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Serge Siritzky : L’année dernière vous m’aviez dit que 35 % des projets de Méditalents aboutissaient. Mais on était dans une période particulière avec la Pandémie.  Aujourd’hui à combien en êtes-vous vous ? https://siritz.com/le-carrefour/35-des-projets-de-meditalents-aboutissent/

Didier Boujard : Effectivement. Le problème c’est que l’on a eu les 2 années de pandémie et, naturellement, il y a un certain nombre de projets qui ont dû été reportés. Et puis, il y a eu des fonds d’investissement publics dans différents pays qui ont été supprimés. Par exemple en Algérie. Mais c’est en train d’être remis en place. Donc, du coup, je ne saurais être trop précis. Mais effectivement, entre   les différents ateliers d’écriture et les forums de coproduction, on devrait être autour de 30 à 35% dans les années qui viennent, une fois qu’on aura attrapé le retard.

Les premiers films tournés

SS : Il y avait un projet en tournage et un autre qui allait être tourné.

DB :  Le premier a été tourné. Il s’agit de « Lumière Noire » de Karim Bensalah produit par Oualid Baha, Tact Production, en coproduction avec Les films du Bilboquet. Le film est en post production après avoir reçu le premier prix de Final Cut à Venise. Il sera distribué par Jour de Fête en France, et à l’international par The party film sales.

Le second, « Sirocco or the Pilarica adventure », en tournage, est le film de Yassine Marco Marroccu produit par Eclipse film au Maroc, en coproduction avec Mirage Film en Hongrie.

SS : Cela veut-dire qu’il n’y a pas que des pays de la Méditerranée qui participent à la production.

DB : Oui. Ce film a su trouver des financements hors le pays d’origine du film, le Maroc. C’est le premier film produit dans le cadre de l’accord de coproduction signé entre le Maroc et la Hongrie, ce qui a permis l’accès aux financements hongrois. La plus grosse partie du tournage se passe au Maroc. Mais une partie se passe en Europe, tournée en Hongrie, grâce à la coproduction hongroise.

Les comités de sélection

SS : Est-ce que les comités de sélection pour les différents Labs d’écriture Meditalents et pour le Forum des coproductions sont les mêmes ?

DB : Ce ne sont jamais les mêmes.  Pour le Forum de coproduction par exemple, le jury de sélection était composé de Marianne Dumoulin (JBA Productions, France), de Francesca Duca (Le moindre geste production, Maroc/Italie), Lara Abou Saifan (Productrice libanaise), Marion Berger (Programmatrice du FCAT, Espagne) ainsi que de Nella Banfi et Jean-Christophe Victor pour Meditalents. Pour la sélection du Lab documentaire, le jury de sélection était composé de Reda Benjelloun (Directeur des documenaires sur TV2M, Maroc), Clothilde Bunod (La Société du Sensible, Marseille), Sylvain Meyer (Impala Production, France), et également de Nella Banfi et Jean-Christophe Victor pour Meditalents. Ce sont plutôt des producteurs, comme vous le voyez. Les réalisateurs et les scénaristes sont moins enclins que les producteurs à participer à des jurys de sélection.

SS : Et qui sont les intervenants des ateliers de Meditalents ?

DB : Des scénaristes, des réalisateurs ou des réalisateurs-scénaristes. Ils doivent savoir écouter les cinéastes qu’on reçoit et se projeter dans leur univers avec empathie, sans projeter eux-mêmes ce qu’ils feraient si c’était leur sujet qu’ils devaient développer. C’est le plus gros challenge.  Très souvent on a en effet remarqué que certains avaient tendance à projeter le film qu’ils feraient. Il faut vraiment trouver des personnalités qui ont suffisamment de retrait intérieur pour pouvoir se projeter complètement dans le projet de l’auteur qu’ils ont en face d’eux afin de faire sortir l’essence de ce projet.

Le profil des intervenants

SS : Comment pouvez-vous savoir à l’avance que l’enseignant possède  ce profil ?

DB : C’est l’expérience, au fil des années, qui nous permet de les détecter. Et puis aussi on est en contact avec d’autres ateliers d’écriture et on échange entre nous.  Enfin il y aussi des intervenants pour Méditalents qui ont pu travailler avec tel ou tel autre intervenant sur d’autres ateliers d’écriture et qui nous indiquent qu’il fonctionne très bien, qu’il est à l’écoute des participants et, avec lequel, ils ont très bien travaillé ensemble.

