LA MORALE COMME CRITÈRE DE LA PROGRAMMATION ?
Par Serge Siritzky
Imaginons que les libraires Français décident de ne plus vendre aucun exemplaire du « Voyage au bout de la nuit ». Certes c’est un grand chef d’oeuvre de la littérature française et mondiale. Mais Louis-Ferdinand Céline s’est comporté comme un salaud par son antisémitisme et sa collaboration avec les nazis sous l’occupation.
Pour les mêmes raisons les libraires décident de ne plus vendre les romans de Brasillach, à commencer par « Comme le temps passe ». Et aucun théâtre ne présente plus une pièce de Jean Anouilh qui était lui aussi un vantisémite.
Naturellement cela fait sourire. C’est pourtant le comportement de plusieurs exploitants à l’égard d’un film Français, l’ émouvant documentaire « Promenade à Varsovie » de Mateusz Kudla et Anna Kokoszka-Romer à propos du retour de Roma Polanski sur les lieux de son enfance. La plupart des exploitants ont refusé de le sortir parce que Polanski a été condamné, aux États-Unis, pour avoir eu des relations sexuelles avec une mineure. Il y a 40 ans. Et parce qu’il est accusé de viol par plusieurs femmes, mais, dans ce cas, sans que cela ai jamais été jugé. Certains de ces exploitants ont clairement indiqué que la « morale » était leur motif puisqu’ils ont tout simplement refusé de visionner le film. Laurent Pétin, le distributeur du film, estime que « ces exploitants qui ont refusé de programmer le film se comportent comme des auxiliaires de justice. »
Seuls deux exploitants à Paris l’ont sorti. Tous les autres, et notamment tous ceux du Quartier Latin, ont refusé de le programmer, très souvent sous prétexte, non du passé des Polanski, mais « parce qu’il ne marchera pas ». Or, si c’est leur argument, ils se sont lourdement trompés puisque c’est lui qui, avec 322 entrées à l’Arlequin dès le premier jour, réalise, de loin, le plus grand nombre d’entrées de tous les films du Quartier Latin. Et, au Balzac à Pars, sur les Champs-Élysées, il est, de loin, en tête des entrées de trois films programmés.
Il y avait une époque où les exploitants n’avaient pas peur que leur programmation déclenche la polémique. Mais nous sommes visiblement entrés dans une autre époque où la crainte des manifestations ou des critiques d’une petite minorité sur les réseaux sociaux ou dans la presse, suffit pour entrainer la censure de certaines œuvres.
Notons tout de même qu’il n’y a eu aucune polémique dans la presse ou sur les réseaux sociaux ni aucune manifestation devant le cinéma Arlequin à la suite de la programmation du film.