Archive d’étiquettes pour : Netflix

La plateforme Netflix commence à être un acteur important de notre cinéma et de notre audiovisuel. Or, il y a quelques semaines, son principal responsable du département film,  l’américain Scott Stuber, a été remplacé par un nouveau, Dan Lin https://www.allocine.fr/personne/fichepersonne_gen_cpersonne=235737.html.  Stuber a dirigé Netflix pendant sept ans avant d’annoncer son départ. Pendant sa direction il a fait venir à Netflix plusieurs réalisateurs couronnés aux Oscars et on peut considérer qu’il est l’un des principaux responsables de l’évolution de l’audiovisuel vers l’ère de la s-vod et du streaming.

Lin, fils d’un émigré Taïwanais, à 50 ans, a été vice-président en charge de la production chez Warner et a fondé Rideback Productions qui a produit plusieurs séries et films à succès. Il dépendra de Bela Bajaria, le responsable des contenus de Netflix. Il est considéré comme l’un des plus brillants producteurs américains actuels.

Mais ce passage d Stuber à Lin semble devoir s’accompagner d’une profonde transformation de politique du cinéma de la plate-forme. Sous le premier, les budgets étaient élevés et la surveillance relativement légère. C’est lui qui a amené Martin Scorcese ou Jane Campion à travailler pour la plate-forme. Il n’hésitait pas à investir massivement dans les spectacles à effets spéciaux, avec des stars de catégorie A, qui étaient à la fois démolis par la critique et réalisaient de fortes audiences.

Aujourd’hui Netflix envisagerait de réduire significativement le nombre de films produits par an et de mettre l’accent sur la qualité et le contrôle. Cela s’explique aussi par le fait que les grands studios ont fini par accepter de lui louer leurs films. Sur la liste des 10 films les plus vus récemment, 6 proviennent en effet de studios. Netflix reste par ailleurs plus que jamais fidèle à son exigence d’être le premier diffuseur, alors que d’autres plateformes n’écartent pas le sortie salle préalable. Or, cela peut entrainer une difficulté à convaincre les grands réalisateurs, dont la plupart continuent à penser qu’un film est avant tout destiné à un public dans une cinéma.

Le Congrès de le Fédération nationale des Cinémas Français est, chaque année, un des moments importants de la vie du cinéma en France. Son 78 ème exemplaire, qui vient de se tenir à Deauville, la semaine dernière, l’était encore plus que d’habitude.

Tout d’abord parce qu’il a confirmé qu’à peu près partout dans le monde, en 2023, la fréquentation tend à se rapprocher de son niveau d’avant Covid. C’est dû, en grande partie, à la reprise de l’offre de films américains dont la production s’était totalement arrêtée pendant le Covid. Mais pas uniquement. En France, où l’on peut encore espérer atteindre cette année les 200 millions d’entrées d’avant la crise, c’est aussi dû aux succès de la production nationale. En tout cas , on n’a, à ce jour, que 7% de retard sur la moyenne des année 2017/19. Mais, d’autres pays, comme l’Autriche, la Norvège, la Tchéquie ou l’Allemagne font encore mieux dans la reprise. Il est vrai qu’ils sont loin de la fréquentation par habitant de la France.

Mais, bien entendu, partout, à commencer par aux États-Unis, du fait de la grève des comédiens et des scénaristes, on est conscient que l’arrêt de la promotion, donc le décalage des sorties, et, surtout, de la production, des blockbusters de Hollywood, va entraver cette reprise, puis entrainer une nouvelle chute de la fréquentation à partir du deuxième semestre 2024. Et, John Fithian, l’ancien président du NATO (qui représente les exploitants américains), estimait que l’enjeu-notamment l’usage de l’Intelligence artificielle-est suffisamment grave pour que la grève dure au moins jusqu’à la fin de l’année. Néanmoins, les patrons des Studios viennent de marquer la négociation par leur présence  et ont enfin signé un accord avec les scénaristes.Mais la grève des comédiens de se poursuit ce qui continue de bloquer toute production et toute sortie de film.

L’exception culturelle prend racine un peu partout

En fait, la leçon la plus importante du Congrès c’est que, dans un nombre croissant de pays européens, le gouvernement estime que le cinéma-c’est à dire un film dans une salle-est une activité socialement et culturellement indispensable qui justifie un soutien public. L’exception culturelle ne cesse de gagner du terrain. C’est le cas en Espagne et, même en Italie : aller voir un film en salle ça n’a rien à voir avec voir le même film chez soi sur sa télévision ou un ordinateur.

