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Le Congrès de le Fédération nationale des Cinémas Français est, chaque année, un des moments importants de la vie du cinéma en France. Son 78 ème exemplaire, qui vient de se tenir à Deauville, la semaine dernière, l’était encore plus que d’habitude.

Tout d’abord parce qu’il a confirmé qu’à peu près partout dans le monde, en 2023, la fréquentation tend à se rapprocher de son niveau d’avant Covid. C’est dû, en grande partie, à la reprise de l’offre de films américains dont la production s’était totalement arrêtée pendant le Covid. Mais pas uniquement. En France, où l’on peut encore espérer atteindre cette année les 200 millions d’entrées d’avant la crise, c’est aussi dû aux succès de la production nationale. En tout cas , on n’a, à ce jour, que 7% de retard sur la moyenne des année 2017/19. Mais, d’autres pays, comme l’Autriche, la Norvège, la Tchéquie ou l’Allemagne font encore mieux dans la reprise. Il est vrai qu’ils sont loin de la fréquentation par habitant de la France.

Mais, bien entendu, partout, à commencer par aux États-Unis, du fait de la grève des comédiens et des scénaristes, on est conscient que l’arrêt de la promotion, donc le décalage des sorties, et, surtout, de la production, des blockbusters de Hollywood, va entraver cette reprise, puis entrainer une nouvelle chute de la fréquentation à partir du deuxième semestre 2024. Et, John Fithian, l’ancien président du NATO (qui représente les exploitants américains), estimait que l’enjeu-notamment l’usage de l’Intelligence artificielle-est suffisamment grave pour que la grève dure au moins jusqu’à la fin de l’année. Néanmoins, les patrons des Studios viennent de marquer la négociation par leur présence  et ont enfin signé un accord avec les scénaristes.Mais la grève des comédiens de se poursuit ce qui continue de bloquer toute production et toute sortie de film.

L’exception culturelle prend racine un peu partout

En fait, la leçon la plus importante du Congrès c’est que, dans un nombre croissant de pays européens, le gouvernement estime que le cinéma-c’est à dire un film dans une salle-est une activité socialement et culturellement indispensable qui justifie un soutien public. L’exception culturelle ne cesse de gagner du terrain. C’est le cas en Espagne et, même en Italie : aller voir un film en salle ça n’a rien à voir avec voir le même film chez soi sur sa télévision ou un ordinateur.

En outre, comme l’a rappelé Tim Richards, le président canadien de Vue Entertainement, l’un des tous premiers réseaux mondiaux de salles de cinéma, présent dans 9 pays, « tous les studios ont compris que vendre directement un film à une plate-forme, sans passer auparavant par une sortie en salle, leur créait un énorme manque à gagner ». Mais il a bien martelé que, à la différence des autres plates-formes, « Netflix n’est pas notre ami », car la plate-forme exige de manière inconditionnelle des exclusivités. Or Netflix domine largement ce nouveau marché. La bataille est donc loin d’être gagnée.

ON NE DOIT PAS PRÉFÉRER L’IDÉOLOGIE AUX FAITS

Le discours de Justine Triet lors de la réception de sa Palme d’or est typique de la tendance des Français à préférer l’idéologie aux faits. En effet, le moins que l’on puisse dire c’est que, pas plus ce gouvernement que tous ceux qui l’ont précédé, de droite comme de gauche, n’ont manifesté le moindre néolibéralisme visant à casser l’exception culturelle par la marchandisation de la culture.  Tout particulièrement, le cinéma n’a cessé d’être un secteur privilégié.

Justine Trier reconnait d’ailleurs en bénéficier. https://siritz.com/cinescoop/la-remuneration-de-julie-triet/ En effet, non seulement la production de films français est financée par les multiples subventions du CNC et des collectivités locales, auxquelles s’ajoute le crédit d’impôt. Mais, en outre, la loi permet  les investissements des soficas qui n’existent que grâce aux importants avantages fiscaux accordés à leurs actionnaires. Et, surtout, elle impose aux chaînes de télévision, à commencer par Canal +, auquel s’ajoute désormais les plateformes de S-Vod, d’importants financement des films français. Ainsi, c’est largement plus de 50% du financement de la production de film français qui provient de mécanismes prévus par la loi.

