Archive d’étiquettes pour : Amazon Prime

Serge Siritzky : Dans votre livre vous remarquez que tout l’audiovisuel Français est organisé sur les principes d’une loi de 1986. Elle a été modifiée plus de 80 fois, mais les principes n’ont pas changé. Alors que, depuis, le monde audiovisuel a été profondément bouleversé par le numérique et internet. Et, selon vous, cela pose un véritable problème.

Nathalie Sonnac : Depuis une vingtaine d’année on a effectivement une transformation par l’arrivée des nouvelles technologies de l’information et de la communication ainsi que du numérique. Et cette transformation s’est accompagnée de l’arrivée d’acteurs qui étaient totalement étrangers au monde des médias et de la culture, comme les Telcos, d’autres sont nés avec ce nouveau monde et je pense aux GAFA – Google, Facebook, Amazon ou Apple et aux plateformes numériques, comme Netflix ou Disney+. Et ces acteurs sont extrêmement puissants, à tel point que l’on peut dire qu’ils occupent une place hégémonique dans l’accès à l’information et aux contenus comme dans leur distribution. Leur puissance tient également au fait qu’ils proposent des services qui sont appréciés par le plus grand nombre. Et ils entrent en concurrence directe et indirecte avec les médias traditionnels, chaînes publiques ou privées sur tous les plans. Sur le plan de l’attention, des programmes, de l’accès aux droits, et des revenus publicitaires qu’ils siphonnent littéralement.

SS : Mais c’est de la publicité en ligne.

NS : Les annonceurs des médias historiques se sont précipités vers ce nouveau marché. Google possède la plus grande base de données mondiale de l’humanité , avec une connaissance fine de ce que nous sommes, de ce qui nous intéresse. Amazon c’est le plus grand distributeur de produits au monde. Youtube est de loin la première plateforme de vidéo pour les moins de 25 ans. Tous ces acteurs se sont positionnés dans le marché des industries culturelles et médiatiques. Et ils sont en train de faire vaciller les médias traditionnels.

SS : Vous dîtes qu’une des forces de ces nouveaux médias est leur base de données sur leurs clients qui leur permet de cibler les publicités de manière très précise et de les rendre beaucoup plus efficaces que sur les médias traditionnels qui n’ont que des données très frustres sur leurs clients.

NS : Les médias traditionnels se sont tournés vers la publicité depuis le milieu du XIXème siècle. Cela permettait notamment aux journaux de ne pas être vendus trop cher. Les données principales sur lesquelles s’appuie Médiamétrie, qui servent aux annonceurs de la radio, de la télévision ou de la presse, c’est l’âge, le sexe, la CSP, le revenu. Pour les GAFA la publicité représente entre 85 et 90% de leur chiffre d’affaires. Mais ils brassent les données par milliards, on parle de Big data. Ces données ils les organisent et les sélectionnent avec une précision inouïe, grâce à l’intelligence artificielle. Et elles sont donc beaucoup plus précises que celles relevées par Médiamétrie.

SS : Et ainsi, plusieurs personnes qui regardent le même contenu, vont recevoir des publicités différentes qui tiennent compte des critères de chacune de ces personnes.

Mon essai est une alerte aux pouvoirs publics

NS : Exactement. Par vos likes, par ce que vous avez regardé, par vos amis, toute les traces que nous laissons en naviguant en ligne font qu’ils vous connaissent mieux que vous-même. Cela leur fournit deux leviers puissants. Le premier c’est la capacité à vendre à leurs annonceurs la connaissance des internautes. Le second, c’est que leur connaissance de nous-mêmes leur permet de nous vendre des services qui sont en adéquation avec ce que nous aimons, notamment en matière de films, de documentaires, de séries. C’est là l’un des dangers : ils occupent une position de domination qui menace le modèle économique des médias traditionnels. Or, ce sont ces médias qui fabriquent aussi de l’information fiable et de qualité qui coûte cher à produire. Facebook n’a pas pour mission de fabriquer de l’information fiable et de qualité. Sa seule mission c’est de dégager le maximum de profits. Le vacillement des médias représente un danger pour la démocratie. A ce titre, mon essai est une alerte aux pouvoirs publics.

SS : Vous expliquez que la loi de 86 est fondée sur un certain nombre de principes qui, avant-même l’arrivé de ces nouveaux acteurs, pouvaient être critiqués. Le premier c’est qu’elle ne concerne que les émissions de stock, les œuvres-films, fictions, documentaires-et pas les émissions de flux. Donc pas l’information si importante pour le bon fonctionnement de notre démocratie. Mais pas non plus les formats qui sont si importants du point de vue économique. Enfin la loi vise la diversité des producteurs pas la bonne santé des diffuseurs de télévision. Ainsi, ceux-ci, à la différence des chaînes étrangères, ne peuvent que très marginalement être producteurs d’émissions de stock, donc se constituer un catalogue. C’est peut-être une des causes du fait que nos exportations de films et des programmes de stock sont faibles : les chaînes les financent fortement mais n’ont pas vraiment d’intérêt à commander des programmes qui s’exportent.

