Archive d’étiquettes pour : Fiction française

En 2014, une chronique de la réalisatrice canadienne Rosalie Labonté avait évoqué le manque d’audace de la fiction française.

Aujourd’hui, elle y constate une embellie mais revient avec sa lucidité et son humour québécois sur la vache à lait du “polar“ tricolore.
note : les mots québécois peu connus sont traduits en parenthèses. Exemple : tataouiner (gesticuler)

ÉPISODE 1 : LE POLAR TÉLÉ A REMPLACÉ LE CINÉMA

Les osties de pépites du cinéma français

Depuis votre grand Victor Hugo et son chef-d’œuvre Les Misérables avec Javert et Jean Valjean, vous aimez le poulet en France ! J’ai des pépites de cinéma qui ne quittent plus mon disque dur québécois : Drôle de Drame de Marcel Carné, Touchez-pas au Grisbi de Jacques Becker, L’Ascenseur pour l’Échafaud de Louis Malle, Les Tontons Flingueurs de Georges Lautner, Le Cercle Rouge de Jean-Pierre Melville, Série Noire d’Alain Corneau et bien d’autres, les plus récents étant MR 73 d’Olivier Marchal, Un Prophète de Jacques Audiard, L’Affaire SK1 de Frédéric Tellier et des “films de genre“ comme Polisse de Maïwenn, Nightfare de Julien Séri, ou Grave de Julia Ducournau…

Révolution télévision

Mais la fontaine de votre polar long-métrage se tarit depuis 30 ans. Pourquoi ? Parce que les français d’âge mûr ont quitté la salle pour le canapé à l’arrivée des poulets-télé des années 75-80, comme vos Maigret, Cinq Dernières Minutes, Julie Lescaut, Commissaire Moulin, Navarro, etc., des séries qui ont su vous minoucher (amadouer), même si les vraies audaces ont été, dans les années 90, Série Noire, Haute Tension et L’heure Simenon d’Hamster Productions de Pierre Grimblat, l’inventeur des collections modernes. Et en 2000, l’ovni M6 Police District d’Hugues Pagan a tout secoué, avec en conseiller technique et rôle principal un Olivier Marchal qui connaissait bien le poulailler.

Et depuis 2010, votre polar télé se singularise avec au hasard, Balthazar, Nicolas Le Floch, Candice Renoir, Caïn, Les Petits Meurtres d’Agatha Christie, Cassandre, Alex Hugo, Astrid et Raphaëlle, etc… Cette canopée coiffe une autre forêt de 90’ parfois pochés (somnolents) mais souvent minous (plaisants), qu’on pourrait appeler “Meurtres à France 3“, tous sur fonds de drones de paysages, de cathédrales, de lacs et de châteaux. Sans oublier les pépés Magellan, Mongeville et votre tata Capitaine Marleau, la toquée qui tataouine (gesticule) avec grand succès même si, dans l’esprit “comédie polar“, on est loin des Tontons Flingueurs ou de L’homme de Rio

« La fiction française est au firmament ! » carillonnent ceux qui beurrent trop épais (exagèrent). “Firmament“ peut-être, mais seulement d’audience. Heureusement quelques séries ont un niveau international et cinématographique, comme Les Témoins F2, Braquo et Engrenages C+ (Emmy Awards 2012 et 2015 meilleures séries étrangères !) et les récentes osties de pépites Bureau Des Légendes C+ ou Moloch d’Arte, des séries audacieuses vendues dans le monde entier. https://siritz.com/le-carrefour/the-making-of-le-bureau-des-legendes/

Pourquoi ce retard international ?

Dans un audiovisuel mondial chambardé, aux publics de plus en plus variés et exigeants, où les 15-30 ans fuient les écrans fixes, et face au tsunami des plateformes, les moyens et l’audace sont essentiels. Votre poulet beau mec à gyrophare qui écrase les radars, ou les folleries de la Pitaine Marleau, ça plait aux chroniqueurs confinés, à vos gilets jaunes, aux ex-ménagères et aux retraités vaccinés, mais ça ne suffit pas pour vendre une série à la planète entière, tabarnak ! Pourquoi ?

https://www.rtbf.be/emission/series-corner/detail_les-miserables-la-serie-britannique-epoustouflante-adaptee-du-classique-de-victor-hugo?id=10648790

Parce que jusqu’en 2000 une bactérie rôdait sans trop de danger. Hélas elle a muté en virus méchant, le VRAP (Virus Record d’Audience Prioritaire), échappé de votre laboratoire de recherches Médiamat. Aujourd’hui, ça contagionne les diffuseurs d’une molécule “consensuelle et identificatoire“ comme disent les études de marché. Résultat : vous êtes à 74% de polars français en primetime (CNC 2019) et dans vos séries soi-disant “inédites“, vous êtes à 2/3 d’adaptations de séries étrangères ou de romans à la mode ! Ce n’est pas très sympa pour vos scénaristes inventifs et originaux…

Vince Gilligan, créateur de la série cultissime Breaking Bad, a un avis cinglant sur tout ça :
« Il faut arrêter d’étouffer l’audace. On ne peut pas faire de grandes séries à partir détudes de marché. Plus on cherche à plaire à tout le monde, moins on plait à tout le monde ».  Traduction d’une scénariste française renommée : « Le polar en télévision, c’est comme le MacDo pour les enfants, si vous leur en donnez trop, ils ne veulent plus rien d’autre ! » Avis de bon sens féminin à la Gilligan…  

Pensez-y !…   (à suivre demain, épisode 2 : les raisons du retard français)