Archive d’étiquettes pour : chronologie des médias

LES LEÇONS À EN TIRER

Le cinéma français a enfin obtenu l’établissement de la chronologie des médias entre l’ensemble de ses diffuseurs. Il a plusieurs raisons d’être satisfait, et d’autres d’être insatisfaits, mais devrait aussi se poser des questions essentielles.

SATISFACTIONS

Parmi les motifs de satisfaction se trouve en priorité l’exclusivité de la fenêtre salle qui est maintenue à 4 mois avec dérogation à 3 mois. En France un film est uniquement une œuvre destinée prioritairement à la salle. Cette priorité est le sous-bassement d’un loisir collectif qui joue un rôle social primordial dans notre société. Deuxième motif de satisfaction, pour Canal+, qui est le principal investisseur dans la production française et dont la fenêtre baisse à 6 mois. Troisième mesure de satisfaction, Netflix a signé cet accord. Netflix dont les dirigeants réclamaient il y a peu une diffusion « day and date », c’est à dire simultanée en salle et chez eux. Ils ont évidemment compris qu’en France c’est impossible mais aussi que, partout dans le monde, les exploitants et les distributeurs s’y opposeraient. Or, un tel combat ne serait pas bon pour leur image, d’autant plus que le film de cinéma n’est pas la locomotive des leurs programmes. Cette S-Vod accepte donc de passer bien après Canal+, quand Canal+ a effectué un achat, et de cesser son exploitation un mois avant celle d’une  chaîne en clair qui a pré-acheté.

DOUTES

Selon Le Film français Netflix indiquerait vouloir investir ses 40 millions € de ses obligations d’investissement cinéma dans une dizaine de films. Or, dans aucun des films sortis en 2021 Canal+ n’a investi une telle somme. Son maximum était 3,17 millions € pour « OSS 117 : Alerte rouge en Afrique noire ». Sur ce film, même Multithématiques, fililale de Canal+,  pour le 2èmepassage payant ne rajoute que 500 000 €. Est-ce que cette «confidence» laisserait entendre que Netflix serait disposée à payer une telle somme, soit plus que le groupe Canal ne payait jusqu’ici,  pour que Canal+ ne puisse acquérir aucun droit de passage sur le film ? Cela semble peu vraisemblable car, visiblement, Netflix a décidé de s’inscrire dans l’écosystème français et d’éviter les conflits avec la profession.

INSATISFACTIONS

Parmi les motifs d’insatisfaction, se situe en premier le fait que la fenêtre de la Vidéo individuelle soit réduite de moitié. C’est d’autant plus  inquiétant  que c’est très souvent une recette de complément pour les distributeurs de films dont on sait qu’ils traversent une passe très difficile. Leur syndicat n’était d’ailleurs pas à la signature. Pas plus d’ailleurs que celui des autres SMAD, à commencer par Disney Prime ou Amazon Prime. Ils passeront les films un peu plus tard que Netflix. Mais leur attitude confirme qu’on leur impose d’investir dans le pré-achat de produits-les films français- qui ne les intéressent pas. Leurs différences avec Netflix seraient plutôt des différences de politique de communication. Enfin, la SACD, qui représente les auteurs n’était pas là non plus. Contrairement à la ministre de la Culture toutes les entreprises du secteur ne pensent pas que cet accord soit « gagnant-gagnant ».

QUESTIONS

Dans ces conditions le cinéma français devrait plus que jamais se demander si la seule perspective de la production française est de continuer à renforcer ses rentes de situation et s’il ne faudrait pas réfléchir aux moyens d’augmenter sa part de marché sur le marché intérieur ainsi que ses exportations. Et aussi de se mander si l’augmentation constante du nombre de films produits est synonyme de diversité et de renouvellement.

LE DÉCRET SMAD VA CREUSER UN PEU PLUS SA TOMBE

Les décrets SMAD, qui vont obliger la S-VoD à financer le cinéma français, ne sont pas encore totalement au point. La pierre d’achoppement porte sur la chronologie des médias. Mais cette question cache le problème de fonds qui est celui de la nature même de notre cinéma.

Au stade actuel du projet la salle de cinéma conserve son exclusivité de 4 mois. Car, les exploitants, ont réussi à faire reconnaitre que le cinéma c’est un film en salle. Au Congrès de la FNCF, François Aymé, le président de l’AFCA, a bien rappelé que si, dans notre pays, nos statistiques professionnelles publient le nombre d’entrées et non le chiffre d’affaires, c’est que le cinéma en salle à un rôle essentiel dans la vie de notre cité. Ce n’est pas seulement une activité économique, mais il a un rôle culturel et social. https://siritz.com/editorial/cinema-entre-optimisme-et-colere/

A ce stade des négociations la S-VoD a trouvé sa place entre Canal+ et les chaînes hertziennes gratuites. Mais celles-ci exigent que, quand elles diffusent un film qu’elles ont préfinancé, la plateforme de S-VoD qui l’a également diffusé cesse de le diffuser. Ce que ces dernières refusent. Surtout Walt Disney, qui menace, si cette règle est appliquée, de ne pas diffuser ses films dans les salles françaises, mais directement sur sa plateforme. Et, au Congrès, comme expliqué dans l’article cité, pour bien montrer ce que cela signifierait, le Studio n’a présenté aucun film de 2022. Ce serait bien entendu, une catastrophe pour le cinéma français.https://www.lesnumeriques.com/vie-du-net/disney-met-un-enorme-coup-de-pression-sur-la-chronologie-des-medias-n168751.html

Beaucoup pensent que c’est du bluff, car, même si cela permettrait d’augmenter les abonnements de la plateforme, ce serait une perte sèche pour le studio. C’est en effet ce qu’ont montré les deux types d’expérience : proposer le film à 30 € à ceux qui sont abonnés à Disney+. Où l’inclure sans supplément dans leurs programmes. Aux États-Unis, mais aussi en France cela ferait perdre des millions € à Disney. En outre, c’est la sortie en salle qui assure la promotion d’un film et crée sa valeur.

