Quelles leçons tirer de l’ouverture des salles ?
Par Serge Siritzky
Le train du cinéma sans sa locomotive américaine
Les salles françaises ont repris leur activité. Bien évidemment, tous les professionnels se demandent quelles leçons tirer de l’ouverture des salles et des premiers résultats ? La première constatation est que l’on ne prévoit pas la fréquentation cinématographique comme le résultat d’élections, car les prévisions de Médiamétrie sont totalement à côté de la plaque. https://siritz.com/editorial/le-verdict-du-box-office-de-cette-semaine/. Notamment par ce que la fréquentation dépend avant tout de l’offre.
Par ailleurs, cette analyse est compliquée. D’une part certaines salles n’ont pas ouvert le 22 juin tandis que d’autres n’ouvraient pas non plus le 24 juin. Mais, de surcroit, après 14 semaines d’arrêt total, les très sophistiqués outils de remontée d’informations que sont Ciné-chiffres et Comscore sont totalement déréglés. Dans ce domaine, comme dans le reste de la vie économique et sociale, on se rend compte que l’événement que nous vivons est du jamais vu et, surtout, du jamais prévu.
En tout cas, plusieurs exploitants se disent plutôt agréablement surpris. Il faut en effet prendre en compte des références significatives. Ainsi, la fréquentation s’est arrêtée en mars. Un mois qui a réalisé 18,76 millions d’entrées en 2019 et 20,86 millions en 2018. Or, le cinéma reprend un mois de juin qui a fait 12,47 millions d’entrées en 2019 et 10 millions en 2018. Donc une baisse d’un tiers à 50%.
En fait, et pour de multiples raisons, le mois de juin est, avec le mois de septembre, le plus mauvais mois de l’année pour le cinéma.
Pour être plus précis, comparons les semaines. Sur l’ensemble du territoire il y a eu 1,7 millions d’entrées du 19 au 25 juin 2019 et 1,6 millions du 20 au 26 juin 2018. A comparer ã une semaine moyenne qui, selon les années, se situe entre 3,8 et 4 millions d’entrées.
Mais l’élément le plus significatif est l’absence de nouveautés à fort potentiel commercial. Et, surtout, la totale absence de films américains de major. Or, sur une année les films américains représentent un peu moins des 50% des entrées. Et, la période de l’été est la grande saison des blockbusters américains qui, pour, réduire les effets du piratage, sortent mondialement.
Ainsi, du 19 au 25 juin 2019, c’est le blockbuster « Men in black » qui dominait le box-office avec 194 000 entrées. Il était en 2ème semaine. 4 films de majors totalisaient 630 000 entrées sur les 1,6 millions. Donc, sans ces films, la fréquentation se situait en-dessous du million d’entrées. En 2018, C’est « Jurassic World » qui était en tête pour sa 3ème semaine, avec 364 000 entrées. Tandis que 4 films de majors totalisaient à eux seuls 840 000 entrées. Sans ces films la fréquentation globale aurait été de 760 000 entrées.
Pas de fête du cinéma
Et la semaine suivante de 2018 et 2019, à cheval sur juin et juillet, était celle de La fête du cinéma qui n’aura pas lieu en 2020.
Donc, si l’on prend en compte ces données, avec les seuls films français et européens et les films les plus commerciaux en continuation, les résultats sont effectivement satisfaisants. En tête on trouve « La bonne épouse », distribué par Mémento. Le film avait rassemblé 163 000 spectateurs en 4 jours, juste avant le confinement. Il redémarre avec, selon son distributeur, environ 20 000 entrées par jour les premiers jours de la semaine, donc avant le week-end, Sur cette semaine de 10 jours il pourrait totaliser environ 200 000 entrées, ce qui serait excellent.
« De Gaulle », distribué par SND, est en seconde position. Il avait totalisé près de 600 000 entrées en 10 jours. Il redémarre en attirant, selon son distributeur, environ 10 000 entrées chacun des premiers jours de la semaine. Et pourrait donc encore engranger aux alentours de 100 000 entrées cette semaine.
« L’ombre de Staline », distribué par Condor, un film art et essai, se trouve en 3ème position, une place à laquelle le distributeur n’est pas habitué. Et les résultats du documentaire «Le capital au XXIème siècle », distribué par Diaphana sur très peu de copies, sont également satisfaisants.
Est-ce une bonne nouvelle pour les films français ?
Mais l’absence de films de majors presque tout l’été est inquiétante. Même la sortie de deux probables blockbusters qui était prévue pour fin juillet est reportée. Celle de « Tenet », réalisé par Christopher Nolan et distribué par Warner est repoussée au 12 août.
http://www.allocine.fr/article/fichearticle_gen_carticle=18691066.html
Et celle de « Mulan», réalisé par Niki Caro et distribué par Disney, est reportée au 21 août. Mais, dans les deux cas, tout dépendra de la situation du Coronavirus aux Etats-Unis et en Chine.
Ainsi, dans les mois qui viennent, le marché français dépendra essentiellement des films français et européens. Ceux-ci auront l’avantage d’avoir la chance de pouvoir être gardés plus longtemps à l’affiche puisqu’ils ne seront pas bousculés par trop de nouveaux films à rentrer. Mais est-ce une bonne nouvelle pour eux ? Une haute fréquentation donne en effet envie d’aller et de retourner au cinéma. Il n’est donc pas certain que cette disparition de concurrents qui réalisaient 50% des entrées soit une si bonne nouvelle pour les films français et européens.
Problème pour le financement du soutien automatique
Enfin, le produit de la TSA sera sans doute réduit de moitié. Or, cette taxe est un droit de douane sur les films étrangers, et, notamment américains, puisqu’ils la payent sans en bénéficier. Ce qui permet de reverser aux entreprises françaises, du moins dans les premières tranches, beaucoup plus que le montant de la taxe prélevée. Mais ce mécanisme ne jouant pas, cela va poser des problèmes financiers supplémentaires au CNC. Alors que, de surcroit, il a augmenté pour l’été, les taux de soutien automatique des deux première tranches, de 50 et 20%.