NS : Oui. En 1986 il y avait trois à cinq chaînes de télévision. Il existait une asymétrie par rapport aux producteurs notamment de petite taille. Il fallait assurer et garantir la diversité et le pluralisme des programmes avec des producteurs indépendants. C’est sur cette base que, grâce aux décrets Tasca, notre industrie audiovisuelle s’est construite. Mais le câble, la TNT, le satellite, l’ADSL et le web ont complétement changé les données : nous avons aujourd’hui accès à une multitude de chaînes. Notons que les décrets Tasca ont été efficaces :  la dernière étude publiée par l’ARCOM a monté que le nombre de producteurs n’a eu de cesse d’augmenter. Aujourd’hui on en compte près de 5 000. Cette asymétrie de 1986 n’existe plus. Par ailleurs, et c’est là le principale problème, on a un amoncellement de règles qui rendent peu lisible la loi, les intentions des pouvoirs publics et notre capacité à mesurer l’efficacité de nos mesures.

SS : Il faut remettre entièrement à plat la législation ?

NS : Oui. Il faut viser le pluralisme et la diversité. Mais il y a d’autres enjeux : il faut un cadre pour l’utilisation de la donnée et le partage de sa valeur. Il faut mieux préserver une information de qualité et indépendante. Et il faut changer le dispositif de mesures anti-concentration qui est totalement désuet.

SS : Vous faites référence à l’interdiction de la fusion de TF1 et M6, sous prétexte qu’elle aboutirait à une position dominante sur le marché de la publicité TV, alors que les annonceurs des chaînes sont siphonnés par les GAFA et que les chaînes en clair sont en concurrence avec des plateformes beaucoup plus puissantes qu’elles pour l’acquisition de contenu et l’attention des téléspectateurs.

On ne considère pas nos entreprises de média comme des entreprises

NS : Le marché de la publicité télévision est un marché de 3 milliards € qui est en décroissance. Et les GAFA que nos chaînes affrontent ont un chiffre d’affaires pour certains, supérieur au PIB de la France. On reviendra certainement sur cette fusion dans deux ou trois ans mais nous aurons perdu du temps, au risque même que ce soit trop tard.

SS : Une des caractéristiques du système français c’est qu’on a toujours donné à notre télévision des moyens insuffisants. Vous le dénoncer fortement dans votre livre.

NS : Oui. On ne considère pas nos médias comme des entreprises. Ou plutôt, on les considère uniquement comme des entreprises entièrement à part. c’est notable avec le secteur public. Notre redevance pour financer le service public était très inférieure à celle de nos grands voisins et à la moyenne européenne. Donc le service public a été autorisé à compléter ce manque par la publicité, au détriment des chaînes privées, sans jamais considérer l’importance d’avoir un secteur public puissant économiquement parlant. On le pense et on le régule comme un centre de coûts, pas comme un vecteur de soft power, qui emploie et rapporte.

Dans les médias on a une utilité marginale croissante

Pour les chaînes privées il en est de même. De nombreux secteurs ont été interdits de publicité télévisée, son niveau aujourd’hui est du même montant que celui d’il y a 10 ans alors même que le nombre de chaînes a été multiplié. On a ouvert la TNT à 27 chaînes sans penser augmenter l’accès aux ressources de la télévision. On aurait dû autoriser en même temps les secteurs jusque-là interdits. On ne se rend pas compte que dans les médias on a une utilité marginale croissante. Plus vous allez au cinéma, plus vous allez avoir envie d’y aller. Même chose pour les livres, le théâtre ou la musique. C’est l’opposé de l’économie classique. Vous avez faim, vous allez manger une pomme, peut-être une seconde. Mais votre utilité décroit dans votre consommation.

SS : Deux parlementaires viennent de proposer de supprimer la publicité sur le service public, en la compensant par des recettes publiques. Comme cela, selon eux, il y en aura plus pour les chaînes privées, et les diffuseurs publics pourront mieux se concentrer sur leur vocation. Qu’en pensez-vous ?

NS : Deux choses. Je partage l’idée qu’il est impératif de pérenniser les ressources publiques des diffuseurs publics. La redevance est à présent remplacée par une fraction du produit de la tva. Il faut le graver dans le marbre. Ensuite, la publicité après 20 heures est déjà interdite. Ils proposent de supprimer la publicité le reste de la journée et le parrainage. Ce sera positif si on est certain que ces recettes seront intégralement compensées et que l’idée n’est pas de réduire la voilure. Car, une fois encor les chaînes publiques jouent un rôle indispensable dans le financement de la création française. C’est 500 millions d’euros chaque année qui sont investis dans la création. Qu’on les différencie un peu plus des chaînes privées n’est pas une mauvaise chose. Si on est bien certain de remplacer à l’euro près cette baisse de ressource publicitaire. Et que  cette publicité va aux chaînes privées.

SS : Mais on dit que cela va aller majoritairement aux GAFA.

NS : C’est un risque. Et en plus, je me méfie quant à la pérennisation des recettes publiques de compensation.

SS : Revenons à l’information. C’est une des fonctions des médias traditionnels. Et elle est soumise à des règles du jeu précises qui garantissent sa fiabilité. S’ils s’en écartent ils sont sanctionnés par les tribunaux. Mais ce sont les GAFA qui sont aujourd’hui la principale source d’information des gens. Et la plus grande partie de cette information est de source anonyme. Et, elle est si volumineuse que c’est quasiment impossible de la contrôler. Bien plus, les fake news, les messages de haine, les invectives, les clashs ont souvent plus d’audience que les informations rapportant des faits exacts.