Néanmoins Disney dispose d’une autre arme. Il lui suffirait de pré-acheter  les plus importants films français, à un prix supérieur au cumul de ce prix et de l’apport habituel d’une chaîne en clair, mais à condition que le producteur ne vende pas son film à une chaîne en clair. Ce serait une catastrophe pour les nos grandes chaînes en clair qui devraient se contenter des films à faible potentiel commercial.

En fait, cette bataille des quotas soulève un problème de fonds : alors que le film de cinéma est bien celui qui est conçu pour que le public se déplace en salle, le financement du film français repose que minoritairement sur les entrées en salle et très majoritairement sur le visionnement d’un téléspectateur, assis dans son fauteuil, chez lui.

A titre d’exemple, selon Cinéfinances.info*, pour « Eugénie Grandet », qui vient de sortir cette semaine, dont le budget prévisionnel est 3,5 millions €, le minimum garanti du distributeur pour la salle en France est de 61 000 €, alors que l’apport de la télévision est de 1 millions. De même, pour « Les Intranquiles », dont le budget est de 4,2 millions, le minimum garanti du distributeur est 100 000 € alors que l’apport de la télévision est de 460 000 €.

Or, à la différence du distributeur qui pense pouvoir amortir son investissement par les recettes salle, la télévision est obligée d’investir un certain pourcentage de son chiffre d’affaires dans des films de cinéma français et européens. Et le film de cinéma est un programme qui fait de moins en moins d’audience.

L’insertion des plateformes dans ces sources de financement obligatoires va aggraver ce déséquilibre qui devient une aberration, car celles-ci ont besoin de très peu de films et que les chaînes en ont de moins en moins besoin. Les producteurs de cinéma produisent de moins en moins pour le cinéma, c’est à dire pour le succès en salle et, de plus en plus, pour décrocher le financement  imposé aux éditeurs de plus en plus réticent du petit écran.

A l’inverse, les Studios américains privilégient les blockbusters, qui mettent en valeur le spectacle en salle, créent l’évènement et attirent les jeunes. Et leurs films rassemblent 55% de nos entrées. Les plateformes les veulent parce qu’ils ont créé l’évènement.

Les producteurs français croient avoir remporté une victoire. Ils sont en train de creuser leur tombe.

*www.Cinefinances.info est un site, accessible par abonnement, destiné aux professionnels du cinéma.  Il publie le budget, le plan de financement et la répartition des recettes de tous les films français qui sortent (hors les films « sauvages » qui ne déposent pas leurs contrats au registre public et ne demandent donc pas l’agrément qui leur permettrait d’accéder à l’aide du CNC). Il s’agit du dossier sur lequel le producteur a monté son financement, correspondant à l’agrément d’investissement, non les données définitives, après production effective du film. Ce site dispose d’un puissant moteur de recherche multicritères et de 11 ans d’archives.

CHRONOLOGIE : NORMALEMENT FACILE À RÉGLER

On rentre dans le sprint final concernant l’inclusion des plateformes S-VOD dans l’écosystème français. https://siritz.com/editorial/smad-questions-non-tranchees/

Logiquement, le problème de la chronologie des médias devrait pouvoir être résolu sans trop de difficultés. Selon le décret que vient de prendre le gouvernement il faut que la fenêtre de la S-Vod se situe entre celle de Canal+ (actuellement 8 mois) et celle des chaînes en clair (actuellement 22 mois). Pour n’avoir à investir dans les œuvres françaises que 20% de leur chiffre d’affaires, au lieu de 25%, les plateformes préfèreront sans doute que leur fenêtre se situe entre 12 et 14 mois après la sortie en salle, plutôt qu’entre 10 à 12 mois et devoir investir 25%. Le cinéma propose 17 mois, ce qui semble laisser peut de temps par rapport aux 22 mois sur les chaînes en clair.

https://www.lesechos.fr/tech-medias/medias/cinema-toujours-pas-daccord-sur-la-chronologie-des-medias-a-la-veille-du-festival-de-cannes-1329010

Le problème se situe entre les plateformes et les chaînes hertziennes, car le modèle de la S-Vod est de garder longtemps les programmes et ne pas les retirer au bout de 10 à 12 mois. Une des solutions pourrait être qu’elles retirent provisoirement ces accès juste avant et juste après la diffusion hertzienne. Mais il y aura une limite à leur fenêtre, car les producteurs veulent récupérer leurs droits.

Enfin il y a  un autre problème. En effet, Arte.TV, qui est en fait, une plateforme de S-VoD, garde les films longtemps après leur diffusion en hertzien. Néanmoins cette diffusion a un prix. A partir du moment où il y a un prix il y a une solution.

Mais la menace que fait peser Canal+ de passer au statut de plateforme de S-Vod si sa fenêtre ne lui convient pas, est en fait sérieuse, quelle que soit la chronologie finale. Car cette chaîne Premium doit actuellement diffuser un volume de films qui correspond de moins en moins à la demande de ses abonnés alors que ceux-ci réclament des séries.

