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Le 27 septembre dernier la Writers Guild of America, qui représente les scénaristes américains, a signé un accord historique avec les studios, les chaînes de télévision et les plates-formes. Dans un mail adressé aux membres de la WGA et cité par le New York Times, le comité de négociation du syndicat ne s’y trompe pas : « Nous pouvons dire, avec une grande fierté, que cet accord est exceptionnel – avec des gains significatifs et des protections  pour les écrivains dans tous les secteurs des membres. »

 

PATRICE LAUMÉ

Patrice Laumé, délégué général de Ruban d’images et Amis (Association des Métiers de l’Image du Son et des Spectacles) a analysé cet accord dans une longue note dont nous vous résumons la partie sur la régulation de l’Intelligence Artificielle dont on s’inspirera forcément en France et en Europe.https://www.rubandimages.org/mentions-legales

LES 4 GRANDS PRINCIPES DE LA RÉGULATION DE L’IA

Cet accord pose  quatre grands principes que l’on peut résumer ainsi :

-l’IA ne peut avoir la qualité d’auteur d’un texte et le contenu généré par l’IA ne pourra restreindre les droits d’un scénariste ;

-un scénariste peut choisir d’utiliser l’IA, si le producteur y consent également, mais ce producteur ne peut exiger que le scénariste utilise l’IA ;

-le producteur doit informer le scénariste si des documents fournis ont été générés par l’IA ; la WGA se réserve le droit d’affirmer que l’exploitation des textes des scénaristes pour former l’IA est interdite.

Ainsi, le droit américain exige un créateur humain pour qu’une œuvre soit protégée, comme l’a réaffirmé la jurisprudence au détriment d’une image issue d’une IA. Par conséquent, cette absence de protection devrait inciter les auteurs et producteurs à privilégier des créations seulement « assistées » par l’IA et non pas intégralement générées par celle-ci. La technologie continuerait alors à aider les créateurs, par exemple en leur suggérant des idées (non protégeables) ou en accélérant leurs recherches, mais sans jamais pouvoir les remplacer. Il ne faut pas non plus oublier les risques de contrefaçon des œuvres antérieures utilisées (les inputs dans le langage informatique…) qu’une trop forte autonomie laissée à la machine pourrait laisser craindre.

Au demeurant, suivant à nouveau l’exemple de la WGA, la SACEM a annoncé exercer son droit d’opposition (ops-out) au profit des oeuvres de ses membres, tentant ainsi de contrecarrer une exception autorisant la «  fouille de textes et de données » (Text and data mining ou TDM) qui a été prescrite par le législateur européen en 2019 et est déjà remise en cause face à l’essor de l’IA dite « générative » (IAG) mais pas pour autant « créative ».

LE MEILLEUR DES DEUX MONDES

Par ailleurs, grâce à cet accord, dans le secteur audiovisuel, le Copyright américain comme le Droit d’auteur français a su jusqu’ici prendre le « meilleur des deux mondes » : une rémunération forfaitaire sous forme de minima plus un intéressement aux recettes d’exploitation perçu par un organisme qui les représente collectivement. Il reste à espérer qu’il en sera de même prochainement avec l’utilisation de l’IA dans la création qui, sans être bien évidemment interdite, doit être encadrée comme vient de le démontrer cet Accord pionnier conclu au pays de ChatGPT.

Autre clause cruciale : les développeurs d’IA ne pourront pas entraîner leurs robots avec des scénarios écrits par des auteurs syndiqués. Par ailleurs, les studios ont accepté de rencontrer la WGA au moins deux fois par an pour discuter des projets d’utilisation de l’IA dans le développement et la production de films.

Cet accord sera étendu par un Exécutive order de la Présidence. Ainsi, bien qu’aux USA, à la différence de l’Europe, ce n’est pas le législateur qui fixe la plus grande partie des règles du jeu, cet accord prouve qu’ils aboutissent de la même façon à des règles qui s’imposent à tous. C’est l’équivalent de nos conventions collectives étendues.

Ajoutons, au centre des débats, le rôle clé que jouera l’intelligence artificielle dans les films et les séries. Mais rappelons que les comédiens sont toujours en grève. Même si les revendications de ces derniers vont parfois plus loin que celles des scénaristes, la victoire remportée par ces derniers semble plutôt de bon augure pour les interprètes. D’abord parce que l’accord obtenu par les scénaristes permet de penser que les grévistes sont assurés de ne pas obtenir moins que les scénaristes.

L’intelligence artificielle va sans aucun doute bouleverser notre cinéma et notre audiovisuel.https://siritz.com/editorial/une-demonstration-a-glacer-le-sang/ C’est pour cette raison que le cinéma et l’audiovisuel américains ont connus deux des plus grandes grèves de leur histoire. Celle des auteurs et celle, qui dure toujours, des comédiens.