Il faut une nouvelle loi qui modifie profondément la loi de 1986

NS : C’est une menace très forte pour la démocratie. C’est pourquoi il faut renforcer le marché pertinent de l’information et garantir les conditions de sa fabrication. C’est une préoccupation des européens par les règlements DSA-DMA qui vise à responsabiliser les GAFA de grande taille et à leur imposer des obligations techniques et humaines de de modérations. Mais depuis que les réseaux sociaux sont dans le champ d’intervention de l’Arcom on voit bien combien il est difficile de les contrôler. Les amendes que l’on peut appliquer à Google ou Facebook sont minuscules face à des entreprises dont la valorisation boursière est supérieure au PIB de la France. La bonne échelle de régulation c’est l’échelle européenne. Mais il ne faut pas négliger l’échelle nationale. La transposition de la directive et des deux règlements est essentielle. Mais elle doit s’accompagner d’une nouvelle loi qui modifie profondément la loi de 1986 et qui, notamment, prenne en compte les risques de circulation de fausses informations. On voit les menaces que font peser certains réseaux sociaux sur la santé mentale des jeunes, cela a été démontré pour Instagram. Il nous faut par ailleurs plus de garanties en matière de transparence de l’information pour lutter contre la défiance à l’égard des médias. Enfin il faut développer l’éducation aux médias et à l’information. Pour aller plus loin et plus vite, car il y urgence, il faut  associer l’Éducation Nationale et médias. Il faut que les élève apprennent dès leur plus jeune âge à être des citoyens numériques.

SS : Mais où trouver le temps à l’École pour cet enseignement ?

NS : On ne peut se limiter à ce type de réponse. On est dans un monde qui aujourd’hui comprend 15% de gens qui pensent que la terre est plate. Cette éducation devient une vraie urgence. Il faut trouver une heure d’éducation au numérique par semaine, et ce, à tous les stades de l’enseignement. Parce que le monde est numérique. On n’envoie plus un curriculum vitae par la Poste. La plupart des documents administratifs sont numériques. Et pourtant, ils sont 40% des Français à qui il manque une des quatre compétences de base.

A l’ère numérique, la manipulation de l’information, la collecte de données à notre insu est une réalité. L’élection de Trump aux Etats-Unis, le vote du Brexit, l’élection de Bolsonaro au Brésil ont posé la question de la manipulation de l’information par des organismes qui ont bombardé les boites mails et autres réseaux pour infléchir les votes. Donc, trouver du temps dans les programmes scolaires à cette formation est un impératif. Aux États-Unis, un tiers des Américains n’ont plus de presse quotidienne régionale et c’est dans ces zones que la participation aux élections a le plus baisser. La perte d’information entraine une perte d’intérêt à la vie de la cité qui se traduit par un non-déplacement des citoyens vers les urnes.

Or, la participation aux élections est un élément fondamental de la démocratie.

SS : Dans un média traditionnel il y a un directeur du média qui est responsable. Il lit tous les articles qui vont paraitre dans le journal ou est au courant de ce que la chaîne ou la radio va diffuser. Mais sur un réseau social il est impossible d’être au courant des milliards d’informations diffusées. Il y a quelques semaines j’ai rencontré Gilles Babinet, le coprésident de notre Conseil national du numérique, et je lui ai dit qu’avec Chat GPT, on avait enfin un outil à qui on allait définir les règles du jeu à respecter et qui pourrait instantanément pointer et, même, bloquer les messages qui ne les respectaient pas. Il m’a répondu que Facebook utilisait depuis des années l’intelligence artificielle dans ce but et employait 60 000 personnes pour ça, et qu’il n’y arrive pas.

Le modèle américain ne respecte pas la vie privée au sens où nous l’entendons

NS : C’est un problème de fonds. En plus, quand Trump était président des États-Unis, parce qu’il avait dit sur Twitter que le Covid n’était pas dangereux et qu’un verre d’eau de Javel suffisait à le guérir, Twitter a fermé son compte, car il s’agissait d’une atteinte à la santé publique. Le nouveau propriétaire, Elon Musk l’a rétabli au nom de la liberté d’expression. Dans le même temps, il a décidé d’interdire de s’exprimer sur Twitter à des journalistes qui ne lui plaisent pas. Tout ça pose de sérieux problèmes de liberté d’expression et de respect de la vie privée. Mais on ne peut dire qu’on n’y arrivera pas. Les règlements européens DSA https://fr.wikipedia.org/wiki/Législation_sur_les_services_numériques et le DMA https://fr.wikipedia.org/wiki/Législation_sur_les_marchés_numériques  sont déjà des avancées majeures. L’Europe est le seul continent à avoir établi des normes et des règles sur l’intelligence artificielle. Le modèle américain ne respecte pas la vie privée au sens où nous l’entendons. C’est une question de culture. Nous devons pouvoir faire respecter la nôtre au même titre qu’eux qui souhaitent imposer la leur.https://fr.wikipedia.org/wiki/Règlement_général_sur_la_protection_des_données sur l’utilisation des données personnelles. Le RGPD est en ce sens une avancée majeure.

SS : En ce qui concerne les plateformes de S-Vod, nous avons transcrit la directive européenne SMA. A cette occasion vous notez qu’on les a obligés à investir dans les œuvres françaises et européennes. Or, comme c’était de l’argent en plus, et, à terme, beaucoup d’argent, pour la création, on aurait pu en profiter pour réduire les obligations des chaînes pour qu’elles aient un peu plus les moyens de résister à ces nouveaux et très puissants concurrents.  On ne l’a pas fait.

