
L’INDUSTRIALISATION RÉUSSIE DE NOTRE AUDIOVISUEL
Par Serge Siritzky
L’industrie française du cinéma et de l’audiovisuel est la preuve que notre pays peut être l’une des toutes premières puissances économiques et créatrices du monde, pour peu qu’elle accepte de s’en donner les moyens. Comme elle l’a prouvé en réussissant à réaliser les plus spectaculaires Jeux Olympiques de l’Histoire, en tenant les délais, sans dépasser le budget et en trouvant le financement. Comme elle a réussi à reconstruire Notre-Dame, en tenant les délais et le budget.
Notre industrie du cinéma est un autre exemple parlant. Rappelons-nous qu’en 1947, par les accords Blum-Byrns, les américains ont conditionné l’annulation de la dette de la France à leur égard ainsi que le bénéfice de futur plan Marshall, au déferlement non limité de leurs films sur notre territoire.Le cinéma français aurait pu être balayé.
Le cinéma a su se donner les moyens de résister au cinéma américain
Mais, sachant, tout autant que les américains, l’importance du cinéma, il a su lui donner les moyens de résister. Il a inventé le génial compte de soutien : une recette différée pour nos producteurs, distributeurs et exploitants, à condition qu’ils la réinvestissent et, donc, ne baissent jamais les bras. Et une recette augmentée, parce que financée par un quasi droit de douane sur les films américains. Les américains ne pouvaient se plaindre, parce que, en France, le cinéma, comme la culture, bénéficias d’une taxe sur le chiffre d’affaires très favorable. Bien plus tard, ce mécanisme a été complété par l’organisation d’un partenariat structurel entre les producteurs de films français et les chaînes de télévision. Puis par le drainage, vers la production de films français, des capitaux privés, grâce aux sonica. Et, enfin, par le soutien des régions et des collectivités locales aux tournages de productions françaises sur leur territoire afin d’y susciter des emplois et promouvoir leur image.
Grâce à quoi, non seulement le cinéma français n’a cesser de résister au cinéma américain, mais il est aujourd’hui le premier d’Europe et l’un des premiers du monde. Comme le confirment les 4 Golden Globes de « Emilia Pérez » et ses 11 nominations aux Oscars, record historique pour un film non américain et non anglophone.
Le compte de soutien a été étendu et tous les mécanismes mis en place pour le cinéma ont été mis en place au profit des œuvres télévisuelles, notamment des séries, et la France a désormais les plus importants producteurs de télévision européens.
L’inauguration par la ministre de la Culture du pôle de l’image et du son de l’Est Parisien est une nouvelle l’occasion de démontrer le potentiel de la France pour peu qu’elle s’en donne les moyens. Comme on le sait il regroupe notamment les studios de Bry-sur-Marne où « Émilia Pérez » a été intégralement tourné et, qui, d’ici 2026, passeront de 7 à 14 plateaux, avec 7 000 m2 d’ateliers.
Or, en 2017, je constatais que nos studios de tournages fermaient les uns après les autres faute de rentabilité, que de plus en plus de tournages de films français avaient lieu à l’étranger et que les blockbusters américains qui auraient pu être tournés en France s’en détournaient.
Alors que je dirigeais encore Écran total, j’ai proposé à Marc Tessier, qui dirigeait alors Film France, chargé de promouvoir les tournages en France, d’étudier la question et de proposer des solutions. Il m’est très vite apparu que les britanniques avaient plusieurs gigantesques studios de tournage qui tournaient à plein et qui étaient si rentables qu’ils avaient décidé d’investir 400 millions $ dans de nouveaux studios.
La nécessité d’investir dans des studios de tournage modernes
En fait, la crise des studios français avait deux causes. Tout d’abord, comme souvent en France, une cause idéologique : depuis les succès de la Nouvelle vague, tournés en décors naturel et caméra sur l’épaule, la plupart de réalisateurs estimaient qu’une véritable œuvre cinématographique se devait d’être tournée en décors naturel. D’autre part, nos studios étaient anciens et pas du tout configurés pour le cinéma moderne : peu de plateaux, pas de grands plateaux, pas d’ateliers pour fabriquer les décors, pas de surface pour stocker les décors, pas de backlots pour tourner en décors naturels, etc… Certes, il était probable que les réalisateurs français de cinéma mettraient du temps à reconnaître l’intérêt du tournages en studio, mais la télévision allait bientôt connaître une véritable révolution avec l’explosion des séries. Or l’économie des séries reposait sur le tournage dans quelques décors récurants et l’utilisation des fonds verts pour les décors extérieurs. Elles allaient donc avoir une faim insatiable de studio. Inciter à la création des ces studios modernes était donc impératif.
Le handicap du coût de travail plus élevé qu’ailleurs
Par ailleurs, la France avait un handicap qu’elle rencontre dans pratiquement tous ses secteurs industriels : son cout du travail sensiblement plus élevé que partout ailleurs, du fait des 35 heures et des charges sociales. Il existait certes un crédit d’impôt pour le compenser, mais en partie seulement. Il était donc souhaitable de l’augmenter et de le généraliser aux tournages de films et d’œuvres étrangères. On pouvait d’ailleurs démontrer que ce « cadeau » fiscal, par les emplois directs et indirects qu’il créerait, générerait des recettes pour l’État bien supérieures à ce cadeau.
Ce constat et ces propositions ont été publiés * par le CNC en 2019. Et l’État a lancé La grande fabrique de l’image 2030, un plan de 350 millions € pour soutenir la création de 11 grands studios de tournage aux 4 coins du territoires. Plusieurs fonctionnent déjà et d’autres vont apparaître.
Ainsi, alors que certains pensent que la France est condamnée à la désindustrialisation, dans le cinéma et l’audiovisuel, elle ne cesse de développer son industrialisation et ses emplois. La grande fabrique de l’image 2030 de la France permet l’industrialisation réussie de notre audiovisuel français.
*Les studios de tournage, un enjeu primordial pour la production en France
https://www.cnc.fr/recherche?