Le fonds du problème est que les producteurs français veulent le beurre et l’argent du beurre, sans avoir à modifier leurs habitudes de natalisme productif alors que l’avènement des plateformes modifie fondamentalement les données du jeu.

 

 

TROIS QUESTIONS CONTROVERSÉES

Le décret faisant entrer les plateformes de S-Vod dans l’écosystème de l’audiovisuel français vient d’être publié. Mais les points les plus controversés restent à trancher. https://siritz.com/editorial/exception-culturelle-pas-discrimination/

Les obligations que ce texte leur fixent étaient attendues. Elles devront investir 20 % de leur chiffre d’affaires dans les œuvres française dont 20% dans les films de cinéma qu’elles diffuseront plus de 12 mois après leur sortie salle. Le taux de 20% sera porté â 25% si elles diffusent ces films moins de 12 mois après leur sortie en salle. Enfin, deux tiers de ces œuvres devront être commandées à des productions indépendantes des plateformes.
Comme la Commission européenne a émis plusieurs critiques à l’égard de ce projet, le jugeant trop déséquilibré en faveur des producteurs, il est possible que certaines plateformes fassent un recours au niveau européen.https://www.lesechos.fr/tech-medias/medias/creation-francaise-le-decret-precisant-les-obligations-de-netflix-et-consorts-publie-au-jo-1326356

De toute façon, plusieurs points essentiels restent â régler. Le premier est celui de la chronologie des médias qui doit faire l’objet d’un accord entre la profession du cinéma et les plateformes, mais aussi d’un accord de Canal + et des chaînes en clair.

Comme ON le sait le problème est explosif car, dans les 12 mois suivant la sortie en salle il faut placer Canal +, puis les plateformes. Mais pour que les plateformes choisissent de passer de 20 à 25%, donc d’investir un quart de plus, il faut que leur fenêtre soit au plus de 8 mois. Ce qui amène Canal +, qui investit 12,5% de son chiffre d’affaires dans le cinéma et non 5% comme les plateformes, à exiger une fenêtre de 3 mois. Or la totalité des exploitants, comme la plus grande partie des distributeurs sont absolument contre ce choix.

Faute d’accord ce sera à l’État de trancher. Mais, faute d’obtenir satisfaction, Canal + menace de choisir le statut de plateforme, ce qui serait une catastrophe pour le cinéma. Les professionnels estiment que cette menace est du bluff. Mais le propriétaire de Canal+, par le passé, n’a pas hésité à choisir des solutions radicales. https://siritz.com/editorial/poker-entre-canal-et-le-cinema/

Autre point non résolu : l’État n’a pas encore décidé de faire bénéficier les productions des plateformes du fonds de soutien alors que les plateformes vont payer la taxe alimentant le crédit d’impôt. Outre que ce serait particulièrement inéquitable, ce serait inciter à produire ces œuvres à l’étranger. N’oublions pas que des productions américaines tournées en France bénéficient du crédit d’impôt international pour attirer des tournages en France. D’autre part, ce serait casser la mécanique du fonds de soutien qui est une épargne forcée, obligeant le producteur, s’il veut toucher ce fonds de soutien, â le réinvestir dans une œuvre française.

Les producteurs comptent sur ces investissements pour compenser la baisse de ceux des chaînes. Mais la partie est loin d’être gagnée 

Comment amener la S-vod à financer notre production cinéma alors que le film de cinéma ne correspond pas aux principes de leur programmation ? En effet, ce n’est pas un programme exclusif puisqu’il doit d’abord être diffusé en salle, puis en vod et, puis, pour l’instant, sur Canal + et OCS. C’est tout le contraire des séries, dont le caractère exclusif contribue à l’identité de la plate-forme et qui fidélisent les abonnés sur plusieurs semaines, voire plusieurs années. Néanmoins, cette exclusivité souffre des exceptions puisque « Netflix » vient de présenter la série française « Carnage », quelques semaines après Arte.

Certes, même pour les séries, les plates-formes discuteront pied à pied l’étendue des droits acquis et le pourcentage de leur chiffre d’affaires à investir. En outre, comme l’a rappelé Pascal Rogard dans Le Carrefour, le chiffre d’affaires d’Amazon Prime et d’Apple tv est un chiffre d’affaires artificiellement bas puisque leur plate-forme sert à vendre d’autres produits. Et les programmes ne sont qu’un produit d’appel servant à attirer les consommateurs sur cette plate-forme. Il est donc impératif d’établir un prix « réel », ce qui ne sera pas une mince affaire. 

Le film n’est plus du tout le programme le plus performant des chaînes

En tout cas, il est probable que les plates-formes refuseront d’investir dans le film de cinéma autrement que symboliquement et, évidemment, à condition de ce soit  dans la même fenêtre de la chronologie des médias que Canal + et OCS. Et elles auront un argument de poids. En effet, l’obligation d’investir dans les films français de cinéma a été imposée aux chaînes françaises à la fin des années 80, quand le film était, de loin, le programme le plus performant de la télévision. Ce n’est plus du tout le cas sur les chaînes en clair. Et, même Canal + et OCS assoient désormais leur promotion sur les séries. En fait, ces obligations n’ont été maintenues que parce que la télévision est leur principale source de financement. Et que, pour l’instant, il n’y a pas d’alternative du même niveau pour la production de films français.