En outre, comme l’a rappelé Tim Richards, le président canadien de Vue Entertainement, l’un des tous premiers réseaux mondiaux de salles de cinéma, présent dans 9 pays, « tous les studios ont compris que vendre directement un film à une plate-forme, sans passer auparavant par une sortie en salle, leur créait un énorme manque à gagner ». Mais il a bien martelé que, à la différence des autres plates-formes, « Netflix n’est pas notre ami », car la plate-forme exige de manière inconditionnelle des exclusivités. Or Netflix domine largement ce nouveau marché. La bataille est donc loin d’être gagnée.

LA MINE D’OR EST DEVENU UN BOULET

Le secteur de l’audiovisuel va devoir revoir entièrement son approche des plates-formes de streaming. Il y a peu, c’était un nouvel eldorado qui allait élargir considérablement son activité. Les plates-formes elles-mêmes semblaient devoir être des mines d’or pour les studios américains.

Or, à ce jour, seule la plate-forme de l’inventeur de ce nouveau service, Netflix, est bénéficiaire. Toutes les autres plateformes des studios sont largement déficitaires.

Le moins que l’on puisse dire c’est que le procès intenté par certains actionnaires à l’ancien PDG du groupe Disney, Bob Chapek, et au groupe lui-même, pour avoir triché sur le nombre des abonnés de sa plate-forme de streaming, Disney +, interpelle. Non seulement les pertes de celle-ci seraient bien supérieures à ce qui était annoncé, mais, pour deux trimestres successifs, ses abonnés auraient chuté, passant de 163 à 158 millions. Or, Disney, par son image auprès des familles et ses capacités de production était, de tous les studios, celui dont la plate-forme semblait la plus à même de rattraper Netflix. En tout cas, les abonnés de ce dernier continuent de progresser, atteignant les 230 millions. De ce fait, l’ensemble du groupe Disney, malgré ses succès dans la production et la distribution, affiche une perte de 659 millions $.

Qu’en sera-t-il alors des plates-formes de Warner, Paramount et Universal ? Si cette diversification se révèle une illusion pour elles qu’en sera-t-il de leur activité de production et de distribution ?

AMAZON, APPLE ET PEUT-ÊTRE GOOGLE ET MICROSOFT

Rappelons qu’en 1948, le décret Paramount avait interdit aux studios d’investir dans les salles de cinéma. Elles s’en sont finalement très bien porté. Or, adoptant la thèse néolibérale selon lequel moins le marché est régulé, mieux il se porte, le  ministère de la justice américain a annoncé qu’il va supprimer cette interdiction.

Mais ce néolibéralisme, qui a sans doute permis aux GAFA américains de devenir les géants de l’économie mondiale, a peut-être introduit le loup dans la bergerie. Ainsi Amazon et Apple ont également leurs plates-formes de S-Vod et vont investir massivement dans la production. Ces groupes ont de bonnes chances de s’imposer, non parce qu’ils sont les meilleurs, mais parce que ces investissements sont une goutte d’eau pour eux et qu’ils ont les moyens de procéder au dumping le plus extrême. Pour Amazon c’est un moyen de promouvoir Amazon Prime qui est la devanture de son gigantesque magasin. Apple a  peut-être une idée de ce type derrière la tête. Et on ne peut exclure que, demain, peut-être Google et Microsoft, pour qui se serait également une goutte d’eau, ne les rejoignent.

Cela permet en tout cas d’être optimiste quand aux perspectives de création, de production et d’emploi. Mais plus forcément avec les mêmes acteurs.

L’industrie du cinéma et de l’audiovisuel n’a pas saisi à quel point les GAFA représentent un énorme potentiel de recettes encore en friche.

Tout d’abord, les plates-formes mondiales de S-Vod ne sont pas tenues de  rendre public le détail de l’audience de chacun de leurs contenus que pourtant elles possèdent : vus, durée, territoires, public, etc… Elles s’engagent parfois contractuellement à en fournir une partie au fournisseur d’un contenu, mais pas de permettre l’accès de tous les professionnels à la totalité de ces informations, à travers un équivalent de Médiamétrie, comme le font les chaînes gratuites. Au contraire, tous les exploitants de salles de cinéma fournissent à Comscore, auxquels peuvent s’abonner les distributeurs et tous les professionnels, leurs entrées (et, aux États-Unis, leur chiffre d’affaires).