SS : Pouvez-vous donner des exemples de lauréats du Forum de Coproduction en Méditerranée ou de Méditalents ?

DB : Le projet « La Nuit du verre d’eau » de Carlos Chahine, qui avait remporté le prix Région Sud à hauteur de 12 500€ lors du Forum de Coproduction en Méditerranée en 2020, a été tourné et a reçu le Prix du public Midi Libre, une dotation de 2 000€ attribuée par Midi Libre lors du 44ème Cinemed.https://fr.wikipedia.org/wiki/Festival_du_cinéma_méditerranéen_de_Montpellier

Le projet « Aisha can’t fly away anymore » de Morad Mostafa produit par Sawsan Yusuf (Bonanza Films), actuel résident du Lab Med 11, a reçu le premier prix dans le cadre de la Bourse d’aide au développement du 44ème Cinemed à savoir une bourse du CNC d’une valeur de 8 000 € ainsi que 2 500 € en prestations de services pour la post-production dotées par TITRAFILM.

Le projet « À la recherche de Woody », de Sara Shazli, produit par Marianne Khoury (Misr International), résidente du Lab Doc 2, a reçu le deuxième prix dans le cadre de la Bourse d’aide au développement du 44ème Cinemed, à savoir une bourse de 4 000 € dotée par la Région Occitanie et 5 000 € en prestations de service dans le cadre d’une post-production dotée par French Kiss studio et Saraband.

Le dernier Lab Sud

SS : Où en est Méditalents ?

DB : La session du Lab Sud a lieu cette année du 7 au 12 novembre à Marseille, au Couvent de la Compassion. Les 6 auteurs et autrices qui participent à la session sont accompagnés par les deux scénaristes intervenants Laurent Hébert et François Lunel sur l’écriture de leur premier ou deuxième long-métrage de fiction.

Laurent Hébert est auteur, notamment pour le cinéma, l’audiovisuel et le théâtre. Il a participé à la création d’une méthode d’écriture de groupe basée sur le « Creative writing » et les techniques « projectives ». Il a été aussi producteur, programmateur et distributeur de films.

François Lunel est réalisateur https://fr.wikipedia.org/wiki/François_Lunel).

La troisième et dernière session du Lab Doc se tiendra du 12 au 16 décembre au Couvent de la Compassion à Marseille. Les auteurs et autrices ont l’occasion de terminer l’écriture de leur premier ou deuxième long-métrage documentaire accompagnés par les scénaristes intervenantes :

Leila Kilani https://fr.wikipedia.org/wiki/Leïla_Kilani

et Shu Aiello https://fr.wikipedia.org/wiki/Shu_Aiello

Ils suivront également une formation au pitch dispensée par Claire Dixsaut https://www.focus-cinema.com/6559499/dans-le-bureau-de-claire-dixsaut/ et termineront la semaine par un pitch de leurs projets devant des professionnels du cinéma (producteur, diffuseurs, financeurs).

SS : Au dernier Forum des Coproduction auquel j’ai assisté il y  avait 11 projets.  Combien venaient de Méditalents ?

DB :  Il y en avait 4. C’est intéressant car ils ont été sélectionnés à l’unanimité par un jury composé majoritairement de professionnels indépendants de Meditalents.

SS : Le niveau semblait élevé puisque, si un projet a recueilli l’unanimité du jury, celui-ci n’a pu s’empêcher d’attribuer plusieurs prix, ce qui n’était pas prévu.

DB : Effectivement. Et on peut noter que le projet qui a eu le Grand Prix Région Sud -« After Dark », du réalisateur albanais Emerik Bequiri, produit par  le producteur français Olivier Berlement- vient de Méditalents. Il y avait beaucoup de bons projets. Emerik Bequiri, a eu un parcours exemplaire avec « After Dark ». Son Court Métrage « The Van », a été sélectionné à Cannes, où il y a reçu la Palme d’Or du Court Métrage, puis à CINEMED, où il a présenté son projet de Long Métrage dans le cadre du programme « Du court au long ». Il y a gagné le prix qui était la Résidence LabMed Meditalents qu’il a intégrée. Puis il a été sélectionné par la CINEFONDATION, à La Résidence et à l’ATELIER. Puis il a tourné un Court Métrage en Région Sud avec une aide régionale. Puis a été sélectionné au Forum de coproduction en Méditerranée où il gagne le Grand Prix Région Sud.

