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LE DÉCRET SMAD VA CREUSER UN PEU PLUS SA TOMBE

Les décrets SMAD, qui vont obliger la S-VoD à financer le cinéma français, ne sont pas encore totalement au point. La pierre d’achoppement porte sur la chronologie des médias. Mais cette question cache le problème de fonds qui est celui de la nature même de notre cinéma.

Au stade actuel du projet la salle de cinéma conserve son exclusivité de 4 mois. Car, les exploitants, ont réussi à faire reconnaitre que le cinéma c’est un film en salle. Au Congrès de la FNCF, François Aymé, le président de l’AFCA, a bien rappelé que si, dans notre pays, nos statistiques professionnelles publient le nombre d’entrées et non le chiffre d’affaires, c’est que le cinéma en salle à un rôle essentiel dans la vie de notre cité. Ce n’est pas seulement une activité économique, mais il a un rôle culturel et social. https://siritz.com/editorial/cinema-entre-optimisme-et-colere/

A ce stade des négociations la S-VoD a trouvé sa place entre Canal+ et les chaînes hertziennes gratuites. Mais celles-ci exigent que, quand elles diffusent un film qu’elles ont préfinancé, la plateforme de S-VoD qui l’a également diffusé cesse de le diffuser. Ce que ces dernières refusent. Surtout Walt Disney, qui menace, si cette règle est appliquée, de ne pas diffuser ses films dans les salles françaises, mais directement sur sa plateforme. Et, au Congrès, comme expliqué dans l’article cité, pour bien montrer ce que cela signifierait, le Studio n’a présenté aucun film de 2022. Ce serait bien entendu, une catastrophe pour le cinéma français.https://www.lesnumeriques.com/vie-du-net/disney-met-un-enorme-coup-de-pression-sur-la-chronologie-des-medias-n168751.html

Beaucoup pensent que c’est du bluff, car, même si cela permettrait d’augmenter les abonnements de la plateforme, ce serait une perte sèche pour le studio. C’est en effet ce qu’ont montré les deux types d’expérience : proposer le film à 30 € à ceux qui sont abonnés à Disney+. Où l’inclure sans supplément dans leurs programmes. Aux États-Unis, mais aussi en France cela ferait perdre des millions € à Disney. En outre, c’est la sortie en salle qui assure la promotion d’un film et crée sa valeur.

Néanmoins Disney dispose d’une autre arme. Il lui suffirait de pré-acheter  les plus importants films français, à un prix supérieur au cumul de ce prix et de l’apport habituel d’une chaîne en clair, mais à condition que le producteur ne vende pas son film à une chaîne en clair. Ce serait une catastrophe pour les nos grandes chaînes en clair qui devraient se contenter des films à faible potentiel commercial.

En fait, cette bataille des quotas soulève un problème de fonds : alors que le film de cinéma est bien celui qui est conçu pour que le public se déplace en salle, le financement du film français repose que minoritairement sur les entrées en salle et très majoritairement sur le visionnement d’un téléspectateur, assis dans son fauteuil, chez lui.

A titre d’exemple, selon Cinéfinances.info*, pour « Eugénie Grandet », qui vient de sortir cette semaine, dont le budget prévisionnel est 3,5 millions €, le minimum garanti du distributeur pour la salle en France est de 61 000 €, alors que l’apport de la télévision est de 1 millions. De même, pour « Les Intranquiles », dont le budget est de 4,2 millions, le minimum garanti du distributeur est 100 000 € alors que l’apport de la télévision est de 460 000 €.

Or, à la différence du distributeur qui pense pouvoir amortir son investissement par les recettes salle, la télévision est obligée d’investir un certain pourcentage de son chiffre d’affaires dans des films de cinéma français et européens. Et le film de cinéma est un programme qui fait de moins en moins d’audience.

L’insertion des plateformes dans ces sources de financement obligatoires va aggraver ce déséquilibre qui devient une aberration, car celles-ci ont besoin de très peu de films et que les chaînes en ont de moins en moins besoin. Les producteurs de cinéma produisent de moins en moins pour le cinéma, c’est à dire pour le succès en salle et, de plus en plus, pour décrocher le financement  imposé aux éditeurs de plus en plus réticent du petit écran.