Certes, les audiences des chaînes doivent être impérativement fournies aux annonceurs et les entrées des salles aux distributeurs pour négocier les détails de la programmation. Mais ces informations permettent aussi à tous les professionnels d’avoir une idée précise de la valeur économique des contenus et des talents.

Pourtant, cette obligation de fournir toutes les données d’audience des S-Vod existe déjà en Suisse, comme l’a rappelé le distributeur Laurent Dutoit aux journées de l’exportation. https://siritz.com/editorial/exportation-laudiovisuel-plus-important-que-le-cinema/

La France qui s’enorgueillit d’avoir l’écosystème que toute l’Europe nous envie n’a même pas abordé la question. Elle pourrait suivre l’exemple de la Suisse. Mais elle devrait surtout agir pour faire compléter la directive SMA par cette obligation.

Plus important encore est l’absence de régulation sur le marché des réseaux sociaux. Certes, You tube permet de créer des médias audiovisuels qui ont toutes les caractéristiques des chaines de télévisions et des radios. Leur audience est publique ce qui permet d’assoir la facturation aux annonceurs. Et qui permet aussi  à toutes les sociétés gérant les droits voisins de se rémunérer.

Mais Facebook, Twitter, Instagram et autres TikToK constituent de puissants outils de promotion pour les chaines de télévision, les radios, leurs programmes et les films de cinéma. Or, une partie importante de leurs recettes publicitaires est générée par ces contenus et reste du domaine de la jungle.

Les multiples représentants des propriétaires de contenus et des sociétés gérant les droits voisins sont des nains face à ces géants mondiaux. La loi, et, là encore, surtout une directive, devrait obliger ces géants à fournir toutes les informations dont ont besoin les ayants-droits pour assoir une rémunération sur les recettes des réseaux sociaux.

En fait, ces derniers cherchent toujours à se faire passer pour des sociétés de télécommunication qui ne font que transmettre des communications. Alors que ce sont des médias dont les algorithmes permettent de multiplier et d’orienter ces communications et que cette activité enrichie. Dans cette optique, ils doivent être obligés de rémunérer tous les ayants droits en fonction des chiffres d’affaires que ceux-ci leurs permettent de générer.

Avec le même raisonnement, la passionnante  série suédoise « The Playlist » diffusée par Netflix, sur l’histoire de Spotify, raconte comment ce site a sauvé l’industrie de la musique. Mais aujourd’hui il enrichit ses actionnaires, les plus grandes stars de la musique et, surtout, les majors du secteur. Mais la masse des chanteurs et compositeurs, même s’ils ont du succès, ne peuvent vivre des revenus de Spotify ou de ses concurrents, car ceux-ci et les majors leurs affirment qu’être écoutés sur leur site constitue une promotion pour la vente de leurs CD ou de leurs concerts. La série démontre que les pouvoirs publics doivent intervenir pour mettre fin à cet abus de position dominante. https://fr.wikipedia.org/wiki/The_Playlist

 

LES CINÉMAS TIENNENT ET NETFLIX PERD DE SON AVANCE

Aux États-Unis la vie normale commence à reprendre. Alors qu’il n’y a pas eu de soutien de l’État, les salles de cinéma ont plutôt bien résisté. Certes, deux circuits de la Californie du sud, Pacific Theatres et Arclight, ont été liquidés. Mais il s’agit de petits circuits de  17 établissements avec 230 écrans. Au contraire, le premier réseau américain et du monde, AMC, qui possède 8 000 écrans, a trouvé 917 millions $, dont 506 millions $ en augmentation de capital, pour poursuivre son activité. C’est dire qu’il y a des investisseurs pour croire dans l’avenir de la salle de cinéma.

Celles  qui ont réouvert l’ont fait avec des jauges limitées. Surtout, elles ont accepté de perdre leur fenêtre d’exclusivité pour pouvoir diffuser les blockbusters de Warner. Tout d’abord « Wonder woman 1984 ». Puis, surtout, « Godzilla et King-Kong » qui a été diffusé simultanément dans les salles et sur HBO Max. Il a réalisé la première semaine un box-office salle de 80 millions $ aux États-Unis et de 400 millions $ dans le monde. Mais la question de savoir si cette sortie simultanée est seulement liée à la situation de pandémie ou va devenir une pratique définitive n’est pas réglée.