Mais les imposer à de nouveaux acteurs sera une autre paire de manche. D’autant qu’on n’a pratiquement pas, sur ces plates-formes, d’éléments de comparaison de leurs audiences avec celles des séries. Il est vrai que Netflix a acheté à MK2 des classiques de François Truffaut qui peuvent constituer un début d’élément de comparaison. Et ce qui prouve que les films de cinéma, mêmes largement diffusés au préalable, peuvent présenter un intérêt pour eux. Néanmoins, ce sont toutes de grandes entreprises américaines. Et il ne faudrait pas prendre le risque de fournir à Trump un bon prétexte pour déclencher une guerre commerciale que la France ne peut se permettre.

L’Etat dispose d’un levier de poids

Mais alors, comment amener la S-vod à financer notre production cinéma, sans déclencher cette guerre commerciale ? En fait, l’Etat dispose d’un levier de poids pour obtenir que les plates-formes investissent dans le cinéma autrement que symboliquement. A ce jour, en effet, elles payent une TVA de 20% contre 10% pour Canal + et OCS. Il peut donc aligner leur taux sur ces 10% et obtenir qu’une part de ce « cadeau » soit consacrée au cinéma. A titre d’exemple, rien que pour Netflix, 5% du chiffre d’affaires pourrait représenter une trentaine de millions €. Comme il y a plusieurs plates-formes, cela pourrait représenter une somme non négligeable pour notre production cinéma. Mais attention. Les plates-formes, comme Canal et OCS d’ailleurs, vont exercer une très forte pression pour avancer leur fenêtre, ce qui risquerait de réduire encore le marché du DVD et de la S-Vod. Au détriment des producteurs, mais aussi des exploitants.

Voir aussi Le Carrefour de Pascal Rogard : https://siritz.com/le-carrefour/netflix-a-toujours-ete-dune-correction-parfaite/ et celui d’Alain Le Diberder https://siritz.com/le-carrefour/la-directive-sma-ouvre-la-boite-de-pandore/

Voir aussi l’analyse par Dalloz de l’annonce d’Emmanuel Macron sur la question

https://www.dalloz-actualite.fr/flash/plan-culture-d-emmanuel-macron-passe-par-transposition-de-directive-sma#.XsZR3S_pPLY

Le prix de vente est confidentiel, mais on peut faire des hypothèses

Nicolas Duval (Quad), le producteur du film « Forte », qui devait sortir en salle le mercredi 18 mars,  a fait le choix de ne pas le sortir en salle et de le vendre pour une sortie directe en S-Vod sur Amazon Prime qui le sortira mondialement sur sa plate-forme le mercredi 15 avril. Ce film, comme « Petit pays », qui devait sortir le même jour,  avait fait toute sa  promotion médiatique et publicitaire et ne pouvaient espérer sortir avant longtemps. Sans savoir d’ailleurs, si, une fois les salles autorisées à ouvrir,  le public n’allait pas hésiter à aller s’enfermer au cinéma. Et avec l’obligation de faire une  nouvelle campagne de promotion, ce qui élèverait le point mort de la distribution. 

Selon Cinéfinances.info* le film a un budget de 3,6 millions €.  Canal+ l’avait préacheté pour 627 000 €, Multithématique pour 130 000 € et Canal + International 3 000 €. France 2 avait investi 300 000 € en coproduction et autant en préachat. TMC l’avait préacheté 130 000 €.  Enfin le producteur belge a investi 50 000 €. Il semble probable  que le prix de vente a permis de rembourser ces investissements, ce qui représente 1 610 000 €.

TF1 DA, en tant que distributeur avait donné un minimum garanti de 550 000 € auxquels  se sont ajoutés les frais d’édition. Le prix de vente a sans doute permis de rembourser une partie sinon la totalité de cet investissement.  En outre UGC devait assurer la distribution physique pour le compte de TF1 DA, avec une commission certes réduite, mais une  assurance de gain sans risque.

Il y  a deux autres sources de financement : 425 000 € d’aide de la région île de France qu’il n’y a sans doute pas à rembourser car ce type d’aide est également prévue pour la diffusion sur une internet.  Et  50 000 € de placement de produit, apportés par l’agence Hill Valley, qui ne réclamera sans doute pas de remboursement, compte tenu de la très forte diffusion d’Amazon prime.

Reste l’investissement en numéraire de Quad qui est de 561 000 €, et qui ne peut être compensé par aucun crédit d’impôt, ainsi que 100 000 € de part coproducteur de TF1 DA. Quad avait mis la totalité de son salaire et de ses frais généraux en participation. L’investissement des producteurs a éventuellement pu être réduit si les 10% d’imprévus n’on pas été totalement utilisés.

Mais, si le choix de la sortie en salle avait été choisi, Quad n’aurait pas à renoncer à son crédit d’impôt qui aurait couvert une grande partie de son apport en numéraire et, en tout état de cause, aurait touché du soutien financier. Alors que TF1 DA aurait beaucoup plus à perdre, car il faudrait amortir un minimum garanti et des frais d’édition presque doublés.

Bien entendu, le prix de vente de cette opération est soumis à une totale confidentialité. Mais on peut imaginer qu’il couvre certainement les 1 610 000 € des partenaires et sans doute aussi les 550 000 € de minimum garanti de TF1, ce qui revient à  2 160 000 €. 

La question est de savoir s’il couvre aussi les frais d’édition de TF1 et l’investissement producteur de Quad et de TF1 DA ? Cela donnerait un prix se situant entre 3 et 3,5 millions €, ce qui peut paraitre très élevé. Mais Quad et TF1 DA ont les moyens de ne pas brader un film en attente de jours meilleurs. Et les plates-formes sont capables d’acheter les droits mondiaux de séries  de 52 minutes 2 millions l’épisode, voir plus. Donc, ces prix ne sont pas impossibles. Surtout que, comme  expliqué dans notre éditorial, il y a peut-être la possibilité pour Amazon Prime de négocier avec TF1, et peut-être aussi avec France télévisions,  des tarifs de publicité exceptionnellement bas. Il sera donc intéressant de surveiller comment Amazon va promouvoir  cette offre.