NS : C’est un nouvel exemple de la non prise en considération du modèle économique des chaînes de télévision. La directive a pour but de protéger la création, le droit d’auteur et les droits voisins. Elle a permis de faire participer les nouveaux acteurs au financement de la création, réduisant ainsi l’asymétrie entre ancien et nouveau monde. Mais les décrets d’application n’ont pas pris en compte les enjeux économiques des chaînes et la concurrence exacerbée des plateformes numériques. Canal+ finançait le cinéma à hauteur de 150 millions € par an et maintenant c’est 200 millions €. Quant aux plateformes, elles peuvent investir à hauteur de 300, 400, certains parlent même de 700 millions € dans le cinéma et l’audiovisuel. Si on avait réduit obligations des chaînes, elles auraient pu dégager plus de bénéfices et  on aurait pu par exemple les obliger à investir une partie du gain dans la fabrique de l’information.

Est-ce qu’on n’a pas fait entrer le loup dans la bergerie ?

SS : Parmi les plateformes il y en a une, Amazon Prime, pour qui le cinéma et les séries sont un produit d’appel à l’abonnement à la plateforme, qui est elle-même un produit d’appel aux achats auprès du plus grand distributeur de produits au monde. Ses investissements dans ces contenus sont une goutte d’eau pour lui. Un jour Amazon Prime peut décider d’acheter les droits de diffusion des plus grands films français et américains, à la place de Canal+ et des chaînes en clair, même si c’est pour les diffuser 17 mois après la sortie en salle. Déjà, dans Siritz.com, j’ai noté que pour « Le Grand Cirque », Amazon Prime a investi la même somme que Canal+ qui le passe à 6 mois alors qu’Amazon les passer 17 mois après leur sortie en salle. Généralement le deuxième passage payant est acheté bien moins cher que le premier. Ça devrait faire réfléchir sur ses moyens. https://siritz.com/financine/apport-essentiel-des-diffuseurs-payants/

Est-ce qu’on n’a pas fait entrer le loup dans la bergerie ?

NS : Oui. C’est une bonne expression. Amazon Prime s’est acheté une place dans la chronologie des médias pour pas cher. Je ne suis pas certaine que de telles dispositions soient possibles aux États-Unis. Ils protègent leurs acteurs. C’est comme au début des années 2000 les propositions des Telco pour vendre des abonnements triple play : les chaînes de télévision étaient un simple produit d’appel pour vendre de l’abonnement à Internet. Il faut regarder comment se développe la Corée aujourd’hui en investissant massivement dans les industries culturelles et créatives, le soft power  est pour eux une véritable arme économique.

SS : Vous donnez dans votre livre un exemple très parlant : la moyenne des téléspectateurs d’Arte est de 63 ans. Celle d’Arte TV est de 50 ans et celle de Tiktok de 35 ans. Arte c’est vraiment la chaîne la plus en avance dans le domaine du numérique.

NS : Il faut effectivement rendre hommage à Bruno Patino qui a réussi à créer une marque, une plateforme, connue par des gens beaucoup plus jeunes que les téléspectateurs traditionnels de la télévision.

69% DES FILMS FRANÇAIS EN BÉNÉFICIENT

Les chaînes de télévision payantes, Canal+, OCS et Ciné-tv sont une source de financement essentiel du cinéma français. Sur les films français de fiction sortis depuis le début de l’année jusqu’à fin avril, elles en ont préacheté 69%. En général ces préachats sont effectués par deux chaînes. Désormais les plateformes de S-Vod américaines vont s’ajouter aux chaînes françaises. Le financement des diffuseurs payant représente en moyenne 19% du financement Français de ces films. Et, à la différence de celui des chaînes gratuites, il est entièrement en achat de droit de passage et aucunement en part de coproduction. Si on inclut les 31% de films dans lesquels ils n’interviennent, cela représente tout de même 17% du financement français.

A titre de comparaison, les distributeurs ont donné un minimum garanti finançant le film à 80% des films français de fiction sortis  de janvier à fin avril 2023. Mais leur apport moyen pour ces films est de 12,5%. https://siritz.com/financine/distribution-alibi-com2-champion/

Cinéfinances.info* a fourni les données financières de cet article.

Le préachat le plus élevé est de 4,7 millions €, sont 4 millions € de la part de Canal+ pour le premier passage et 700 000 € par OCS pour le second passage. Il a bénéficié à « Asterix et Obélix-L’empire du milieu », dont le budget est également, de loin le plus important de tous les films français. https://siritz.com/cinescoop/la-remuneration-de-guillaume-canet-2/

Le préachat moyen est de 1,187 millions € et le médian de 1,010 millions

Le préachat le plus élevé d’OCS est de 2,8 millions €, pour « Les 3 Mousquetaires-D’Artagnan ». https://siritz.com/cinescoop/les-trois-mousquetaires-dartagnan/ Pour ce film Canal+ a préacheté le 2ème passage de télévision payante avec un apport de 526 000 €.

Au cours de cette période la plateforme Amazon a effectué un préachat de deuxième passage de télévision payante : 500 000 € pour « Le Grand cirque https://fr.wikipedia.org/wiki/Le_Grand_Cirque_(film,_2023)

C’est autant que le préachat d’un premier passage par Canal+ dont la fenêtre de passage ses situe à 6 mois alors que celle d’Amazon est à 17 mois. C’est une indication de la puissance financière des plateformes, qui, même avec une fenêtre éloignée, seront en mesure d’empêcher Canal+ ou OCS de préacheter certains films.

