DE CHARYBDE EN SCYLLA POUR L’EXPLOITATION

Les données financières de la vente de « Bronx » par Gaumont à Netflix

Le coup de théâtre de l’annonce de la vente de « Brutus vs César » à Amazon  https://siritz.com/financine/amazon-prime-versus-cesar/ a immédiatement été suivi d’un autre coup de théâtre, encore plus surprenant :  l’annonce de la vente par Gaumont de « Bronx » à  Netflix.  Ces deux films français seront donc diffusés par les plates-formes de S-Vod sans sortir dans les salles de cinéma.

https://fr.wikipedia.org/wiki/Bronx_(film)

Cinéfinances.info*  a fourni les données financières de cet article.

« Bronx », réalisé par Olivier Marchal était un film policier très attendu, se passant à Marseille. Avec un solide casting (Jean Réno et Gérard Lanvin). Il est produit par Gaumont, avec un budget annoncé de 12 millions €. Pendant le confinement, Siritz.com ayant été informé par un professionnel que Gaumont négociait sa vente à Netflix,  avait contacté le distributeur. Il lui avait été répondu que l’information n’avait aucun fondement. Par ailleurs Canal+ avait refusé de donner son accord à certains producteurs pour une vente à une plate-forme estimant que c’était des concurrents directs.

Pour effectuer cette vente Gaumont a forcément dû rembourser les chaînes qui en avaient pré-acheté un passage : Canal+ (1,83 millions €), Multithématiques (121 000 €) et OCS (300 000 €).  Il y a donc au moins 2,2 millions € à rembourser aux chaînes.

Aucune chaîne en clair n’avait pré-acheté le film

Selon le plan de financement, Gaumont a investi en numéraire 7,3 millions €. Le producteur pourra sans doute récupérer du crédit d’impôt audiovisuel  que nous évaluons aux alentours de 1,5 millions €. En renonçant à la sortie en salle Gaumont évite d’avoir à investir en frais d’édition. Mais ceux-ci auraient été largement couverts par les recettes salles. En outre, Gaumont renonce également à son soutien automatique à la production et à la distribution d’un film qui, en période normale,  aurait pu ambitionner entre un et deux millions d’entrées.

Enfin, aucune chaîne en clair n’avait pré-acheté ce film. C’était visiblement un choix délibéré de ne pas avoir de coproducteur. Et, une source de revenu potentiel importante pour le producteur, car les films policiers d’Olivier Marchal réalisent de fortes audiences à la télévision.

Le producteur délégué avait évalué son salaire à 531 000 € dont il avait  mis 446 000 € en participation. De même il avait mis en participation ses 653 000 € de frais généraux et  les 933 000 € d’imprévus.  Soit 2, 032 millions €.

Gaumont devra sans doute rembourser les 88 000 € investis en numéraire par Umédia mais pas les 380 000 € de tax shelter qui doivent être justifiés  par des dépenses faites en Belgique. Il est probable que les 50 000 € de revenus provenant du placement de produit n’aient pas à être remboursés car l’audience de Netflix n’est pas négligeable et elle est mondiale. 

Même si Gaumont a renoncé à la plus grande partie des sommes mises en participation le prix de vente doit donc se situer aux alentours de 10 millions €.

Mais cette vente, comme celle de « Brutus vs César » soulève un problème. En effet, les pré-achats des chaînes entraient dans leurs engagements d’investissement dans les films de cinéma français en 2019. Or, en France, pour le CNC, un film de cinéma est un film qui sort d’abord en salle. En vertu de ce principe, ces sommes ne peuvent donc être prises en compte pour le calcul de la réalisation de ces engagements. Si c’était possible, ce genre d’opération pourrait éviter aux chaînes de respecter leurs engagements. En effet, une chaîne pourrait se mettre d’accord avec un ou des producteurs. Ceux-ci produiraient des films présentés initialement comme des films de cinéma. Mais, en fait, ceux-ci ne seraient pas destinés à sortir en salles mais à être diffusées par des plates-formes.

Or, c’est le CSA qui est chargé de contrôler le respect de ces obligations. A-t-il autorisé ces cessions ? Peut-il refuser cette autorisation ou est-il tenu de l’accepter, en reportant les sommes manquantes l’année suivantes ? Ou considère-t-il que, même si les chaînes n’ont finalement pas effectué cet investissement, elles ne sont pas en faute ? Un texte précis règlemente-t-il ce cas ou est-il laissé à la libre appréciation du CSA ?

Siritz.com a interrogé le CSA sur ces questions évidemment très importantes et attend les réponses.

Mais rappelons que ces opérations, qui sont de très mauvaises nouvelles pour les exploitants, ont lieu à un moment où le chiffre d’affaires des chaînes en clair, du fait de la baisse des recettes publicitaires, est en forte chute. Et donc leurs obligations d’investissement en 2020. Il semblerait que le chiffre d’affaires des chaînes à péage soit également en recul et, en outre, que Canal+ soit déjà très en retard par rapport à ses engagements d’investissement dans le cinéma.

*www.Cinefinances.info est un site, accessible par abonnement,  destiné aux professionnels du cinéma.  Il publie le budget, le plan de financement et la répartition des recettes de tous les films français qui sortent (hors les films « sauvages » qui ne déposent pas leurs contrats au registre public et ne demandent donc pas l’agrément qui leur permettrait d’accéder à l’aide du CNC). Il dispose d’un puissant moteur de recherche multicritères et de 10 ans d’archives.