UN ÉCOSYSTÈME INTELLIGENT, PAS NÉOLIBÉRAL

Certes, tous ces apporteurs de financement y trouvent un avantage. C’est  que l’écosystème de notre cinéma est  intelligent. Mais il n’a rien de néolibéral.

Autre exemple qui vient à l’esprit quand le cinéma se déclare maltraité : le régime du chômage des intermittents du spectacle, dont font partie ceux du cinéma. En 2019 ils étaient de 290 000, soit 1% de tous les salariés en France. Son déficit, pris en charge par l’État (le contribuable mais, surtout, la dette), était de 1,2 milliards €. Celui des tous les autres salariés du pays était de 19 milliards €. Proportionnellement l’apport de l’État est donc 6 fois plus important pour un intermittent du spectacle que pour tout autre salarié. Cet énorme écart est tout à fait justifié par la spécificité de l’intermittence qui est un des piliers de l’exception culturelle et sans laquelle notre cinéma ne serait pas si performant. Mais on ne peut le qualifier de néo-libéralisme.

Bien entendu, grâce à cet écosystème, le cinéma français est, de loin, le premier de l’Union européenne en terme de fréquentation, de fréquentation par habitant, en nombre de films produits et en part de marché de cette production sur le marché national. C’est pourquoi aucun gouvernement ne le remet le moins du monde en cause.

Enfin, que, comme l’a souligné Justine Triet, produire un film soit un long parcours du combattant pour la plupart des producteurs et des réalisateurs est évident. Mais le cinéma est une industrie coûteuse : la moitié des films français de fiction sortis depuis le début de l’année ont un budget supérieur à 3,5 millions €, ce qui n’est pas une petite somme. https://siritz.com/financine/pathe-et-boon-explosent-les-barometres/Qu’il soit difficile de réunir ces financements alors que 50% des films ne dépasse pas 50. 000 entrées, est inévitable. Néanmoins chaque année, grâce à l’écosystème de notre cinéma, entre 250 à 300 nouveaux films français sont produits et sortent.

Espérons que le projet de décret SMAD du gouvernement ne menace pas l’écosystème de notre audiovisuel

La semaine dernière la presse a fait état des critiques de la Commission européenne concernant le projet du gouvernement français destiné à règlementer les plateformes de S-Vod, en application de la directive européenne sur le même sujet. https://www.lesnumeriques.com/vie-du-net/commission-europeenne-csa-netflix-les-avis-divergent-sur-le-projet-de-decret-smad-n162587.html Il ne s’agit que d’un avis, mais il souligne qu’en cas de plainte devant la Cour européenne de justice, il y a un risque d’annulation de certaines dispositions. Donc que ce texte crée une incertitude juridique. Rappelons qu’avant sa publication il doit également être soumis à l’avis de Conseil d’État qui abordera sans doute les mêmes questions. https://siritz.com/editorial/plateformes-des-enjeux-contradictoires/

Les principes de l’exception culturelle

La directive européenne applique à ces plateformes le principe de l’exception culturelle. C’est sur l’instigation de la France, que, en 1993, l’Union européenne a appliqué ce principe à l’ensemble du secteur audiovisuel. Il s’agit d’une exception parce que, dans le domaine culturel, elle permet aux États européens de contourner les principes du marché unique qui leur interdisent de fausser la concurrence en soutenant de manière discriminatoire leurs entreprises. Ce marché unique a en effet pour objectif de permettre aux entreprises les plus performantes de s’imposer par rapport à leurs concurrents et de bénéficier des économies d’échelle qu’offre le vaste marché européen. L’ensemble des consommateurs européens mais aussi les emplois bénéficient de ce processus.

