NE PLUS SE REPOSER SUR LE CINÉMA AMÉRICAIN
Par Serge Siritzky
A deux semaines de la fin de l’année il est clair que la fréquentation cinématographique française de 2025 est catastrophique. Elle se situera à plus de au-dessous de 15% de celle de 2024 qui, avec 181 millions d’entrées, était déjà à 10% en-dessous du niveau d’équilibre moyen de l’exploitation avant la crise du Covid.
L’effet sur les exploitants, les producteurs et les distributeurs.
La situation est avant tout catastrophique pour notre réseau de salles qui était le plus puissant d’Europe et l’un des plus performants au monde. Avec 25% de chiffre d’affaires en moins il est très en-dessous de son point d’équilibre. Pour les producteurs l’impact est moins important car le financement par les salles, à travers les minima garantis, ne représente qu’une part limitée, sinon marginale de leur financement. Et plusieurs d’entre eux, notamment parmi les plus importants, ont développé une activité de production de série qui à priori rentable.
En ce qui concerne les distributeurs le pourcentage de films qui ne couvrent pas leur minimum garanti et leurs frais a fortement augmenté. Les plus importants sont également producteurs, notamment de série, ce qui constitue un filet de sécurité. Mais ils devront réduire leurs minima garantis à venir, ce qui aura une influence sur la production de films. En tout cas, si le niveau de fréquentation devait rester à ce niveau , une partie des salles risque de disparaître, ce qui aura pour effet de consolider la baisse de la fréquentation.
Les deux causes de cette chute de la fréquentation
En fait, comme on le sait, cette baisse de la fréquentation est mondiale. Elle est due à deux facteurs. En premier lieu le développement de l’audience des plateformes et des réseaux sociaux depuis le confinement de la crise du Covid. Ces deux nouvelles source d’images occupe une part importante de l’attention des citoyens. Face à une offre d’images qui a explosé les spectateurs sont beaucoup plus exigeants par rapport à la qualité des films de cinéma qui méritent leur déplacement. Le second facteur est le recul du cinéma américain qui générait la très grande majorité de la fréquentation mondiale avant le Covid.
Ce recul a été masqué par la grève des comédiens et des réalisateurs américains ainsi que la fermeture des salles pendant le Covid. En effet, ces deux évènements ont retardé la sortie de blocbusters conçus avant eux. Ils ont été fabriqués et sont sortis après le Covid. Mais après la crise du covid la plupart des majors ont changé de stratégie. Ils ont privilégié le développement de leur propre plateforme, au point de ne protéger que mollement la vitale fenêtre d’exclusivité de la diffusion en salle. Et ils ont massivement investi dans la production et la promotion de séries, moteurs de l’audience et de l’abonnement de leurs plateformes. Bien plus, ils ont confier les scénarios, la réalisation et l’interprétation de ces séries à certaines des plus brillantes stars de leurs films de cinéma.
Beaucoup dépend beaucoup de l’avenir de Warner
Est-ce que les majors américaines vont faire évoluer leur stratégie et redonner au cinéma, c’est à dire aux films destinés aux salles, la place qui était la sienne avant la crise du Covid ? C’est possible si c’est Netflix qui réussit à prendre le contrôle de Warner. Possible, car, désormais le développement de l’attrait de sa plateforme va reposer essentiellement sur l’acquisition des droits sportifs, mais aussi sur la création de variétés et de jeux. Beaucoup plus que sur les superproductions unitaires de fiction. Ses concurrents sont désormais les chaînes de télévision et, surtout YouTube. Si Netflix décidait de tout faire pour amortir le réseau de distribution de Warner et opérait ce retournement, il est probable que les autres majors suivraient. Mais rien ne garantit que Netflix opérera ce retournement.
Donc, pour sa survie, il est clair que l’industrie cinématographique française doit apprendre à ne plus se reposer sur le cinéma américain. Comme les pays de l’Union européenne sont en train de l’apprendre pour leur défense à propos des États-Unis. Il se trouve que, à la différence du reste de son système économique, le système économique du cinéma français est l’un des plus remarquables d’Europe et du monde. Si les Français trouvent le moyen de compenser le recul du cinéma américain, il y a des chances que les autres pays de l’Union européennes les suivent.
À la profession de prendre l »initiative
Il est donc urgent de remettre à plat notre système pour l’adapter à la nouvelle situation. Il est vrai qu’aujourd’hui il ne faut pas compter sur le pouvoir politique pour en prendre l’initiative. Bien plus, la totale incompétence de l’extrême droite et d’une partie de la droite en la matière a de quoi inquiéter. A la profession donc de prendre l’initiative de cette réflexion. Comme dans le domaine des nouvelles technologiques les pistes existent. Elles nécessitent audace et volonté. En tout cas, nous avons la chance d’avoir à sa disposition le CNC qui, dans le domaine du cinéma et de l’audiovisuel, est une administrations particulièrement compétente.