En tout cas, le groupe Disney a passé un accord avec Sony pour diffuser l’ensemble de ses films et de son catalogue sur ses chaînes et sur Disney+. Parmi ces acquisitions il y a les « Spiderman ». Or, pour les films à venir, cet accord respecte la fenêtre d’exclusivité des salles de cinéma.

Ce qui est frappant, c’est que la progression des abonnés de Netflix se ralentit. https://www.letelegramme.fr/multimedia/gueule-de-bois-pour-netflix-apres-une-pandemie-en-or-21-04-2021-12738463.php Ainsi, au troisième trimestre, la progression de ses abonnés est la moitié de ce qu’elle avait prévue. C’est en partie dû au recule de la pandémie et au fait que celle-ci, du fait des restrictions sanitaires de tournages, a moins produit, et donc moins diffusé de nouvelles séries. Mais surtout, son avance par rapport à ses concurrents se réduit. Au contraire, comme on l’a vu, la progression de Disney+ est spectaculaire, bien supérieure à ce que ses dirigeants avaient prévu. Mais c’est vrai aussi des chaînes à péage de Warner . Ainsi, aux États-Unis, au premier trimestre Netflix n’a progressé que de 450 000 abonnés alors que Warner Media, avec HBO et HBO Max, en a gagné 2,7 millions. Au total Netflix a 67 millions d’abonnés, mais les chaînes de Warner, en cumulé, en sont à 44,2 millions. Néanmoins, les dirigeants de Netflix affirment qu’avec la levée des restrictions sanitaire, le renouvellement des séries va s’accélérer.

Amazon prime annonce 200 millions d’abonnés dans le monde. Mais il s’agit d’un abonnement à 50 € par an et les films où les séries ne sont qu’un produit d’appel pour inciter à l’abonnement à cette plateforme de vente pour le principal hypermarché du monde.

En France, les plateformes doivent, pour les films de cinéma, respecter la chronologie des médias. Mais les studios peuvent ne pas du tout sortir leurs films en salle et les diffuser directement sur leurs plateformes. Ils perdraient évidemment les recettes salle et des chaînes à péage. Mais si les pouvoirs publics français leur imposent des obligations trop contraignantes les studios et les plateformes ont cette arme atomique à la leur disposition. https://siritz.com/editorial/la-salle-de-cinema-menacee-de-mort/

 

 

 

 

 

 

 

Siritz : La SACD a signé avec Netflix,  quelques mois après son lancement en France, un contrat similaire à celui avec les chaînes de télévisions, pour la rémunération de ses auteurs.

Pascal Rogard : La particularité de cet accord tient au fait que nous avons communication du nombre de vues de chaque œuvre et que le barème adopté par le conseil d’administration de la SACD prévoit une rémunération en fonction de ces vues.  Evidemment, le barème prévoit une majoration pour les  œuvres inédites, des séries ou des téléfilms, dont la première diffusion est sur Netflix. Ça pourrait être aussi le cas pour les films de cinéma mais, pour le moment, il n’est pas dans la stratégie de Netflix de proposer en première diffusion des films de cinéma, c’est-à-dire des œuvres sorties en salles.

Siritz : Vous avez un moyen de contrôler ces chiffres qu’ils vous fournissent ?

PR : Je ne vois pas quel intérêt ils auraient à nous fournir de faux chiffres. De toute façon, ils nous payent un pourcentage de leur chiffre d’affaires. 

Siritz : C’est leur chiffre d’affaires en France ?

PR : Notre contrat porte sur trois territoires : la France, le Luxembourg et la Belgique. Et pour les autres territoires qui bénéficient du même système qu’en France, comme avec les télévisions, les sociétés d’auteur locales nous reversent les droits en fonction de l’audience des œuvres inscrites à nos répertoires, sauf dans les pays où ils n’existe pas encore un droit à rémunération proportionnelle des auteurs.

Siritz : Mais vous n’avez toujours pas d’accord avec les autres plates-formes, qui diffusent pourtant aussi des œuvres audiovisuelles et des films ?

Amazon Prime et Apple ont des prix de bundle

PR : Effectivement, ni avec Amazon Prime, ni avec Apple. Ni d’ailleurs avec Facebook qui nous répond circulez, il n’y a rien à voir. On n’a pas d’accord non plus avec Disney +, que nous avons contacté avant le lancement de l’offre mais qui n’a pas encore répondu à notre demande d’entamer une négociation. Par contre nous avons a un accord avec YouTube. Il faut comprendre que chaque plateforme a ses particularités mais que certaines cherchent à fuir leurs responsabilités.