Si on évalue le pourcentage des sources de financement françaises (car il y a de nombreuses coproductions, avec des financements étrangers) financé par l’apport des chaînes payantes, les résultats sont impressionnants.

Le plus élevé est de…. 97,6% pour « Tu choisiras la vie ».https://siritz.com/cinescoop/la-remuneration-de-stephane-freiss. C’est un film réalisé par Stéphane Freiss, dont le budget prévisionnel est de 3 millions €. 20% ont été financés par la France et 80% par l’Italie.  L’apport du producteur français est de 15 000 €, celui de Canal+ de 500 000 € et celui de Ciné+ de 100 000 €.

La télévision payante a financé 97,6% du budget Français de cette coproduction franco-italienne

www.Cinefinances.info est un site, accessible par abonnement, destiné aux professionnels du cinéma.  Il publie budget, le plan de financement et la répartition des recettes prévisionnels de tous les films français qui sortent (hors les films « sauvages » qui ne déposent pas leurs contrats au registre public et ne demandent donc pas l’agrément qui leur permettrait d’accéder à l’aide du CNC). Il s’agit des chiffres de l’agrément d’investissement sur la base duquel le producteur a monté son financement. Il dispose d’archives des films sortis depuis 2010 et d’un puissant moteur de recherche, avec de multiples critères.

ET PAS SEULEMENT NOTRE EXCEPTION CULTURELLE

L’économie de l’audiovisuel a définitivement changé de monde. C’est ce que démontre le rachat par Amazon Prime de la retransmission de 80% des matchs du championnat de France de foot-ball, au nez et à la barbe de Canal+, pour 250 millions €. Cet événement porte sur le sport mais concerne l’ensemble de l’audiovisuel.

https://www.lemonde.fr/sport/article/2021/06/12/le-foot-francais-choisit-amazon-canal-claque-la-porte_6083838_3242.html

Le refus de la chaîne de maintenir le contrat de rachat, pour 350 millions € pour les 20% de matchs restants  se comprend, mais sera-t-il autorisé par la justice ? Si c’était le cas la rémunération annuelle de la Ligue de foot-ball passerait de près d’un milliard d’euros espérés il y a un an, à quelques 250 millions €. Un effondrement par rapport à ce que ce que recevait chaque année la Ligue avant que sa cupidité aveugle l’amène à préférer les mirages de Médiapro au maintien de son partenariat historique avec la Canal+.

Amazon Prime avait déjà décroché pour ses 10 millions d’abonnés français la retransmission de matchs importants de Roland-Garros. Pour elle, ces deux dépenses ne sont que des gouttes d’eau pour décrocher deux produits d’appel au profit de sa plateforme  de vente en ligne, proposant, pour un prix d’abonnement de 49 € par an, une livraison rapide des commandes.  Et cette vente en ligne n’est, elle-même, qu’une recette secondaire pour le premier groupe mondial, dont l’essentiel des profits provient de son service de location de Cloud.

Or ce groupe,  qui vient également de racheter la MGM, son immense catalogue et 50% des James Bond, ne paye pratiquement pas d’impôt sur les bénéfices, comme tous les GAFA, grâce aux mécanismes d’optimisation fiscale C’est dire que, à la différence de tous ses concurrents, il ne participe nullement à la redistribution des richesses, corolaire du régime capitaliste et de l’économie de marché. Et, il pourrait même échapper au minimum mondial de 15% d’impôts sur les bénéfices auquel Biden propose de soumettre toutes les grandes multinationales, puisque cet impôt ne s’appliquerait qu’aux groupes qui dégagent un bénéfice de plus de 10% et que celui d’Amazon, bien qu’étant le plus élevé du monde en valeur absolue, est inférieur à ce pourcentage.

L’économie de Netflix est fondamentalement différente de celle d’Amazon puisque le groupe, malgré ses 210 millions d’abonnés, est encore fortement en perte et que son endettement considérable ne cesse de s’accroître. Mais il est en mesure d’investir 17 milliards de dollars par an dans ses nouveaux programmes, c’est-à-dire bien plus que tous ses concurrents, y compris Disney, de loin le premier groupe audiovisuel du monde, dont la plateforme Disney+/Star a atteint 110 millions d’abonnés en quelques mois.

Il le peut parce que sa capitalisation boursière ne cesse d’augmenter plus vite que son endettement et que son fondateur vise sans doute à céder un jour, avec un énorme profit, son contrôle à beaucoup plus gros que lui, peut-être Facebook, Google ou Microsoft, des groupes qui eux aussi ne payent pratiquement pas d’impôt sur les bénéfices.

Disons-le sans hésiter :  à partir du moment où les plus grosses entreprises ne payent pas d’impôt, et peuvent, de ce fait, violer les règles les plus élémentaires de la concurrence équitable, on est sorti de l’économie de marché et du capitalisme. Au point que l’on peut se demander si les mécanismes d’exception culturelle- fonds de soutien, obligations d’investissement et chronologie des médias- sont à la hauteur du véritable Tsunami que constitue l’irruption dans l’audiovisuel de ces plateformes mondiales qui ne jouent pas le jeu.

https://siritz.com/editorial/plateformes-des-enjeux-contradictoires/

Il semble notamment nécessaire de mettre en place des mécanismes d’exception, pas seulement en faveur de nos créateurs et de nos producteurs, mais aussi en faveur de nos diffuseurs nationaux qui eux sont obligés de respecter les règles du jeu. Car ces plateformes, même avec les réglementations prévues par la directive SMA, pourraient surpayer certaines oeuvres françaises mais aussi américaines, pour en sevrer nos chaînes à péage et les conduire à la disparition.

