SCARLETT JOHANSSON POUR LA SALLE
Par Serge Siritzky
CETTE BATAILLE ESSENTIELLE NE FAIT QUE COMMENCER
Le procès intenté à Disney, devant un tribunal de Los Angeles, par la comédienne Scarlett Johansson, est significatif de la situation devant laquelle se trouve le cinéma, c’est-à-dire des films destinés aux salles, entre la Covid 19 et la S-VoD. En effet, Dinsey, le distributeur du blockbuster « Black Widow », dont la star est l’interprète principale mais aussi la productrice, a, aux États-Unis, décidé de distribuer le film sur sa plate-forme de S-VoD, Disney +, en même temps que la sortie en salle. https://www.lemonde.fr/culture/article/2021/07/30/scarlett-johansson-attaque-disney-pour-la-sortie-en-streaming-de-black-widow_6089962_3246.html
Jusqu’à présent, touchés comme en France par la pandémie, les exploitants américains étaient en position de faiblesse par rapport aux Studios : ils avaient un besoin vital de leurs blockbusters. Mais, aux États-Unis le cinéma est un secteur comme les autres, alors qu’en France et pour l’Union Européenne, ce n’est pas le cas.https://siritz.com/editorial/la-singularite-du-cinema/
Mais, soudain, un talent, qui est essentiel pour l’existence et le succès des films entre en jeux. Scarlett Johansson estime en effet que le non-respect de l’habituelle priorité à la sortie salle sur tout autre média, qui est aux États-Unis de trois mois, explique les mauvaises performances du film. En trois semaines, il n’a atteint que 150 millions de $ au box-office alors que ce type de film vise entre 500 millions $ et un milliard de $ en salle aux États-Unis. Or, en tant que productrice, elle a un intérêt sur les recettes salles. Elle estime donc qu’il y a rupture de contrat et demande de fortes indemnités compensatoires.
Disney rétorque que, c’est du fait de la Covid 19, que la fréquentation en salle est très inférieure à celle réalisée habituellement par ce type de films et que, pour l’amortir, cette double sortie était indispensable. D’ailleurs, les abonnés à Disney+ doivent payer 30$ pour le visionner. Cette offre aurait ainsi permis de générer 60 millions $ de chiffre d’affaires sur lequel Disney affirme que la productrice aurait également un intéressement. Mais, pour l’instant, il n’y a pas de système de mesure de ces recettes de la S-VoD qui sont entièrement contrôlées par les plateformes.
Le procès, s’il a lieu, durera longtemps et il est plus probable qu’il n’ira pas jusqu’au bout et que l’affaire se terminera par un compromis dont on ne connaitra pas les termes.
Bien entendu, en France, les studios sont obligés de respecter la chronologie des médias. Aujourd’hui la fenêtre de la S-VoD est de 3 ans après la sortie salle. Lorsque le décret SMAD sera mis en application, elle devrait être rapprochée aux alentours de 12 mois.
En France « Black Widow » a rassemblé 900 000 spectateurs la première semaine, début juillet, mais a chuté de plus de 50% la seconde semaine et termine à moins de 1,7 millions d’entrées.
Les exploitants américains commencent à se réveiller. Ainsi, le NATO, qui est leur équivalent de notre Fédération Nationale des Cinéma français, commence enfin à se pencher sur la question.
Du côté des talents, Denis Villeneuve, le réalisateur de la nouvelle version de « Dune », a pris position en faveur de Scarlett Johansson. Si les talents commencent à s’unir pour défendre la priorité accordée à la sortie salle et exigent qu’elle soit inscrite dans leurs contrats, ils ont du poids.
Il faudrait au moins que, aux États-Unis, on termine par un compromis qui distingue très clairement deux périodes : la période actuelle où la fréquentation en salle est très affaiblie par la pandémie. Les studios sont y justifiés à demander des règles particulières pour amortir de lourds investissements qui ont été décidés avant la pandémie. Lorsque la fréquentation atteindra de nouveau ses niveaux d’avant la pandémie il faudra revenir à la chronologie des médias habituelle. Et imposer un contrôle des recettes de la diffusion des films en S-VoD.
Mais cette bataille essentielle ne fait que commencer et les studios qui ont des plateformes ne peuvent faire tout ce qu’ils veulent.