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L'édito de Serge
Serge Siritzki

IL NE FAUT PLUS SE RACONTER D’HISTOIRES

Par Serge Siritzky

Il ne faut plus se raconter d’histoire. Sauf changement structurel majeur la fréquentation cinématographique en France ne retrouvera pas ses niveaux d’au moins 200 millions de spectateurs d’avant la crise du Covid. Il est temps de se demander comment s’adapter à cette nouvelle réalité. Est-ce que notre parc de salle peut se contenter d’un chiffre d’affaires annuel d’au moins 10% de moins que celui pour lequel il a été construit ? Peut-on, doit-on, encore produire 350 à 400 films français par an dont 250 entièrement financés en France? Combien parmi les 140 entreprises de distribution pourront-elles survivre.
Au 1er trimestre de 2023, avec 48 millions de spectateurs, la fréquentation on pouvait espérer que la fréquentation était en passe de bientôt retrouver l’étiage des premiers trimestre d’avant Covid. Mais l’année n’a terminé qu’avec 180 millions de spectateurs. 2024 avait mal commencé, avec seulement 13 millions au premier trimestre. Mais les 10 millions de spectateurs de « Un p’tit truc en plus » et de « Le comte de Monte-Christo » pouvaient laisser penser que cette mauvaise passe était terminée. Mais, malgré de gros scores aux fêtes de Noël, de nouveau la fréquentation  dépassait à peine les 180 millions d’entrées. Et le premier trimestre de 2025 est catastrophique, avec à peine 41millions d’entrées, contre plus de 48 millions en 2023 et plus de 43 en 2024. Alors qu’avant le Covid les premiers trimestre dépassaient les 60 millions d’entrées.
Et, cette semaine, même si les entrées de « Minecraft », lui assure de devenir un nouveau blockbuster américain, celles de «Natacha (presque) hôtesse de l’air » (plus de 15 millions € de budget) et de « Le routard » (plus de 14 millions € de budget) sont très décevantes.
Certes, il y aura probablement un ou plusieurs films qui pourront atteindre les 10, et pourquoi pas les 20 millions de spectateurs. Le cinéma est une industrie de prototype, avec quelques exploits et une multitude d’échecs. C’est déjà arrivé. Mais trois ans de suite de recul de plus de 10% par rapport à l’avant Covid semble bien le nouvel étiage.
La cause principale de cette évolution tient au recul du cinéma américain. Avant la crise, il réalisait jusqu’à 55% des entrées. Il ne se situe plus qu’à 40%. Tout simplement parce que les majors ont dû diminuer les investissements dans les films de cinéma pour investir dans leurs plates-formes afin qu’elles aient une chance face à Netflix et Amazon. En outre, une partie des talents du cinéma est mobilisée pour les séries. Enfin, notons que Disney a presqu’épuisé l’adaptation du catalogue Marvel pour le cinéma.
En fait, en France, en 2024, ce recul des films américains a été en partie compensé par la progression des films français, non seulement en part de marché mais aussi en nombre d’entrées cumulées. C’est peut-être dû au fait que les principaux producteurs et distributeurs français non seulement n’ont pas à investir dans des plate-formes alors qu’ils ont réussi à être des champions européens de la production de séries internationales, ce qui augmente leurs capacités d’investissement, y compris dans le cinéma. Et qu’un grand nombre de talents créatifs sont désormais profilés pour des projets commerciaux à potentiel international.
Mais l’évolution de l’industrie n’est pas la seule explication. La crise du Covid, qui a boosté les plates-formes comme les réseaux sociaux, à modifié le comportement du public. Il ne veut plus « aller au cinéma pour aller au cinéma » mais parce qu’il pense que voir tel film en vaut vraiment la peine. Il a tant d’autres loisirs à sa disposition. Et, avec les réseaux sociaux, le bouche â oreille a un impact accru. Grâce à eux une poignée de films décollent, quelques uns se maintiennent, la plupart sombrent.
La question est de savoir si chaque entreprise trouvera le moyen de s’adapter à cette évolution du marché ou si celle-ci ne doit pas être pour la profession et les pouvoirs publics l’occasion d’une profonde réflexion sur la régulation du secteur. En 1993 les exploitants avaient répondu à 10 ans de chute de la fréquentation par une solution de bon sens : la disparition des complexes et l’avènement des multiplexes. Cette fois-ci la solution est moins évidente : les multiples causes et effets de l’évolution du marché devraient conduire à de multiples réponses.

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