Siritz.com : Comment le cinéma wallon a-t-il traversé la pandémie ?
Virginie Nouvelle : A partir de mars de l’année dernière les salles ont été fermées et les tournages n’étaient plus possibles. Cella a duré jusqu’à juin. Les tournages ont pu reprendre et ne se sont plus arrêtés, car on avait instauré des règles sanitaires très strictes. Les salles de cinéma ont pu rouvrir, mais avec un succès limité. Elles ont de nouveau été fermées en octobre et viennent à peine de rouvrir.
Siritz.com : Est-ce que cela est très dur pour les distributeurs, comme en France ?
VN : Oui. Les producteurs ont pu continuer à produire, mais plus rien ne pouvait sortir.
Siritz.com : En France, en plus, à la réouverture, les entrées de la plupart des films français sont très décevantes. Est-ce que des aides sont prévues pour vos distributeurs.
VN : C’est vrai que les chiffres du démarrage sont nuancés. La réouverture a été accompagnée d’une superbe météo. Ce soleil plus la Coupe d’Europe et Roland-Garros expliquent sans doute la fréquentation limitée. Il y a eu des soutiens mis en place, mais malheureusement pas pour tous les distributeurs. On a notamment un acteur, Belga Films, qui distribue surtout des films commerciaux, avec un catalogue très important et, donc, n’est, par essence, pas subventionné. Leur autonomie commerciale les a privés d’une aide pour passer le cap de la crise. La société a essayé par de nombreux biais d’obtenir un soutien et n’y est pas parvenu. C’est donc un des acteurs les plus touchés de notre industrie, même s’il est loin d’être le seul malheureusement !
Siritz.com : Wallimage ne pouvait pas les aider ?
VN : Ce dont ils avaient besoin ce sont des subventions pour combler des pertes dues à la pandémie. Nous, on est un partenaire financier qui prête de l’argent, fait des avances ou prend des participations au capital. Nous ne distribuons pas de subventions. Nous les avons donc soutenus structurellement, mais n’avons pas pu combler cette perte significative de chiffre d’affaires.
Siritz.com : Dans quelques jours va débuter le Festival de Cannes. Le cinéma belge wallon est l’un des grands cinémas mondiaux et beaucoup de ses réalisateurs ont été révélés au Festival et les belges wallons y ont remporté de nombreux prix. Quels films wallons sont sélectionnés cette année ?
TROIS FILMS AU FESTIVAL DE CANNES
VN : Il y a beaucoup de films belges présents cette année, et nous en sommes ravis évidemment. Et nous avions même encore d’autres très beaux projets qui auraient eux aussi pu être sélectionnés, mais ont été pénalisés par cette concurrence hors norme causée par la pandémie et les nombreux films en stock. En ce qui concerne les films soutenus par Wallimage, on a deux coproductions en sélection officielle : « Annette » de Léos Carax et « Bergman Island » de Mia Hansen-Love. Et, à Un Certain Regard , le film belge « Un monde » de Laura Wandel. C’est un premier film dont nous sommes très fiers.
« Un monde », un premier film dont nous sommes très fiers
Siritz.com : Philippe Reynaert nous avait expliqué que Wallimage intervient à hauteur de 6,5 millions € par an, en tant que coproducteur, dans des films de cinéma, notamment d’animation et de genre, les séries et, ce qui est particulier, le flux. https://siritz.com/le-carrefour/le-bilan-de-wallimage-par-philippe-reynaert/ Est-ce qu’il y a, à priori une répartition entre ces catégories ou est-ce uniquement au cas par cas ?
VN : Il y a une répartition entre le flux et les autres catégories. Il y a 6 millions € pour les œuvres de cinéma et de télévision et 500 000 € pour le flux. L’industrie du flux en région Wallonne est moins installée qu’en Flandre et nous sommes dans une phase exploratoire. Concernant notre ligne classique de 6 millions, historiquement on était surtout dans le long métrage, mais la série a fortement progressé et représente environ 40% de nos investissements en 2020. En animation, on a quelques projets par an, de l’ordre de deux longs métrages et entre 3 et 6 séries, selon les années. Mais ces projets d’animation sont assez consommateurs en cash, car ce sont des projets qui font beaucoup de dépenses chez nous et il n’est pas rare que notre apport soit de 300 000 ou 400 000 € par projet. Ce sont des projets qui peuvent générer plusieurs millions € de dépenses en région.