Siritz : Mais, avec Amazon, y a-t-il des discussions ou bien refusent-ils   simplement de discuter ?

PR : Si, ils discutent. Mais ils ont comme Apple, des prix de bundle : les films et les œuvres sont un produit d’appel pour vendre une multitude d’autres choses. Certains professionnels critiquent Netflix – de moins en moins d’ailleurs – mais au moins, c’est un pur acteur du marché. 

Amazon vend des tas de choses et le prix d’abonnement à Amazon Prime est un faux prix. Il est la moitié du prix de l’abonnement à Netflix. Pour moi, si l’audience d’une œuvre est la même que sur Netflix, il n’est pas normal que l’auteur touche deux fois moins. Les auteurs ne sont pas là pour vendre les produits entassés dans les entrepôts d’Amazon.

Siritz : Donc la discussion porte sur la valorisation de l’offre de vidéo. 

PR : Pas seulement. Il existe plusieurs autres critères comme le nombre de gens connectés et la durée de connexion. Le véritable problème, que le CNC va aussi connaître pour collecter sa taxe tout comme le CSA pour faire respecter les obligations d’investissement, c’est que le chiffre d’affaires d’Amazon est réalisé sur un prix d’appel pour ses autres activités, comme pour Apple qui veut surtout vendre ses i-Phones. 

Siritz : Mais alors comment fixer un prix ?

PR : Le prix de référence doit clairement être le prix des vrais acteurs du marché comme Netflix ou Disney qui sont de véritables acteurs de notre secteur : on regarde combien Netflix nous verse et cela permet de calculer un minimum garanti par abonné.  Bien entendu, il peut y avoir des variables comme la présence de notre répertoire, mais cette présence augmentera en raison des obligations de la directive européenne.

Siritz : Mais pour l’instant Amazon diffuse des œuvres sans accord. Ils sont donc en infraction parce qu’ils n’ont pas les droits de diffusion.

PR : Pour l’instant les discussions existent, même si j’ai de sérieux doutes sur leur bonne foi. De toute façon, nous ne ferons rien dans l’immédiat car les tribunaux fonctionnent au ralenti. Mais si nous n’aboutissons pas rapidement, si nous ne sortons pas de ces interminables négociations, et dès que la justice se remet en marche, la SACD les assignera et je ne doute pas qu’ils seront condamnés. Presque toutes les négociations sont difficiles. Canal+ avait arrêté de nous payer et ne respectait pas son contrat. Pour les obliger à rémunérer les auteurs j’ai dû les assigner. On a conclu un accord quelques jours avant de passer devant le tribunal. Et là, nous avons encore des problèmes avec eux. Alors que je le dis, Netflix a toujours été d’une correction exemplaire.

Siritz : Le chef de l’Etat,  lors de sa discussion avec les professionnels, a dit que la directive serait en application le 1er janvier. C’est très attendu, ne serait-ce que pour compenser l’inévitable baisse des investissements des chaînes. Mais est-ce que la profession sait ce qu’elle souhaite ? 

Ce qui est compliqué c’est le partager les obligations entre le cinéma et l’audiovisuel

PR : Pas du tout. Ce qui est compliqué c’est de partager, selon les plates-formes, les obligations à l’égard du cinéma et de l’audiovisuel. On peut fixer un pourcentage d’investissement global que les plates-formes vont répartir comme elles veulent. On peut se baser, comme actuellement, sur les consommations. Le cinéma aura alors très peu. On peut aussi fixer, au sein d’un pourcentage global d’investissement un minimum pour le cinéma et un minimum pour les œuvres audiovisuelles.

Siritz : La profession n’avait-elle  pas commencé à discuter ce point essentiel ?

PR : Non, cela devait commencer quand la crise est arrivée. 

Le gouvernement avait nommé deux facilitateurs : Pierre Sellal, l’ancien ambassadeur auprès de l’Union européenne, un grand diplomate expert en négociations, et Florence Philbert, la directrice générale de l’IFCIC, qui connaît très bien le secteur. Mais ce dispositif n’a pas eu le temps de se mettre en place.

Siritz : Une fois réglée cette question de répartition comment tenir les délais ?

PR : On peut, après avoir transposé la directive par une loi ou une ordonnance, laisser la profession négocier, à condition qu’elle se soit mise d’accord sur tous les points. Mais je ne suis pas certain que la négociation par les professionnels soit une garantie du respect de l’intérêt général.