A l’inverse, les Studios américains privilégient les blockbusters, qui mettent en valeur le spectacle en salle, créent l’évènement et attirent les jeunes. Et leurs films rassemblent 55% de nos entrées. Les plateformes les veulent parce qu’ils ont créé l’évènement.

Les producteurs français croient avoir remporté une victoire. Ils sont en train de creuser leur tombe.

*www.Cinefinances.info est un site, accessible par abonnement, destiné aux professionnels du cinéma.  Il publie le budget, le plan de financement et la répartition des recettes de tous les films français qui sortent (hors les films « sauvages » qui ne déposent pas leurs contrats au registre public et ne demandent donc pas l’agrément qui leur permettrait d’accéder à l’aide du CNC). Il s’agit du dossier sur lequel le producteur a monté son financement, correspondant à l’agrément d’investissement, non les données définitives, après production effective du film. Ce site dispose d’un puissant moteur de recherche multicritères et de 11 ans d’archives.

TROIS QUESTIONS CONTROVERSÉES

Le décret faisant entrer les plateformes de S-Vod dans l’écosystème de l’audiovisuel français vient d’être publié. Mais les points les plus controversés restent à trancher. https://siritz.com/editorial/exception-culturelle-pas-discrimination/

Les obligations que ce texte leur fixent étaient attendues. Elles devront investir 20 % de leur chiffre d’affaires dans les œuvres française dont 20% dans les films de cinéma qu’elles diffuseront plus de 12 mois après leur sortie salle. Le taux de 20% sera porté â 25% si elles diffusent ces films moins de 12 mois après leur sortie en salle. Enfin, deux tiers de ces œuvres devront être commandées à des productions indépendantes des plateformes.
Comme la Commission européenne a émis plusieurs critiques à l’égard de ce projet, le jugeant trop déséquilibré en faveur des producteurs, il est possible que certaines plateformes fassent un recours au niveau européen.https://www.lesechos.fr/tech-medias/medias/creation-francaise-le-decret-precisant-les-obligations-de-netflix-et-consorts-publie-au-jo-1326356

De toute façon, plusieurs points essentiels restent â régler. Le premier est celui de la chronologie des médias qui doit faire l’objet d’un accord entre la profession du cinéma et les plateformes, mais aussi d’un accord de Canal + et des chaînes en clair.

Comme ON le sait le problème est explosif car, dans les 12 mois suivant la sortie en salle il faut placer Canal +, puis les plateformes. Mais pour que les plateformes choisissent de passer de 20 à 25%, donc d’investir un quart de plus, il faut que leur fenêtre soit au plus de 8 mois. Ce qui amène Canal +, qui investit 12,5% de son chiffre d’affaires dans le cinéma et non 5% comme les plateformes, à exiger une fenêtre de 3 mois. Or la totalité des exploitants, comme la plus grande partie des distributeurs sont absolument contre ce choix.

Faute d’accord ce sera à l’État de trancher. Mais, faute d’obtenir satisfaction, Canal + menace de choisir le statut de plateforme, ce qui serait une catastrophe pour le cinéma. Les professionnels estiment que cette menace est du bluff. Mais le propriétaire de Canal+, par le passé, n’a pas hésité à choisir des solutions radicales. https://siritz.com/editorial/poker-entre-canal-et-le-cinema/

Autre point non résolu : l’État n’a pas encore décidé de faire bénéficier les productions des plateformes du fonds de soutien alors que les plateformes vont payer la taxe alimentant le crédit d’impôt. Outre que ce serait particulièrement inéquitable, ce serait inciter à produire ces œuvres à l’étranger. N’oublions pas que des productions américaines tournées en France bénéficient du crédit d’impôt international pour attirer des tournages en France. D’autre part, ce serait casser la mécanique du fonds de soutien qui est une épargne forcée, obligeant le producteur, s’il veut toucher ce fonds de soutien, â le réinvestir dans une œuvre française.