Dans cette optique un groupe de travail passionnant et très instructif  a eu lieu mardi dernier au barreau de Paris. Son objet précis était « Quand l’intelligence artificielle défie les artistes-interprètes. » Il était organisé par maitre Gérald de Bigle (grand spécialiste du droit d’auteur), sous l’égide de la Commission ouverte Innovation Numérique et Audiovisuel ainsi que de la Commission ouverte Propriété Intellectuelle du barreau de Paris.

Y participaient des avocats, mais aussi des producteurs, des agents d’artistes, l’américain Jimmy Schuman, représentant du Syndicats des artistes, et Alexandra Bensamoun, professeur de droit récemment nommée par la Première ministre au sein du Comité interministériel de l’intelligence artificielle. Cette dernière a d’ailleurs rappelé que l’impact de l’IA sur l’audiovisuel était un enjeu très important pour le gouvernement parce que ce secteur représentait 4% du PNB.

Un format Français acheté par Warner

Première révélation de cette réunion : on a l’habitude de dire que, en matière de nouvelles technologies, l’Europe réglemente mais que ce sont les États-Unis qui innovent et exploitent ces nouvelles technologies. Or, d’emblée le producteur et animateur Thierry Ardisson nous a démontré que c’était faux. En effet, il y quelques années, il a eu l’idée de réaliser une émission de télévision d’une heure-et-demi, où il interviewait un comédien décédé, racontant sa vie et donnant l’occasion d’utiliser des images d’archives. Cette émission, « L’heure du temps » a été commandée par France 3. Deux-l’une sur Dalida, l’autre sur Coluche-ont été déjà été diffusées en deuxième partie de soirée. Une troisième porte sur Gabin. Fait remarquable : Warner a acheté le format et que l’émission a été nominée aux Emmy Awards.

THIERRY ARDISSON

A cette occasion Ardisson a rappelé qu’il n’y a pas de droit à l’image sur les personnes décédées (arrêt de la Cour de Cassation du 15 février 2005) . Néanmoins, pour ses trois émissions il a informé les héritiers de son projet et a recueilli leurs avis sur le contenu.

L’intelligence artificielle a été confiée à Mac Guff, le spécialiste Français des effets spéciaux. Au départ il n’était pas intéressé. Aujourd’hui, c’est l’un des principaux spécialistes mondiaux de l’utilisation de cette technologie. Il s’agit, à partir des multiples images d’archives du comédien, de les introduire dans une machine qui va faire du « deep learning » et reconstituer un visage du comédien et toutes ses expressions pour le coller à la place de celui du comédien qui va l’interpréter. Ce dernier doit avoir la corpulence et la silhouette de celui qu’il interprète. Tout ce qu’on va lui faire dire aura été dit par le comédien imité et il ne parlera pas d’évènement survenus après sa mort.

Ardisson insiste sur le fait que le plus difficile est de bien reproduire la gestuelle propre au comédien. Important aussi la reproduction de la voix. Elle a été confiée à une autre prestataire : L’IRCAM du Centre Georges Pompidou qui a développé la technique du voice cloning. Mais Ardisson se demande si, dans certains cas, il ne serait pas moins coûteux de prendre un imitateur.

A noter que France 3 n’a pas commandé plus de trois émissions, sans doute parce que l’audience n’était pas au rendez-vous mais aussi parce qu’une telle émission coûte 700 000 € alors que, pour une deuxième partie de soirée de 90 minutes, la norme est 200 000 €. Et son format est trop bavard pour une émission de première partie de soirée.

Mais si on ne peut hériter du droit à l’image de ses parents, aux États-Unis Al Pacino a vendu ses droits post-mortem…

Bien que le sujet de la réunion portait sur le droit des comédiens, le droit d’auteur a étéégalement abordé. Alors qu’il n’y a pas de droit d’auteur sur une idée, certains juristes se sont demandé si l’ingénieur, qui, sur des instructions qui lui ont été données (Prompt), réalise une œuvre à l’aide de l’intelligence artificielle, n’avait pas un droit d’auteur sur cette oeuvre. À quoi Alexandra Bensamoun a répondu que ce serait au tribunal de juger. « Or il n’y a pas de droit d’auteur pour un savoir-faire. Pour que le droit d’auteur soir reconnu il faut que la personnalité du créateur apparaisse dans la création. »

 

ALEXANDRA BENSAMOUN

La discussion a ensuite porté sur le droit des comédiens vivants sur l’utilisation de leur image pour en faire un clone et sur leur droit de négocier la rémunération de cette utilisation. Toute la question sera de déterminer quelle sera le niveau de cette rémunération et en fonction de quels critères.

