LE MONTAGE EST L’AFFIRMATION D’UN POINT DE VUE
« Un scénariste met les pieds dans le plat », https://siritz.com/le-carrefour/un-scenariste-met-les-pieds-dans-le-plat/ , puis la série des « Mousquetaires de l’audiovisuel » https://siritz.com/le-carrefour/un-scenariste-met-les-pieds-dans-le-plat/ ont suscité de nombreuses réactions, en général très favorables, de la profession. Soit dans les réseaux sociaux, soit directement à Siritz.com. Bien entendu, notre rôle est de les relayer pour leur donner la couverture qu’elles méritent. Aujourd’hui c’est un chef monteur, Thierry Rouden qui élargit le débat et suscite la réaction de deux scénaristes dont l’un est également réalisateur pour la télévision.
THIERRY ROUDEN, chef monteur, https://mubi.com/fr/cast/thierry-rouden
Le vivrensemblisme, au moins devant un film, est impossible. Le montage est le lieu où l’on fait des choix drastiques à chaque seconde : la durée d’un regard, d’un silence, d’une valeur de plan, d’une prise plutôt qu’une autre, d’une musique, etc… C’est bien à cette étape qu’on en prend conscience.
L ‘espèce de consensus qui consisterait à écouter tous les avis, à ce stade, est un leurre absolu. Un scénariste au montage, en plus d’un réalisateur et d’un monteur ? Je ne sais pas si vous avez eu ce genre d’expérience, mais j’en doute. Ne serait-ce que pour discuter d’une valeur de plan sur telle ou telle réplique ou le fait d’avoir choisi de couper tel ou tel dialogue ou telle ou telle séquence, de décider de telle couleur musicale. Tout cela est déjà bien assez compliqué à un ou à deux.
Monter un film est un acte politique comme disait l’autre. Une affaire de choix.
C’est une vue de l’esprit de croire qu’on peut atteindre une œuvre commune idéale en écoutant tous les avis.
Comme sur une toile, qui va décider de rajouter ou non un peu de vert ou de rouge ?
Le passage de la chose écrite à la chose filmée, puis à la chose montée et mise en musique nécessite des compétences différentes voire même d’oublier chaque fois la grammaire des étapes précédentes.
Et je parle en connaissance de cause. Dans ma pratique, je peux vous dire qu’un film, surtout au stade du montage, est l’affirmation d’un point de vue (quel qu’il soit). C’est ce qui fait les grands films et non le nivellement par le consensus et la satisfaction tiède de plusieurs ego à l’instant T.
On peut toujours prendre des avis sur une proposition de montage achevé, mais certainement pas sur un travail en cours. Après, on en tient compte ou pas. En général, tout le temps du montage on a réfléchi à beaucoup d’hypothèses et souvent on en a déjà éliminé pas mal. Donc, parfois, ce sont de vains retours en arrière. Il y a autant d’avis que de spectateurs et je crains le consensuel.
En revanche, effectivement, l’avis de certaines personnes peut être précieux.
MARIE-ANNE LE PEZENNEC (scénariste) https://fr.wikipedia.org/wiki/Marie-Anne_Le_Pezennec
Ne pas admettre le scénariste au montage est le priver d’une étape indispensable à son enrichissement personnel dans le processus de création. Le montage lui permet d’apprendre, de comprendre pourquoi telle scène, telle réplique, tel montage parallèle, ne fonctionnent pas. C’est une autre forme d’écriture à laquelle il doit être associé, pour devenir meilleur à l’avenir. N’est-ce pas le but recherché ? Et si d’aventure il a de bonnes idées au montage, pourquoi le réalisateur s’en priverait-il ?
Comme le dit Denis Goulette https://siritz.com/cinescoop/confusion-entre-vision-et-contribution-a/, si le réalisateur vient plus en amont pour arriver à partager la vision du scénariste, ce dernier doit participer, s’il le souhaite, à tout ce qui est en aval. A fortiori sur une série.
Le monteur est un chef de poste responsable de la bonne fin du film
THIERRY ROUDEN :
Si c’est à titre de formation pourquoi pas. Mais il faut bien savoir qu’il ne s’agit pas du tout de la même écriture. Image, son et temporalité ne sont pas une affaire de mots. Je n’ai jamais dit qu’un scénariste de pouvait pas avoir de bonnes idées sur une proposition de montage. Mais, de la même manière qu’un monteur peut avoir un avis éclairé sur un scénario par son expérience de la chose une fois filmée.