Par ailleurs, nos pouvoirs publics ne doivent pas faire preuve de  trop de naïveté. Ainsi,  ils ont mis en place le Pass culturel pour inciter les jeunes à consommer des biens culturels : cinéma, livre, théâtre et musique. Or, on découvre que la très grande majorité de ces Pass sert à acheter des mangas japonaises. Certes les libraires, qui voient affluer des jeunes qui ne venaient jamais chez eux, sont ravies. Mais, pour faire de la place aux mangas, ils ont réduit celle réservée aux autres livres. La culture est-elle vraiment gagnante ?

Siritz : La SACD a signé avec Netflix,  quelques mois après son lancement en France, un contrat similaire à celui avec les chaînes de télévisions, pour la rémunération de ses auteurs.

Pascal Rogard : La particularité de cet accord tient au fait que nous avons communication du nombre de vues de chaque œuvre et que le barème adopté par le conseil d’administration de la SACD prévoit une rémunération en fonction de ces vues.  Evidemment, le barème prévoit une majoration pour les  œuvres inédites, des séries ou des téléfilms, dont la première diffusion est sur Netflix. Ça pourrait être aussi le cas pour les films de cinéma mais, pour le moment, il n’est pas dans la stratégie de Netflix de proposer en première diffusion des films de cinéma, c’est-à-dire des œuvres sorties en salles.

Siritz : Vous avez un moyen de contrôler ces chiffres qu’ils vous fournissent ?

PR : Je ne vois pas quel intérêt ils auraient à nous fournir de faux chiffres. De toute façon, ils nous payent un pourcentage de leur chiffre d’affaires. 

Siritz : C’est leur chiffre d’affaires en France ?

PR : Notre contrat porte sur trois territoires : la France, le Luxembourg et la Belgique. Et pour les autres territoires qui bénéficient du même système qu’en France, comme avec les télévisions, les sociétés d’auteur locales nous reversent les droits en fonction de l’audience des œuvres inscrites à nos répertoires, sauf dans les pays où ils n’existe pas encore un droit à rémunération proportionnelle des auteurs.

Siritz : Mais vous n’avez toujours pas d’accord avec les autres plates-formes, qui diffusent pourtant aussi des œuvres audiovisuelles et des films ?

Amazon Prime et Apple ont des prix de bundle

PR : Effectivement, ni avec Amazon Prime, ni avec Apple. Ni d’ailleurs avec Facebook qui nous répond circulez, il n’y a rien à voir. On n’a pas d’accord non plus avec Disney +, que nous avons contacté avant le lancement de l’offre mais qui n’a pas encore répondu à notre demande d’entamer une négociation. Par contre nous avons a un accord avec YouTube. Il faut comprendre que chaque plateforme a ses particularités mais que certaines cherchent à fuir leurs responsabilités.

Siritz : Mais, avec Amazon, y a-t-il des discussions ou bien refusent-ils   simplement de discuter ?

PR : Si, ils discutent. Mais ils ont comme Apple, des prix de bundle : les films et les œuvres sont un produit d’appel pour vendre une multitude d’autres choses. Certains professionnels critiquent Netflix – de moins en moins d’ailleurs – mais au moins, c’est un pur acteur du marché. 

Amazon vend des tas de choses et le prix d’abonnement à Amazon Prime est un faux prix. Il est la moitié du prix de l’abonnement à Netflix. Pour moi, si l’audience d’une œuvre est la même que sur Netflix, il n’est pas normal que l’auteur touche deux fois moins. Les auteurs ne sont pas là pour vendre les produits entassés dans les entrepôts d’Amazon.

Siritz : Donc la discussion porte sur la valorisation de l’offre de vidéo. 

PR : Pas seulement. Il existe plusieurs autres critères comme le nombre de gens connectés et la durée de connexion. Le véritable problème, que le CNC va aussi connaître pour collecter sa taxe tout comme le CSA pour faire respecter les obligations d’investissement, c’est que le chiffre d’affaires d’Amazon est réalisé sur un prix d’appel pour ses autres activités, comme pour Apple qui veut surtout vendre ses i-Phones. 

Siritz : Mais alors comment fixer un prix ?

PR : Le prix de référence doit clairement être le prix des vrais acteurs du marché comme Netflix ou Disney qui sont de véritables acteurs de notre secteur : on regarde combien Netflix nous verse et cela permet de calculer un minimum garanti par abonné.  Bien entendu, il peut y avoir des variables comme la présence de notre répertoire, mais cette présence augmentera en raison des obligations de la directive européenne.

Siritz : Mais pour l’instant Amazon diffuse des œuvres sans accord. Ils sont donc en infraction parce qu’ils n’ont pas les droits de diffusion.

PR : Pour l’instant les discussions existent, même si j’ai de sérieux doutes sur leur bonne foi. De toute façon, nous ne ferons rien dans l’immédiat car les tribunaux fonctionnent au ralenti. Mais si nous n’aboutissons pas rapidement, si nous ne sortons pas de ces interminables négociations, et dès que la justice se remet en marche, la SACD les assignera et je ne doute pas qu’ils seront condamnés. Presque toutes les négociations sont difficiles. Canal+ avait arrêté de nous payer et ne respectait pas son contrat. Pour les obliger à rémunérer les auteurs j’ai dû les assigner. On a conclu un accord quelques jours avant de passer devant le tribunal. Et là, nous avons encore des problèmes avec eux. Alors que je le dis, Netflix a toujours été d’une correction exemplaire.

