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L'édito de Serge
Serge Siritzki

MAIS À QUOI SERT TOUT CET ARGENT ?

Par Serge Siritzky

TOUS NOS SOUTIENS AU CINÉMA SONT-ILS EFFICACES ?

Il serait temps de se demander si tout l’argent qui va au soutien de notre cinéma est bien utilisé. Car il y a beaucoup d’argent. Au fil des années les soutiens se sont accumulés sans que jamais, au grand jamais, ne soit évaluée l’efficacité d’aucun d’entre eux. Cette évaluation a été réclamée par René Bonnell dans son rapport sur la production et la distribution de films de 2008. https://www.cnc.fr/professionnels/etudes-et-rapports/rapport/le-financement-de-la-production-et-de-la-distribution-cinematographiques-a-lheure-du-numerique_225411. Il l’a réitérée dans son interview à Siritz.com l’année dernière https://siritz.com/le-carrefour/rene-bonnell-sur-leconomie-du-cinema-francais/.

Mais tous les ministres de la culture se sont bien gardés de  la mettre en œuvre. C’est un exemple de plus des raisons pour lesquelles notre pays est celui qui a les prélèvements publics les plus élevés au monde, en même temps qu’une balance commerciale déficitaire, un chômage structurel et une sous-administration de secteur régaliens essentiels comme la justice, les prisons, etc…

Je prends un exemple précis : l’obligation imposée aux grandes chaînes en clair d’investir 3,2% de leur chiffre d’affaires dans le préfinancement des films. Elle a été imaginée au milieu des années 80, au moment où la télévision était essentiellement reçue par voie hertzienne. A cette époque ont été lancés Canal +, puis M6 et La 5 tandis que TF1 a été privatisée. Toutes les chaînes en clair avaient peur de manquer de programmes et voulaient diffuser le plus en plus de films. France 3 voulait même diffuser un film tous les soirs.

Les professionnels du cinéma ont alors décidé de réguler cette fringale : ils ont imposé la chronologie des médias, les quota de films européens et francophones, les jours sans cinéma et l’obligation de consacrer un pourcentage du chiffre d’affaires au préfinancement des films.
Aujourd’hui, 35 ans plus tard, on est dans un autre monde. Le nombre des chaînes s’est multiplié. Elles sont reçues par fibre ou satellite, et même directement par internet. Et le film de cinéma n’est plus du tout un programme locomotive,  sauf la première diffusion de quelques blockbusters américains ou de certaines comédies françaises. Les grandes chaînes en clair et Canal + cherchent plutôt à investir dans des séries qui  sont moins cher et vont fidéliser le public.

A titre d’exemple, il  y a quelques années déjà j’avais calculé que 50% des films préfinancés une année donnée par les grandes chaînes en clair n’avaient été diffusés qu’après 23 heures. Sans public, mais uniquement pour générer du soutien financier du CNC. Leur public en salle avait lui aussi été infinitésimal. Comme le disait un scénariste dans Siritz.com, c’étaient « des films pour être financés, pas pour être vus. » https://siritz.com/le-carrefour/un-scenariste-met-les-pieds-dans-le-plat/

Une évaluation de l’efficacité de tous ces mécanismes est donc indispensable. Bien entendu elle doit être précédée de l’élaboration du ou des objectifs de chaque mécanisme. Si possibles chiffrés. Ainsi, si 50% de ces films préfinancés par les grandes chaînes n’ont pratiquement pas de spectateurs ni en salle ni à la télévision, il est probable que le même argent aurait été mieux utilisé ailleurs.

D’où la proposition de René Bonnell de fusionner les obligations d’investissement dans les films et les oeuvres audiovisuelles, avec un plancher pour les films. L’argent que les chaînes sont obligées d’investir dans des films sans public serait investi dans des oeuvres audiovisuelles  qui ont un public en Franc et à l’étranger et qui emploieraient les même producteurs, créateurs, comédiens, techniciens et prestataires. Mais, la encore cette proposition n’a pas été retenue.

Les aides sélectives attribuées par des commissions devraient faire l’objet d’une attention particulière parce qu’elles donnent ã des individus le pouvoir d’attribuer de l’argent public à qui bon leur semble. Et à ceux qui les nomment le pouvoir de leur donner ce pouvoir.

On pourrait commencer par faire cette évaluation rétrospectivement sur les films produits depuis 20 ans. Le ministère de la culture et le CNC, avec l’avis des représentant de la profession, devraient au préalable fixer les objectifs qu’est sensé viser chaque soutien, ce qui serait déjà une révolution. Et la Cour des comptes pourrait ensuite vérifier dans quelle mesure ils ont été atteints. Les leçons à en tirer seraient sans doute spectaculaires.

Et que les choses soient bien claires : ces évaluations régulières sont la plus sûre garantie d’assurer la pérennité d’un écosystème dont nous pouvons être fiers.

 

 

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