Espérons que le projet de décret SMAD du gouvernement ne menace pas l’écosystème de notre audiovisuel

La semaine dernière la presse a fait état des critiques de la Commission européenne concernant le projet du gouvernement français destiné à règlementer les plateformes de S-Vod, en application de la directive européenne sur le même sujet. https://www.lesnumeriques.com/vie-du-net/commission-europeenne-csa-netflix-les-avis-divergent-sur-le-projet-de-decret-smad-n162587.html Il ne s’agit que d’un avis, mais il souligne qu’en cas de plainte devant la Cour européenne de justice, il y a un risque d’annulation de certaines dispositions. Donc que ce texte crée une incertitude juridique. Rappelons qu’avant sa publication il doit également être soumis à l’avis de Conseil d’État qui abordera sans doute les mêmes questions. https://siritz.com/editorial/plateformes-des-enjeux-contradictoires/

Les principes de l’exception culturelle

La directive européenne applique à ces plateformes le principe de l’exception culturelle. C’est sur l’instigation de la France, que, en 1993, l’Union européenne a appliqué ce principe à l’ensemble du secteur audiovisuel. Il s’agit d’une exception parce que, dans le domaine culturel, elle permet aux États européens de contourner les principes du marché unique qui leur interdisent de fausser la concurrence en soutenant de manière discriminatoire leurs entreprises. Ce marché unique a en effet pour objectif de permettre aux entreprises les plus performantes de s’imposer par rapport à leurs concurrents et de bénéficier des économies d’échelle qu’offre le vaste marché européen. L’ensemble des consommateurs européens mais aussi les emplois bénéficient de ce processus.

Mais, dans le domaine culturel, le raisonnement est inverse. D’une part chaque nation acceptera d’autant plus la dure loi de la concurrence qu’elle pourra préserver son identité culturelle. Surtout, le maintien de cette diversité culturelle contribuera à l’enrichissement de l’Union européenne, alors que la libre concurrence conduirait à l’uniformisation culturelle, sans doute au profit d’une culture « universelle » dominée par celle des États-Unis. Dans ce domaine, la richesse provient de la diversité et non des économies d’échelle.

D’où la possibilité pour les différents États d’imposer aux diffuseurs, essentiellement les chaînes de télévision, d’investir un pourcentage minimum de leur chiffre d’affaires dans des œuvres réalisées dans leur langue. Par exemple, en France, cela signifie que des productions d’initiative belge ou québécoise, parce qu’elles sont en français, entrent dans cette catégorie. Ces obligations pèsent beaucoup plus dans notre politique culturelle que notre compte soutien,  qui est à la fois une épargne forcée et un droit de douane sur les œuvres étrangères puisque seules les producteurs et distributeurs d’ œuvres françaises peuvent en bénéficier.

Cette obligation peut être couplée avec l’obligation d’investir dans des œuvres européennes, initiées par des producteurs européens, y compris s’ils ne sont pas français. Ces œuvres européennes peuvent ne pas être réalisées dans la langue nationale du pays. En France, chacun de ces pourcentages était jusqu’ici de deux tiers.

Une volonté de discrimination ?

Dans le projet de décret concernant les plateformes, le pourcentage d’œuvres en français serait de 80 ou 85%, donc bien supérieur à ce qui est imposée à nos chaînes. En cas de recours probable des plateformes, ce sera à la Cour européenne de trancher si ce pourcentage n’est pas « disproportionné ». Par ailleurs, le taux d’investissement dans les films de cinéma français serait d’aumoins 20% du taux d’investissement global dans les œuvres audiovisuelles. Mais ce taux global dépendrait en fait de la fenêtre de diffusion en salle dans la chronologie des médias choisie par la plateforme. Si celle-ci veut que cette fenêtre se situe dans l’année de la sortie en salle, à mi-chemin entre Canal+ et les chaînes en clair coproductrices, le taux global passerait de 20 à 25%, soit une augmentation de 25%. Ce qui serait une véritable punition. Actuellement, alors qu’il n’y a aucune obligation d’investissement cette fenêtre est de 36 mois.

Comme, de toute façon les plateformes ne souhaitent investir que marginalement dans les films de cinéma ,il est peu probable qu’elles choisissent le taux d’investissement le plus élevé qui, de toute façon les situerait loin derrière Canal+. Cette mesure est donc un moyen de protéger la fenêtre de diffusion de Canal+.