Peut-on sourire le data mining ?

Un des grands défis de L’IA c’est qu’elle utilise tout ce qui est disponible sur internet. C’est le « data mining ». Normalement, dans la directive européenne sur l’IA, en cours d’approbation, il sera confirmé que l’IA a accès à l’ensemble de l’internet. Mais, par exception, il sera prévu que les détenteurs de droits d’auteurs ou de droits voisins ou leurs représentants pourront refuser cette utilisation.

Mais se pose alors une autre question : dans quelle mesure est-il possible de déterminer, dans une création par IA, ce qui a été emprunté et, plus précisément, à quelle oeuvre, image ou musique, cela l’a été ? Certains estiment qu’il est impossible de savoir quelles données l’algorithme a été utilisé dans l’univers de l’internet. D’autres pensent que cela doit être possible et que la loi devrait obliger les algorithmes à inclure cette capacité. Dans ce cas, avec la puissance de calcul des ordinateurs quantiques, en cas d’accusation de plagiat devant un tribunal, la réponse pourrait être donnée.

l’américain Jimmy Schuman a rappelé que les Européens aiment fixer les règles du jeu par des lois nationale ou des directives européennes. Aux États-Unis c’est le contrat ou la convention collective qui prédomine. Néanmoins, il peut alors étendu par au niveau National par l’exécutif. C’est le cas de l’accord entre les studios et le syndicat des auteurs, qui traite en grande partie de l’IA, qui vient d’être signée. Rappelons que la grève que continuent de poursuivre les comédiens, porte également largement sur l’IA.

Bettina Funk Brentano, qui est agent d’artistes de la musique, solistes comme musiciens d’orchestre, fait remarquer que ces conventions collectives américains sont très protectionnistes. Ainsi, s’il est possible pour des grands solistes d’aller travailler aux États-Unis c’est quasiment impossible pour un orchestre. L’inverse n’est pas du tout le cas en Europe.

Mercredi dernier, à 19 heures, sur LCI, le journaliste David Pujadas s’est livré à une démonstration à glacer le sang  de ceux qui sont dans l’audiovisuel, les médias ou, même, de simples citoyens d’une démocratie. Il nous a annoncé qu’avant de rentrer sur le plateau, il venait juste d’enregistrer un petit speech d’une minute et il l’a rediffusé. Puis, dans la foulée, celui-ci a été rediffusé, mais en Portugais, avec exactement sa voix à lui et exactement le même visage, à l’exception de ses lèvres, adaptées à la prononciation de cette langue. Puis, la séquence a été rediffusée en Polonais, comme si c’était la langue maternelle de Pujadas. Et ce prodige a été réalisé, grâce à un logiciel d’intelligence artificielle.

C’est évidemment un progrès impressionnant, puisque c’est la possibilité de doubler en un tour de main un film dans toutes les langues du monde. Mais c’est d’un coup l’annonce de la disparition du métier de doubleur et de comédien de doublage, c’est à dire la disparition de milliers d’emplois de comédiens et de techniciens. Il est probable que la même technologie pourra faire dire à un responsable politique ou à une personnalité ce qu’ils n’ont pas dit, ce qui va faire faire un énorme bond aux fake news.

Le lendemain de cette démonstration, sur France inter, plusieurs comédiens français ont affirmé, avec une belle assurance, que cette technologie n’était pas menaçante, car « elle ne pouvait prendre en compte le sous-texte d’une interprétation. » Souhaitons que cet aveuglement ne soit pas partagé par la majorité de leurs collègues.  Rappelons en effet qu’il y a quelques années, en un tour de main, les tournages des films et la diffusion en salle de cinéma avec  des copies en pellicule ont été remplacés par le numérique. Pour les producteurs et les distributeurs les économies ont été considérables. En 2012 Kodak a déposé le bilan, puis su devenir une entreprise du numérique.

Une poignée de grands réalisateurs américains ont encore le pouvoir de tourner en pellicule, car le grain est plus fin. De même, la copie pellicule est le moyen le plus sûr de conserver un film. Mais les enjeux économiques sont tels que le transfert de technologie a été général et extrêmement rapide. Et le métier a été profondément changé. Ainsi, les réalisateurs ont désormais la possibilité de recommencer un nombre de fois illimité le tournage d’une scène et, dans un pays comme la France, certains films sortent, le premier jour, dans mille salles tandis que le nombre de projectionniste a fondu comme neige au soleil.

