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L'édito de Serge
Serge Siritzki

FAIRE LA BONNE ANALYSE

Par Serge Siritzky

Une analyse pertinente du fonctionnement de l’économie est indispensable à L’État pour mener une bonne politique économique. Il en est de même pour une entreprise ou un secteur pour augmenter sa rentabilité. L’histoire du cinéma en fournit des preuves éclatantes. A titre d’exemple, après plusieurs années de stabilité aux alentours de 200 millions d’entrées la fréquentation des salles de cinéma français n’a cessé de chuter pour passer de 202 millions de spectateurs en 1982 à 116 millions en 1993.

Les professionnels du secteur ont d’abord été persuadés que c’était dû au développement et au succès de la diffusion des films par la vidéo. Ils ont obtenu de l’État que ce média ne puisse diffuser les films que bien après la sortie en salle. La fréquentation a continué de chuter. Puis ils ont estimé que la piraterie, qui permettait de visionner les films gratuitement et sans respecter de délais, était la cause principale de cette évolution. Le cinéma, soutenu par l’État, a lutté férocement contre cette piraterie et réussi à la freiner sensiblement. La fréquentation a continué de chuter.

Puis les professionnels du cinéma ont été persuadé que la poursuite de cette baisse était due à l’augmentation du nombre de chaînes hertziennes, passées de 3 à 7, une augmentation renforcée par la multiplication des chaînes du câble. Ils ont obtenu que l’État impose aux chaînes toute une série de contraintes (limitation du nombre de films diffusés, délai avant la diffusion de ces films, obligation d’investir dans de nouveaux films, etc…). La fréquentation a poursuivi s chute.

Jusqu’à ce qu’en 1991, un nouveau professionnel du cinéma, Jérôme Seydoux, qui avait racheté le réseau de salles de cinéma Pathé, estime que c’étaient les exploitants de salles de cinéma qui étaient eux-mêmes responsables de cette chute. En effet, dans les années 70, ceux-ci avaient trouvé la poule aux oeufs d’or : le complexe. Il s’agissait de transformer chacune de leurs grandes salles en plusieurs petites salles, avec des capacités très étagées. De ce fait, avec charges à peine augmentées ils multipliaient leur offre de films, donc leur chiffre d’affaires, donc leur marge. Et ils pouvaient programmer chaque film dans la salle dont la capacité correspondait à sa fréquentation.

Mais cette poule aux oeufs d’or avait deux énormes inconvénients. En premier lieu, les salles de ces complexes avaient de plus petits écrans et, pour multiplier le nombre de fauteuils de chaque salle, ceux-ci étaient de plus en plus resserrés et de plus en plus inconfortables. Au point que le public commençait à se dire que l’écran de cinéma se rapprochait de celui de la télévision, mais qu’il était plus confortable de regarder celle-ci à domicile.

En second lieu, comme la fréquentation des salles était réduite par rapport à celle de la grande salle initiale, pour maintenir la fréquentation les distributeurs avaient augmenté le nombre de salles diffusant le même film dans une même ville, voire un même quartier. La fréquentation était maintenue mais se répartissait en plusieurs salles

Enfin, la multiplication des salles jouant le même film lors de sa sortie obligeait les distributeurs à augmenter le nombre de leurs copies, donc leurs charges, donc à réduire leur rentabilité. Donc, en fait, les complexes étaient la véritable cause de la chute de la fréquentation.

Et Jérôme Seydoux était le seul à l’avoir compris. Il avait compris que si les cinémas comme avant les complexes, avaient de grands écrans, que leurs fauteuils étaient de nouveau confortables, mais qu’en outre, ils continuaient à offrir un large choix de films comme avec les complexes, et, qu’en outre, ils étaient facilement accessibles, le public reviendrait. Il suffisait donc de construire ce que l’on appellerait des multiplex. Le paradoxe est que, depuis des années il en existait un qui marchait très bien, à Bruxelles, le Kinepolis. Mais ni ses propriétaires ni aucun exploitant n’avait compris que c’était là ce qui allait faire remonter la fréquentation à ses niveaux antérieurs.

Les deux premiers multiplexes de Pathé ouvrirent en 1993 dans des centres commerciaux de province où le parking était abondant et gratuit. Ils eurent immédiatement un immense succès. Pathé ne cessa d’en ouvrir et d’autres exploitants l’imitèrent. La fréquentation remonta a plus de 200 millions d’entrées et ce, malgré les 27 chaînes de la TNT, le passage de la cassette au DVD, l’irruption de la vod et de la s-vod.

Il est donc probable que la fréquentation va pouvoir retrouver ses niveaux pré-covid. Et, surtout, que, cette année, malgré la Coupe d’Europe de foot-ball et les JO elle dépassera ses niveaux de l’année dernière. Il serait profitable d’analyser les véritables causes des performances inespérées de ces derniers mois. Malheureusement la régulation de notre secteur, comme c’est très souvent le cas en France, repose sur des à priori idéologiques qui ne tiennent pas compte des réalités. https://siritz.com/editorial/le-cinema-est-un-marche-doffre/

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