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AUTEUR : LIRE UN CONTRAT AVANT DE LE SIGNER

DES CONSEILS PRATIQUES SUR LES PIÈGES ET LES PRÉCAUTIONS À PRENDRE

Nous avons trouvé sur le web dans « Le Magazine Profession spectacle », un très intéressant et très concret article d’une auteur-réalisatrice de documentaire sur ce que tout auteur doit savoir avant de signer un contrat. Ces conseils sont également valables pour les auteurs de fiction et les journalistes de reportages audiovisuels. https://siritz.com/le-carrefour/un-scenariste-met-les-pieds-dans-le-plat/

Signer un contrat d’auteur documentariste dans l’audiovisuel ne s’improvise pas. Il faut prendre conseil. Contracter, disent les juristes, c’est prévoir…

Mon montage n’est pas validé ! C’est la septième version d’écriture ! On veut absolument m’adjoindre un co-auteur ! Je n’aime pas la voix-off qu’on m’a imposée ! Un autre réalisateur doit prendre le relais ! Je ne suis pas assez payé… Commencée dans l’euphorie, la relation auteur-producteur, dans le secteur du documentaire, peut vite tourner au vinaigre, faute de garde-fous établis en amont et de façon éclairée.

Des auteurs invoquent le manque de transparence des producteurs ; des producteurs déplorent le manque de préparation juridique des auteurs ; les deux regrettent, en aparté, la pseudo neutralité de diffuseurs qui s’en lavent les mains. En attendant que les chaînes de télévision sortent du bois et s’engagent à faire respecter une charte des bonnes pratiques auteurs-producteurs, on peut tenter de mettre de l’ordre dans une relation qui démarre souvent de façon déséquilibrée : d’un côté, un producteur aguerri à la rédaction des contrats, de l’autre, un auteur-réalisateur impatient de tourner.

Je n’y comprenais rien 

« Quand j’ai commencé dans le métier, je signais mes contrats sans même les regarder, reconnaît une réalisatrice de documentaires. Le jargon juridique me passait par-dessus la tête. Je n’y comprenais rien ! » Aussi, premier conseil : demandez un délai, rentrez chez vous, lisez les contrats de bout en bout et analysez les clauses. Ne signez rien sur le champ, ni sur place ! Le producteur peut laisser une semaine à dix jours ; c’est raisonnable. Ce délai permet de vous poser des questions simples et de les poser au producteur qui certainement jouera le jeu.

Pour commencer, quelle est la genèse du film ? Est-ce le producteur, l’auteur (universitaire, journaliste, par exemple) ou le réalisateur qui amène le projet ? On conseille de l’inscrire en préambule de l’article 1 pour définir le périmètre où chacun met les pieds… Il existe ensuite trois sortes de contrats : le contrat d’écriture, le contrat de réalisation, le contrat d’écriture et de réalisation. On peut en effet écrire un film sans le réaliser, le réaliser sans l’écrire, le co-écrire et/ou le co-réaliser, voire tout faire tout seul. Dans tous les cas, le réalisateur est considéré comme « auteur » – il fait acte de création – et pas comme technicien : c’est la loi depuis 2016.

Une partie de la rémunération se fait en salaire. Bien que ce montant en salaire brut soit mentionné dans le contrat d’auteur-réalisateur, il faut signer séparément un contrat de travail, pour chaque jour de préparation et de tournage, au plus tard quarante-huit heures après le début du travail. Il est d’usage que la part salariale corresponde à 60 % de la rémunération globale. C’est en tous cas ce que recommande l’URSAFF. Mais rien n’est obligatoire. Certains réalisateurs sont même entièrement salariés ! Si la part du salaire peut être supérieure à 60 %, il faut refuser en revanche qu’elle soit inférieure ; selon le statut, elle payée en « cachets » considérés comme des équivalents-horaire de douze heures par Pôle emploi (intermittents) ou en salaires journaliers (CDD journaliste).

Les mots qui doivent faire tilt

L’autre partie de la rémunération, par exemple les 40 %  restants, se fait en droits d’auteurs dans le cadre des trois contrats d’écriture et de réalisation précédemment cités. Et c’est là que tout se complique ! « Les mots qui doivent faire tilt, c’est ‘‘co-auteur’’, ‘‘minimum garanti’’, ‘‘durée de cession des droits’’, ‘‘RNPP-A’’ et ‘‘reddition des comptes’’ », avertit Guillaume Thoulon conseiller juridique de la Société civile des auteurs multimédia (SCAM). C’est sur ces points qu’il y a le plus de litiges. « Il peut y avoir aussi des conflits entre co-auteurs qui n’arrivent pas à se mettre d’accord sur le partage des droits. » La situation s’y prête : la contribution de chacun au projet est parfois difficile à évaluer ! « Sont présumés co-auteurs, sauf preuve contraire, les auteurs d’une œuvre individuelle réalisée en collaboration », selon l’article L. 113-7 du Code la propriété intellectuelle.