Les premiers contacts de coproduction

SS : Est-ce qu’au Forum les projets présentés par leur réalisateur et leur producteur ont trouvé des partenaires ?

DB : Il y en a eu 3 ou 4 qui ont trouvé des partenaires avec lesquels ils sont en discussion. Rien ne se signe sur place. Dans le cinéma les choses prennent du temps. Il faut noter, souvent, que pendant toute les phases de montage financier jusqu’au début du tournage, le scénario est modifié, parce que les investisseurs ont des remarques et des exigences.

SS : Vous en êtes où pour les prochains Lab d’écriture Méditalents ?

DB : Nous venons de recevoir les candidatures pour le Lab fiction Longs Métrages méditerranéens, le LabMed 2023. On est en train de former le jury de sélection qui sera composé de huit professionnels, dont un ou deux de Meditalents.

Je voudrais ajouter qu’ayant abandonné mes fonctions de Directeur de Meditalents pour devenir président de l’association, celle-ci a engagé Soukaina Sentissi pour en être sa déléguée Générale. Soukaina Sentissi avait auparavant collaboré à l’administration de l’association et à la mise en œuvre de ses programmes. Sa connaissance acquise de ce que nous sommes lui a permis de prendre rapidement la mesure de la tâche et a pu organiser avec maitrise le Forum de coproduction en Méditerranée.

UN PROJET DE FILM ALBANAIS SE DÉTACHE

La 4ème édition du Forum de coproduction en Méditerranée a eu lieu la semaine dernière à Marseille. https://siritz.com/financine/forum-de-coproduction-en-mediterranee/

Il s’agit, pour les réalisateurs et producteurs de projets de films du bassin Méditerranéen, de venir faire leur pitch et de trouver les coproducteurs qu’il leur manquent pour monter leur financement. En outre un jury de professionnels couronne un projet qui recevra un prix de 20 000 € de la Région Sud  tandis le prestataire de la région sud,Label 42 Studio, offre de son côté 3 jours de post-production.

Comme le notait déjà l’année dernière, la présidente du Forum, la productrice Nelly Banfi, le niveau des projets ne cesse d’augmenter. https://siritz.com/le-carrefour/nella-banfi-on-va-vers-lexcellence/

C’est en partie dû à l’action de Méditalents qui organise des ateliers d’écriture  pour les auteurs du bassin méditerranéen  et que dirige Didier Boujard. https://siritz.com/le-carrefour/35-des-projets-de-meditalents-aboutissent/

Cette année le niveau des projets était élevé et plusieurs d’entre eux semblaient particulièrement intéressants, avec une résonnance universel. A tel point que le jury a distribué 3 prix au nom de Sud Région.

Ainsi, un prix du documentaire de 5 000 € a été attribué au projet palestinien, du réalisateurs Amer Shomali et au producteur Rashid Abdel Hamid «Theft of fire ». Moshe Dayan est un grand général et c’est aussi un grand archéologue. Mais il fouille en terrain palestinien occupé et, en quelques sorte, vole les traces de l’histoire du peuple palestinien, donc de son existence. Le film est l’histoire reconstituée du vol dans un musée israélien, ou de la récupération, par les Palestiniens, de ces antiquités.

Le projet tunisien, « Entre ciel et terre », réalisé par Nadia Raïs et produit par Sarra Ben Hassen, a obtenu une mention spéciale de la Région. En 2013, dans le Sud d’Alep, une horde d’extrémiste décapite la statue du poète syrien du onzième sicle Al-Ma’arri, reconnu comme un libre penseur et comme une personnalité indépendante. des pouvoirs politiques et religieux de son époque. En signe de résistance, Amal, une jeune artiste contemporaine, s’engage à créer une œuvre artistique pour que ce poète y retrouve refuge. Elle adapte l’une des œuvres majeures du poète, « L’épitre du pardon », en un film d’animation.

Olivier Berlemont et Emerik Bequiri

Le prix du jury de 15 000 € et le prix de Label 42 studio ont été accordés au projet du réalisateur Albanais Emerik Bequiri  et du producteur français Olivier Berlemont « After Dark ».  Tom et Anna son amoureux. Lui vit chez son père et elle vit la nuit, livrant des repas. En fait elle vit avec sa communauté qui se nourrit de sang humain. Pas de sang pris en suçant le cou des humains, mais en achetant des prises de sang. Et elle travaille la nuit, parce qu’elle ne supporte pas la lumière du jour. Tom va-t-il révéler la vérité à son père ?