Mais, dans le domaine culturel, le raisonnement est inverse. D’une part chaque nation acceptera d’autant plus la dure loi de la concurrence qu’elle pourra préserver son identité culturelle. Surtout, le maintien de cette diversité culturelle contribuera à l’enrichissement de l’Union européenne, alors que la libre concurrence conduirait à l’uniformisation culturelle, sans doute au profit d’une culture « universelle » dominée par celle des États-Unis. Dans ce domaine, la richesse provient de la diversité et non des économies d’échelle.

D’où la possibilité pour les différents États d’imposer aux diffuseurs, essentiellement les chaînes de télévision, d’investir un pourcentage minimum de leur chiffre d’affaires dans des œuvres réalisées dans leur langue. Par exemple, en France, cela signifie que des productions d’initiative belge ou québécoise, parce qu’elles sont en français, entrent dans cette catégorie. Ces obligations pèsent beaucoup plus dans notre politique culturelle que notre compte soutien,  qui est à la fois une épargne forcée et un droit de douane sur les œuvres étrangères puisque seules les producteurs et distributeurs d’ œuvres françaises peuvent en bénéficier.

Cette obligation peut être couplée avec l’obligation d’investir dans des œuvres européennes, initiées par des producteurs européens, y compris s’ils ne sont pas français. Ces œuvres européennes peuvent ne pas être réalisées dans la langue nationale du pays. En France, chacun de ces pourcentages était jusqu’ici de deux tiers.

Une volonté de discrimination ?

Dans le projet de décret concernant les plateformes, le pourcentage d’œuvres en français serait de 80 ou 85%, donc bien supérieur à ce qui est imposée à nos chaînes. En cas de recours probable des plateformes, ce sera à la Cour européenne de trancher si ce pourcentage n’est pas « disproportionné ». Par ailleurs, le taux d’investissement dans les films de cinéma français serait d’aumoins 20% du taux d’investissement global dans les œuvres audiovisuelles. Mais ce taux global dépendrait en fait de la fenêtre de diffusion en salle dans la chronologie des médias choisie par la plateforme. Si celle-ci veut que cette fenêtre se situe dans l’année de la sortie en salle, à mi-chemin entre Canal+ et les chaînes en clair coproductrices, le taux global passerait de 20 à 25%, soit une augmentation de 25%. Ce qui serait une véritable punition. Actuellement, alors qu’il n’y a aucune obligation d’investissement cette fenêtre est de 36 mois.

Comme, de toute façon les plateformes ne souhaitent investir que marginalement dans les films de cinéma ,il est peu probable qu’elles choisissent le taux d’investissement le plus élevé qui, de toute façon les situerait loin derrière Canal+. Cette mesure est donc un moyen de protéger la fenêtre de diffusion de Canal+.

Ce qui est surprenant, si c’est le cas, c’est que  les films français, même si le réalisateur, les comédiens et les techniciens sont français ne permettraient pas au producteur d’accéder au compte de soutien alors que les plateforme vont financer celui par la même taxe que nos chaînes. Ces serait d’autant plus surprenant que, jusqu’ici, même quand il était produit par un producteur français et distribué par la filiale française d’un studio américain, un film français était considéré comme un film français et générait du soutien financier pour son producteur français. Si cette disposition était confirmée, non seulement on obligerait les plateformes à investir dans des films de cinéma beaucoup plus qu’elle ne ne souhaitent mais les producteurs français qui trouveraient auprès d’elles leur financement  seraient pénalisés. Au cas où c’est bien ce que le texte imposerait ce serait tout simplement absurde. Le CSA a d’ailleurs critiqué cette disposition.

Faire entrer les plateformes dans l’écosystème de notre audiovisuel est souhaitable. Mais il faut justifier cette démarche par les principes de l’exception culturelle. Pas par la volonté de mettre en place des mesures  clairement discriminatoires à l’égard de ces plateformes.