Connaître ses droits envers le producteur est un début. Mais il faut avoir une marge de manœuvre et de la pratique pour pouvoir négocier ! Car si le producteur se réserve le droit d’adjoindre un co-auteur au projet et que l’auteur initial s’y refuse, le film peut ne pas se faire… Si rien n’a été négocié en amont, des recours sont encore possibles auprès de l’AMAPA, l’organisme de médiation des professionnels de l’audiovisuel, avant d’en venir aux tribunaux ! « Cela dit, on va plutôt vers un apaisement des relations auteurs-producteurs, défend Guillaume Thoulon. Le paysage, qui était opaque, a beaucoup évalué ces dix dernières années. » Car le législateur est passé par là…

Une loi de 2016, qui succède à une directive européenne, oblige en effet les sociétés de production à communiquer aux auteurs le budget du film sur lequel ils travaillent, son plan de financement mais aussi les comptes d’exploitation lorsque le film est terminé. C’est ce qu’on appelle la « reddition des comptes », disponible dans un délai de six mois. Dans la foulée, un accord ‘‘Transparence’’ a été négocié. Il concerne la fameuse RNPP, la « recette nette part producteur », sur laquelle il faut être attentif. Cette recette nette est ce que le producteur empoche une fois son investissement amorti et ses frais déduits (commission distributeur, frais de copie, etc.). L’auteur a droit à un pourcentage de cette recette nette : c’est la RNPP-A, la part auteur.

« Les films sont amortis dès le début par les producteurs donc soyez confiants et exigez 10% de RNPP-A », expliquait en novembre dernier une juriste lors d’un atelier donné en novembre dernier pour les adhérents de la Guilde des auteurs-réalisateurs de reportages et documentaires (GAARD). « Ce pourcentage doit être versé dès le premier euro encaissé. » En général, deux à trois pages du contrat concernent la cession des droits (article L. 131-3 du Code de la propriété intellectuelle), une liste impressionnante de « droits dérivés » et « droits secondaires » que l’auteur cède à son producteur, par exemple l’adaptation en bande dessinée. La juriste conseille de céder ces droits pour dix ans.

La variable d’ajustement

Un quatrième type de contrat existe enfin : c’est le « contrat d’option ». Parce qu’il n’est pas encore tout à fait sûr, le producteur prend une « option ». Il bloque le projet pour un temps limité, en échange d’une rémunération fixée par contrat. Selon plusieurs sources, cette exclusivité négociée et forfaitaire est proche de deux mille euros. Elle évite que l’auteur n’immobilise son projet à perte en attendant qu’un producteur se décide. Car ce dernier attend souvent qu’un diffuseur se jette à l’eau, ce qui peut durer des mois ! Les syndicats d’auteurs-réalisateurs comme la GARRD dénoncent cette situation perverse, mais courante, où « les auteurs deviennent la variable d’ajustement ». Selon eux, ce sont les auteurs qui font, entre autres, les frais de l’hésitation des producteurs et des diffuseurs.

« Les litiges surviennent surtout quand les problèmes n’ont pas été suffisamment anticipés », insiste Guillaume Thoulon. Une réalisatrice témoigne. « Alors que j’allais signer un contrat de co-auteur de scénario et, dans la foulée, de co-réalisation, je m’interroge sur plusieurs mentions : les trucs habituels tels que les droits d’auteurs payés en « minimum garanti » et autres réjouissances à base de 0,5 % de RNPP-A, ironise-t-elle. Pour la première fois, je décide de demander conseil à un service juridique. S’en suit un entretien instructif de quarante minutes avec un juriste pédagogue qui avait lu mon contrat dans le détail. Or comme chacun le sait, le diable se cache souvent dans les détails ! »

En cas de doute, il faut ainsi consulter l’une des vingt-deux sociétés qui gèrent les droits d’auteurs en France (pour l’audiovisuel, c’est la SCAM, pour le cinéma, la SACD) ou un syndicat de journalistes, voire de réalisateurs – comme la GARRD –, dotés aussi d’un conseil juridique. Si l’on doit être adhérent du syndicat pour consulter, solliciter la société d’auteurs est gratuit, par simple courriel ou appel téléphonique.

« En 2020, sur huit cents rendez-vous du service juridique, quatre cent cinquante étaient consacrés à des auteurs de l’audiovisuel. » Des modèles de contrats très pratiques sont disponibles sur le site des sociétés d’auteurs. Mais de l’idéal au terrain, les négociations sont dures. Déçus de voir leurs propositions rejetées, certains réalisateurs s’en remettent à des avocats ou des agents qui négocient en direct avec les sociétés de production. « Nous sommes fatigués d’avoir à jouer les marchands de tapis pendant des semaines avec les producteurs. »

Kakie ROUBAUD

Kakie Roubaud est franco-brésilienne, journaliste, réalisatrice et productrice. Elle a passé son adolescence dans le Nordeste du Brésil, le ventre et l’âme du pays. A Paris, elle a travaillé pour la télévision, la radio, la presse magazine, couvert les bouleversements économiques et sociaux de l’Afrique du Sud à l’Arabie Saoudite et fait le tour de l’Hémisphère Sud en famille. A Rio en 2009 pour une Thema d’Arte, elle a choisi de rester et elle a crée Iansan en 2014.

Ayant participé aux festivals documentaire Brésil en Mouvements, elle signe de nombreux articles en exclusivité pour Autres Brésils.