Rappelons que, dans le dernier Indiana Jones, Harrison Ford, qui a aujourd’hui 80 ans, n’en a que 40 dans la très longue scène du début. Et que personne n’a décelé la moindre « rigidité » dans son jeu.

Mais il y a plus. La semaine dernière, à Détroit, aux États-Unis, le producteur Waymark a présenté « The Frost », un court métrage de 13 minutes qui avait été entièrement fabriqué à l’aide du logiciel D-ID d’intelligence artificielle. Le producteur lui avait donné un court synopsis, avec des indications sur les personnages et le décor, et le logiciel avait réalisé un film que l’on aurait dit interprété par de vrais acteurs et tourné en décors naturel.

A l’évidence, les comédiens et les scénaristes américains ont toutes les raisons de s’inquiéter. Pour l’instant, les technologies de l’Intelligence Artificielle sont avant-tout développées outre-Atlantique. Mais on ne peut attendre que les grèves d’Hollywood aboutissent à de nouvelles règles du jeu qui nous seront imposées pour commencer à réfléchir sérieusement à la question. N’oublions que, si les GAFA sont toutes non européennes, c’est l’Europe qui leur a imposé des règles du jeu encadrant leur action  et que les États-Unis sont en train de copier.

DEUX ÉVÉNEMENTS RISQUENT DE CHANGER LA DONNE

Au vu des résultats du premier semestre il est probable que la France va retrouver dès cette année l’étiage des 200 millions d’entrées par an de l’avant-covid.

LES ÉMEUTES

Mais deux évènements de ces derniers jours risquent de changer la donne. Tout d’abord, les émeutes qui ont embrasé les nuits de la France. Grace au 5eme volet de Indiana Jones, qui bénéficie d’un exceptionnel bouche à oreille, la fréquentation de mercredi 28 juin était sensiblement supérieure à celle du même mercredi de l’an dernier et le film enregistrait de loin le meilleur démarrage de l’année. Mais le lendemain se situait en-dessous du jeudi équivalent de l’an dernier, avec une baisse sensible en banlieue parisienne. Et vendredi la nouvelle chute était encore plus impressionnant.Plusieurs cinéma ont du tout simplement fermé.

La Fête du cinéma qui a démarré dimanche s’en ressortira forcément. Même si son premier jour, dimanche, la fréquentation est remontée à des niveaux normaux, mais pas exceptionnels pour des tarifs à 5 € la place.  Pour Indiana Jones qui avait deux semaines pour engranger les entrées avant la sortie de Mission impossible et dont le démarrage aux États-Unis est un peu décevant, c’est un coup très dur. Néanmoins il ne s’agit qu’un manque à gagner sur quelques jours.

LA GRÈVE DES SCÉNARISTES ET ACTEURS AMÉRICAIN

Mais un deuxième évènement menace notre fréquentation des années à venir : la grève des scénaristes et auteurs américains suivie par celle des comédiens. Cette dernière aura d’ailleurs un impact â court terme puisque les stars américaines ne participeront pas à la promotion de leurs films.

Mais, surtout, le tournage de nombreux blockbusters et séries est décalé d’un semestre, voir d’un an. Et le conflit ne porte pas uniquement sur la rémunération des grévistes mais sur des sujets tous nouveaux comme l’impact de l’intelligence artificielle sur leur métiers. Il est clair que cet impact sera énorme puisque, par exemple, le nouvel Indiana Jones démontre que l’on n’a pas besoin d’Harrison Ford pour tourner des scènes avec lui. Les images d’anciens Indiana Jones suffisent. Quant aux scénarios, dans quelle mesure pourront-ils être écrits par l’intelligence artificielle. Une intelligence artificielle qui en est à ses balbutiements et va progresser de manière exponentielle.

En fait, ce dont il s’agit est de fixer les règles du jeu de l’utilisation d’une nouvelle technologue qui ne cesse d’évoluer. C’est un enjeu beaucoup plus complexe que de fixer des rémunérations. Les négociations risquent donc de durer.

Ce qui est certain c’est que le report de tournages de plusieurs mois, voir d’une année, de films qui représentent normalement au moins 50% de nos entrées aura en 2024 ou 2025 un fort impact sur l’ensemble de la fréquentation française. Et les plateformes dont le succès dépend de l’approvisionnement continu en séries seront forcément touchées.  Or leurs recettes, comme celles des salles, alimentent en partie le compte de soutien et, en outre, elles doivent jouer un rôle croissant dans le financement de nos films et nos séries.

Bine entendu ces deux négociations sont suivies de près par les auteurs et les comédiens Français qui ne manqueront pas de s’inspirer des solutions américaines pour réclamer le respect d’indispensables règles du jeu de ce côté de l’Atlantique.