AMAZON MENACE L’ÉCONOMIE DE MARCHÉ
Par Serge Siritzky
ET PAS SEULEMENT NOTRE EXCEPTION CULTURELLE
L’économie de l’audiovisuel a définitivement changé de monde. C’est ce que démontre le rachat par Amazon Prime de la retransmission de 80% des matchs du championnat de France de foot-ball, au nez et à la barbe de Canal+, pour 250 millions €. Cet événement porte sur le sport mais concerne l’ensemble de l’audiovisuel.
Le refus de la chaîne de maintenir le contrat de rachat, pour 350 millions € pour les 20% de matchs restants se comprend, mais sera-t-il autorisé par la justice ? Si c’était le cas la rémunération annuelle de la Ligue de foot-ball passerait de près d’un milliard d’euros espérés il y a un an, à quelques 250 millions €. Un effondrement par rapport à ce que ce que recevait chaque année la Ligue avant que sa cupidité aveugle l’amène à préférer les mirages de Médiapro au maintien de son partenariat historique avec la Canal+.
Amazon Prime avait déjà décroché pour ses 10 millions d’abonnés français la retransmission de matchs importants de Roland-Garros. Pour elle, ces deux dépenses ne sont que des gouttes d’eau pour décrocher deux produits d’appel au profit de sa plateforme de vente en ligne, proposant, pour un prix d’abonnement de 49 € par an, une livraison rapide des commandes. Et cette vente en ligne n’est, elle-même, qu’une recette secondaire pour le premier groupe mondial, dont l’essentiel des profits provient de son service de location de Cloud.
Or ce groupe, qui vient également de racheter la MGM, son immense catalogue et 50% des James Bond, ne paye pratiquement pas d’impôt sur les bénéfices, comme tous les GAFA, grâce aux mécanismes d’optimisation fiscale C’est dire que, à la différence de tous ses concurrents, il ne participe nullement à la redistribution des richesses, corolaire du régime capitaliste et de l’économie de marché. Et, il pourrait même échapper au minimum mondial de 15% d’impôts sur les bénéfices auquel Biden propose de soumettre toutes les grandes multinationales, puisque cet impôt ne s’appliquerait qu’aux groupes qui dégagent un bénéfice de plus de 10% et que celui d’Amazon, bien qu’étant le plus élevé du monde en valeur absolue, est inférieur à ce pourcentage.
L’économie de Netflix est fondamentalement différente de celle d’Amazon puisque le groupe, malgré ses 210 millions d’abonnés, est encore fortement en perte et que son endettement considérable ne cesse de s’accroître. Mais il est en mesure d’investir 17 milliards de dollars par an dans ses nouveaux programmes, c’est-à-dire bien plus que tous ses concurrents, y compris Disney, de loin le premier groupe audiovisuel du monde, dont la plateforme Disney+/Star a atteint 110 millions d’abonnés en quelques mois.
Il le peut parce que sa capitalisation boursière ne cesse d’augmenter plus vite que son endettement et que son fondateur vise sans doute à céder un jour, avec un énorme profit, son contrôle à beaucoup plus gros que lui, peut-être Facebook, Google ou Microsoft, des groupes qui eux aussi ne payent pratiquement pas d’impôt sur les bénéfices.
Disons-le sans hésiter : à partir du moment où les plus grosses entreprises ne payent pas d’impôt, et peuvent, de ce fait, violer les règles les plus élémentaires de la concurrence équitable, on est sorti de l’économie de marché et du capitalisme. Au point que l’on peut se demander si les mécanismes d’exception culturelle- fonds de soutien, obligations d’investissement et chronologie des médias- sont à la hauteur du véritable Tsunami que constitue l’irruption dans l’audiovisuel de ces plateformes mondiales qui ne jouent pas le jeu.
https://siritz.com/editorial/plateformes-des-enjeux-contradictoires/
Il semble notamment nécessaire de mettre en place des mécanismes d’exception, pas seulement en faveur de nos créateurs et de nos producteurs, mais aussi en faveur de nos diffuseurs nationaux qui eux sont obligés de respecter les règles du jeu. Car ces plateformes, même avec les réglementations prévues par la directive SMA, pourraient surpayer certaines oeuvres françaises mais aussi américaines, pour en sevrer nos chaînes à péage et les conduire à la disparition.
Par ailleurs, nos pouvoirs publics ne doivent pas faire preuve de trop de naïveté. Ainsi, ils ont mis en place le Pass culturel pour inciter les jeunes à consommer des biens culturels : cinéma, livre, théâtre et musique. Or, on découvre que la très grande majorité de ces Pass sert à acheter des mangas japonaises. Certes les libraires, qui voient affluer des jeunes qui ne venaient jamais chez eux, sont ravies. Mais, pour faire de la place aux mangas, ils ont réduit celle réservée aux autres livres. La culture est-elle vraiment gagnante ?