Siritz : Le chef de l’Etat,  lors de sa discussion avec les professionnels, a dit que la directive serait en application le 1er janvier. C’est très attendu, ne serait-ce que pour compenser l’inévitable baisse des investissements des chaînes. Mais est-ce que la profession sait ce qu’elle souhaite ? 

Ce qui est compliqué c’est le partager les obligations entre le cinéma et l’audiovisuel

PR : Pas du tout. Ce qui est compliqué c’est de partager, selon les plates-formes, les obligations à l’égard du cinéma et de l’audiovisuel. On peut fixer un pourcentage d’investissement global que les plates-formes vont répartir comme elles veulent. On peut se baser, comme actuellement, sur les consommations. Le cinéma aura alors très peu. On peut aussi fixer, au sein d’un pourcentage global d’investissement un minimum pour le cinéma et un minimum pour les œuvres audiovisuelles.

Siritz : La profession n’avait-elle  pas commencé à discuter ce point essentiel ?

PR : Non, cela devait commencer quand la crise est arrivée. 

Le gouvernement avait nommé deux facilitateurs : Pierre Sellal, l’ancien ambassadeur auprès de l’Union européenne, un grand diplomate expert en négociations, et Florence Philbert, la directrice générale de l’IFCIC, qui connaît très bien le secteur. Mais ce dispositif n’a pas eu le temps de se mettre en place.

Siritz : Une fois réglée cette question de répartition comment tenir les délais ?

PR : On peut, après avoir transposé la directive par une loi ou une ordonnance, laisser la profession négocier, à condition qu’elle se soit mise d’accord sur tous les points. Mais je ne suis pas certain que la négociation par les professionnels soit une garantie du respect de l’intérêt général.

A un moment il faut que quelqu’un tranche

Siritz : N’est-ce pas logiquement à elle de mener cette négociation ?

PR : Si l’on regarde les résultats des dernières négociations, nous sommes contraints de constater que les résultats ne sont pas formidables. Celle avec  Canal+ a abouti à un plafonnement de ses investissements et donc une baisse des financements pour le cinéma.  Sur la chronologie des médias les résultats n’ont pas été extraordinaires non plus. Sinon, le gouvernement et le CSA reprennent la main pour accélérer le processus parce qu’à un moment il faut qu’une autorité tranche, dans la mesure où le cinéma va réclamer sa part du gâteau, l’audiovisuel va demander la sienne et il n’est pas sûr que les demandes des deux soient cohérentes.

Siritz : Et en ce qui concerne la chronologie des média ?

PR : Les plates-formes n’ont pas intérêt à investir dans le cinéma puisqu’elles doivent attendre très longtemps, bien après Canal+, pour diffuser les films. Elles devraient attendre un an de plus que Canal+ et OCS. Il serait logique de faire dépendre le délai, non pas du mode de diffusion, linéaire ou non-linéaire, mais du montant l’investissement fait dans le cinéma en respectant le principe de neutralité technologique.

Siritz : A l’heure actuelle la taxe que paye Netflix au CNC, c’est 5,15% de son chiffre d’affaires, comme les autres chaînes. Mais leur TVA est à 20%, à la différence de Canal+ et OCS qui ont une TVA à 10%.

PR : Effectivement. Des obligations d’investissement fortes devrait conduire à un alignement de leur taux de TVA. On ne peut pas les soumettre à 25% d’obligations d’investissement, limiter leurs droits à 2 ou 3 ans, aligner leur taxe au CNC et les placer après Canal+ et OCS dans la chronologie des médias.  Avec l’actuel chronologie des médias, Canal+ peut passer des films Disney bien avant Disney +. 

Siritz : Mais le gouvernement peut imposer  ces règles par décret en arguant que, à la différence des diffuseurs français, ce sont des diffuseurs mondiaux.

Ne pas risquer de déclencher un conflit commercial avec Trump

PR : Il faut être prudent car ce sont des entreprises américaines. Si on leur impose des règles qui seraient jugées discriminatoires, cela risque de déclencher un conflit commercial avec Donald Trump. C’est là que quelqu’un comme Pierre Sellal, qui connaît bien ces les négociations internationales, est très utile. Il ne faut pas agiter le chiffon rouge devant Washington. Trump ne défend pas spécialement les GAFA, mais il  ne faut pas lui fournir un prétexte pour mettre en cause les réglementations qui protègent la création.

Siritz : Avec Netflix quel est la question la plus sensible ?

PR : Ce n’est pas le pourcentage des investissements. Ils investissent déjà de plus en plus parce qu’ils savent que c’est bon pour leurs abonnements en France et que notre savoir-faire est reconnu dans le monde entier. 

Le sujet ce sont les droits. Leur modèle économique c’est d’investir 120 à 130 % du coût et de prendre tous les droits. C’est le système des majors. En France la production indépendante veut conserver les droits.

Siritz : Mais, donc, il paraît peu probable que le 1er janvier le système soit en place. 