Siritz.com : Vos remontées de recettes sont de l’ordre de 8%, ce qui peut ne pas sembler beaucoup. Il est vrai que votre but est surtout de générer des dépenses et des emplois en Wallonie. Mais est-ce que dans le flux c’est la même chose ? Parce que, quand un format a du succès, le chiffre d’affaires peut être énorme.
IL Y A UNE MARGE DE PROGRESSION TRÈS FORTE DANS LE FLUX
VN : De manière générale, on est très attentif à notre accès aux remontées de recette. Cela veut dire que le pourcentage auquel nous avons accès est toujours au moins proportionnel à notre investissement et concerne tous les territoires. Au niveau du flux on ne finance à ce stade que des pilotes. C’est une ligne que l’on a lancée il y a 4 ans. Pour l’instant le succès est nuancé parce que l’on n’en a que deux qui ont été diffusé en télé et, à ce stade, uniquement au niveau national alors que la rentabilité vient quand le format est vendu à l’international. Mais on est convaincu qu’il y a une marge de progression très forte. On va évoluer en travaillant de manière plus collaborative avec les diffuseurs. On est en phase de réflexion profonde sur les actions à prendre pour soutenir cette industrie télévisuelle.
Siritz.com : Dans vos activités il y a la prospection de tournages dans votre région. Est-ce que ça ne concerne que les coproductions ou, éventuellement, des productions sans coproducteur wallon ?
VN : Notre positionnement est de coupler l’aspect financement et l’aspect accueil des tournages. Nous avons un territoire diversifié qui peut remplir beaucoup de cahier des charges. On peut tourner chez nous des scènes qui sont censées se passer ailleurs. Mais un des arguments pour attirer les tournages est que les charges de tournage vont pouvoir être couvertes par du tax shelter et l’apport de Wallimage. Mais notre équipe d’accueil de tournages travaille sur de nombreux projets que nous ne finançons pas, en apportant un service gratuit et complet aux producteurs de tous horizons. Nous cherchons à avoir des tournages bien sûr, mais aussi de la post-production. Certains projets ne se tournent pas chez nous mais font travailler nos studios de post-production pendant de longues semaines, ce qui aussi très porteur pour notre industrie.
Siritz.com : Vous soutenez des entreprises, par des prêts ou des prises de capital, surtout des prestataires. Votre région est très compétitive dans les effets spéciaux, l’animation, la post-production. En France, une étude que j’ai faite https://www.cnc.fr/documents/36995/156431/Les+studios+de+tournage%2C+un+enjeu+primordial+pour+la+production+en+France.pdf/5ec2b518-3d6e-c393-4f5a-38d97ce8d5a5
a montré que l’on va avoir de plus en plus besoin de studios de tournage, parce qu’il va être de plus en plus cher et difficile de tourner dans les grandes villes, mais surtout parce que les décors récurrents permettent d’abaisser le coût des séries. Avez-vous des studios sur votre territoire ou comptez-vous en développer ?
VN : On n’a pas de studio. Il y en a en Flandre. On en a eu, notamment à Liège, mais on s’est rendu compte que l’on n’avait pas un taux de remplissage suffisant. A ce jour, il n’y a pas de demande suffisante pour en avoir. Mais il est vrai qu’avec le développement des séries et des nouveaux investisseurs que sont les plateformes on est en phase de réflexion pour savoir s’il est nécessaire d’investir dans ce type de solutions pour rester attractif au niveau international.
Siritz.com : Y-a-il un débat sur le fait qu’il y a beaucoup de films, peut-être trop et que le développement de la demande de série justifie une réduction du nombre de films puisque, de toute façon il va y avoir plus de production et d’emplois ?