*Les chiffres de cet article proviennent de Cinéfinances.info www.Cinefinances.info*  est un site, accessible par abonnement,  destiné aux professionnels du cinéma.  Il publie le budget, le plan de financement et la répartition des recettes de tous les films français qui sortent (hors les films « sauvages » qui ne déposent pas leurs contrats au registre public et ne demandent donc pas l’agrément qui leur permettrait d’accéder à l’aide du CNC). Il dispose d’un puissant moteur de recherche multicritères et de 10 ans d’archives.

Comme le CNC en avait créé la possibilité 43 films ont demandé et obtenu une dérogation pour sortir en Vod  avant la date prévue par la chronologie des médias. 23 étaient des films français.

Parmi ceux-ci 13 étaient encore à l’affiche, mais avec un nombre d’entrées limité. Seuls « Un divan à Tunis », distribué par Diaphana, « Lucky » distribué par Apollo films et « La fille au bracelet », distribué par Le Pacte semblaient pouvoir poursuivre une exploitation. Ils avaient d’ailleurs ave plus de copies en circulation que lors de leur lancement. Au contraire, Papi sitter, distribué par Gaumont avait vu sa fréquentation s’effondrer dès la deuxième semaine et n’aurait sans doute pas eu de troisième d’exploitation.

Voici, pour ces films, un tableau  présentant les données concernant ces films. Le minimum garanti est fourni par Cinéfinances.info*.

Films français encore en exploitation ayant obtenu l’autorisation du CNC sortir en Vod sans suivre la chronologie des médias

Parmi les films étrangers, seul « The Gentlemen », distribué par SND, avec plus de 7 000 entrées en 4 jours avait encore une carrière en salle devant lui.

10 autres films français avaient terminé leur exploitation.

Mais il est probable que d’autres films, sortis plus récemment que ceux qui ont demandé une dérogation, et même que certains qui réalisaient encore des entrées relativement élevées à la suspension de leur exploitation, demandent à leur tour une dérogation.

Les informations financières de cet article sont données par Cinéfinances.info. www.Cinefinances.info*  est un site, accessible par abonnement,  destiné aux professionnels du cinéma.  Il publie le budget, le plan de financement et la répartition des recettes de tous les films français qui sortent (hors les films « sauvages » qui ne déposent pas leurs contrats au registre public et ne demandent donc pas l’agrément qui leur permettrait d’accéder à l’aide du CNC). Il dispose d’un puissant moteur de recherche multicritères et de 10 ans d’archives.

Siritz : Vous êtes un acteur très actif du financement de la production et de la distribution du cinéma et de l’audiovisuel . C’est un poste d’observation stratégique pour analyser les effets du confinement sur ces deux secteurs et les solutions mises en œuvre ou à envisager. Cette situation a d’abord frappé de plein fouet le cinéma puisque les salles ont fermé. Or, il y avait des films qui venaient de sortir, dont les distributeurs avaient donc lancé et financé leur campagne de promotion, un investissement qui s’ajoute souvent au minimum garanti, et dont les recettes se sont arrêtées net. La sofica 

Cinémage a ainsi investi dans « La bonne épouse », qui a très bien démarré mais qui n’a engrangé que 4 jours de recettes, ce qui  risque d’être une catastrophe financière.

Serge Hayat : C’est d’autant plus vrai que l’on sait que l’exploitation ultérieure d’un film sur les autres médias est dépendante de l’accueil et des résultats que le film a eu en salle, mais aussi en festival. Or il ne faut pas oublier qu’outre l’arrêt des salles tous les festivals sont arrêtés. Les ventes des films commerciaux aux télévisions sont très liées aux performances en salle. Pour les films d’auteurs l’accueil en festival conditionne beaucoup les ventes internationales.

Siritz : « La bonne épouse » est un cas typique.

Serge Hayat : Comme pour tous les films fauchés en plein vol, il y a plusieurs problèmes. Ce sont des films qui ont eu une exposition médiatique par la promo qui a été faite, qui avaient très bien démarré et dont l’exploitation s’est arrêtée nette La promotion dépensée est une perte sèche. Même si le film redémarre en salle il va falloir refaire de la promotion.

Siritz : Mais quand les salles vont rouvrir n’y a-t-il pas risque d’embouteillage ?

Serge Hayat : Oui et c’est paradoxal. D’abord parce qu’il risque d’y avoir une reprise très timide. On a bien vu  quand les chinois ont rouvert leurs salles. Personne n’y a été. Et, d’après ce que j’ai compris, elles seraient de nouveau fermées, par précaution  sanitaire. Donc la reprise post-confinement sera timide. D’autant plus qu’aujourd’hui personne ne sait à quoi va ressembler cette sortie confinement. On parle de stratégie en V, ou en W, avec dé-confinement, puis re-confinement. Cela ne cadre pas avec le confort d’aller passer un bon moment en salle. Les américains ne s’y sont d’ailleurs pas trompé puisque, à ma connaissance, les majors ont reporté la sortie de leurs blockbusters, qui sortaient habituellement en juillet et août, à après la deuxième quinzaine d’août. 