Parmi les films qui n’ont pas eu de prix, deux films marocains ont marqué. Tout d’abord « Larob » réalisé par Karim Boukhari et produit par Aadel Essaadani. «

Malika a 40 ans. Elle vit de contrefaçons,  en achetant des produits chinois bon marché et en les transformant en produits de luxe français. C’est gravement puni. Elle est séparée de son mari et ça se passe mal. Elle veut avorter au plus vite,mais, au Maroc, c’est interdit. Le soir elle est barmaid et le patron lui fait des avances de plus en plus insistantes et dégradantes. « Larob » veut dire presque en arabe. Malika vit sur le fil du rasoir, y arrivant « presque ». a l’image du Maroc où tout est presque.

Un autre sujet Marocain, le documentaire « Bahl chi l’oiseau » du réalisateur El Mahdi Lyoubi produit par Hicham Falah, qui raconte le parcours d’obstacle d’une troupe de cirque urbain, mêlant théâtre engagé et acrobaties urbaines.

Siritz.com : Méditalents ce sont des ateliers d’écritures pour les auteurs du bassin méditerranéen. http://meditalents.net Comment les avez-vous financés? https://siritz.com/editorial/foisonnement-de-projets-prometteurs/

Didier Boujard : Au début, quand on visait uniquement les courts-métrages, par la chaîne CFI et par le Centre cinématographique Marocain. Quand on est passé au long métrage, CFI ne pouvait plus nous soutenir, le CNC a alors augmenté son soutien. Mais, le plus important c’est que les pays d’accueil (après le Maroc, l’Algérie, le Liban, etc…) prenaient en charge l’hébergement, les repas et même les voyages.

Siritz.com : Mais maintenant c’est à Marseille.

DB : J’ai proposé à la région Paca qu’il y ait deux pôles : Marseille et Ouarzazate au Maroc. Et la région Paca a commencé à nous aider de plus en plus, ainsi que la ville. Au début Méditalents c’était des ateliers d’écriture qui se consacraient au développement des projets, avec trois sessions par an. Mais, très vite je leur ai proposé de faire le Forum des coproductions. Pour que les projets trouvent des producteurs et se fassent. Et Muselier voulait développer les contacts méditerranéens et, notamment, l’accueil de productions étrangères. L’Institut français c’est associé à la région.

Siritz.com : Comment fonctionnent les ateliers d’écriture ?

DB : Au début ils ne concernaient que la fiction. On fait un appel à projet et on en prend 8 du pourtour Méditerranéen et de la Région Paca. On les reçoit trois fois 6 jours, avec en plus deux entretiens entre les sessions. Le but est d’aider le scénariste à sortir ce qu’il a dans le ventre et pas de lui faire faire ce que l’on croit être bon pour le marché : qu’est-ce que tu veux dire, voilà ce qui fonctionne et ce qui ne fonctionne pas, quelles portes pourraient s’ouvrir. C’est pourquoi les auteurs reviennent.

Siritz.com : Qui choisit les projets ?

DB : Un comité de sélection qui change chaque année, mais avec des membres qui peuvent revenir. Les producteurs aiment y venir parce qu’ils trouvent des projets intéressants, qu’ils suivent à Méditalents et qu’ils y signent souvent. Et on a en outre deux intervenants scénaristes.

Siritz.com : Au bout des trois sessions à quoi aboutit-on ?

DB : En général à un premier jet, qui a une structure, une identité, avec une vision et qui est prêt à aller chercher un producteur s’il n’y en a pas déjà un. Et chercher des aides au développement. Parce qu’en moyenne un développement complet c’est trois ans. D’où l’idée de créer un Forum des coproductions pour que tous ceux passés par Méditalents puissent être candidats. Cette année on a deux projets sur onze qui viennent de Méditalents. Et puis, c’est une occasion de rencontres entre auteurs et producteurs de la Méditerranée, éventuellement pour monter d’autres projets. Si on n’était pas en confinement on aurait fait venir le double de personnes. Cette année 6 ou 7 sont venus en plus de ceux qui présentent les projets. En période normale c’est une quinzaine.

Siritz.com : Où en sont les projets des deux premières années ?

