Cinéma : vers un changement de modèle économique ?
Par Serge Siritzky
L’audiovisuel pourra plus facilement s’adapter
La situation globale de la fréquentation cinématographique est catastrophique. L’absence des grands blockbusters américains justifierait une chute de 50 à 55% par rapport aux années précédentes. Mais elle est des deux tiers. Certes, il n’y a pas non plus de films promus par le Festival de Cannes. Et la sortie de certains films français importants a été reportée à la rentrée.
Mais il y a une deuxième constatation, peut-être encore plus grave. C’est que cette fréquentation illustre « L’Archipel français » que décrit Jérôme Fourquet : une France divisée en de multiples communautés qui s’ignorent. A titre d’exemple, « Les Parfums » ne « marche » qu’auprès du public senior dans les salles de public bourgeois de Paris et de certaines de ses banlieues. Tandis que « Tout simplement noir », malgré une critique très favorable, ne marche que dans les salles de quartiers «populaires » de Paris et de sa banlieue. Pas en Province.
Les distributeurs de ces films vont sans doute amortir leur investissement. Notamment du fait de la très forte augmentation du soutien automatique. Et, sans doute, de prix « cassés de la publicité. Mais le CNC qui a déjà un énorme trou de trésorerie pourra difficilement prolonger cette augmentation du soutien automatique au-delà de l’été.
Les recettes ne peuvent, et de loin, couvrir les dépenses des salles
Mais les multiplexes ou les complexes n’ont qu’un seul écran qui marche. L’exploitation française était le secteur le plus performant et le plus rentable du cinéma en France. Soudain, elle a dû vivre trois mois sans recettes, avec des remboursements d’emprunt ou des loyers ainsi que des charges d’entretien et de gardiennage. Ce qui a singulièrement entamé ses réserves de trésorerie. Et toutes les salles n’en n’avaient pas. Elle a rouvert et rétabli ses charges d’exploitation d’avant. Mais, dans la plupart des cas, ses recettes ne peuvent pas, et de loin, couvrir ses dépenses.
En outre, le port du masque devient obligatoire dans tous les lieux clos. Cette mesure est certes incontrôlable dans les salles, mais ne va pas encourager la sortie cinéma.
En fait, ce n’est qu’en août que deux potentiels blockbusters américains sont prévus. Et, compte tenu de l’explosion de la pandémie aux Etats-Unis et d’une reprise dans plusieurs grands territoires, ces sorties seront peut-être, à nouveau, reportées. Par ailleurs, qui peut assurer qu’ils ne vont pas rencontrer eux aussi « L’Archipel français », seul le cœur de cible se déplaçant pour les voir ?
Production : mesures sanitaires et fonds de garantie insuffisant
Bien évidemment, la production est également touchée. Dans certains cas les mesures de précaution sanitaires n’ont pas augmenté la durée et le coût des tournages comme nous le rėvêlait sans un Carrefour Remy Chevrin. . https://siritz.com/le-carrefour/remy-chevrin-notre-cinema-manque-dambition-visuelle/
Mais nombre d’autres films n’ont pas cette chance et leur budget peut grimper d’une dizaine de pour cent. Ce qui, pour la plupart d’entre eux, n’est pas rien.
Quant à la question de l’assurance contre le risque de pandémie elle est loin d’être résolue. Car le fonds de garantie mis en place ne couvre que 30% des dépenses, avec un plafond de 1,8 millions €. Or, c’est un énorme risque pour le producteur, notamment si un acteur important est frappé vers la fin du tournage. Cela nécessitera sans doute une nouvelle l’organisation et un nouveau planning du travail. Et, peut-être même, la quarantaine des comédiens, du réalisateur et des principaux techniciens pendant le tournage. Ce ne sera pas une atteinte aux droits de l’homme mais une condition pour obtenir un emploi . Il y a d’ailleurs un film américain en tournage à Paris qui a imposé cette quarantaine.
Prestataires : le feu de paille du boom des tournages
Les prestataires ont évidemment été également touchés par l’inactivité due au confinement. Certes, la reprise a été forte puisque la plupart des films et des œuvres audiovisuelles dont le tournage avait été retardé ou interrompu ont repris leur tournage et leur post-production. Les associations de techniciens comptaient 37 longs métrages de cinéma en tournage. Mais ce boom risque de n’être qu’un feu de paille.
Si la chute de la fréquentation se maintient il en sera de même des apports des distributeurs. Une évolution qui s’ajoutera à l’inévitable baisse des investissements des chaînes du fait du net recul des recettes publicitaires. Il est donc possible que l’on assiste à une baisse du budget global des longs métrages français, ce qui se répercutera sur les prestataires.
Les chaînes de télévision françaises vont également réduire leurs investissements dans les œuvres audiovisuelles. Mais cette réduction va être en grande partie, sinon en totalité, compensée par la hausse des investissements de la S-Vod.
Ces analyses ne portent évidemment que sur le court terme. A moyen terme, il y a deux scénarii possibles.
Le plus optimiste est la disparition de la pandémie. Soit, ce qui est peu probable, parce que les mesures de protections auront été assez efficaces pour supprimer toute transmission du virus. Soit parce que l’on aura découvert un vaccin ou un traitement efficace. Mais, comme le notait René Bonnell, la production et la distribution du cinéma devront tout de même profondément évoluer. https://siritz.com/le-carrefour/rene-bonnell-sur-leconomie-du-cinema-francais/
Le deuxième est celui où la pandémie fait désormais partie de notre vie et pour longtemps. Chacun va devoir changer son mode de vie. Et le cinéma, y compris l’exploitation, va devoir modifier profondément son modèle économique. L’audiovisuel devra également modifier ses méthodes de travail, mais, grâce à la S-VoD, pourra plus facilement s’adapter.