent un euro la place aux jeunes. Cela permettra de garantir la fréquentation et ça va faire revenir les jeunes au cinéma. Et cette argent va revenir à la distribution et à la production beaucoup plus que si on apporte un financement à  l’amont de la filière.

Siritz : Mais la salle de cinéma ne finance 10 à 15% du coût de la production.

ALD : Mais la salle de cinéma est le cœur d’un système de visibilité, par le promotion gratuite sur tous les médias. En plus des dépenses de marketing des distributeurs, la salle crée la valeur des films. Et il faut y ajouter les festivals. Le festival de Cannes c’est plusieurs centaines de millions € de promotion gratuite pour les films. Netflix a annoncé, en 2018,  qu’ils faisaient 80 films. Je pense que les gens n’ont entendu parler que d’un ou deux. En revanche, pour ne prendre que la dernière édition, Cannes « fait » la carrière de « Parasite » ou celle des « Misérables ». C’est ce couple salle-festival qui donne sa valeur aux films. Cela a beau être immatériel et ne pas être inscrit dans des contrats, le système salles plus festival physique est une pièce essentielle de l’économie du cinéma et le numérique est incapable d’être une alternative. En tout cas aujourd’hui et demain matin. Après, on verra.

*Alain Le Diberder a été conseiller de Jack Lang pour les médias et les nouvelles technologies, conseiller pour les nouveaux programmes d’Hervé Bourges, PDG de TF1 (1991 à 1994), directeur des nouveaux programmes de Canal+ (2001 à 2010), directeur des programmes d’Arte (2011 à 2017). Il a créé Buzz 2 Buzz qui est une «cabinet d’architecture en nouveaux médias et en internet ». Il a écrit «  La nouvelle économie de l’audiovisuel », publié aux Editions se la Découverte.

Voire aussi son article :

https://alain.le-diberder.com/cinema-aubenas-dabord-los-gatos-plus-tard/

Et l’Editorial du 4 mai :https://siritz.com/editorial/de-la-chronologie-des-medias-au-rapport-boutonnat/