Un projet du Forum déjà tourné, un va l’être en septembre

DB : Du premier Forum un projet est déjà tourné et de celui de l’année dernière un autre va débuter son tournage en septembre.

Siritz.com : Vous donnez des prix.

DB : Il y a un prix de la Région Sud de 20 000 € en général coupé en un prix fiction et un prix documentaire. Puis il y a le prix du Label 42 Studio qui offre 3 jours de post-production dans la région.

Siritz.com : Depuis que Méditalents existe est-ce qu’on peut tirer une statistique du pourcentage qui débouchent sur une production effective ?

DB : De l’ordre de 30 à 35%. Cela varie énormément selon les années. L’année de « Un fils » de Mehdi Barsaoui, 80% des projets sont devenus des films. D’autres années il n’y en a eu qu’un seul.

Siritz.com : Depuis le début peut-on dégager une évolution du type de projets ?

DB : Il y a beaucoup de sujets de  sociétés et des problèmes qu’elles rencontrent. Ce qu’on voit aussi c’est qu’il y a des pays qui travaillent plus que d’autres. Et il y a des pays avec lesquels la coproduction est plus difficile, comme l’Égypte.

Siritz.com : Pourquoi ?

DB : Parce qu’ils ont un cinéma extrêmement bavard. C’est vraiment Oum Khalsoum : la tragédie, le théâtre. A part pour quelques amateurs de ce type de cinéma, ça ne fait pas d’entrées hors de l’Égypte. Mais il y a des exceptions et certains veulent vraiment faire des coproductions internationales. Et, alors, ils travaillent leurs scénarios à l’européenne ou à l’anglo-saxonne, avec peu de dialogues. Mais, du coup, leurs films ne marchent pas en Égypte. Alors qu’un film Tunisien marche aussi bien en Tunisie qu’en France. Parce qu’entre le Maghreb et la Méditerranée du sud les gens bougent beaucoup. Et les télévisions françaises, italiennes ou espagnoles sont regardées de l’autre côté de la Méditerranée. Et beaucoup de chaînes américaines sont également captées. En Égypte c’est beaucoup plus les chaînes arabes.

Siritz.com : La Turquie semble un important pays producteur.

DB : Ils ont un cinéma très fort. Beaucoup de séries. Leurs séries inondent tout le Moyen-Orient et le monde arabe.

Siritz.com : Et ils ont un type de création ?

DB : C’est plus à l’européenne. Toute la bourgeoisie turque est très proche de l’Europe. Au contraire, à l’intérieur du pays, il y a un monde traditionnel qui génère un cinéma qui exprime cette tradition et n’a pas beaucoup évolué par rapport aux films produits par Marin Karmitz et qui montraient un monde très loin de nous. Où on y tuait sa soeur parce qu’elle avait fauté.

Siritz.com : On le voit dans les élections : Istanbul vote contre le gouvernement.

DB : Les auteurs et les producteurs avec lesquels on est en relation pourraient tous être aussi bien français ou italiens. Et, au niveau de l’écriture, on parle la même langue. Au Maroc c’est la même chose, entre la bourgeoisie des grandes villes et le monde de la campagne et des petites villes. Au Maroc il y a un énorme illettrisme. C’est pourquoi il y a d’énormes différences entre certaines séries et les films qui marchent chez nous.

Siritz.com : Est-ce qu’au fil des années on note des tendances marquantes.

Ceux qui viennent ici se constituent un réseau

DB : Ceux qui se rencontrent ici restent en contact et se constituent en réseau. Et puis, dans un premier film, on parle de soi. De soi, dans sa société, de ce qu’on vit.

Siritz.com : Le confinement ne va-t-il pas élargir vos participants ? Puisque cette année, certains n’ont pu participer, mais ils y sont parvenus, que par vidéo-conférence. C’est évidemment moins cher.

DB : Mais pour les sessions sur l’écriture il se passe beaucoup moins de chose en vidéoconférence. En présence, le corps parle.

Siritz.com : Mais pour les pitchs de production, beaucoup plus de producteurs peuvent y assister.

DB : Évidemment. L’objet de Méditalents c’est la connaissance des uns et des autres, en Méditerranée, mais aussi dans le monde par ce que la Méditerranée est un centre de civilisations, par le cinéma. Pour l’écriture, le grand enjeu c’est la connaissance des codes. Notamment les ateliers d’écritures visent, entre autres, à faire comprendre les codes d’un autre pays aux spectateurs. Pour que le spectateur comprenne mieux la société dont parle le film et les problématiques des personnages.  Cela permet de montrer qu’ailleurs ne correspond pas forcément à l’idée qu’on en a à travers les infos.