ACCÈS AUX SALLES DE PLUS EN PLUS DIFFICILE POUR LE CINÉMA D’AUTEUR
VN : Il y a déjà un fort développement de la série du fait notamment des commandes de la télévision belge, mais aussi, bien sûr, de productions initiées par Netflix par exemple. Mais je pense que le film reste indispensable non seulement pour la diversité culturelle qu’il faut à tout prix préserver mais aussi pour l’équilibre de notre industrie. Néanmoins il est vrai que l’on peut se poser la question quand on voit l’écart entre le nombre de films produits et le nombre de films qui sont réellement diffusés et qui peuvent être vus par un public large. Nous avons parfois de très beaux projets qui son inaccessibles au grand public parce qu’ils sont présentés dans très peu de salles. Et l’accès aux salles risque d’être de plus en plus difficile pour le cinéma d’auteur, c’est une problématique qu’il ne faut pas négliger.
Siritz.com : Est-ce que les producteurs de séries sont des producteurs de cinéma qui se diversifient ou principalement des producteurs qui ne font que des séries ?
VN : Ce sont plutôt des producteurs historiques de cinéma qui se diversifient, même s’il y a des jeunes producteurs qui sont arrivés directement par la série.
Siritz.com : En France, en application de la directives SMA on va obliger les plateformes à investir une partie de leur chiffre d’affaires dans des œuvres nationales et européennes, dont une partie dans des films de cinéma qui respectent la priorité de sortie à la salle et la chronologie des médias. En Belgique vous allez dans la même direction ?
VN : C’est au niveau du ministère de la culture que ces décisions vont se prendre. C’est encore en discussion. La France a évidemment une force de frappe plus importante que nous, mais j’espère que nous pourrons exiger des investissements satisfaisants pour notre industrie.
Siritz.com : Netflix a déjà passé des commandes de séries chez vous.
https://siritz.com/le-carrefour/les-facettes-de-netflix-selon-reynaert/
Mais est-ce qu’il y a déjà eu des commandes de Disney+ et d’Amazon Prime, ou des discussions en court ?
ON RÉFLÉCHIT À CE QU’ON POURRAIT ÉXIGER DE NETFLIX
VN : Amazon Prime a acheté plusieurs contenus que nous avons soutenu. Mais, à notre connaissance, pour l’instant ce n’est que Netflix qui a commandé de nouvelles productions, mais, bien entendu, en passant par un producteur. De notre point de vue, les producteurs belges restent nos interlocuteurs directs.
Siritz.com : Netflix, en général, prend tous les droits et vous, vous exigez un accès aux recettes. C’est un peu incompatible. Il est vrai que, dans les deux projets commandés chez vous, ils ont, exceptionnellement, laissé quelques droits au producteur. Mais, comme les plateformes vont jouer un rôle de plus en plus important, est-ce que cela ne change pas la donne pour vous ?
VN : On en est conscient. On est en train de voir si, en contrepartie, on peut être plus exigeant en matière de dépenses sur notre territoire. C’était déjà un peu le cas dans les deux projets que vous citez où les dépenses chez nous étaient intéressantes. Nous sommes prêts à évoluer.
Siritz.com : Est-ce que, dès à présent, Wallimage a, dans les tuyaux, des évolutions en cours ?
Vn : Déjà, il y a quelques mois, nous avons lancé un fonds de développement. C’est une première puisque jusque-là nous n’intervenions qu’en complément de financement, jamais en amont de la production. Là on finance l’écriture du scénario. Le fonds est de 300 000 € par an pendant 3 ans. Cela devrait renforcer nos producteurs nationaux, notamment dans les coproductions. Par ailleurs, on étudie avec la RTBF et RTL comment on peut faire évoluer notre intervention au niveau du flux. On voit aussi avec Philippe Chazal et sa Fabrique des formats comment on peut collaborer. Pour les autres secteurs, la question est de voir avec les producteurs comment rester attractif pour eux par rapport aux plateformes qui changent les données du marché. J’ai quelques pistes pour imaginer des modalités d’intervention spécifiques aux projets avec les plateformes, mais je ne peux vous en parler parce que je dois d’abord les présenter à mon conseil d’administration.