A un moment il faut que quelqu’un tranche

Siritz : N’est-ce pas logiquement à elle de mener cette négociation ?

PR : Si l’on regarde les résultats des dernières négociations, nous sommes contraints de constater que les résultats ne sont pas formidables. Celle avec  Canal+ a abouti à un plafonnement de ses investissements et donc une baisse des financements pour le cinéma.  Sur la chronologie des médias les résultats n’ont pas été extraordinaires non plus. Sinon, le gouvernement et le CSA reprennent la main pour accélérer le processus parce qu’à un moment il faut qu’une autorité tranche, dans la mesure où le cinéma va réclamer sa part du gâteau, l’audiovisuel va demander la sienne et il n’est pas sûr que les demandes des deux soient cohérentes.

Siritz : Et en ce qui concerne la chronologie des média ?

PR : Les plates-formes n’ont pas intérêt à investir dans le cinéma puisqu’elles doivent attendre très longtemps, bien après Canal+, pour diffuser les films. Elles devraient attendre un an de plus que Canal+ et OCS. Il serait logique de faire dépendre le délai, non pas du mode de diffusion, linéaire ou non-linéaire, mais du montant l’investissement fait dans le cinéma en respectant le principe de neutralité technologique.

Siritz : A l’heure actuelle la taxe que paye Netflix au CNC, c’est 5,15% de son chiffre d’affaires, comme les autres chaînes. Mais leur TVA est à 20%, à la différence de Canal+ et OCS qui ont une TVA à 10%.

PR : Effectivement. Des obligations d’investissement fortes devrait conduire à un alignement de leur taux de TVA. On ne peut pas les soumettre à 25% d’obligations d’investissement, limiter leurs droits à 2 ou 3 ans, aligner leur taxe au CNC et les placer après Canal+ et OCS dans la chronologie des médias.  Avec l’actuel chronologie des médias, Canal+ peut passer des films Disney bien avant Disney +. 

Siritz : Mais le gouvernement peut imposer  ces règles par décret en arguant que, à la différence des diffuseurs français, ce sont des diffuseurs mondiaux.

Ne pas risquer de déclencher un conflit commercial avec Trump

PR : Il faut être prudent car ce sont des entreprises américaines. Si on leur impose des règles qui seraient jugées discriminatoires, cela risque de déclencher un conflit commercial avec Donald Trump. C’est là que quelqu’un comme Pierre Sellal, qui connaît bien ces les négociations internationales, est très utile. Il ne faut pas agiter le chiffon rouge devant Washington. Trump ne défend pas spécialement les GAFA, mais il  ne faut pas lui fournir un prétexte pour mettre en cause les réglementations qui protègent la création.

Siritz : Avec Netflix quel est la question la plus sensible ?

PR : Ce n’est pas le pourcentage des investissements. Ils investissent déjà de plus en plus parce qu’ils savent que c’est bon pour leurs abonnements en France et que notre savoir-faire est reconnu dans le monde entier. 

Le sujet ce sont les droits. Leur modèle économique c’est d’investir 120 à 130 % du coût et de prendre tous les droits. C’est le système des majors. En France la production indépendante veut conserver les droits.

Siritz : Mais, donc, il paraît peu probable que le 1er janvier le système soit en place. 

PR : Il n’est pas impossible de tenir les délais. Il faut d’abord transposer la directive par une loi ou une ordonnance. Je ne crois pas que la profession soit capable de se mettre d’accord sur la répartition des investissements entre l’audiovisuel et le cinéma. C’est à la puissance publique  de trancher. On n’a aucun moyen de trancher en regardant la consommation sur Netflix. La plate-forme ne diffuse aucun film inédit. En revanche le cinéma, lui,  doit faire le choix : s’il veut conserver Canal+ comme premier diffuseur du Cinéma, cela bloquera les plates-formes. Le plus simple est que le gouvernement fixe les grandes règles par décret et que le CSA joue son rôle de régulateur.

Pascal Rogard a été secrétaire général de la Chambre syndicale des producteurs et exportateurs à partir de 1981. Il entre également au Comité des industries cinématographiques et audiovisuelles des Communautés européennes (CUCCE) dont il devient secrétaire général. Entre 1989 et 2003 il es délégué général de la société civile des auteurs, réalisateurs, producteurs (ARP) initiée par le réalisateur et producteur Claude Berri. Il devient directeur général de la SACD en 2004.