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L'édito de Serge
Serge Siritzki

EMBOUTEILLAGE SUBI ET EMBOUTEILLAGE CRÉÉ

Par Serge Siritzky

LE CINÉMA FRANÇAIS DOIT FAIRE FACE À DEUX PROBLÈMES LOURDS DE CONSÉQUENCES

Le premier est une conséquence inévitable de la pandémie et du confinement : l’embouteillage des films quand les salles vont rouvrir, probablement d’ici cet été. https://www.lemonde.fr/economie/article/2021/03/30/cinema-la-peur-du-grand-embouteillage-pour-les-plus-de-400-films-qui-attendent-leur-sortie_6075008_3234.html

Alors qu’en période normale il sort, en gros, une dizaine de films français et étrangers par semaine, le stock à écouler sera de plusieurs centaines. Ils comprennent des films français mais aussi des films étrangers, dont une bonne partie acquise par un minimum garanti de distributeurs français. Pour les sortir au rythme habituel des sorties, il faudrait plusieurs mois. Et si sortent en même temps ceux qui ont continué à être produits, tant en France qu’à l’étranger, l’offre de nouveaux films va quasiment doubler. Ni le public, ni le réseau de salles ne sont en mesure d’absorber cette offre qui supposerait un doublement de la fréquentation. D’autant plus que, au début, les jauges vont être limitées.

Certains de ces films pourront être directement vendus à une plateforme ou une chaîne, sans avoir à rembourser le soutien financier du CNC qui y a été investi, ni le crédit d’impôt. Mais ils ne généreront pas le soutien financier qu’aurait généré une sortie en salle. Surtout, une partie des films français ont déjà été coproduits et préachetés par les chaînes françaises. Par ailleurs, seule une partie des autres films a des chances d’intéresser les chaînes et les plateformes.

En somme, la situation est grave, notamment pour les distributeurs qui auront du mal à récupérer leurs minima garantis. Le moins que l’on puisse dire c’est que la solution à ce cataclysme n’a pas encore été trouvée.

Le second problème est celui des investissements obligatoires imposés aux plateformes dans les films de cinéma français. Ou plutôt, selon les règles européennes, les films francophones et européens. Comme on le sait, les plateformes américaines ont bien l’intention d’investir de plus en plus massivement dans des séries françaises et européennes. Mais, elles sont beaucoup moins intéressées par les films de cinéma sortant d’abord en salle.

On aurait pu leur imposer d’investir 20 ou 25% de leur chiffre d’affaires réalisé en France dans des œuvres audiovisuelles pouvant, éventuellement, comporter des films de cinéma, mais sans fixer de pourcentage pour ces derniers investissements. On aurait même pu leur imposer que, pour les films de cinéma, elles respectent une clause de diversité, afin qu’elles n’investissement pas que dans les films à gros budget qui intéressent aussi Canal+. Cette liberté en ce qui concerne l’investissement cinéma justifie évidemment d’être situées après Canal+ dans la chronologie des médias. Mais, la clause de diversité aurait, d’une manière générale, limité leur investissement dans les films français, y compris dans les films à gros budget.

Certes, avec cette formule, il y aurait moins de financement supplémentaire pour le cinéma. Mais plus pour les autres oeuvres audiovisuelles qui sont un important axe de développement pour tous les producteurs, ainsi que pour tous les scénaristes et réalisateurs. Et, le choix qui a été fait va augmenter l’encombrement du marché par les films de cinéma qui, surtout aujourd’hui, n’avait pas besoin de ça.

En outre, le cinéma fait ce choix sans n’avoir jamais évalué l’impact de chacun de ses soutiens au cinéma. https://siritz.com/editorial/mais-a-quoi-sert-tout-cet-argent/

Par exemple, comme le notait Frédéric Sojcher,  https://siritz.com/le-carrefour/le-parcours-du-combattant-de-frederic-sojcher/pourquoi moins de 10% des bénéficiaires de l’avance sur recette au premier film sont encore réalisateurs 20 ans après. Et le pourcentage après 10 ans doit être déjà très faible.

Or, la profession du cinéma a exigé et va obtenir qu’un minimum de 20% soit investi spécifiquement dans des films de cinéma, alors que c’est très au-dessus de ce que les plateformes souhaitent y investir. Mais les producteurs français y voient un moyen d’augmenter encore les investissements obligatoires qui leur sont réservés. En tout cas, cela conduit inévitablement les plateformes à se poser en concurrentes de Canal + qui, depuis son origine, était la chaîne du cinéma. Et qui pourrait choisir de changer de statut pour ne pas être mis entre le marteau et l’enclume.

Certes les producteurs français respectent la règle qui ne leur permet de faire appel à plus de 50% de financements publics. Mais ils vont encore plus largement dépasser une majorité des financements obligatoires qui explique le gâchis croissant de notre production de films.

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