PR : Il n’est pas impossible de tenir les délais. Il faut d’abord transposer la directive par une loi ou une ordonnance. Je ne crois pas que la profession soit capable de se mettre d’accord sur la répartition des investissements entre l’audiovisuel et le cinéma. C’est à la puissance publique  de trancher. On n’a aucun moyen de trancher en regardant la consommation sur Netflix. La plate-forme ne diffuse aucun film inédit. En revanche le cinéma, lui,  doit faire le choix : s’il veut conserver Canal+ comme premier diffuseur du Cinéma, cela bloquera les plates-formes. Le plus simple est que le gouvernement fixe les grandes règles par décret et que le CSA joue son rôle de régulateur.

Pascal Rogard a été secrétaire général de la Chambre syndicale des producteurs et exportateurs à partir de 1981. Il entre également au Comité des industries cinématographiques et audiovisuelles des Communautés européennes (CUCCE) dont il devient secrétaire général. Entre 1989 et 2003 il es délégué général de la société civile des auteurs, réalisateurs, producteurs (ARP) initiée par le réalisateur et producteur Claude Berri. Il devient directeur général de la SACD en 2004.

Le prix de vente est confidentiel, mais on peut faire des hypothèses

Nicolas Duval (Quad), le producteur du film « Forte », qui devait sortir en salle le mercredi 18 mars,  a fait le choix de ne pas le sortir en salle et de le vendre pour une sortie directe en S-Vod sur Amazon Prime qui le sortira mondialement sur sa plate-forme le mercredi 15 avril. Ce film, comme « Petit pays », qui devait sortir le même jour,  avait fait toute sa  promotion médiatique et publicitaire et ne pouvaient espérer sortir avant longtemps. Sans savoir d’ailleurs, si, une fois les salles autorisées à ouvrir,  le public n’allait pas hésiter à aller s’enfermer au cinéma. Et avec l’obligation de faire une  nouvelle campagne de promotion, ce qui élèverait le point mort de la distribution. 

Selon Cinéfinances.info* le film a un budget de 3,6 millions €.  Canal+ l’avait préacheté pour 627 000 €, Multithématique pour 130 000 € et Canal + International 3 000 €. France 2 avait investi 300 000 € en coproduction et autant en préachat. TMC l’avait préacheté 130 000 €.  Enfin le producteur belge a investi 50 000 €. Il semble probable  que le prix de vente a permis de rembourser ces investissements, ce qui représente 1 610 000 €.

TF1 DA, en tant que distributeur avait donné un minimum garanti de 550 000 € auxquels  se sont ajoutés les frais d’édition. Le prix de vente a sans doute permis de rembourser une partie sinon la totalité de cet investissement.  En outre UGC devait assurer la distribution physique pour le compte de TF1 DA, avec une commission certes réduite, mais une  assurance de gain sans risque.

Il y  a deux autres sources de financement : 425 000 € d’aide de la région île de France qu’il n’y a sans doute pas à rembourser car ce type d’aide est également prévue pour la diffusion sur une internet.  Et  50 000 € de placement de produit, apportés par l’agence Hill Valley, qui ne réclamera sans doute pas de remboursement, compte tenu de la très forte diffusion d’Amazon prime.

Reste l’investissement en numéraire de Quad qui est de 561 000 €, et qui ne peut être compensé par aucun crédit d’impôt, ainsi que 100 000 € de part coproducteur de TF1 DA. Quad avait mis la totalité de son salaire et de ses frais généraux en participation. L’investissement des producteurs a éventuellement pu être réduit si les 10% d’imprévus n’on pas été totalement utilisés.

Mais, si le choix de la sortie en salle avait été choisi, Quad n’aurait pas à renoncer à son crédit d’impôt qui aurait couvert une grande partie de son apport en numéraire et, en tout état de cause, aurait touché du soutien financier. Alors que TF1 DA aurait beaucoup plus à perdre, car il faudrait amortir un minimum garanti et des frais d’édition presque doublés.

Bien entendu, le prix de vente de cette opération est soumis à une totale confidentialité. Mais on peut imaginer qu’il couvre certainement les 1 610 000 € des partenaires et sans doute aussi les 550 000 € de minimum garanti de TF1, ce qui revient à  2 160 000 €. 

La question est de savoir s’il couvre aussi les frais d’édition de TF1 et l’investissement producteur de Quad et de TF1 DA ? Cela donnerait un prix se situant entre 3 et 3,5 millions €, ce qui peut paraitre très élevé. Mais Quad et TF1 DA ont les moyens de ne pas brader un film en attente de jours meilleurs. Et les plates-formes sont capables d’acheter les droits mondiaux de séries  de 52 minutes 2 millions l’épisode, voir plus. Donc, ces prix ne sont pas impossibles. Surtout que, comme  expliqué dans notre éditorial, il y a peut-être la possibilité pour Amazon Prime de négocier avec TF1, et peut-être aussi avec France télévisions,  des tarifs de publicité exceptionnellement bas. Il sera donc intéressant de surveiller comment Amazon va promouvoir  cette offre.

*Les chiffres de cet article proviennent de Cinéfinances.info www.Cinefinances.info*  est un site, accessible par abonnement,  destiné aux professionnels du cinéma.  Il publie le budget, le plan de financement et la répartition des recettes de tous les films français qui sortent (hors les films « sauvages » qui ne déposent pas leurs contrats au registre public et ne demandent donc pas l’agrément qui leur permettrait d’accéder à l’aide du CNC). Il dispose d’un puissant moteur de recherche multicritères et de 10 ans d’archives.