Siritz : Donc si on arrivé à maitriser la crise sanitaire, à la rentrée il va y avoir un embouteillage de films. Comment gérer cet embouteillage ?

Serge Hayat : Effectivement. C’est une grande question. En tout cas le CNC a pris en très peu de temps des mesures formidables qui consistent à permettre la sortie en vidéo à la demande à l’acte, sans respecter les délais, pour les films dont  la sortie a été stoppée et ce, sans avoir à rembourser les aides propres au cinéma, avec une ressortie ultérieure possible en salles. Le CNC a su se concerter avec les différentes organisations professionnelles pour mettre en place une mesure très intéressante en un temps record.

Ca peut être l’occasion de relancer la Vod

Siritz : Mais la Vod, en France, c’est très peu de chose. Et, si un film sort en Vod, est-ce que les salles vont accepter de le ressortir quand elles vont ré-ouvrir ?

Serge Hayat : Qu’est-ce qui fait qu’un spectateur qui est confiné chez lui et n’est pas soumis à la promotion traditionnelle, sur une émission de plateau puisqu’elles sont toutes consacrées au Covid ou par une publicité traditionnelle dans la presse ou par affichage, vont aller  chercher  un film sur une plate-forme de Vod ? Moi-même ne sais pas quelles sont ces plates-formes et où les trouver. J’ai compris que les gros opérateurs comme Orange avaient ou allaient commencer à profiter de cette situation pour faire de grosses promotions de leur service de Vod à l’acte. Mais il est clair qu’il y a un problème d’information du public. Comme les gens ont considérablement augmenté leur consommations de télé, et que le volume de la publicité à la télévision s’est effondré, j’imagine que leurs tarifs ont baissé et que ça peu-être occasion d’en profiter pour relancer la VoD : entre deux émissions anxiogène cette publicité pourrait être très efficace.

Siritz : Mais j’imagine que l’on n’a aucune idée des rapports coûts recettes. Pour les grandes plates-formes ce peut être une occasion de lancer à bas prix une activité dont les résultats étaient jusqu’ici très décevants.

Serge Hayat : Il faut profiter de cette période exceptionnelle pour relancer ce média. On pourrait même subventionner d’une manière ou d’une autre la promotion des films frais sur ce support.

Siritz : Mais pour un film comme « La bonne épouse » qui était un gros succès avec un bon bouche à oreille est-ce que, s’il sortait en Vod aujourd’hui, surtout avec une forte publicité par un ou plusieurs  opérateurs, le risque n’est  pas que les exploitants refusent de la reprendre quand ils vont rouvrir.

Serge Hayat : En tout cas le CNC fait tout pour qu’il soit possible de ressortir en salle. Il y a effectivement risque que les exploitants refusent certains films. Mais ce sera une négociation au cas par cas. D’ici mi-août il n’y aura pas de nouvelles offres importantes et les exploitants ne vont pas refuser des films forts. Après mi-août, avec l’arrivée des blockbusters américains il y aura embouteillage.  Mais les salles vont avoir envie de se refaire.

L’arrêt des tournages est un casse-tête logistique incroyable

Siritz : Il a aussi des films comme « Petit pays », qui avait fait une très grosse campagne de lancement et qui n’est même pas sorti. S’il sortait directement en Vod. Il serait obligé de rembourser tous ses financements publics encadrés pour le cinéma, ce qui est impensable.  Mais un autre secteur du cinéma, et de la fiction tv, est très touché, ce sont les tournages interrompus. Il y a des mesures de chômage partiel. Mais, à la fin du confinement, il  aura le problème de chevauchement des contrats.

Serge Hayat : C’est un casse-tête logistique incroyable. Le tournage d’un film c’est un petit miracle. Une assemblée de talents se retrouve disponible en même temps pour créer quelque chose. C’est à chaque fois une gestion logistique énorme de s’assurer que ces talents sont disponibles en même temps. Un tournage  implique que tout ou partie de ces talents doivent se retrouver ensemble au même moment dans un lieu qui est toujours disponible et avec une météo qui est la bonne. Les films qui se tournaient en Afrique pendant une saison sèche devront attendre la saison sèche de l’année suivante pour reprendre le tournage. En outre les financements sont accordés pour une période donnée. Il faut que tous les partenaires et tous les ayants-droits soient d’accord pour prolonger les contrats. Et puis qu’est-ce qu’on fait, si on prolonge les contrats  pendant 6 ou 8 mois sans que les tournages aient repris, des frais financiers qui peuvent continuer à courir ?

Siritz : Les pouvoirs publics n’ont pas fixés des règles ?

Serge Hayat : Les pouvoirs publics ont décidé en peu de temps  des choses incroyables. Dire que les entreprises qui ont des problèmes de trésorerie peuvent aller chercher des prêts garantis par l’Etat, dire qu’elles vont pouvoir obtenir que leurs prêts bancaires soient garantis par la BPI, que les échéances puissent être  repoussées, tout ça c’est formidable. Certes, ce n’est pas encore très précis, mais c’est normal. Il faut le temps de mettre tout ça en place.

Siritz : Mais il s’agit de problèmes de trésorerie.

Serge Hayat : Effectivement cela ne concerne pas les pertes sèches. Les frais d’édition de « Petit Pays » ou de « La bonne épouse », ce sont probablement des pertes sèches. 

Siritz : Et quand c’est un distributeur indépendant comme Memento, qui est un indépendant ne devant pas avoir des capitaux propres élevés, cela peut représenter beaucoup plus que ses fonds propres.

