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Les organisations professionnelles du cinéma (Blic, Bloc et ARP) viennent de signer un accord historique avec le service de S-vod Disney +. Celui-ci va passer ses investissements dans les films de cinéma et les œuvres audiovisuelles français de 20 à 25% de son chiffre d’affaires. Son investissement annuel dans l’acquisition de films français va être multiplié par 2,4, passant de 17 millions € en 2024 à 38 millions €. Et, les 70 films qui seront désormais acquis par an respecteront des règles de diversification de budget et de genre. En contrepartie, Disney + ne diffusera plus les films 17 mois après leur sortie en salle mais seulement 9 mois.
Chez le groupe Canal + c’est évidemment la consternation et la colère. Lui qui a, en effet, avait acquis un quasi-monopole sur les chaînes à péage en France, a toujours été, avant tout le groupe de « la » chaîne (Canal +) et « des » chaînes (OCS et Ciné +) du cinéma en France. A cette fin il investit chaque année 220 millions € dans le préachat de films français. A noter que l’ensemble des chaînes et services de S- vod a investi en 2023 383 millions € dans le préfinancement des films français, dont une partie en tant que coproducteur, (donc avec un partage des recettes), soit 34% de l’ensemble des sources de financement. Les chaînes du groupe Canal ont donc à elles seules investi 58% de cette somme et uniquement en préachat.
Selon Cinefinances-info*, en 2024 , Canal + et OCS ont pré-acheté 96 films, ces pré-achats étant presque toujours complétés par des pré-achats de Ciné+. Et il faut ajouter à cette liste ceux que Ciné+ avait acheté seul. A titre d’exemple, pour le préachat du « Comte de Monte-Cristo » Canal + a mis 3 424 000 € et Ciné + 321 000 €. https://siritz.com/cinescoop/et-de-trois-alexandre-dumas/ C’est presqu’autant que la totalité de ce que Disney + s’engage désormais à investir. Mais Canal+ a investi aussi dans de nombreux films à budget moyen et même 120 000 € dans « Highway 65 », la coproduction franco-israélienne de Maya Dreifuss, dont le budget est de 1 million €.
En contrepartie de ces énormes investissements, Canal + avait, au fil des années, obtenu une fenêtre dans la chronologie de diffusion des films de 6 mois après la sortie en salle. Et, soudain, Canal découvre qu’avec un engagement annuel de 38 millions €, soit 17 % du sien, la fenêtre de Disney + ne se situe plus que 3 mois après la sienne.
Le cinéma s’offre-il l’occasion, comme le suggère Caroline Sallè, dans Le Figaro, de « renforcer la concurrence entre diffuseurs audiovisuels payants et de réduire sa dépendance à l’égard de Canal + ? » Cela suppose que Canal+ se doit de rester « la » chaîne du cinéma qu’elle est.
Mais le même article du Figaro rappelle que, jusqu’en 2018, la retransmission des matchs de la Ligue 1 de foot-ball était l’autre moteur des abonnements de Canal+. La Ligue Française Professionnelle  avait alors pensé augmenter ses recettes en transférant ses droits au diffuseur à péage sino-espagnol Médiapro qui avait renchérit à 1,1 milliards €. La chaîne cryptée aurait pu couler. Or, elle a réussi à se « désensibiliser » du foot-ball français, en re-configurant entièrement son offre de sport grâce à la Champion’s league européenne de foot-ball, au championnat de foot-ball anglais, au Top 14 de rugby, à la Formule 1de course automobile.  Mediapro a disparu et les droits de la LFP que diffusent désormais DAZN et BeIn sport, sont tombés à 500 millions €. La LFP est financièrement en difficulté.
Selon son président, Maxime Saada, lors d’une audition au Sénat, Canal + serait en train d’étudier un retournement aussi spectaculaire avec le cinéma. Ses apports annuels pourraient très vite être réduit de 50 millions € en transformant le chaîne Canal+ en deux chaînes, une chaîne avec cinéma et une chaîne avec sport. En outre, n’oublions pas que la chaîne a décidé de quitter la TNT et se positionne désormais comme une plate-forme internationale avec plus de 22 millions d’abonnés. De toute façon elle doit se reconfigurer. Peut-être Maxime Saada bluff-t-il. Mais s’il ne bluff pas ….