Siritz.com : Nella Banfi est présidente du Forum des coproductions. https://siritz.com/le-carrefour/nella-banfi-on-va-vers-lexcellence/

DB : Elle a commencé à participer aux ateliers en 2014/15.  Quand on a créé le Forum c’est tout naturellement qu’elle est devenue présidente.

Siritz.com : Comme définir Méditalents et le Forum des coproductions. https://siritz.com/editorial/foisonnement-de-projets-prometteurs/

Nella Banfi : Méditalents c’est un lieu d’expertise sur l’écriture : les labs sur la fiction et les labs sur le doc. Le Forum des coproductions semblait tout à fait complémentaire : d’abord avoir un bon scénario pour un producteur, ensuite trouver un coproducteur.

Siritz.com : En trois ans avez-vous constaté une évolution ?

NB : En trois ans c’est difficile à dire. Mais je pense que, de plus en plus on va vers l’excellence. On le voit avec les projets de cette année. On a de vrais critères de sélection. Il se trouve que Didier et moi savons lire. Et puis c’est un vrai bonheur pour nous.

Siritz.com : Est-ce que la Méditerranée a une véritable identité culturelle ?

NB : La Méditerranée c’est un territoire, un territoire à part, qui est fédéré par ce truc bleu qui est au milieu, un dénominateur commun qui apporte une forme de lumière, un mode de vie. Ca fédère sans même qu’on en parle. Naturellement.

Siritz.com : Y-at-il un cinéma de la Méditerranée ?

NB : Oui. Sur la lumière, le choix de sujets, une forme d’humanisme. Mais ça n’est pas explicite. C’est comme ça.

Siritz.com : Ce qui est frappant sur les projets de cette année c’est qu’ils sont à la fois très ancrés sur la culture de leur pays et très universels.

NB : Quand on fait une sélection, on la fait d’abord sur la qualité du texte, puis, après, on essaye de faire des équilibres géopolitiques.

Siritz.com : Ce qui est également notable c’est que les budgets sont très très bas comparés à ceux d’un pays comme la France.

NB : La Méditerranée est pauvre. Les salaires sont très bas. Même le sud de l’Europe. Mais elle est inventive. Et ce ne sont pas des films au rabais. Toute la jeune génération est une génération du digital et elle est capable de faire des choses de grande qualité avec de petits budgets.

Siritz.com : Est-ce que le Forum est une caisse de résonnance qui touche des producteurs qui n’y viennent pas, par le bouche-à-oreille ?

NB : Tout à fait. Désormais il y a un tam-tam qui part d’ici. D’autant plus que le cinéma c’est un tout petit milieu. Dans les labs nous considérons que tous les gens qui sont là sont nos ambassadeurs. Maintenant Méditalents a 10 ans, c’est un véritable réseau et on lui envoie toutes nos infos. Notre crédo et mon expérience en tant que productrice est que tout est toujours possible. Là où il y a un problème il y a une solution.

Au 3ème Forum des Coproductions en Méditerranée

Il vient de se tenir au Mucem à Marseille et a tenu toutes ses promesses. Sur 80 projets envoyé en provenance de tous les pays du bassin méditerranéen, 11 avaient été sélectionnés et y ont été présentés. https://siritz.com/cinescoop/venez-a-meditalents-a-marseille/

Cette année, le fait marquant c’est que  la plupart d’entre eux étaient très intéressants. http://meditalents.net/wp-content/uploads/2021/05/Forum-2021-Projets.pdf

L’idée de base de cette manifestation est que les pays Méditerranéens sont très divers mais appartiennent à une civilisation commune.

A titre d’exemple, réalisé par Mohamed Samir, le projet de comédie « Comme un coq en pâte » a potentiellement la force d’une « Grande bouffe » égyptienne. Il se passe dans une maison au Caire. Une mère possessive de 70 ans  a couvé son fils pendant toute sa vie, le tenant éloigné des tentations du monde extérieur. A plus de 45 ans, il n’a pratiquement pas quitté la maison. Il est gros et gras, ignorant de ce qui se passe dehors. Mais la mère sent qu’elle est devenue vieille et qu’un jour prochain elle ne sera pas là pour couver son fils. Elle va donc lui chercher une épouse qui sera sa future mère couveuse. Elle lui en trouve une. Mais peu après les présentations éclate la Révolution. Le fils sort pour voir ce qui se passe et découvre un mouvement qui exprime sa propre révolte contre le joug. Le pouf va devenir un meneur de la Révolution.

