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L'édito de Serge
Serge Siritzki

LES MÉFAITS DU MYTHE DU RÉALISATEUR-AUTEUR

Par Serge Siritzky

LES SÉRIES,  Y ONT ÉCHAPPÉ COMME LE THÉÂTRE ET L’OPÉRA

Ainsi que  l’ont brillamment démontré dans Siritz.com aussi bien Abdel Rafrou Dafri (https://siritz.com/le-carrefour/ard-prophete-du-scenario/ ) qu’un scénariste anonyme (https://siritz.com/le-carrefour/un-scenariste-met-les-pieds-dans-le-plat/), le cinéma français est victime du mythe de l’auteur-réalisateur. Un mythe sur lequel est fondé tout notre système de soutien..

Car, un film de fiction, comme une série, c’est d’abord une bonne histoire. Le réalisateur l’enrichit à l’occasion de sa mise en image, ce qui suppose qu’il sache choisir ses collaborateurs techniques de création : notamment le directeur de la photo (https://siritz.com/le-carrefour/remy-chevrin-notre-cinema-manque-dambition-visuelle/ le chef décorateur (https://siritz.com/le-carrefour/alice-bonetto-decoratrice-de-film/), le créateur des costumes

(https://siritz.com/le-carrefour/lapparence-revele-beaucoup-sur-les-personnages/ ). Il l’est aussi par son casting et sa direction d’acteurs. Il l’est enfin par son montage. Et la bande musicale est souvent aussi importante que la mise en image.

Mais, sans bon scénario il n’y a pas de bon film. Or, en France, les réalisateurs qui sont aussi de bons scénaristes se comptent sur les doigts d’une main. Ce mythe du réalisateur-auteur, inventé par la Nouvelle vague, ne se retrouve d’ailleurs que dans le cinéma. Personne n’oserait affirmer qu’un bon opéra commence par un bon metteur en scène et que le compositeur-Mozart, Wagner ou Verdi-est secondaire. Bien entendu, certaines mises en scène enrichissent considérablement des opéras. https://www.opera-online.com/fr/columns/manu34000/jean-liermier-met-en-scene-un-cosi-fan-tutte-ingenieux-mais-amer-a-lopera-de-lausanne . Il en est de même en ce qui concerne les pièces de théâtre. Mais, dans le cinéma, les réalisateurs sont, par nature, des Léonard de Vinci dotés de tous les talents.

Il est significatif que le scénario de «Un prophète», écrit par Abdel Raouf Dafri, et qui est un chef d’œuvre, n’a attiré l’attention de la profession sur le talent de celui-ci qu’à partir du moment où un grand réalisateur, Jacques Audiard, a décidé de le tourner. Ce n’est qu’alors que son projet de série, qu’il avait écrit avant, a soudain été pris en considération par un diffuseur.

Les producteurs de cinéma, et il y en a évidemment de talents, sont incités par tout notre système de soutien â produire beaucoup de films, mais pas forcément des films pour être vus. D’où 200 à 250 films par an, mais seulement de 35 à 40% de part de marché national et 10% de chiffre d’affaires à l’exportation. Et, pour parvenir à produire plus de 200 films par an, le mythe du réalisateur-auteur est commode parce que ce serait beaucoup plus difficile s’il fallait 200 bons scénarios.

Le pire c’est que ce mythe est un véritable boulet pour les réalisateurs. Un réalisateur de talent enrichit considérablement un scénario et deux réalisateurs de talents peuvent faire des films très différents à partir du même scénario. Mais, en France, on demande au réalisateur de courir à la fois le sprint et le marathon. Il a peu de chance d’être bon dans les deux disciplines.

Pour la série, l’approche est heureusement différente et le ou les scénaristes sont à l’origine de tout. Certes, notre système de soutien des séries est beaucoup moins généreux que pour le cinéma et ne permet que de financer des budgets de 800 000 à un million d’euros l’heure. Mais les diffuseurs ont besoin de programmes qui plaisent au public pour générer de la publicité ou des abonnements. Et, de plus en plus souvent, pour sortir de ce carcan et financer des budgets de 2 millions € l’heure, ils doivent viser l’exportation.

Mais la situation évolue. Jusqu’à présent les jeunes qui voulaient faire du cinéma voulaient surtout être réalisateurs. C’était le graal. Aujourd’hui ils découvrent des séries de grande qualité, américaines mais aussi françaises. Et un nombre croissant d’entre eux comprend qu’être scénariste est peut-être plus épanouissant. Et la FEMIS, à la différence de l’IDHEC, assure la formation de scénaristes et de producteurs, pas uniquement de réalisateurs.

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