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ON NE DOIT PAS PRÉFÉRER L’IDÉOLOGIE AUX FAITS

Le discours de Justine Triet lors de la réception de sa Palme d’or est typique de la tendance des Français à préférer l’idéologie aux faits. En effet, le moins que l’on puisse dire c’est que, pas plus ce gouvernement que tous ceux qui l’ont précédé, de droite comme de gauche, n’ont manifesté le moindre néolibéralisme visant à casser l’exception culturelle par la marchandisation de la culture.  Tout particulièrement, le cinéma n’a cessé d’être un secteur privilégié.

Justine Trier reconnait d’ailleurs en bénéficier. https://siritz.com/cinescoop/la-remuneration-de-julie-triet/ En effet, non seulement la production de films français est financée par les multiples subventions du CNC et des collectivités locales, auxquelles s’ajoute le crédit d’impôt. Mais, en outre, la loi permet  les investissements des soficas qui n’existent que grâce aux importants avantages fiscaux accordés à leurs actionnaires. Et, surtout, elle impose aux chaînes de télévision, à commencer par Canal +, auquel s’ajoute désormais les plateformes de S-Vod, d’importants financement des films français. Ainsi, c’est largement plus de 50% du financement de la production de film français qui provient de mécanismes prévus par la loi.

UN ÉCOSYSTÈME INTELLIGENT, PAS NÉOLIBÉRAL

Certes, tous ces apporteurs de financement y trouvent un avantage. C’est  que l’écosystème de notre cinéma est  intelligent. Mais il n’a rien de néolibéral.

Autre exemple qui vient à l’esprit quand le cinéma se déclare maltraité : le régime du chômage des intermittents du spectacle, dont font partie ceux du cinéma. En 2019 ils étaient de 290 000, soit 1% de tous les salariés en France. Son déficit, pris en charge par l’État (le contribuable mais, surtout, la dette), était de 1,2 milliards €. Celui des tous les autres salariés du pays était de 19 milliards €. Proportionnellement l’apport de l’État est donc 6 fois plus important pour un intermittent du spectacle que pour tout autre salarié. Cet énorme écart est tout à fait justifié par la spécificité de l’intermittence qui est un des piliers de l’exception culturelle et sans laquelle notre cinéma ne serait pas si performant. Mais on ne peut le qualifier de néo-libéralisme.

Bien entendu, grâce à cet écosystème, le cinéma français est, de loin, le premier de l’Union européenne en terme de fréquentation, de fréquentation par habitant, en nombre de films produits et en part de marché de cette production sur le marché national. C’est pourquoi aucun gouvernement ne le remet le moins du monde en cause.

Enfin, que, comme l’a souligné Justine Triet, produire un film soit un long parcours du combattant pour la plupart des producteurs et des réalisateurs est évident. Mais le cinéma est une industrie coûteuse : la moitié des films français de fiction sortis depuis le début de l’année ont un budget supérieur à 3,5 millions €, ce qui n’est pas une petite somme. https://siritz.com/financine/pathe-et-boon-explosent-les-barometres/Qu’il soit difficile de réunir ces financements alors que 50% des films ne dépasse pas 50. 000 entrées, est inévitable. Néanmoins chaque année, grâce à l’écosystème de notre cinéma, entre 250 à 300 nouveaux films français sont produits et sortent.

L’Etat ne dispose pas de la carotte de l’alignement de la TVA pour convaincre la S-VoD d’investir dans les films français

Le financement des films par la S-Vod   est un enjeu essentiel pour le cinéma français. En premier lieu, du fait de l’inévitable baisse, â court terme, du chiffre d’affaire et donc des apports des chaînes en clair. Mais aussi d’une baisse qui ne fait qu’accélérer une évolution à  long terme. 

Or,  la stratégie suggérée dans notre dernier éditorial  est inopérante. https://siritz.com/editorial/comment-amener-la-s-vod-a-financer-notre-cinema/

En effet, comme l’a souligné un lecteur du blog, l’alignement de la TVA de la S-Vod sur celle de notre télévision payante est interdit par la directive de 2006 sur la TVA.

https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/PDF/?uri=CELEX:32006L0112&from=en

Celle-ci prėvoit en effet que chaque pays a un taux unique et qui ne peut être inférieur à 15%. En France, nous avons choisi 20%. L’annexe III prévoit des dérogations pour une liste limitative et précise de secteurs, dont la télévision. Certes, la télévision développe le replay. Et rien ne dit que les plates-formes ne vont pas développer du linéaire et du direct, notamment dans le sport. Mais ça n’est pas pour le 1 er janvier. Donc,  pour l’instant, ces services sont bien distincts. En outre, les services électroniques sont expressément exclus du tarif réduit. Cette liste peut certes être revue tous les 2 ans. Mais les décisions se prennent â l’unanimité. Or, plusieurs pays mettront leur veto. 

Donc, il faudra trouver un autre argument  pour convaincre les plates-formes de préfinancer des programmes qui ne correspondent absolument pas â leur identité. Car, la plus élémentaire  équité exclut de leur imposer des obligations comparables à celle de la télėvision payante alors que leur fiscalité est le double.

Comme le notait Pascal Rogard, Netflix sera l’interlocuteur le plus disposé â s’intégrer à notre système audiovisuel. https://siritz.com/le-carrefour/netflix-a-toujours-ete-dune-correction-parfaite/

N’oublions pas qu’il a commencé par être un service de location par abonnement de films sur cassettes. Et il diffuse toujours des films « de catalogue ». Mais ils ont dû être achetés très bon marché. Ce type de film est sans doute un créneau. Mais il n’a rien â voir avec le préfinancement de films â venir. Néanmoins, comme le remarquait Alain Le Diberder, la sortie en salle, avec toute la couverture media et par réseaux sociaux qu’elle génère, est un incomparable moyen de valoriser un programme. https://siritz.com/le-carrefour/la-directive-sma-ouvre-la-boite-de-pandore/ Mais il s’agit de préfinancement et il y a beaucoup de déchets. Il est vrai qu’il y a également des déchets avec les séries. Il suffit de constater le pourcentage de celles qui ne sont pas renouvelées.

Obtenir les audiences comparatives films séries

Pour entamer les négociations avec les plates-formes il est indispensable d’obtenir  les audiences comparatives par genres de programmes. Or Amazon aura ceux de deux films, « Forte » et « Pinocchio », qui avaient effectué leur promotion et allaient juste sortir en salle. Leur audience est une incontestable référence puisque, pour le public, ce sont quasiment des films de cinéma. Mais, avec Amazon, comme avec Apple TV, le vrai débat portera sur le chiffre d’affaires à partir duquel calculer le taux d’investissement dans les œuvres françaises et européennes.

Bien entendu il serait préférable d’avoir un front uni entre le cinéma et l’audiovisuel. Donc un accord préalable sur les pourcentages d’investissements en faveur de chaque secteur. Le fait que de plus en plus de producteurs produisent films et séries devrait faciliter un rapprochement.

Enfin, si on ne peut aligner la TVA de la S-Vod sur celle de nos chaînes à péage, il sera difficile de leur refuser, en plus, un alignement de leur fenêtre dans la chronologie des médias sur celle de Canal+ et OCS. Celle-ci devrait alors passer de 36 mois à 8 mois. Canal+ et OCS risquent d’en profiter pour demander un transfert d’une partie de leurs obligations d’investissement dans les films de cinéma vers les séries.

En fin de compte, il n’est donc pas certain que l’intégration de la S-Vod dans notre système de financement du cinéma compense la baisse des investissements des chaînes gratuites.