Serge Hayat : Oui, la situation des distributeurs indépendants est plus problématique que jamais. Et nous allons initier avec le CNC une discussion pour savoir comment les soficas pourraient accompagner producteurs et distributeurs indépendants. Sous quelle forme je ne sais pas encore, mais on doit se demander comment sauver ce tissu industriel. En matière de pertes sèches, ce qui serait logique, même si j’ai compris que ce serait très compliqué à mettre en place juridiquement, c’est que quand il y  a un secteur touché de plein de fouet, en première ligne, c’est d’aller voir s’il n’y a pas des entreprises dans ce secteur qui ont bénéficié de la crise et comment elles peuvent contribuer à aider ou être solidaires de celles qui sont gravement frappées.

Siritz : Une solution serait une taxe de solidarité sur les grandes plates-formes dont j’ai parlé dans mon édito de la semaine dernière, mais pour cela il faut que le Parlement vote une loi et il a peut-être d’autres priorités.

Je ne suis par sûr que les plates-formes diraient non à une taxe de solidarité

Serge Hayat : En tout cas ce serait logique et ne suis pas sûr que les plates-formes diraient non. Après tout Netflix a débloqué un fonds pour aider les tournages en difficulté et leurs producteurs. C’est un petit fonds, mais ils l’ont créé spontanément. Et c’est leur intérêt de protéger le tissu industriel mais aussi de communiquer sur le fait qu’ils sont des amis de la profession, des partenaires et pas des vautours. Bien entendu une loi c’est compliqué. Mais on a la chance d’être sur un tout petit secteur. Les films sur lesquels ils y a des frais d’édition qui venaient d’être engagés et sont perdus, on peut les identifier et les chiffrer un par un. Les films dont les tournages sont reportés, on sait les regarder un par un et chiffrer ce que cela va coûter. On peut faire une commission qui va être capable d’évaluer quel va être le coût de ces frais d’éditions et des reports, voire d’annulation de tournage. On peut s’entendre avec les assureurs de la profession pour à la fois les aider et voir ce qu’ils peuvent faire.

Siritz : Et on a le CNC qui peut réunir tout le monde et qui est compétent.

Serge Hayat : Le CNC est très compétent et il a montré ces dernières semaines une réactivité assez incroyable, très pragmatique et très entrepreneuriale. Je suis curieux de voir quels sont les fillms qui vont demander à bénéficier des dispositions dérogatoires sur les chronologie des médias.

Siritz : Avant même l’arrêt des salles de cinéma, depuis le début de l’année, on avait noté une baisse très importante de la fréquentation en général et des films français en particulier, de l’ordre de 20 à 30%. Comme investisseur du cinéma ne vous êtes vous pas demandé s’il ne s’agit pas d’une évolution structurelle, due par exemple au boom de la consommation des séries ?

Serge Hayat : Non, je ne crois pas, parce que le dernier trimestre de l’année dernière était très bon, même depuis septembre. Un tel retournement de situation ne peut s’expliquer que par l’offre. C’est toujours le cas. Depuis 4 ou 5 ans, on note qu’il y a une forte hausse de la consommation des séries tv. Le marché de la fiction tv a explosé alors celui des films en salle de cinéma est resté stable, avec des hauts et des bas que j’attribue plutôt principalement à l’attractivité de l’offre.

Chaque fois que cette idée est mise sur la table les organisations du cinéma ferment la porte et elles ont bien raison

Siritz : Le rapport Boutonnat, avant que son auteur ne devienne président du CNC, constatait que le chiffre d’affaires des chaînes baissait, et donc leurs investissements dans le cinéma, alors que l’audience des films à la télévision baissait aussi, au profit des séries. France télévisions diffuse une partie de ces films la nuit, uniquement pour générer du soutien financier, sans viser la moindre audience. Cela paraît du gaspillage. Une première réaction serait de réduire le pourcentage de leur chiffre d’affaires que les chaînes investissent dans le cinéma pour le transférer  à ce qu’elles doivent investir dans les œuvres télévisuelles.

Serge Hayat : Chaque fois que cette idée est mise sur la table les organisations du cinéma ferment la porte. Et elles ont bien raison de fermer la porte, parce que le jour où une telle mesure serait prise, les investissements des chaînes dans le cinéma s’effondreraient, la production de films indépendants s’effondrerait et ce serait très vite la fin de la diversité du cinéma français. Il faut faire très attention à la manière de passer d’un constat qui est juste aux conséquences qu’on en tire. Se priver du pré-financement du cinéma par les chaînes de télévision sans avoir mis en place un mécanisme de remplacement qui a fait ses preuves serait catastrophique. Cela pourrait conduire à la disparition totale de la diversité du cinéma en France.

Siritz : Le rapport Boutonnat suggère le recours à des investissements privés. Mais on a un exemple, celui des soficas, qui,  pour exister, bénéficient d’avantages fiscaux très importants. Comment imaginer que des investisseurs ne bénéficiant pas de ces déductions fiscales investissent dans les films, en co-production ?

Serge Hayat : Mais les avantages fiscaux dont bénéficient les actionnaires de soficas ont pour contrepartie l’encadrement des investissements des soficas. Elles sont un outil de politique publique dont la cible des investissements et les modalités de retour sur investissement sont fléchés et encadrés. Ainsi elles ne bénéficient pas du soutien financier, ne peuvent investir que dans la production, pas la distribution, plutôt dans les premiers et deuxièmes films, les films à petit budget. Le nombre de films à plus de 8 millions € de budget est limité. Et, une fois qu’elles ont recouvré leur investissement leur part sur les recettes chute fortement. Donc, cela limite leur profit en cas de gros succès. Enfin, chaque sofica, chaque année prend des engagements d’investissements qui conditionnent son autorisation d’investissement. C’est en tout cas un outil formidable de financement du cinéma puisqu’il y a un effet de levier de un à deux. Pour chaque euro de défiscalisation, il y a deux euros investis. 