Mohamed Samir

Le film est produit par Marwa Abdalla (marwa.daydream@gmail.com) et a déjà un coproducteur français, Claire Chassagne de Dolce vita films (claire@dolcevita-films.com. Et il n’a qu’un budget de 500 000 €. A l’issue du Forum il a remporté le prix de la fiction.

Un autre projet égyptien semble très original, la comédie dramatique, également égyptienne, très prometteuse, « Yalla ! ». Une mère, Bella, qui a 58 ans, organise un voyage en car à travers l’Égypte avec toutes ses amies d’enfance du Caire, du temps où elles étaient élèves de la même école française. Elle convainc son fils Tarek (36 ans) de les accompagner pour les filmer. Or, en dansant, chantant, buvant des révélations sortent, une révélation en entrainant une autre, y compris sur la sexualité de ces femmes ou de leur époux. Puis Tarak va se rendre compte que sa mère est atteinte d’un cancer fatal. Enfin il a lui-même une expérience homosexuelle avec le chauffeur du car.

Le film est réalisé par l’égyptien Tanner Ruggli et a un producteur suisse, Samir@dvfilm.ch. Le budget du film qui mêlera français et arabe est de 2,5 millions €. Samir cherche une coproduction avec la France et l’Égypte, ce qui déclencherait les aides franco-égyptiennes.

« Le poisson et le pistolet » aborde, un peu sous forme de fable, le sujet d’actualité de l’identité des jeunes issus de l’immigration algérienne. Pendant la guerre, d’Algérie deux amis choisissent des camps opposés : le FLN et les harkis. En France, deux générations plus tard, la petite fille de l’un croise, à Lyon, le petit-fils de l’autre. Finalement, ils vont à la fois assumer leur héritage et aider leurs pères à se réconcilier. Le film est réalisé par Sliman Bounia qui, jusqu’ici avait à son actifs des court-métrages primés et des documentaires. Il est produit par Jérémie Chevret, de Duno Films (jeremie@dunofilms.fr), installé à Lyon. Le budget est de 1,5 millions €.

Plusieurs documentaires marquants ont été présentés. Par exemple, « Écume » sur un sujet très important pour la société française : un centre d’éducation renforcée à Port-Vendre pour des délinquants mineurs. L’objectif est, notamment, en leur donnant la passion d’un sport ou d’un instrument de musique, de véritablement les insérer dans la vie. Mais, comme on le sait, le gouvernement envisage de fermer ces centres, optant pour le tout répressif, argument porteur électoralement, mais condamnant ces jeunes à être toute leur vie des délinquants.

Le film est réalisé par Julie Conte qui mène à la fois une carrière de direction de la photo en fiction et de réalisatrice de documentaires. Il est produit par Chantal Marchon de Videka Production (videka@wanadoo.fr). Il a obtenu le prix documentaire du Forum.

Autre documentaire au sujet  très fort, « Souffle », aborde la question de la « surpêche » en Méditerranée dont les ressources sont limitées. Les conséquences de celle-ci vont être catastrophiques pour toute la Méditerranée, son environnement et son économie. C’est le premier long métrage d’Illaria Congiu. Il est produit par l’italien Francesco Lattarulo (francesco@mediterraneocinématographica.it) qui cherche un coproducteur français qui apporterait la post-production.

A noter que la région Paca, cherche à développer la post-production sur son territoire. Label 42 Studio a attribué un prix de trois jours de post-production gratuite au projet de fiction tunisienne « Tunis-Djerba » qui a également suscité beaucoup d’intérêt. Il est réalisé par Ammel Guellaty et a déjà une coproduction tunisienne (asmachiboub@yahoo.com) et marocaine (karim@hautlesmainsproductions.fr).

Ces cinq projets sont représentatifs de l’ensemble. Mais il est conseilléde consulter le document de présentation de l’ensemble des projets, car tous sont très intéressants. http://meditalent.net/wp-content/uploads/2021/05/Forum-2021-Projets.pdf

D’une manière générale, ce qui ressort de ces 11 projets c’est à la fois leur fort ancrage dans leur pays originaire et leur universalité.