Ce qui est surprenant, si c’est le cas, c’est que  les films français, même si le réalisateur, les comédiens et les techniciens sont français ne permettraient pas au producteur d’accéder au compte de soutien alors que les plateforme vont financer celui par la même taxe que nos chaînes. Ces serait d’autant plus surprenant que, jusqu’ici, même quand il était produit par un producteur français et distribué par la filiale française d’un studio américain, un film français était considéré comme un film français et générait du soutien financier pour son producteur français. Si cette disposition était confirmée, non seulement on obligerait les plateformes à investir dans des films de cinéma beaucoup plus qu’elle ne ne souhaitent mais les producteurs français qui trouveraient auprès d’elles leur financement  seraient pénalisés. Au cas où c’est bien ce que le texte imposerait ce serait tout simplement absurde. Le CSA a d’ailleurs critiqué cette disposition.

Faire entrer les plateformes dans l’écosystème de notre audiovisuel est souhaitable. Mais il faut justifier cette démarche par les principes de l’exception culturelle. Pas par la volonté de mettre en place des mesures  clairement discriminatoires à l’égard de ces plateformes.

LA RÉGLEMENTATION DES PLATEFORMES RISQUE DE TOURNER A L’ABSURDE

Les professionnels français du cinéma et de l’audiovisuel voudraient que les plateformes de S-Vod américaines aient des obligations similaires à celles des diffuseurs français : obligations d’investissement, taxe alimentant le compte de soutien, quotas. Ils ont raison. Mais dans l’actuelle réglementation française les producteurs français de cinéma et d’œuvres audiovisuelles qui bénéficieraient de leurs commandes ne peuvent bénéficier des avantages dont bénéficient ces producteurs lorsqu’ils travaillent pour des chaînes françaises : réinvestissement du soutien généré dans de nouvelles productions françaises, crédit d’impôt pour compenser les charges sociales très élevées qui renchérissent considérablement le tournage en France. https://www.lesechos.fr/tech-medias/medias/netflix-ne-veut-pas-seulement-financer-lexception-culturelle-mais-aussi-en-beneficier-1301258

Si cette discrimination était maintenue cela conduirait les producteurs français concernés à privilégier aussi souvent que possible les coproductions avec des partenaires européens. En tournant à l’étranger ils feraient appel à des prestataires de ces pays et utiliseraient le plus de salariés possibles sur lesquels ne pèseraient pas les charges sociales françaises. Et, pour maximiser les soutiens publics de ces pays, ils utiliseraient le plus souvent possible des créateurs et des comédiens francophones ou européens non français. En somme, cela ouvrirait à la Belgique, au Luxembourg et à l’Allemagne un marché inespéré.

Il faut rappeler que le Crédit d’impôt international permet de faire bénéficier de cette subvention des productions entièrement américaines à condition qu’elles soient tournées en France.

De même, un film français distribué par une major américaine bénéficie à la fois du compte de soutien et du crédit d’impôt.

En fait,  cette exclusion reviendrait à vouloir le beurre et l’argent du beurre, à refuser d’admettre la réalité : les plateformes souhaitent investir fortement dans les séries mais beaucoup moins dans des films qui sortent d’abord en salle. On les oblige néanmoins à investir dans nos films de cinéma. Mais cela met en danger Canal +, notre chaîne du cinéma. Pour ne pas perdre Canal+, cette mesure « compenserait » cette menace par de lourds handicaps à supporter par les producteurs auxquelles ces plateformes seront obligées de commander. Mais comme la réglementation les obligera à investir dans des films de cinéma cela ne supprimera aucunement la menace pesant sur Canal +. Et le bénéfice économique global de ces obligations sera en grande partie perdu. Les organisations professionnelles représentant les producteurs français (SPI, SPECT, USPA, AnimFrance, etc…) demandent à l’État de modifier cette règle absurde.

En somme, faire entrer les plateformes dans notre écosystème est logique. Mais le développement de ces plateformes accompagne le bouleversement des pratiques culturelles. Notre écosystème ne peut ignorer ce bouleversement et rester immuable. Pour en conserver l’esprit il faut le faire évoluer. https://siritz.com/editorial/faire-evoluer-lecosysteme-de-notre-cinema/