Mais alors que l’on suit les réactions de Canal+, une autre plate-forme, Netflix, qui est le principal concurrent de Disney+,  va probablement réagir. Sa fenêtre se trouve à 15 mois, donc, désormais, largement derrière Disney+.  Or, il a investi 17,3 millions € dans le pré-achat des films français sortis en 2024. Il a notamment  préacheté « Les chèvres » 6 millions €, https://siritz.com/?s=Les+chèvres&cat=cinescoop« Chien & chat » pour 4,575 millions €, https://siritz.com/cinescoop/a-la-fois-live-et-animation/ , « Bolero le Mystère Ravel » pour 2,5 millions € https://siritz.com/cinescoop/vers-un-nouveau-succes-du-bolero-au-cinema/.Il serait étonnant qu’il ne cherche pas à, au moins, avancer sa fenêtre à 9 mois, en échange d’une augmentation de ses investissements. Les 50 millions de baisse de Canal+ pourraient alors être pratiquement compensés.

En tout cas, le cinéma a passé cet accord audacieux et risqué avec Disney au moment où l’État a diminué de 200 millions € son apport à France télévisions et où les recettes publicitaires de toutes les chaînes en clair reculent. Leurs investissements  dans les oeuvres, et, notamment le cinéma, tout comme leur contribution au compte de soutien, vont donc également reculer. Le cinéma français a pris des couleurs 2024. Ses films risquent d’être  plus difficiles à financer en 2025.

*www.Cinefinances.info est un site, accessible par abonnement, destiné aux professionnels du cinéma.  Il publie le budget, le plan de financement et la répartition des recettes de tous les films français qui sortent (hors les films « sauvages » qui ne déposent pas leurs contrats au registre public et ne demandent donc pas l’agrément qui leur permettrait d’accéder à l’aide du CNC). Il dispose d’un puissant moteur de recherche multicritères et de 15 ans d’archives.

QUI BLUFF ?

L’inclusion des plateformes internationales dans notre régulation donne lieu à une véritable partie de poker. Celles-ci grignotent petit à petit l’audience des chaînes françaises. Il est donc non seulement justifié mais également vitale de les soumettre aux obligations d’investissement dans les œuvres européennes et d’expression originale françaises et qu’elles alimentent le compte de soutien.

Mais ce projet pose deux problèmes de taille. Tout d’abord ces plateformes devraient investir 25% de leur chiffre d’affaires en France dans les oeuvres européennes ou d’expression originale française, dont 20%, soit 5% de leur chiffre d’affaires, dans les films de cinéma. Dans ce cas, elles pourraient diffuser ces films 12 mois après leur sortie en salle contre 36 mois actuellement. Mais, comme on le sait, ces 5% qu’on leur demande de financer et de diffuser représente sensiblement plus que ce que leur public semble attendre. Car ce public semble avant tout friand de séries.

Mais, à ce stade, les professionnels du cinéma et les pouvoirs publics ont l’intention de tenir bon. Seulement, apparait alors un second problème, celui  de la chronologie des médias. En effet, la fenêtre de Canal+, qui doit actuellement investir 12,5% de son chiffre d’affaires dans le pré-achat de films français, se situe à 8 mois, avec des dérogations à 6 mois. La chaîne estime qu’une priorité sur les plateformes de seulement 4 mois après la sortie en salle pour deux fois-et-demi plus d’investissement n’est pas sérieux et réclame d’avancer sa fenêtre de 4 mois et de passer les films seulement 4 mois après la sortie en salle, avec des dérogations à 3 mois. Ce que tous les exploitants, et la plupart des distributeurs et des producteurs refusent formellement.

Maxime Saada, le président du directoire du groupe Canal+ vient de suggérer, dans un interview au Figaro, que s’il n’obtenait pas satisfaction sa chaîne changerait de statut et opterait pour le statut de plateforme. Les professionnels du cinéma estiment que c’est du bluff car les obligations d’investissement de Canal+ passeraient de 16,5 % à 20 ou 25% et sa tva de 10 à 20 %. Donc ces dépenses doubleraient.  Mais Canal+ pourrait économiser la location de son réseau TNT en faisant basculer sans trop de problèmes la plupart de ses abonnés TNT sur la réception internet. https://www.lefigaro.fr/medias/l-ultimatum-de-canal-au-cinema-francais-20210525

Surtout, Maxime Saada affirme, sans doute à juste titre, que le film de cinéma français n’est plus du tout un produit d’appel de la chaîne. Et que ce sont encore les films américains et désormais les séries qui le sont. Donc, ce basculement amènerait un doublement des dépenses de la chaîne mais une multiplication par quatre des investissements de Canal+ dans le produit phare. Encore faut-il être en mesure de multiplier par quatre les commandes de  séries de la qualité du « Bureau des légendes » ou d’« Engrenage ».

Ce serait évidemment un virage risqué pour le groupe. Mais ce serait pour le cinéma une véritable catastrophe pour le cinéma français car Canal+ est, de loin, la principale source de financement de ses films. https://siritz.com/editorial/plateformes-des-enjeux-contradictoires/