Des investisseurs privés dans la production cinéma doivent choisir les bons partenaires et mettre en oeuvre une bonne ingénierie

Siritz : Mais alors comment attirer des financements privés dans le cinéma ?

Serge Hayat : Il faut des recettes et de la rentabilité. Pour y arriver il faut activer deux logiques simultanément. La première c’est d’investir dans des films qui seront rentables. Il n’y en a pas beaucoup et bien sûr on ne le sait pas à l’avance même si on peut l’estimer au regard du budget et des espérances de recettes. La deuxième logique c’est d’avoir un bon deal, dans lequel la quote-part d’investissement que l’on injecte dans le film va être mieux traitée que les autres investissements, privilégiée. Et ça, l’actif cinéma le permet, puisque c’est une activité de préventes, et donc les fonds propres investis dans un film sont relativement faibles par rapport à l’investissement total. Ce qui compte c’est donc de choisir les bons partenaires et de mettre en œuvre une bonne ingénierie financière. Les deux sont indispensables pour attirer des investisseurs privés. Certains ont réussi à le faire, soit pour des financements film par film, soit pour des financements de « saltes » de films.

Siritz : Pourquoi ça c’est si peu développé ?

Serge Hayat : Parce que l’investisseur doit arbitrer entre limiter ses risques au détriment de sa part des éventuelles bénéfices ou vice versa. Or la rentabilité globale du cinéma, à de rares exceptions près, ne permet pas de jouer le jackpot. Sur une start up qui réussit on peut faire 60 fois la mise. Sur un film cela n’arrive presque jamais.

Siritz : Le secteur des séries de fiction est en plein boom. Son modèle économique est très différent de celui de la production de cinéma. Notamment les risques sont moins grands et les bénéfices potentiels aussi. Or, on constate que de plus en plus de producteurs de cinéma se lancent dans ce secteur, sans doute pour mutualiser les risques de la production cinéma avec la production plus facilement couverte de la fiction.

L’économie des séries est très différentes de celle du film de cinéma

Serge Hayat : L’économie du cinéma est plus risquée  que l’économie des séries parce que, au départ, le producteur doit prendre seul le risque financier du développement complet du projet : financer le scénario complet, puis  passer du temps à trouver le casting. Et quand tout est monté il va chercher des pré-financeurs. Lui, il pense que ça va plaire au public et doit convaincre les pré-financeurs que ce sera le cas. C’est une économie B to C, c’est à dire de l’entrepreneur au consommateur. Jusqu’à ce qu’il ait trouvé un distributeur et monté le financement du film le producteur finance tout. 

En fiction, c’est tout à fait différent. Le producteur a une idée, fait écrire un synopsis de quelques pages, ce qui coûte beaucoup moins cher qu’un scénario. Puis il doit trouver une chaîne que cela intéresse et qui va lui commander un développement. C’est un marché B to B, d’entrepreneur à entrepreneur. Si la chaîne dit non, le producteur met son projet sur une étagère parce qu’il est possible que dans 2 ans une chaîne soit intéressée, parce que les modes changent. Donc c’est un investissement de quelques milliers d’euros. Si la chaîne dit oui, c’est elle qui va payer une partie de ce développement, ce qui limite encore le risque du producteur. Puis, si la chaîne décide de commander la production, le producteur peut éventuellement aller chercher  un ou deux autres diffuseurs et des aides publiques : il a alors financé au moins 80% de son projet. Pour le solde le producteur  peut trouver un investisseur privé ou  un distributeur qui apporte un minimum garanti, en échange des autres recettes  monde. Le risque est faible : Je le vois chez Fédération Entertainment, il n’y a quasiment aucun projet sur lequel le minimum garanti n’a pas été couvert. Et la société investit beaucoup. Quant au producteur, il a déjà pris une marge sur la production. C’est donc un investissement peu risqué avec une rentabilité qui n’est jamais très élevée.

Siritz : Mais donc, est-ce que l’évolution de la production cinéma n’est pas logiquement  une diversification vers la production de séries tv. C’est un peu le même métier. Gaumont, UGC, Quad, Mandarin, Moana font déjà les deux.

Serge Hayat : Oui, mais pas avec les mêmes personnes. Car c’est très différent en réalité. Dans le cinéma, le producteur accompagne son auteur / réalisateur pour faire l’oeuvre qui correspond le plus à celle que celui-ci veut faire. Et ensuite c’est le marché qui décide. A la télévision, c’est très différent. Les commanditaires accompagnent le projet depuis le jour un et c’est un collectif  d’auteur qui le crée, parfois sous la direction d’un script éditeur ou show runner. Qui travaillent ensuite avec le ou les réalisateurs. Donc les métiers sont très différents. Les producteurs de cinéma ont en général préféré confier ce secteur à d’autres personnes.

* Serge Hayat est dirigeant de la Sofica Cinémage, actionnaire du producteur et distributeur de fiction tv Fédération Entertainment et d’une nouvelle société de production Echo Studio, producteur et distributeur de documentaires et de fictions pour inspirer le changement sur les grands enjeux de la Planète, associé avec Bonne Pioche et dont Jean-François Camilieri, ex-PDG de Walt Disney France est associé et PDG.