Pour ma part, je reste persuadé que plus on multiplie les intervenants dans le processus de montage, plus on perd le film. D’autant plus que le scénariste n’a pas un regard neutre (voire même bienveillant) puisque qu’à cette étape, il s’agit surtout de faire son deuil des intentions de départ et de composer avec ce qu’on a. Il m’est arrivé de monter un film sous le regard des comédiens. Il se trouve qu’ils ont trouvé l’expérience formidable, comprenant beaucoup de choses sur la manière de « jongler » avec les regards, les prises, les écoutes, les silences etc…
Le monteur est un chef de poste
En ce qui me concerne, j’étais heureux de les voir intéressés par ce que le montage pouvait améliorer dans leur travail ou même parfois inventer de toutes pièces. Mais, pour moi, c’était surtout bloquant et peu constructif. Comme si vous écriviez avec quelqu’un derrière votre épaule. Iriez-vous voir par-dessus l’épaule d’un chef opérateur si la lumière ou le cadre sont bien conformes à votre vision des choses et s’il conviendrait de rectifier tel ou tel détail. Si c’est le cas, il est temps de passer à la réalisation.
Le monteur est un chef de poste, responsable de la bonne fin d’un film. A ce titre, il est sensé avoir un regard pertinent sur un tas de choses. Au stade où il intervient, Il y a toute une cuisine, une « alchimie » qui ne peuvent s’accomplir qu’en tout petit comité et qui n’a rien d’une science exacte.
Je n’ai rien contre les scénaristes. Mais de la même manière, si je dois travailler avec un producteur, un comédien, un chef-opérateur ou un diffuseur dans mon dos, je préfère m’abstenir. Je veux garder la liberté de critique qu’impose mon travail sans devoir rendre de compte à chaque décision prise. Il y a un réalisateur et un film qui impose sa forme. C’est déjà bien assez compliqué.
ALAIN ROBILLARD, scénariste et réalisateur de tv
Oui et non… Cela dépend de quoi on parle, si c’est d’une série ou d’un film d’auteur…
MARIE-ANNE LE PEZENNEC
Je suis souvent allée au montage quand je dirigeais l’écriture d’une série. J’y ai beaucoup appris. Idem sur un tournage. Je vous trouve un peu réducteur, limite étriqué dans votre façon de voir le travail du scénariste. Un scénario, ce ne sont pas juste des mots. Quand on écrit on voit la scène. Le scénario c’est aussi des images, un rythme, des intentions, de jeu, des déplacements, des temps de silence, des enchaînements cut etc… Car oui, on se mêle aussi du montage à ce stade, car cela fait sens avec ce que l’on raconte. Un scénario ce n’est pas un bloc de pâte à modeler brut que reçoit le réalisateur.
Oui , il doit être possible de partager une vision commune sur l’œuvre entre scénariste/réalisateur et producteur. Surtout si ce trio est une seule et même personne…
ALAIN ROBILLARD
Pareil, je suis allé au montage, au mixage et à l’étalonnage… Sans prendre la place du réalisateur (je le suis également) mais en assumant la mienne.
THIERRY ROUDEN
Une vision commune, des avis visant à la cohérence d’un projet, qui a dit le contraire ? Et il y a sans doute autant de manières d’envisager l’écriture d’un scénario que de scénaristes.
Je disais simplement que monter un film à 4 et multiplier les points de vue (après tout un chef opérateur pourrait aussi apporter sa pierre) ne me semble pas la meilleure des choses. J’ai peut-être une vision étriquée. Mais depuis qu’on fait des films si cela marchait si bien, ça se saurait.
Qui a le final cut ?
ALAIN ROBILLARD
Mais il me semble que montrer un ours du montage et en discuter avec ses partenaires n’est pas une grosse affaire
THIERRY ROUDEN
Les nombreux visionnages en fin de montage sont déjà courants. En ce qui me concerne plutôt un montage abouti qu’un ours (je ne sais pas trop ce qu’est cette bête). Le plus compliqué c’est à quel point ensuite écouter les avis sans qu’interviennent les rapports de force ou la diplomatie. Définir également qui sont les partenaires. Rien qu’au niveau du choix d’une musique on voit bien qu’il y a autant de points de vue que d’intervenants. Affaire d’ego, de feeling, de mode, on est loin de la science exacte.
On peut travailler au montage avec un showrunner, un scénariste etc.. Je me méfie simplement du côté collégial à certaines étapes (en gros dès que ça coûte de l’argent). On a du mal à imaginer une mise en scène collégiale, une direction d’acteurs collégiale, etc… Ou il faudrait songer à rallonger sérieusement les temps de fabrication d’un film ! Au bout du compte, la seule vraie question est : qui a aujourd’hui le final cut, à part le spectateur avec sa télécommande ?